Les âmes vagabondes : l’art de la guerre pacifique

At home, j’ai deux spécimens du genre féminin qui ne s’en laissent pas compter (conter ? ;-p) question littérature : Anne Robillard, Stephenie Meyer, sont des auteures qui ont su trouver leur public, et tout est bien dans le meilleur des mondes. Le problème, c’est qu’en passant, y a quand même de l’iconoclastie parfois dérangeante. Des vampires qui brillent au soleil, des loup-garous apprivoisés, franchement, fallait oser ces sacrilèges, contrevenant aux codes élémentaires du genre. Quelque part, ça pourrait même être original, si l’histoire derrière le concept ne délirait pas dans le trip adolescent sans tenir compte d’une once de logique. Enfin, si au bout d’un centenaire, vous n’en avez pas marre de vous taper tous les ans le programme de terminal et partager les préoccupations adolescentes de vos cothurnes, c’est que ça confine à la perversité la plus totale !

image des âmes vagabondes d'Andrew Niccol tiré du roman de S. Meyer
« je t’éclaire un peu sur la question.. » – « ah oui, pourtant t’es pas une lumière » : je vous rassure, ce ne sont pas les dialogues du film.

Après un quinquennat de la famille d’Edouard le vampire bellâtre, et de Bella « tous à mes pieds », sortie la semaine dernière (17/04/2013) au cinéma des âmes vagabondes de Mme Meyer… Roman qui a succédé aux péripéties des morts-vivants phosphorescents, et qui a franchement emballé ma femme et ma fille. Du coup, quand j’apprends qu’Andrew Niccol, cinéaste que je respecte pour des œuvres aussi fortes que « Bienvenue à Gattaca »,  « S1m0ne », ou encore « Lord of Wars », va tourner la suite, je leur annonce et leur promet de les amener voir ce qui s’annonce comme une bonne surprise.

Donc, chose promise chose due, et à vrai dire, je reste perplexe. Il y a les thématiques du cinéma de Niccol, sans aucun doute, avec notamment cette prédilection à dépeindre une société sophistiquée, ayant perdu en route une partie de son humanité dans un conformisme et des idéaux eugénistes. Même dans « Lord of Wars », il y avait cette impression d’une logique implacable complètement déconnectée de la réalité des souffrances engendrées par les calculs du vendeur d’armes incarné par Nicolas Cage. Itou, dans les âmes vagabondes, nous avons un monde pacifié, paradoxalement sans âme (bien que constitué d’une multitude d’âmes extraterrestres). Mais contrairement à ces œuvres précédentes, le sujet comme le débat est traitée d’une manière très simpliste, voire naïve. À vrai dire, la violence du principe de la possession est complètement édulcorée par le résultat, et à l’inverse, l’horreur est montrée de l’autre coté du miroir, lorsque les aliens parasites sont extirpés et mutilés sur une table d’opération. Car finalement, les méchants de l’histoire, les « âmes », sont à vrai dire complètement caractérisés par leur passivité voire leur gentillesse. Si ce n’est « traqueuse », celle qui poursuit les héroïnes siamoises, tous les autres sont d’une neutralité qui confine au débonnaire. Le film se conclut, après moult péripéties et tortures morales, sur la possibilité d’une coexistence, posant les bases d’une potentielle suite.

image des âmes vagabondes d'Andrew Niccol tiré du roman de S. Meyer
« Chérie, tu crois pas que ce serait bien de prévoir des murs pour la maison ? »

Alors ok, film assez inoffensif à l’arrivée, un spectacle pour les jeunes, plein de bons sentiments, et tout ça. Mais à l’arrivée, gros problème au niveau de la cohérence de l’intrigue, car à force de gentillesse, et en tenant compte de la spécificité de la nature des aliens, leur victoire demeure un véritable mystère. Présentés comme des organismes d’une apparence insignifiante et surtout à la fragilité extrême, leur suprématie sur Terre est une véritable énigme. Les humains, présentés comme belliqueux, violents, brutaux, ont donc été conquis et possédés par… des pacifistes qui ont besoin d’être doucement intégré à leur hôte avant d’en prendre le contrôle. Même « traqueuse », n’est finalement aussi violente que par l’incidence de la lutte intérieure qui la tourmente.

