Ataraxie

Ma fille, encore une fois, a échoué lamentablement le petit test culturel auquel je l’avais insidieusement soumise. Je lui ai demandé ce que signifiait le mot « ataraxie », ce à quoi elle me répondit, sans se démonter : une maladie oculaire (enfin j’adapte, elle n’a pas, comme moi, la passion de l’adjectif précis, de la saine perversion de l’acribologie). Alors que j’écris ces mots, et qu’elle les lit au-dessus de mon épaule, j’ai droit à cet anathème : « tu es le pire des papas ». Je sais, n’ayant jamais eu l’ambition de l’être, « papa », je n’ai toujours commis qu’une prétention au rôle. Il me revient, une fois, un échange pour le moins insolite où un triste sir m’avait traité de « fake », m’arrachant, bien malgré moi, un sourire teinté à la fois d’ironie et de sincère commisération. J’étais tenté de répondre que l’abus d’anglicisme empruntant à une culture web qui ne reflète qu’un conformisme à la médiocrité la plus facile n’était pas la démonstration d’une réelle capacité à l’analyse psychologique d’autrui, mais j’ai préféré opté pour ce que m’ont appris les choses du droit et de la justice… soit les vertus salutaires du silence. Grand bien m’en prit, par ailleurs.

Etre ou ne pas être, finalement, on en revient toujours à ça. J’ai deux enfants qui sont à présent deux adultes, et pourtant, pourtant, ils me traitent et me veulent toujours comme leur patriarche, tranchant les disputes, distribuant les bons points, félicitant ou déplorant, me refusant la facilité de n’être plus que le vieux con qui de toute manière ne comprend plus rien à rien. Ce soir, alors qu’il y avait de quoi, dans ma journée, de quoi me féliciter du bon patriarcat que j’ai (encore) involontairement incarné, je me suis demandé si j’arriverais un jour à cette fameuse ataraxie qui depuis toujours m’a semblé le Graal à atteindre.

La paix de l’esprit, la paix de l’âme, la paix tout court, en ce monde tourmenté, me semble une chimère de plus que je ne parviens pas à abandonner, tant elle est belle.

Parfois, quand me vient l’idée de moins en moins éloignée, de ma vieillesse, j’aime à m’imaginer dans la quiétude d’un grand jardin où je savoure la lumière du soleil et la beauté du règne végétal. Loin des conflits stériles, loin des fausses idoles, tentant de protéger ce qui reste des vertus et des idéaux qui m’auront passionnés, bien inutilement, toute mon existence. Il y a peu, une personne m’a fait le compliment de voir du panache dans les propos publics que j’avais eu, encore une fois, l’outrecuidance de commettre. J’adore le mot « panache », autant que j’aime le héros romancé de Rostand, mais je suis juste un exalté qui n’aura jamais cessé de vouloir ressentir la fièvre de vivre, de le signifier, de l’expérimenter. La trivialité d’un monde au matérialisme triomphant n’aura jamais de cesse de me combattre donc il me vient, à l’usure, l’envie de cette ataraxie qui induit l’abandon des vaines et stériles discordes. Quand j’étais jeune, on me traite « d’éternel révolté ». Maintenant, je suis soit aigri soit perché, selon l’humeur cruelle ou montagnarde de mon jeune interlocuteur. Soit, l’aigre-perché est un chouette nom d’oiseau.

Alors que j’écris ces mots, j’écoute une autre exaltée exprimant sa vision romantique et pourtant réellement distordue de la réalité géopolitique. Je suis fatigué de ces gens qui défendent leur vieux monde comme s’il fallait le sauver. La réalité politique, celle qui a pour ambition de nous expliquer l’univers, la vie, les vaches, est tellement délirante, déconnectée du quotidien de chacun qu’il y a quelque chose de comique à constater l’ampleur du désastre. Cabrel, dans sa grande chanson, « la Corrida », le disait très facétieusement mais aussi très justement : « est-ce que le monde est sérieux ? » A vrai dire, il se prend surtout beaucoup trop au sérieux quand il nous raconte des conneries, la névrose de ces gens-là devient réellement de plus en plus effrayante, entre l’illumination et le fanatisme toujours louche.

Ataraxie, tu sonnes comme le nom d’un pays qu’il me serait bon de découvrir. Je laisse les Eldorado aux fils de pie, divers et variés, dont le cœur ne bat que pour ce qui brille et qui luit. Je te rêve verte, douce et silencieuse, ouverte aux symphonies paisibles des oiseaux qui ornent tes arbres et qui parsèment tes cieux. Je t’imagine avec quelques rares humains qui ont lu Prévert et qui ne dédaignent pas Victor Hugo, qui ont laissé leurs valises d’ego à la rade du petit port qui clôt le seul accès qui demeure vers un monde à jamais perdu.

Ataraxie, tu m’évoques le nom d’une maladie qui m’a pris il y a longtemps et qui m’oblige jour après jour à subir la violence d’un système dont la triste obsession est sa volontaire et méthodique auto-destruction. Les vains plaisirs dont les bons vins ne font plus que s’éventer ne parviennent plus à me sauver par leur douce ébriété. Est-ce toi que décrivait le désert d’Alceste ? Est-ce toi ce pays pour les vieux hommes dont pourtant des cinéastes récents ont vanté l’inexistence (Ah, que j’adore ce film !) ?

Ataraxie, tu sonnes comme le nom d’un vaccin qui n’aurait pas besoin de booster ni de propagande pour immuniser à la souffrance. Ataraxie, tu es mon cinquante au scrabble, même si j’aurais besoin d’un « a » ou d’un « e » pour espérer te placer. Ataraxie, tu es le nom de la fille que je n’aurais jamais, parce que dans le fond, ce serait cruel d’infliger ça à un individu vu le futur qu’on lui réserve. Ataraxie, je n’aurais plus qu’à t’affubler d’un « y » en conclusion pour faire de toi le titre parfait d’une oeuvre qui serait, naturellement, géniale, et de par l’anglophonie, usuellement universelle.

Allez, trève d’anataraxie, j’avais juste envie de défouler la plume, histoire de clore une journée de plus au pays des fous, en dédiant ce billet à ma fille chérie !

