Le refuge de la culture

Ce matin, réveil confus et grand vent. Pour ma nature un brin hyperactive, c’est étonnant l’hébétement, ça me plonge toujours dans une longue introspection afin de comprendre les raisons de la torpeur. J’allume la télé, réflexe d’habitus se rappelant d’un temps où ma mère allumait dès le réveil la radio. Je n’ai jamais vécu dans le silence en état de veille, il y a toujours eu du bruit, en fond, pour chasser du vide par la présence du son. Je tombe sur les recommandations de vidéo de Youtube, qui a beaucoup de mal à me profiler quelque chose de viable car à vrai dire je regarde beaucoup de chaînes sans vraiment adhérer à quoi que ce soit. Dans le tas, je découvre la dernière création de Planète Raw, qui évoque la découverte d’une ville disparue aux alentours de Jérusalem remontant à – 10 000 ans avant JC. J’aime bien l’auteur de cette chaîne, car je me sens très proche de lui par rapport à la doxa sur l’archéologie. Si je reconnais humblement l’autorité des chercheurs de la discipline, je connais assez bien la nature humaine et la tentation du dogmatisme pour me méfier, un peu, des certitudes. Une attitude exigeante pour soi-même, car récuser les certitudes des experts c’est aussi admettre sa propre disqualification en tant qu’amateur. Un avis ou une opinion sont choses personnelles, mais c’est aussi la clôture du royaume de l’individualité. En ces temps où s’imposent constamment des vérités temporaires mais indiscutables avec la menace du couperet ignominieux de la dissidence (j’aime faire des phrases pompeuses et « soutenues » comme le disent mes enfants le dimanche matin au réveil), cette réflexion me frappe. Mais je me rassure aussitôt, me rappelant la fonction purement et illogiquement personnelle de ce blog qui reste et demeure un journal intime à ciel ouvert. Des fois je me dis que certains peuvent tomber dessus et lire mes divagations. Il apparaît sur mon CV, cet état civil officiel qui rappelle le parcours glorieux du travailleur combattant dans la grande scène du libéralisme triomphant. C’est amusant comme même la valeur d’autrui peut se limiter à une énonciation de faits, comme s’il était possible de discerner le caractère et les compétences d’une personne (mot toujours aussi ironique en soi) sur un inventaire chronologique. Je me rappelle, il y a quelques années, cet échange improbable avec un recruteur qui s’amusait de voir que dans mes loisirs j’avais osé mettre « littérature et cinéma ». Il se gausse, ricane, et me déclare que tout le monde met ça, induisant au passage que c’est du bluff (et que ça dénote de ma part une sorte de vide, car pour n’avoir pas spécifié le bondage ou la collection de petites voitures, je dois être bien fade au quotidien). Je l’assure de ma prétention et lui permet de tester ma (petite) culture dans les deux domaines, gentil défi qu’il n’acceptera pas. Peut-être, me dis-je, avec ce blog au style si peu « web » et à la volonté si peu « commerciale », trouverais-je en un juge sagace la preuve qui me libérera de la sempiternelle justification, passage obligé de cette société où le mensonge est devenu une norme, le pouvoir en étant la relative force de persuasion et d’acceptation. On ne dispute pas les mensonges des élites, on se dit qu’ils ont leurs raisons et qu’après tout, c’est pour notre bien. Oui, du déni et de l’obéissance comme nouvelle philosophie c’est pas mal aussi.

