L’hubrisphère

Un petit coup de mou, alangui sur mon canapé comme un Sardanapale proprement rasé, je mate une vidéo Youtube concernant un fait divers qui excite les foules au sens très (trop) littérale du terme. Ce matin, tandis que j’oeuvrais méthodiquement, j’ai lancé une vidéo sur un chercheur en archéologie qui a évoqué la réalité des moeurs anthropophages dans les vieilles sociétés humaines qui ont précédé (ou servi de départ, au choix), à la nôtre. De ça plus tout ce que je mange dans les actualités notamment françaises, j’en ai déduis, solennellement et intimement, que plus que jamais, ou bien plus que toujours (au choix encore), nous sommes en pleine hubrisphère. Alors je viens chouiner ici avec une certaine forme de pudeur, car je sais justement que dans l’immense place publique (agora) qu’est le net, mon petit blog perso n’est qu’une sorte d’îlot abandonné, perdu dans un immense océan, ne suscitant aucun intérêt ni aucun élan d’enthousiasme. Je viens juste écrire que ma métaphore avec Sardanapale en début d’exercice n’est pas si mal trouvé que cela. Comme ce sultan nihiliste je dois bien constater que tout fout le camp, comme on l’argotait si bien dans mon enfance. Comment conserver cette illusion d’un monde abouti, construction glorieuse née de tous les ratages systémiques et idéologiques du passé ? Comment croire que nous sommes une apogée, alors que de toute part l’échec de la grande aventure humaine semble encore devoir être le triste constat ?

J’adore la mythologie grecque, et en cherchant un mot pour titrer ce billet, inévitablement j’ai songé à l’hubris, ce concept que les mythographes ont aimé rappeler tout au long de mes lectures profanes. Le crime suprême, celui de la démesure. Au vu du désastre économique, écologique, humain, sociétal, que nous vivons actuellement, et eu égard à l’impasse d’une mondialisation qui n’est définitivement pensée que comme une stratégie d’exploitation, le néologisme « hubrisphère » me semble pour le coup très approprié. Alors, une rapide recherche google m’a naturellement fait comprendre que cet éclat de génie avait déjà ionisé le cortex d’autres individus plus ou moins bien intentionnés. Soit, je ne viserai pas ici à la prétention d’une pensée originale et marginale. Je commenterai juste l’instant présent en constatant la cavale de ces quatre cavaliers de l’apocalypse que sont la déliquescence, la décadence, la dégénérescence et l’indécence.

Très naïvement, je continue de rêver d’une société humaine qui recherche avant le bonheur de chacun comme suprême intérêt général, et qui ne pourrait s’imaginer, pour cela, que comme l’établissement d’une parfaite égalité entre les êtres. Je rêve d’une société où l’intérêt particulier ne serait pas érigé comme une fatalité pour justifier tout ce qui fait et provoque la malfaisance dans nos sociétés prétendument modernes. Je répète souvent que la source de tous les problèmes réside dans la corruption intrinsèque voire inévitable des systèmes qui sont engendrés par les sociétés humaines. Je constate à quel point les hommes deviennent les esclaves de ces labyrinthes qu’ils ont eux-mêmes créés et dans lesquels ils se perdent et s’oublient.

Comment parvenir à faire comprendre à mes congénères que la solution n’est pas forcément de trouver la sortie, si elle existe, mais bien de détruire ces murs qui dissimulent l’espoir ? Nous sommes tous des minotaures oubliés dans ce dédale terrible qu’est devenu ce monde, véritable hubrisphère, pleine de bruits et de fureur, pleine d’illusions et de fausses idoles. La confusion, la division, la frustration, nous fragmentent et nous isolent, entre complaisance et apathie.

Plus que jamais, il faut vivifier tous les liens qui nous unissent les uns et les autres. Il est si facile de haïr, si simple de détester et d’exprimer la souffrance intérieure que toutes les incertitudes de nos sociétés cruelles font peser sur chacun d’entre nous en trouvant un coupable et un responsable dans une vision toujours trop binaire, trop manichéenne, des choses. Alors qu’en réalité, il n’y a jamais d’autre responsable que nous-mêmes ; car même si nous en sommes toujours réduit à supporter l’individualité, nous n’existons vraiment qu’en tant que tout.

C’est pour ça que ces derniers temps je ne m’exprime plus beaucoup sur les questions politiques et sociétales, car j’ai simplement l’impression d’en rajouter, de ne plus vraiment expliciter ou éclairer. Je crois que nous constatons tous, actuellement, la réalité du monde, de sa dévastation. Maintenant, ce qui apparaît, c’est le niveau de conscience de la gravité de la situation. Bien au delà des notions économiques, des questions prétentieusement nommées comme « civilisationnelles », ces visions restent toujours pauvrement prosaïques par rapport à la simple question du rapport de l’humanité par rapport à elle-même. De ce fiasco total (sans allusion polémiste, mdr), le pire demeure dans cette idée insidieuse et permanente d’une société humaine qui ne peut exister que dans l’exploitation et l’accaparement. L’Histoire a beau nous rappeler constamment que la verticalité finit toujours par s’aplanir dans la douleur, nous y revenons toujours. La seule différence, notable, c’est qu’à présent nous veillons aussi à détruire consciencieusement l’équilibre naturel qui est la condition de notre survivance.

Alors, voilà, c’était mon petit billet déceptif et négatif, mais il fallait que ça sorte. Je crois pourtant en l’humanité et je rêve d’une révolution qui serait avant toute chose morale et intellectuelle. Tant que l’obsession restera dans des concepts aussi abscons (pour être poli) que le PIB ou l’incidence des taux d’intérêt, il n’y aura pas d’autres conclusions possibles qu’un chaos savamment entretenu, pour le bénéfice que de quelques uns, et une société inégalitaire sans cesse menacée d’implosion.

L’hiver vient, il n’y a plus qu’à souhaiter qu’un beau printemps lui succède, comme il devrait l’être dans l’ordre des choses.