L’ensemencement des nuages

J’ai eu l’insigne déshonneur de travailler dans le sinistre domaine de la chimie, et l’anecdote à ce sujet fut ma propension à ne détenir aucun produit de cette entreprise à mon domicile. Quand j’essaie de comprendre les choix de ma vie professionnelle, je dois concéder que souvent je fus, comme la majorité d’entre nous, entraîné dans une logique absconse qui nous fait croire que l’important c’est l’acquisition d’un moyen de survivance aux dépens de nos valeurs et inspirations profondes. Je ressens un peu de honte à présent, une honte diffuse, que je me pardonne en me disant qu’il faut du temps pour y voir clair dans ce monde complètement vérolé par ce que j’appellerai la vieille mentalité européenne, pour ne pas dire, au vu du contexte actuel, européiste.

[/le HS habituel ou digression intempestive ]

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, fascinant, sociologique et historique, presque vertigineux, qui explique et clarifie la psychologie profonde de nos sociétés se décrivant, s’annonçant, se définissant, comme « occidentales ». Pour être bref, car en ce samedi matin pour le moins jaune (je m’expliquerai après), personnellement je comprends le monde moderne comme la poussée d’une mentalité européenne, c’est-à-dire issue des principaux pays de la vieille Europe… une mentalité qui va engendrer les Etats-Unis d’Amérique (une fédération et pas une nation), engendrer un colonialisme purement cupide et névrotique, deux putains de guerres dites mondiales (en cette idée très ethnocentriste que l’Europe est le monde), le nazisme, l’ultra-libéralisme et en accomplissement merveilleux un marché européen dont nous apprécions à présent tous les miracles qu’il nous procure. Non, je ne suis pas « woke », je ne serai jamais de gauche (et encore moins du centre ou de droite, même pas en marche arrière), je ne milite pour aucune cause (je serai davantage dans une vision holistique ; sinon que pour moi tout ne tient qu’à une logique du sparadrap), et je n’ai aucune envie de me battre contre ce que je représente symboliquement comme le mur de la connerie. J’estime encore, j’estime toujours, que le salut ne peut être que collectif… personnellement, comme je le répète à mes enfants, j’ai l’impression d’avoir été aliénés parmi des fous, sans espoir de sortir de l’asile qui est notre monde. Et il n’y a qu’à regarder la fin de Vol au dessus d’un nid de coucous pour comprendre comment ça va se finir.

[/fin du HS habituel ou digression intempestive ]

Ce matin, je me lève tranquillou, et comme souvent je vais sur la terrasse pour savourer mon petit café tout chaud, et là, je constate que le ciel, que tout, est recouvert d’un voile jaune. Encore à présent, alors qu’une heure s’est écoulée, tout ressemble à une mauvaise production filmique qui abuserait d’un filtre jaune pour donner un peu de cachet à une photogénie sans inspiration. J’ai une sainte horreur de ça au ciné, mais dans la vie c’est encore plus terrible. Hier soir, alors que j’allais chercher mon fils, j’avais déjà constaté que le soleil, étrangement, était moins brillant qu’à l’accoutumée, phénomène étrange qui a même poussé mon fils, un instant, à se demander s’il ne s’agissait pas de la lune. Ce matin, donc, continuité du phénomène, me poussant (à mon tour) à m’interroger sur les raisons potentielles, bien entendu rationnelles, physiques ou techniques qui pourraient provoquer un tel spectacle. J’ai bien cru voir, rapidement, l’impact d’une tempête quelque part dans le monde provoquant le we compliqué, météorologiquement parlant, que nous entamons, mais il y aussi l’évocation en mon for intérieur de ce qui est gracieusement baptisé sous l’expression « d’ensemencement du ciel » chez (ou dans le) wikipédia.

Donc ce matin, je suis allé faire un tour sur wikipédia, pour consulter un peu ce qui y était dit. Et là, l’émerveillement de constater les vieux ressorts de cet esprit européen qui se caractérise par l’abus de sophismes et autres syllogismes pour vendre l’invendable. Je me rappelle une discussion animée avec ma fille qui comme argument suprême m’avait sorti celui des fameuses études, nées d’esprits supérieurs, qui concèdent de vulgariser un peu de leur intelligence elle-aussi supérieure, pour expliquer aux singes pourquoi leurs bananes sont à la fois jaunes et bonnes. J’adore quand l’étude, généralement dans ses conclusions, utilise la formulation que « rien n’indique que » pour induire une vérité qui n’en est donc pas une (l’absence de preuves ne faisant pas preuve). Après cette courte introduction sur la manipulation par la savante formulation, je vous laisse apprécier ce court passage concernant la toxicologie (potentielle, hein ? Je ne voudrais pas sombrer dans l’ornière sordide du complotisme pour complaire à l’abruti zététicien) par l’iodure d’argent (utilisé comme levier chimique) – donc source copyright wikipédia :

En France, en 2013, l’ANELFA (association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques) indique (concernant les diffuseurs d’iodure d’argent dans les vignobles) « l’iodure d’argent ainsi disséminé ne représente aucun risque à ce niveau de concentration (1 000 fois inférieur au seuil critique de toxicité). En 2005, le gouvernement français a indiqué « aucune étude n’a été en mesure de démontrer un quelconque effet nocif. 

Source

Ce matin, en regardant le ciel, tout ça a composé un gros cumulonimbus mental qui m’a poussé à écrire ce petit article. Car en me demandant pourquoi tout était jaune, j’ai inclus normalement des causes physiques purement naturelles (du sable en altitude ? un dieu quelconque qui aurait utilisé un filtre de couleur sous son photoshop divin ?), puis m’est venu subrepticement la potentialité d’une nouvelle interaction humaine dans notre société qui joue avec la chimie en constatant très, trop souvent, à posteriori les conséquences de certaines utilisations. Sujet sensible, car le hasard (ou presque) a voulu que j’ai toujours eu les dents légèrement jaunes, ce qui n’a pas provoqué un complexe mais a quand même créé un léger sentiment d’injustice vu que je n’ai jamais fumé (ce dont me soupçonnais les autres quand j’étais jeune adulte) et bu du café sur le tard (dans la trentaine). La raison (qui finalement n’a rien à voir avec le hasard) ? L’utilisation d’antibiotiques à base de tetracycline qui ont ainsi coloré mes dents avant même que les définitives émergent. La vie m’a donc enseigné dans le dur, à chaque fois qu’un miroir me renvoie mon sourire, la connerie inhérente à cet abandon total aux vertus de la chimie. Cette même chimie qui guérit miraculeusement au fur et à mesure que des nouveaux cancers plus ou moins foudroyants émergent. Cette même chimie qui assassine des agriculteurs pour l’éternelle bonne cause de la productivité triomphante (et nécessaire à l’accumulation de brouzoufs, but suprême de notre humanité actuelle). Cette chimie qui est dans chaque chose ou presque qui est vendue dans les grandes surfaces, que ce soit au niveau des emballages ou du contenu. Cette chimie qui fait que nos meubles nous polluent la gueule chaque jour, demandant à mes petites plantes vertes dépolluantes des efforts dont je les remercie encore (hommages à mes pothos, ficus, et autres spathiphyllums).