Retombant sur mes pattes comme le chat de ma fille squattant mon canapé comme chaque matin, je reviens donc au sujet de ce billet, la culture comme refuge. Après Planète Raw, je zappe rapidement entre révolte ou soumission au Passe Vaccinale, les petites évolutions de la campagne présidentielle, une petite vidéo qui m’explique comment me face lifter avec du maquillage (Google, tu es sûr que tu as vu ça dans mes recherches ? Où alors dans ton algo tu as mis mon âge avec dans l’équation l’angoisse du passage du temps et les lents ravages de la gravité ?), du cinéma, de la musique, du jeu vidéo, et un truc qui m’étonne un peu (parfois on se demande si Google n’espionne pas un peu avec le micro mdr), les « petits secrets du miel industriel ». Puis je me rappelle qu’il y a quelques jours j’ai fait une recherche pour comprendre pourquoi mon miel avait commencé à se durcir, phénomène attestant, apparemment, de sa qualité d’élément « vivant ». Bon, c’est de bonne guerre Google, je ne t’en veux pas de regarder un peu au-dessus de mon épaule, n’oublions pas la « gratuité » de tes services si précieux. En bref, je m’use à muser sans m’amuser, et je me retrouve, pantelant, encore hagard (après l’hébétude la confusion), à me demander en quoi me plonger en ce dimanche matin de perdition morale et intellectuelle (il faut toujours mettre un peu de lyrisme dans sa vie). Je vois mon providentiel Chromebook (tu vois Google que je t’aime) et je le déploie comme les ailes d’un ange gardien électronique (adjectif qui se kitschise à grande vitesse donc je l’aime bien du coup) pour me sauver (un peu). Et je tombe sur une recherche faite il y a quelques jours, pour mon travail de créatif/artiste que je n’aborderai jamais ici (la schizophrénie professionnelle obéit à quelques règles bien strictes), concernant un poète que mon grand-père maternel citait souvent avec l’emphase élégante et savoureuse qu’il aimait adopter quand il citait des vers ou une citation bien amenée. josé-Maria de HEREDIA. Il y a presque 30 ans (mon âge ou presque, à quelques mois près), je me suis donné un petit but, une petite routine, que j’ai respecté peu ou prou : chaque jour, assimiler une nouvelle information. N’y voyez pas une pulsion à l’ambition démesurée, pour moi ça pouvait se limiter à un simple mot jusqu’à l’apprentissage complexe d’une alchimie culinaire (ou recette de cuisine pour faire, un tantinet, dans la simplicité). Avec le temps, l’air de rien, cette petite décision a quand même eu des conséquences surprenantes. Par exemple, celle de découvrir ce poète d’origine cubaine, que par manque de curiosité, j’avais classé dans un obscur placard de références biaisées. Pour moi, c’était un poète espagnol, du 16ème siècle (mon grand-père citait toujours des vers des « Conquistadors », ce qui automatiquement, par déduction géniale, me l’avait rendu contemporain de Christophe Colomb et la découverte des Amériques – tiens, je vais m’écouter rapido Joe Dassin après ce billet, ça me fera une madeleine de quelques minutes), et vu que j’aime Victor Hugo qui sera définitivement le poète classique dont l’adoration déclasse immédiatement tous les autres dans la colonne des amateurs, je n’avais jamais pris le temps de me pencher davantage sur la question. Mais pour le boulot, donc, j’ai fait une recherche, et j’ai eu la terrible surprise de tomber sur un autre poème dont la beauté m’a quelque peu interrogé. Ce ne fut pas une interrogation violente et si brutale qu’elle vous entraîne dans une exaltation subite. Comme souvent chez moi, ce fut une lente sédimentation, un peu comme une graine plantée qui pousse dans un coin obscure de la psyché, se transformant en tronc d’arbre que vous prenez en pleine poire un dimanche matin en vous demandant comment ce truc a pu pousser si vite. Je me rends donc sur Wikipédia qui, quoi qu’en disent les contempteurs faciles, reste une source d’informations vitale et précieuse dans cette vaste toile de copypaste fallacieux (je crains plus les copypasta que les creepypasta… ok, j’arrête l’humour ce matin, promis !), et je découvre un homme au parcours étrange et bien loin du portrait que j’avais hardiment créé. J’ai ouvert la porte de la culture, pas celle qui fait raidir le petit doigt en prenant le thé, celle qui vous démontre toute la richesse d’un monde qui vibre d’individus, d’anonymes, source de joie et de beauté. En ces temps tristes et moroses aux constants refrains d’idéologie libérale sur le déclin, la culture demeure l’oasis éternel où retrouver un peu de foi, d’inspiration, de joie et de plaisir. Etant passionné par l’information, plus par nature que par choix, je sais la différence entre une donnée et une pensée. Il n’est rien de plus agréable que de lire un poème, un dimanche matin, de se laisser emporter quelques secondes dorées dans le verbe d’un homme qui a vécu et laissé ces quelques mots comme autant de pépites éternelles, dans la vaste étendue du dévorant et toujours grandissant oubli.

Du refuge de la culture. Et de l’écriture, ça fait du bien.