Internet et libertés

Belle affaire aujourd’hui, avec la condamnation du blogueur Bluetouff pour… Difficile de terminer cette phrase sans tousser un peu. Vol ? Maintien frauduleux (!) ? Reprendre les termes précis utilisés par la justice française serait quelque part assez fallacieux. Pour voler, si on réfléchit à la dimension technique qu’induit l’acte en lui-même, il faut qu’il y ait effraction, soustraction, et sans nul doute un gain quelconque, qu’il soit financier ou matériel. Bluetouff, aka Olivier Laurelli (que je cite exprès, vu qu’en terme de preuve on a invoqué l’anonymat confortable de cet internaute à la vie pourtant très publique – son identité apparaît à la moindre recherche sur le pseudonyme…) a en fait téléchargé des éléments, des documents, en les récupérant sur le site internet d’une institution publique. Ben non, en fait elle était publique mais pas pour le public. Et oui, la démocratie parfois c’est un peu compliquée.

Je passe les détails, et je vous invite à vous rendre sur le blog de Bluetouff, et sur son billet consacré à l’énoncé de cette affaire, pour constater la maîtrise du sujet par son auteur. Ce serait bien, parfois, que des billets de blog servent à faire jurisprudence, car pour le coup, celui-ci est assez emblématique d’une fracture culturelle qui pourrait être une clé de compréhension face à la crise que rencontre notre pays actuellement. Force est de constater que c’est bien des difficultés de compréhension qui ont provoqué la condamnation du blogueur, qui a l’élégance de rapporter que ces interlocuteurs dans la police maîtrisaient leur sujet. Ce qui apparemment n’était pas le cas des personnes chargées de juger, si on se rapporte à des éléments du billet de Bluetouff, qui a dû se justifier d’utiliser un VPN, et d’avoir sauvegardé des fichiers numériques. Tu veux échapper à Big Brother, malheureux ?

En ce moment, si le cours des acteurs numériques ont la côte en bourse (sauf twitter, bande de méchants ?!), celui des grands mots et des grandes valeurs a la faveur de beaucoup de nos tribuns. Ah, la bonne vieille connotation, chère aux sémiologues, qui permet d’un coup d’un seul d’asséner une claque symbolique et une condamnation, d’un coup d’un seul. Ce « blogueur » (un geek – donc un névrosé – qui a un blog) était donc un « hacker » (un méchant pirate), qui a « volé » (téléchargé, mais en mal, car il aurait pas dû, même si rien ne l’en empêchait ou l’avertissait de ne pas le faire) puis « stocké » (encore un gars qui sauvegarde au lieu de lire directement dans ces logiciels dédiés… effroi, effroi !). Petite cerise, qui fait sourire, il a été relaxé pour « avoir accéder frauduleusement dans un système de traitement automatisé de données ». Encore heureux, sinon je tiens à vous avertir que vous êtes aussi coupable que lui en lisant ces lignes – bah oui, je vous connais pas d’abord !

L’affaire n’est quand même pas anecdotique, car Bluetouff est tout de même condamné à payer 3000 euros, pour des raisons assez floues. Comme il l’explique très bien sur son blog (autant que cette triste affaire serve au moins à lui faire une pub méritée), internet est un vaste espace public qui induit une circulation des informations, régie par l’accès libre ou privatif qui la conditionne. La condamnation d’aujourd’hui est lourde de conséquence, car en résumé c’est à l’internaute de veiller à corriger les erreurs de sécurité ou de diffusion des documents auxquels ils ont accès, en se censurant lui-même, ou en anticipant les soucis pouvant découler de sa navigation.

Tant qu’à faire, autant inclure sur tous les navigateurs,une mention pré-validée spécifiant « qu’en se rendant sur cet espace publicisé en ligne, vous m’accordez tous les droits attenant à la lecture de l’information contenue, sa récupération, son utilisation à des fins personnelles ou à des buts d’information, en veillant (naturellement) au respect des lois attenant à la propriété intellectuelle et de la gestion des données personnelles. On peut en rire, mais à l’avenir, l’internaute français ne devrait pas plaisanter avec ça, sous peine d’avoir à payer 3000 €.

Bon, reste tout de même que Bluetouff a publié ou mis à disposition des documents d’intérêt public… mais apparemment non publics. Sauf qu’ils étaient fournis en accès libre, sans restriction et sans avertissement quant à la leur utilisation ou leur diffusion. Et les actions du blogueurs étaient motivées par des interrogations légitimes de citoyens, ce que les juges n’ont apparemment pas estimé assez intéressant pour être mis dans la balance de leur jugement.

Je vous laisse vous faire une idée sur le blog de Bluetouff et à travers les différents médias qui rapportent l’affaire !

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