Après, j’adore le jaune, j’écris tout ça sous ma reproduction du baiser de Klimt (sur lequel je pourrais gloser longuement) et en regardant par la fenêtre le joli parterre de pissenlits qui a survécu au passage récent du zélé jardinier qui a tout ratiboisé, mu par cette obsession étrange que rien ne dépasse. Simplement je l’apprécie à petite dose, de manière naturelle et parcimonieuse, comme la nature sait si bien le faire. Je suis trop vieux pour m’inquiéter de l’impact de cette entropie chimique, je suis mûr pour avoir à mon tour mon cancer et j’entre dans la fenêtre du tirage de révérence plus ou moins dans l’ordre des choses… mais j’ai peur des impacts de cette folie névrotique qui pousse, toujours pour des affaires de cupidité, pardon, financières, à griller les étapes. J’ai peur que des générations futures ne voient plus le jour se lever, clair et limpide, avec un vilain filtre jaune recouvrant tout, toujours, tout le temps. Je suis peut-être parano ce matin, peut-être défaitiste, peut-être pessimiste, mais l’hubris permanent qui règne sur nos sociétés décadentes ne me motive pas à changer d’état d’esprit. Il a fallu que des dents deviennent jaunes pour qu’on retire certains médicaments du marché… j’espère qu’il ne faudra pas constater que le ciel est vert pour que cesse la volonté mégalomane de dominer les nuages et la météo.

Il y a une vérité que je sais et qui pour moi n’est pas contestable : tout est système, tout fait système. Chaque modification, même infime, peut avoir des conséquences globales. Le nier, ne pas le comprendre, considérer ça avec légèreté, est une forme de stupidité conséquemment crasse. Pourtant, c’est ce que je constate chaque jour en écoutant les actualités, en entendant les déclarations d’idéologues illuminés (ou corrompus, au choix), sombres pyromanes t’expliquant avec la conviction profonde qu’un peu plus de napalm devrait finir par forclore l’incendie.

Bon WE de Pâques quand même, ne marchez pas trop sur des œufs ;-].

La répartition des prestations sociales en France

Bon, je dois bosser sur mon storyboard et les dialogues, mais j’ai commis l’erreur de mettre une radio en fond pour entendre une fois de plus que la responsabilité (un peu partagée quand même) du désastre économique actuel en France est (en résumé) en grande partie celle du peuple qui est un peu trop assisté (ça se voit un peu avec tous ces SUV qui circulent de partout, chanceux vainqueurs du miracle de la mondialisation).

Et si au lieu d’écouter les commères (qui nous ressassent que ce sont nous les grands responsables du désastre en louchant sur les pauvres, les démunis, les chômeurs pour expliquer à peu de frais les victimes expiatoires, on allait voir des statistiques sur la question ? Cet édito répétant encore la rengaine habituelle disant c’est encore le peuple et pas ses dirigeants qui sont fautifs, je me suis motivé à aller faire un tour sur Google avec les mots clés « statitiques répartition prestation sociales France » . J’ai débouché sur le site statitica.com, un site produit par des allemands ce qui ravira les europophiles germanomaniaques. Et donc, je suis tombé sur une page sur laquelle un petit diagramme circulaire nous apprend que les cibles habituelles citées plus haut représentent pour 2022 moins de 10% des prestations, sachant que dans ce segment le chômage est en fil de tête avec 4,8% (rappelons que l’assurance chômage se finance essentiellement par les cotisations des travailleurs – logiquement, à moins qu’il y ait une information que j’ignore, ça ne doit pas peser sur le budget de l’Etat, mais je peux pêcher avec ignorance. La CSG représentant la part de l’imposition assumée par l’Etat, elle est réalisée essentiellement sur les revenus d’activité et de remplacement…. donc les allocations chômage. Oui, Madame, c’est ça la France).

Le gros poste demeure la catégorie (je cite) « Vieillesse-Survie » avec 54,2% et « Santé » avec 37,5%. En résumé, et pour faire dans la même caricature que ces éditos en forme de discussions de comptoir (exemptant l’excellent Alexis Poulin qui fait un admirable travail de lutte contre ce type de doxa – découvrez d’urgence le Monde moderne), ce sont les vieux et les malades qui nous coûtent ; vu que nous n’allons plus soigner les derniers et qu’il y aura de moins en moins des seconds (faute de soin et grâce au recul de la retraite qui va nous en décaniller un ou deux avant le salutaire passage), pas d’inquiétude car tout devrait s’arranger assez rapidement.

C’est peut-être ça la logique perverse de ce gouvernement après tout. Enfin, quand un pays n’a presque plus aucune ressource industrielle avec une tiersarisation à l’extrême d’une économie sous dépendance extrême de son importation, il ne peut pas y avoir de miracles. Ah, on me souffle dans l’oreillette qu’il y a encore votre épargne à choper. Le meilleur reste donc à venir.

Allez, je m’y mets.

Désinvolte

En ces temps de révolutions tranquilles
Tellement de cris et de bruits qui cognent
Tous ceux qui vous le donnent en mille
Tout en s’en mettant plein les pognes

Y a jamais eu autant de belles paroles
Et de grosses vessies faisant lanternes
En très grandes pompes ça caracole
Dans un paysage de plus en plus terne

Restons désinvoltes
Pas la peine d’aborder
Ces histoires de révoltes
Y a plus qu’à accorder
Le doux son de nos colts

En ces temps d’apocalypses lents
A l’horizon y a rien qui déboule
Tu peux continuer à fermer l’rang
Sans redouter le petit coup’d’boule

Y en a tellement qui y croit dur
Comme fer que tout peut revenir
Alors que l’odeur sous la dorure
C’est ce qui reste de leur avenir

Restons désinvoltes
Pas la peine d’évoquer
Ces besoins de récoltes
Y a qu’à révoquer
Le commerce des biscottes

Y a que la Terre qui fait révolution
Petit slow au milieu des astres
Sans qu’aucune considération
Mesure l’étendue du désastre

Les gens sont comme des météores
Perdus dans des courses folles
Agitant leur capes de matadors
Car dans le vent tout s’envole

Restons désinvoltes
Plus la peine d’imaginer
Ces fleurs qui virevoltent
Y a plus qu’à accepter
La décharge à 100 00O volts.