Finalement, à l’instar de Twilight, dont j’ai évoqué avec un poil de dérision les nombreux détournements favorisant une romance extatique et égocentrique, il y a un détournement de mythes populaires, d’une culture cinématographique notamment, qui emprunte certains éléments en omettant le gênant pour ne garder que les caractéristiques fantastiques servant le fallacieux propos. S. Meyer s’est à l’évidence inspirée de l’œuvre culte et tant de fois remakée, « l’invasion des profanateurs de sépulture » (« Invasion of the body Snatchers »), roman de science-fiction de 1955 adapté au cinéma l’année d’après, dont le sous-texte est à l’évidence une illustration de la paranoïa anti-communiste qui a saisi les Etats-Unis à l’époque du maccarthysme. Une histoire d’invasion qui voit les hommes possédés et parasités dans leur sommeil, pour devenir les simples porteurs d’une conscience collective niant toute individualité. Un film qui fera l’objet de multiples réadaptations plus ou moins déguisées : remake en 1978 (sans la sépulture dans le titre français 🙂 ) ; avatar en 1986 avec « l’invasion vient de Mars » de Tobe Hopper ; un remake surprenant d’Abel Ferrara, bien loin de ses thématiques habituelles, avec « the body snatchers » en 1993 ; un autre avatar (avec la présence de Donald Suttherland qui jouait dans le remake de 78), « les maîtres du monde » de Stuart Orme en 1994 (tiré d’un roman de Robert A. Heinlein daté de 1951 soit 4 ans avant l’œuvre évoquée plus haut – qui a copié qui, est une autre affaire ^^, mais la guerre des studios et le marketing dupliquant est certainement pour beaucoup dans l’agenda des deux films) ; pour finir entre autre sur le récent et bien mollasson « Invasion » (2007) qui ne tient la route que grâce à son héroïne, une Nicole Kidman en plein trip hallucinatoire. Les âmes vagabondes semblent donc assurer la continuité du concept, avec un peu d’hybridation du coté de « The Hidden », un film de Jack Scholder sorti en 1987, qui voyait l’opposition de deux « parasités » aux natures et motivations extrêmement opposées (on pourrait presque retrouver la même thématique dans le film de Niccol avec l’opposition entre « traqueuse » et « vagabonde »). Mais là où tous les autres films insistaient sur la destruction de l’individualité, et surtout en explicitant les méthodes pernicieuses de conquête (pendant le sommeil, via l’inspiration de molécules extraterrestres), rien de tel dans l’histoire de S. Meyer. Le film commence tandis que la conquête est terminée. Mais comment ? La gratuité du postulat est malheureusement un obstacle gênant nuisant à la véracité de l’ensemble, même en escomptant un crédit particulier à ce type d’intrigue fantastique. De plus, il est précisé que les âmes voyagent à travers l’univers durant des centaines d’années, un peu aléatoirement… Comment expliquer une invasion planétaire d’une telle ampleur avec ce type de logistique quelque peu… hasardeuse ? Et quels sont les desseins des envahisseurs ? Beaucoup de questions, et bien peu de réponses dans une intrigue qui ne semble exister que pour créer un cadre propices aux jeux amoureux des protagonistes.

The Hidden - bon film, avec Kyle MacLachlan et Michaël Nouri
bon film, avec Kyle MacLachlan et Michaël Nouri

La fin du film, un poil euphorique, emprunte d’ailleurs à la conclusion du film « The Hidden », avec une possession un brin opportuniste, permettant de ménager la chèvre et le choux. Mais tandis que dans le film de Scholder, la possession s’accompagnait d’un léger malaise, du fait que le père héritait de la froideur de son nouvel hôte, l’hybridation est parfaite dans le film de Niccol. Pire, la schizophrénie née de la coexistence des âmes, est traitée de manière très légère en n’exploitant pas suffisamment la question pour juste nous livrer des dialogues à l’intense puérilité (« je te déteste ! »). Je viens de lire dans une interview que l’idée serait (peut-être) de traiter l’aspect psychologique d’une possession extraterrestre… En mode crépâge de chignon alors…

Une belle image , symbolique.
Une belle image , symbolique.

Reste des belles images, et quelques belles scènes, comme celles où un homme tient une âme entre ses mains, mis face à ses allégations de tolérance et d’amour, ou quand des hommes courageux font le choix d’en finir plutôt que de trahir. Le cinéma de Niccol est toujours aussi élégant, et ses choix de style toujours aussi efficace tout en restant dans la sobriété et la simplicité. Un spectacle qui ravira les émotifs et les pacifistes, mais qui fera tiquer le spectateur un poil plus exigeant, qui acceptera, avec plus ou moins de tolérance, le traitement opportuniste d’une culture populaire largement empruntée et travestie.

Ici pour voir le site officiel des âmes vagabondes, the Host en Vo !

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