« écrit en attendant qu’arrive le bus de mon fils, traduisant mon état d’esprit car je déteste attendre ;-} »

Désaturation

Je suis allé voir le second volet de Dune de Denis Villeneuve, ne partageant pas l’enthousiasme aveugle de ma fille en trouvant le film très monochrome, d’une fadeur chromatique qui m’a poussé à m’interroger sur la potentielle déliquescence des bâtonnets de mes yeux fatigués. Une petite pensée pour une stagiaire que j’avais embauché, Clémentine, qui m’avait interpellé par rapport à la psychologie appliquée à la communication. Nous avions convenu de réaliser certaines expériences, et j’avais eu plaisir à constater, à mon grand dam, que certaines de ses assertions s’étaient révélées justes, comme cette fois quand, entre deux pubs, un simple changement de saturation sur un fond vert avait amélioré le score d’une publicité en print. Elle avait pris le temps de m’expliquer, alors, que les gens entre 40 et 55 ans étaient davantage séduits par des couleurs désaturées et autres tons pastels, ce qui s’était réalisé assez nettement. Oui, je sais, il n’est pas possible non plus de parler de réelle expérience établie dans des conditions pouvant réifier une potentielle vérité, mais je pensais vraiment que la pub ferait un bide – au contraire, elle a même un peu mieux marché qu’à l’ordinaire. Après, peut-être que je voulais que Clémentine ait raison, toujours dans une soif éperdue de sens, j’avais peut-être besoin alors d’en trouver dans des études et l’intérêt d’une personne à l’intellect aiguisé qui ne se suffisait pas de son très personnel sens du beau et de ses petites convictions esthétiques. Les métiers de l’image et de la communication demeurent une expérience intime et puissante sur les affres de la mesquinerie bourgeoise que tout professionnel endure à plus ou moins forte intensité.. Enfin, j’avais été éduqué sur l’existence des bâtonnets et leur rôle stratégique dans notre perception du monde.

Depuis Dune 2 (titre en soi assez comique), je teste ma vision en essayant de jauger si je souffre d’une inéluctable désaturation. Mon salon étant une jungle de plantes vertes, mes petites chéries, j’essaie de voir si les couleurs de leurs feuilles sont moins flamboyantes qu’à l’ordinaire. Et c’est pour le coup très difficile d’avoir un avis tranché sur la question. Comme toujours, condamné à l’enclos de la perception sans pouvoir changer vraiment de point de vue (au premier degré), je suis perplexe. Ce qui m’a poussé à écrire ce matin ce billet avec ce titre, car dans les faits je me demande si je ne vois pas le monde de plus en plus gris. La désaturation, chez moi, naît peut-être davantage d’une saturation. Le pire c’est que j’ai adopté un chat noir – heureusement que la nature a eu l’heureuse inspiration de le doter d’une paire de yeux émeraudes qui ne cessent de m’émerveiller à chaque instant que je les croise !

Saturation à cause de l’actualité. Après 50 ans de désindustrialisation intensive pour cause de financiarisation abusive, notre pays connaît le déclin inéluctable d’une nation qui continue de vivre sa tranquille trahison politique. Saturation à cause d’une l’idéologie nauséabonde qui me fait subir chaque jour un sophisme triomphant. Saturation à cause de tous les scandales qui émaillent notre société dont la corruption est devenue une réalité systémique. Saturation à cause du climat belliciste qui fait qu’hier j’entendais un professionnel de la mort de masse s’enthousiasmer sur la place de la France dans le commerce de l’armement. Petite pensée pour cette news dans laquelle des enfants maniaient des faux fusils doté de téléphone leur permettant de connaître les joies du shooting en milieu urbain grâce à la réalité augmentée, concept aussi abscons que l’intelligence artificielle. Saturation, aussi, de l’escroquerie d’une sémantique marketing qui s’insinue dans chaque pore d’un langage contaminé par l’ultra-libéralisme triomphant.

Ma fille a adoré Dune. En rentrant de la séance, je n’ai pas pu m’empêcher de tempérer son enthousiasme avec cette affaire de colorimétrie. Personnellement, je continue de penser qu’avec un poil plus de saturation dans ce désert gris, l’image aurait gagné en télégénie. J’ai toujours considéré cette inclination à la désaturation et à l’abus de pastellisation comme un travers d’un embourgeoisement que dévoile l’aliénation de la convention. Ah ! Cette bonne vieille teinte taupe qui faisait les beaux jours des devantures de certains magasins à la fin de la première décade de notre second millénaire. Quelle horreur que ce bordeaux marronnasse qu’on m’aura imposé tant de fois avec cet air faussement inspiré qui dissimule gauchement un bête mimétisme social ! Oui, je sais, l’abus de couleurs psychédéliques et survitaminées n’est pas non plus idoine. Soit. Mais entre les deux, n’y a-t-il pas un oasis dans lequel trouver une certaine et calme beauté ? La Joconde avec un peu moins de peps et ça deviendrait une grosse sauce de marrons noisettes qui ne ferait même pas un bon ersatz de Nutella. Je ne parle même pas de mon Delacroix adoré… que serait le Romantisme sans cet éclat fier de couleurs jetées comme des moments de colère ou d’humeurs prestement exaltés ?

Une fois encore, ce n’est que mon avis. Ma fille a adoré Dune 2 et ses images ternes… ou alors elle a adoré un film magnifique à l’image subtilement sobre et élégante. Paradoxalement, je ne pouvais m’empêcher de penser au Petit Prince et aux dunes colorées de Saint Exupéry. J’ai toujours considéré ce beau livre comme l’illustration d’un homme qui décrit la mort inéluctable de son enfant intérieur. Peut-être que j’essaie de protéger le mien en le laissant dans son désert coloré. Je deviens nostalgique des films de mon enfance, dans lesquels je revis une société toujours aussi bordélique mais qui transpire une envie, un désir, que je ne retrouve pas dans la frénésie suspecte des images d’aujourd’hui. Les couleurs sont vives, l’image transpire un naturel que les filtres d’aujourd’hui polluent un peu trop. En matière artistique, l’artifice s’ensuit souvent de l’artificiel. L’abus de procédés dévoile une tentation de camoufler le prosaïque tant abhorré. La volonté coupable de sublimer le banal en lui donnant la patine des clichés photographiques des magazines de mode.

Un truc qui me rassure quand même… c’est que je les trouve bien vertes mes petites plantes. C’est peut-être Dune 2 qui était par trop désaturé ? C’est sur cette note d’espoir fébrile que j’achèverai mon billet du jour avec un clin d’œil sur-batônnemisé.

La négation de la valeur ou la valeur de la négation

Je suis en train de benchmarker des solutions de paiements en ligne, mais d’un coup j’ai envie de revenir sur une vidéo que j’ai vue sur Youtube ce We, sur la chaîne Elucid (que je vous conseille chaudement), avec comme invité Yohann Chapoutot. Un échange passionnant que j’ai fortement apprécié pour la qualité des concepts et des idées déployés par YC. Souvent, quand j’essaie d’aborder la question de l’argent avec certains interlocuteurs, je tente toujours de rappeler que ce n’est qu’un moyen, un outil, dont la valeur ne se fonde que sur la croyance (ou l’adhésion) qu’il inspire. Et il y a eu ce moment, cette citation qui sert de titre à ce billet, « la négation de la valeur est aussi une valeur de la négation ». Bon, je ne pense pas que c’était la formulation exacte, mais l’idée c’est que l’argent est effectivement un système de désignation de la valeur… qui devient absurde quand cette valeur n’est plus déterminée dans un processus naturel de circulation des biens mais l’objet même, le but, du processus économique. Comment expliquer la folie actuelle sans admettre le caractère proprement névrotique de cette obsession, de ce fétichisme, autour de l’argent ?

Yohann Chapoutot fait ainsi le lien entre l’argent et le nihilisme, le premier servant de locomotive au second. Oui, c’est vrai, du moment que l’argent devient un phénomène qui s’affranchit des besoins pour devenir le symptôme d’une folie systémique, il n’est pas faux de penser que l’argent devient le symbole même d’un nihilisme qui ne poursuit aucun autre but qu’une perdition enfiévrée. Mais attention, l’idée n’est pas de nier l’intérêt et l’importance de l’argent ; il reste un outil, un moyen, à la fois utile et peut-être irremplaçable dans une logique de fluidification et de facilitation des échanges inter-humains. C’est juste qu’en amasser des montagnes, magiques ou spéculatives, ne crée que des richesses artificielles qui à la fois polluent et compliquent le réel.

Il y a actuellement un frémissement intellectuel, un désir profond de changement, et je sens qu’une réflexion s’est ouverte sur la question de ce que doit être nos sociétés humaines et surtout comment elles doivent, et comment elles ne doivent pas, fonctionner. C’est encourageant, même si je sais que j’ai toujours l’enthousiasme facile. Il faudra encore du temps et beaucoup de souffrances et de drames avant qu’une volonté de changement l’emporte sur l’apathie actuelle. Cette vidéo de la chaîne Elucid et les propos très éclairants de Yohann Chapoutot sont une base vivifiante qu’il faudrait donner à étudier (à digérer ?) à tous ceux qui essaient de comprendre le monde réel, qui ne souhaitent plus se contenter du narratif qu’on leur a infligé depuis leur enfance, les emprisonnant dans un monde de chimères qui les contient plus fortement que des barreaux bien réels d’une prison.

Si tu dis à un homme qu’il est libre, c’est la meilleure manière de l’aliéner, le temps qu’il comprenne la supercherie derrière une affirmation qui demande à être interrogée avant d’être consciemment acceptée.

L’émission sur Youtube, les derniers des hommes, le temps qu’elle restera sur ce réseau social, je sais qu’au fil du temps, les liens des billets passés disparaissent au rythme lent mais inéluctable de leur effacement, pour cause d’abandon des sites ou des chaînes. De la réalité d’un internet qui semble éternel mais qui ne peut exister que dans un intense et perpétuel recommencement… balayant le passé obsolète au rythme frénétiques des avancées de la technologie digitale.

Le chaos avant quoi ?

Terrible époque que nous vivons, un monde en changement, un monde en ébullition avec la sensation d’un écroulement que déguise de plus en plus difficilement un monde médiatique semblant déconnecté de la réalité. J’ai énormément de boulot donc je passe mon temps à gérer des micro problématiques mais hier ma fille me demandait pourquoi je n’écrirais pas un bouquin sur un des nombreux sujets qui me passionnent. Soit, je pourrais, je peux, mais c’est paradoxalement sur le sujet du langage que je souhaiterais m’appesantir. Nous sommes dans un processus manipulatoire tellement généralisé que ça ne cesse de me fasciner, tout en me révulsant, évidemment. Il faut dire que nous subissons des abus déclamatoires, incantatoires, qui à la fois dénoncent l’imposture et révèlent l’impunité. Tout a été organisé pour maximiser notre impuissance, grâce au moteur de notre adhésion tacite ou involontaire. Par exemple, l’invitation au dialogue qui n’est plus, depuis des décennies, qu’une méthode pratique pour désamorcer les potentielles crises. Nous sommes devenus, je parle de la France, un peuple bien éduqué, bien élevé, qui ne conçoit plus qu’agir en suivant des règles, fussent-elles ineptes et injustes. Cette propension à la soumission volontaire est pourtant un gage d’infamie pour ceux qui ont été élevés dans la gloire du passif révolutionnaire. Que restent-ils des gaulois réfractaires ? Ont-ils seulement exister ou ne sont-ils qu’une autre marotte symbolique qu’on nous récite pour nous faire rêver d’un passé magnifique au lieu de nous laisser grandir en nous faisant affronter la dure réalité du présent ?

J’ai toujours eu la mélancolie d’être un homme sans racines, pas que j’ignore les origines de mes parents et le parcours de mes ancêtres, mais je suis le fils d’un homme parfaitement adapté à cette société « liquide » que nous vend en permanence le monde libéral. Mon père était un homme brillant, capable et compétent, et il a bénéficié des avantages d’une ébauche de méritocratie qui a, un peu, existé durant les trente glorieuses, avant que nous vivions la phase actuelle qui consiste à reprendre ce qui avait été durement concédé. J’ai donc beaucoup bougé dans mon enfance, j’ai tenté de suivre un peu les traces du papa à l’âge adulte, mimétisme oblige et illusions inflige, avec toujours la sensation de n’avoir que la construction personnelle comme élaboration de mon identité. Il me revient une anecdote cocasse et cruelle qui démontre en la matière l’absence d’instinct paternel de mon auguste patriarche. J’avais, à la fin de l’adolescence, le réflexe d’indiquer que j’étais bourguignon quand on me demandait mes origines, d’où je venais… simplement parce que j’avais vécu quelques années à Mâcon, et que j’y avais été très heureux. J’avais aimé les paysages magnifiques du Macônnais, j’avais aimé les gens, notamment dans les villages, accueillants et généreux, j’avais envie de m’attacher, de me rattacher à cette partie du peuple que je sentais bienveillante et courageuse. Un jour, alors que mes parents reçoivent ceux de ma compagne d’alors, le père dit au mien que je suis donc bourguignon, ce qui est balayé par mon géniteur dans un rire à la fois plein de cynisme et de sarcasme. Cette dénégation m’aura beaucoup marqué, comme une sorte d’anathème qui m’envoyait la réalité en lieu et place du petit arrangement que je voulais faire avec les faits. J’étais définitivement condamné à n’être qu’un homme sans racines ni attaches, j’étais condamné à être ce nomade moderne qui fait du monde entier son refuge et son foyer. En bref, j’étais destiné à n’être qu’un individu de plus et à m’en faire à la fois la raison mais aussi la conviction.

Etre un simple individu vous oblige à deux choses principales, contraires et violentes. Vous ne pouvez être que celui que vous devenez et pas celui qui vient de quelque part. Il n’y a pas de passé, pas de mélancolie, il n’y a que la route qui se présente devant vous, à parcourir, jusqu’au bout. Enfin, vous obtenez la force morale de celui qui n’a rien à perdre que ce qu’il est vraiment. Ce qui entraîne la création d’un surmoi monstrueux qui vous dicte, jour après jour, sa longue liste d’obligations morales et intellectuelles qui vous imposent une manière d’être camouflant la réalité d’une survie. Je suis devenu l’homme que je voulais être, mais je constate que le monde qu’on me propose n’est qu’un vaste enfer à ciel ouvert. Je n’ai pas à m’en plaindre par rapport à mes congénères, liquide par décision parentale, je suis donc habitué à m’adapter et à survivre quelles que soient les épreuves, la fameuse résilience qu’on nous rabâche pour nous faire toujours plier davantage. Surtout, je me suis armé intellectuellement et culturellement pour affronter ce monde… j’y traîne souvent comme un carnassier dissimulant ses dents, car je sais que nous ne sommes plus en terrain neutre. La brutalité est partout, la violence légale comme sociale une triste réalité, il faut donc en permanence être prêt à rendre ce qu’on vous donne sans hésitation ni faiblesse.

Il y a deux jours, mes enfants m’ont fait une magnifique déclaration d’amour, qui m’a touché car je ne voulais pas, je n’escomptais pas, d’être père. Ils me témoignent la reconnaissance de leur avoir donné certaines armes pour s’adapter à la vie à venir, surtout ils peuvent juger à présent de la valeur des avertissements et des éclairages que j’ai tenté constamment de leur donner, au gré du temps et de leur croissance. J’ai appris il y a longtemps que l’art de la paternité consiste surtout à ne pas déformer un enfant avec son petit ego mais bien veiller à ce qu’il puisse grandir et évoluer en suivant sa propre route. Ce n’était pas évident de les encourager à devenir des citoyens tout en leur apprenant la défiance envers tout système qui vous contraint et vous oblige. Je sais combien il est difficile de vivre sans illusion, pourtant c’est la condition pour ne pas s’y perdre. Le monde d’aujourd’hui est un monde dont les chimères ne deviennent plus que de pâles silhouettes qui ne convainquent plus personne. C’est à la fois abominable et nécessaire. Nous arrivons dans une période de chaos qui débouchera sur un nouveau paradigme, qui ne sera d’ailleurs qu’un système aussi temporaire que terrible. Comme si l’humanité ne pouvait que toujours subir et endurer ce cycle entre désir de justice et écrasement par l’injustice. Douze mille ans que l’homme se rêve et s’invente pour toujours en arriver à ces déséquilibres flagrants, il y a tout de même la sensation, personnelle, d’une absurdité propre à la nature humaine, inéluctablement contaminée par sa tendance à la névrose décomplexée.

Même si je ne suis pas aussi vieux que ça, je sais que je suis davantage vers la fin qu’au début, et je sais qu’il y aura de nombreux combats à mener à l’avenir. Je me pose la question de les mener ou pas, en compagnie des générations futures qui vont payer durement tous ces mauvais choix, cet égotisme dégénéré qui détruit la nature et nous empoisonne tant le corps que l’esprit. Si je dois écrire, ce sera pour tenter d’éclairer ceux qui veulent être libres, car je crois toujours que tout est affaire de choix. Et à présent, tout est à faire ou à refaire, aussi. Etre sans racine m’a aussi inculqué ça : quand rien n’a de sens, à toi d’en créer, à toi d’en donner. Libéré des carcans des obligations de ceux qui ne songent qu’à accaparer à ton détriment, garde en tête que ce monde n’appartient à personne : nul n’a le droit de créer son bonheur en privant un autre du sien.

La règle morale simple que j’ai inculqué à mes enfants alors qu’ils étaient tout petits : tenter d’agir toujours avec bienveillance, en étant capable d’estimer la polarité de ses actions. Simplement, quand tu agis, si cela provoque de la souffrance chez autrui, c’est mal, quoi que tu te dises ou quoi que tu essaies de justifier. Il est plus que compliqué, naturellement, de toujours agir sans provoquer du tort… mais il convient d’en avoir la conscience et de ne pas en rejeter la responsabilité. Le chaos que nous vivons actuellement est la simple conséquence de la perdition morale qui caractérise un monde ultra-libérale qui déguise constamment les faits aux détriments des êtres. Il est important, plus que jamais, de revenir à une véritable justice sociale qui ne peut, par ailleurs, plus être imaginée ou voulue à la dimension d’une nation, mais bien à celle d’une planète. Plus que jamais, la France non en tant que petit pays cocardier mais bien en tant qu’idée d’un humanisme puissant a un rôle à jouer.

Non, pas cette France d’aujourd’hui, l’autre. Celle qu’il convient de ressusciter avant qu’elle ne soit plus qu’un rêve, une triste et décédée chimère.

De retour

Le souci quand on a plusieurs sites avec WordPress c’est qu’une mise à jour Php pour l’un d’entre eux peut engendrer maints déboires pour les autres. Ce fut le cas pour Arcticdreamer.fr qui a souffert de mon agenda très chargé. Ce matin, j’ai pris le temps de faire les choses, en attendant de les faire bien, c’est pour cela qu’il n’y a pas vraiment de mise en page, j’ai installé un thème rapido et hop, tournez manège !

Après, ce n’est pas comme si j’en avais à faire de ce site, c’est davantage une expérience personnelle que je poursuis car je suis un peu comme ça, j’ai du mal à détruire ce qui a pris du temps et de l’attention. Mais bon, quand je relis ce que j’écrivais il y a 11 ans et l’écart plus que gigantesque avec l’homme que je suis à présent, j’ai comme toujours l’impression qu’il n’y a aucun mal à effacer ce qui a été pour aller de l’avant, et au moins ne pas faire peser sur le présent les chimères/croyances/illusions d’hier. Au niveau sociologique c’est tout de même intéressant de me pencher sur le fantôme de ma personne passée, en cela les billets de ce site sont intéressants car le cliché d’une époque dont je serais le petit négatif. Qui sait, peut-être qu’arcticdreamer.fr évoluera vers autre chose à terme, j’ai toujours eu envie d’écrire une suite au roman de Shelley avec sa créature fascinante ?

De là me frappe une mise en abyme, avec l’idée de n’être que la créature d’un moi intérieur qui me manipulerait telle une marionnette ! Allez, j’arrête la déconnade, bonne journée 🙂 !

Le chat

Clin d’œil avec un beau poème de Baudelaire qui me fait sourire en ce début d’année 2024 !

A ma petite Gaïa, mon petit rayon de soleil tout noir !

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal

La première des révolutions à faire

Etant donné que je suis malade depuis une semaine à cause de ma chère fille qui fut un patient zéro consciencieux, je vais écrire un peu en réaction à tout ce que je lis et regarde depuis quelques jours. Rien ne va plus, ça craque de partout, et quand je dis de partout, je parle du monde dans son ensemble. En précisant un peu cette généralité fallacieuse (comme toutes les généralités le seront toujours), je parle du monde démocratique. Actuellement, il y a un profond et puissant désir de changement par rapport aux enjeux climatiques, aux enjeux économiques, et surtout aux enjeux humains. C’est amusant comme constamment le vocabulaire politique se borne à répéter comme un mantra les mêmes idées en oubliant qu’il n’y en a que deux qui comptent pour qu’une société puisse espérer vivre en paix et en prospérité : la justice et le bonheur.

De la justice, il y a tant à dire… j’en ai fait l’expérience, j’ai mesuré le cynisme du système, encore un, j’ai compris quand même que ce n’était qu’un miroir aux alouettes de plus. Après, oui, comme dans d’autres corps, il ne faut pas non plus céder à la misanthropie primaire, il y a encore et heureusement des gens de bien, honnêtes et respectables… mais également tant de compromission, tant d’impunité organisée. Il y a de cela quelques années, j’avais été choqué, sans trop comprendre pourquoi, par un simple mot dans un jugement qui m’avait fait l’effet d’une gifle et d’une sensible humiliation. Ce mot c’était « turpitude », qui contenait ce que je peux identifier maintenant comme un vulgaire mépris de classe. A l’époque je croyais encore en la méritocratie, car je suis un homme qui ne peut abandonner ses chimères sans se battre un peu, nature oblige. Maintenant je sais à qui j’ai affaire, à l’instinct sont venus s’adosser la sagesse et l’expérience. Les griffes et les crocs sont toujours affûtés, sans non plus imaginer la victoire mais au moins de ne pas la laisser sans faire le plus de dommages possibles. Ma fille récemment me disait que je n’étais plus le gentil papa de son enfance, ce qui me désole mais en l’état il n’est pas possible de constater comment tout a si mal tourné sans nourrir une saine et inspirante colère. Car la Justice a perdu sa majuscule, elle a été vulgarisée comme le reste, elle a été rendue utilitaire dans un engrenage productiviste qui a perverti la notion du bien. En bref, elle n’est souvent que la chose d’une ploutocratie qui abuse et abusera toujours du sophisme pour se jouer de tous ceux qui ne comprennent pas l’escroquerie du langage, dont la polysémie demeure une constante opportunité. L’exemple accablant de cette monstruosité morale que ponctue la sentence « Responsable mais pas coupable » ne semble plus un scandale mais bien l’introduction sobre d’une décadence dont personnellement je ne vois ni les limites ni les obstacles.

Du bonheur… il n’y a plus rien à dire, ça ne sort jamais dans les débats publiques ou médiatiques. Peut-être parce que pour la majorité, le plaisir en est devenu le synonyme, la valeur d’échange, la concrétisation. Du pouvoir de l’argent, ce dieu invisible et puissant dont les apôtres sont à la fois zélés et inspirés. Parfois, quand je m’interroge sur la manière de créer une société parfaite, en imaginant repartir de zéro, je me dis que la première des lois serait de ne jamais permettre que ce moyen soit autre chose qu’une valeur d’échange ancrée et limitée au réel. En ces temps où l’inflation est un terme qui revient en permanence pour devenir une sorte de bouc-émissaire invisible, à la fois complexe et insaisissable, il y a pourtant de quoi comprendre ma réflexion. J’ai tenté d’expliquer à mes enfants, à l’époque du « quoi qu’il en coûte », le prix justement à payer pour ce type de politique. Régulièrement j’entends des économistes de tout bord expliquer que la dette c’est à la fois pas si grave et de toute manière obligatoire dans un monde qui ne fonctionne qu’avec cette logique capitaliste qui veut que comme un saumon, il faut toujours que ça revienne à la source. Parce que d’abord, si les gens riches le deviennent moins, alors ça ne peut que provoquer la fin du monde. Que les états soient devenus complices de cette logique qui veut que les peuples soient utilisés comme de grosse masse laborieuse pour que quelques uns vivent dans une opulence qui est peut-être la forme la plus extrême, subtile et véritable d’une totale médiocrité à la fois morale et intellectuelle est une sinistre vérité.

Ce matin j’écoutais à la radio qu’après la chasse aux pauvres et aux fainéants, il est maintenant question de s’attaquer à tous ces travailleurs qui ne font rien pour réussir alors que TOUT est fait pour ce but ultime. Comment construire une société où le bonheur serait générale, serait une réalité collective, quand, de toute manière, le principe est de construire sa richesse sur l’exploitation d’autrui ? Il y a de cela plus de trente ans, j’avais tenté d’aborder la chose avec mes parents quand j’avais constaté l’écroulement du prix d’une télévision. Quand j’étais gosse, la télévision c’était pour moi la divinité suprême au quotidien. J’allais m’agenouiller devant autant que je pouvais et tous les récepteurs cognitifs en action, j’absorbais ce que sa douce lumière me révélait. La télévision pour moi c’était le substitut à tous les manques que peuvent provoquer le délaissement… Je faisais souvent l’objet d’inquiétude ou de critique quand, au lieu d’aller jouer « dehors » avec d’autres enfants, je préférais mater la suite des programmes des quelques chaînes d’un service public qui tentait d’en offrir, d’en saupoudrer, un peu pour tout le monde, effort très louable en soi. Donc la première chose que j’ai perçu dans la valeur des choses, c’était le prix d’un poste de télévision. C’est simple, j’avais 6 ans, et une télé couleur c’était pour moi autour de 10 000 francs, soit une fois et demi le salaire de base. En résumé, pour ma famille qui est partie vraiment de rien, c’était énorme, c’était un privilège qu’il fallait chèrement acquitter pour en obtenir l’accès. A peine 10 ans plus tard, les prix ont commencé à baisser pour n’être plus qu’un détail dans le budget. Alors, de nos jours, il est possible d’acheter une télé avec le même ratio mais si le but n’est que d’avoir une télé ça se règle pour moins cher qu’une semaine de courses pour une famille de quatre personnes. Pourquoi ? La technologie est-t-elle si avancée qu’elle permette à des choses si peu naturelles que des composants informatiques, que des matériaux transformés, de coûter finalement moins que des aliments cultivés et bêtement mis en boite ? Le coût de la main d’oeuvre, pardi, LE critère qui obsède à juste raison le capitaliste névrosé. Et pour cause, le bonheur consumériste ne se base que là dessus : l’exploitation d’un autre, de sa force de travail rémunérée à bas bruit, pour nous permettre le luxe et l’opulence. A présent nul n’ignore que la promesse a été depuis clairement dénoncée. Certains ont cru que ça n’était encore que des histoires d’import/export, de pénurie, de surpopulation et de consommation dont les valeurs s’accroissent et se déplacent tandis que l’occidentalisation du monde progresse. Mais plus concrètement, c’est juste que nous n’avons plus les moyens, comme avant, d’exploiter autrui, car les esclaves ont fini par comprendre que leurs maîtres étaient tout de même de sacrés branquignolles. Des lièvres atteints de turpitude pour rendre hommage, un peu, à mes propres bourreaux.

Alors en ce moment, il y a une désespérance tranquille, le désespoir lascif du quotidien difficile. Il faut que ça change, car ça ne marche pas, mais comme dans un couple où l’émancipation de l’autre évoque toujours l’amertume ou le risque d’une solitude à venir, rien ne se passe sinon la constatation d’un temps qui passe et d’une routine qui sans cesse recommence. De la démocratie, toujours ce mot, qui revient, comme si c’était là que tout se jouait. Ce qui n’est pas faux, à vrai dire (j’adore toujours jouxter les deux valeurs, c’est mon puéril moment de manichéisme primaire), c’est qu’effectivement tout est affaire de pouvoir. « Pouvoir ». « Kratos ». C’est amusant comme les mots nous enferment dans des manière de penser le monde. Il est impensable, par exemple, d’imaginer un système politique sans utiliser ce radical. Car dans les sociétés humaines tout n’est finalement que le phénomène qui se réalise en permanence : l’expression d’un pouvoir sur un autre, sur des autres, afin qu’une société puisse se faire.

Je regrette qu’il ne soit pas possible que se fasse une révolution des idées qui passerait par une révolution du langage. Tous les débats se perdent dans des logiques idéologiques et sémantiques là où plus que jamais nous avons besoin de philosophie. D’introspection, d’abstraction, de modélisation, d’analyses. La réalité que j’observe par les lucarnes modernes que sont les nouveaux médias ne sont que tempêtes d’émotions et impasses sophistes. Une rage dans la prise de position, une constante intimation à choisir un camps, à condamner l’autre, avec une violence sous-jacente ou exacerbée qui m’écœure de plus en plus.

Il n’y a pas si longtemps, j’allais écrire un commentaire sous une vidéo qui parlait, justement, de révolution, avant finalement de l’effacer. Ecrire ici est un acte neutre, un acte égotiste qui n’est qu’un cri inaudible et accessoire. Ecrire ailleurs me donne à présent la sensation d’être le fou qui invite à regarder le ciel au lieu de l’écran lumineux qui vous bousille lentement mais sûrement vos jolis yeux avec sa lumière bleue. Pourtant, je reçois en retour des remerciements pour mes contributions, mais ce n’est pas le but. Le but serait de constater un désir de liberté chez mes contemporains qui déjà serait un immense signe d’espérance. Je ne le vois plus, je ne vois que résignation et entêtement.

Je livrais à ma fille, hier, le fruit de mes états d’âme. Je pense que nous ne pouvons qu’aller au bout de cette folie. Alors que les passions se déchaînent sur la question des IA, jamais je n’aurais constaté à quel point l’esprit humain cède à une forme de robotisation qui l’oblige, qui le condamne, à un total déterminisme social. Chacun accepte son rôle et les règles du jeu, même si ces dernières sont foutrement injustes.

La seule révolution qui compte c’est l’émancipation de cette manière de voir la vie et d’imaginer le monde. Il faudrait abandonner le « Kratos » pour passer à « l’Ethos ». Ne plus devoir obliger pour obtenir, mais ambitionner pour réaliser. La société des devoirs remplacée par celle d’une volonté collective qui n’aurait pour but que vivre dans la paix et l’harmonie. Troquer l’idéal vicié de l’Europe par une belle Euthymie*, ça serait bien.

*Euthymie (source wikipédia) : L’euthymie (du grec eu, bien, heureux et thymia, l’âme, le cœur) constitue le concept central des pensées morales de Démocrite qui la présente comme une disposition idéale de l’humeur correspondant à une forme d’équanimité, d’affectivité calme et de constance relative des états d’âme.