La brise timide d’un changement inévitable

Petit moment d’écriture, ce dimanche matin, car d’une part ça fait longtemps que je ne l’ai pas accompli, et d’autre part car nous vivons tout de même une période incroyable d’un point de vue sociétal et en conséquence sociologique. La sociologie, je l’ai découverte au moment de ma VAE (qui fut une expérience incroyablement enrichissante) et l’enthousiasme s’est lentement mais certainement mu comme un réflexe analytique. La logique marketing n’est pas compliquée à saisir, régulièrement une petite mode émerge, surfant généralement sur un outil technologique qui promet la sacro-sainte capacité à prédire et prévoir le comportement de l’acheteur potentiel, cette « cible » à la fois adorée et méprisée… mais la sociologie c’est abstraire, c’est s’abstraire, pour parvenir à une vision, à une conceptualisation, à une description plus fine et révélatrice des « choses ».

La sociologie, c’est une forme de mouvement philosophique qui se pare de l’intention scientifique. Je suis en train de me dire que je m’exprime encore comme un arrogant néophyte, l’éternel autodidacte qui prétend que tout est facile car s’abstenant, car s’émancipant, de toutes les hiérarchies et de tous les consensus établis dans les domaines qu’il a l’audace de braconner. Soit. Si je crois en une chose, c’est bien l’interdisciplinarité, qui permet de croiser une notion avec une autre, pour ne pas devenir captif d’un abus de polarisation. Exemple, la frénésie de l’étiquetage qui réduit tous les débats à des petites vérités qui ont une prétention de révélation, notamment par rapport aux individus. Un mal bien français par ailleurs, qui révèle le réflexe d’un ostracisme bien fermement ancré dans notre mentalité. « Complotiste », « extrémiste », « fasciste », « macronniste », « gauchiste », au choix, font que dès l’introduction vous savez à qui vous avez affaire et quel filtre apposer au discours que vous allez entendre ou lire. Personnellement, j’ai mis en place une sorte de méthodologie (bon, pour le coup c’est quand même respecter l’esprit de la sociologie) qui consiste à écouter ou visionner tout un panel de médias de tous les bords et de toutes les intentions. Déformation professionnelle, je passe mon temps à « décrypter », à « discerner » les éléments de langage soit les petits artifices manipulatoires des interlocuteurs. Je m’en amuse aussi, souvent. Car il y a dans le fond de ces pratiques médiatiques une profonde médiocrité qui limite les récits à des rhétoriques interchangeables et d’une incommensurable vacuité. La structure du propos est par ailleurs toujours la même, soit le problème, puis sa cause, son origine, son carburant, pour finalement délivrer la stratégie d’opposition, de résolution, de sauvetage voire d’accomplissement. Je n’aime pas sombrer dans la psychologisation, autre mal bien français, cependant il faut constater une sorte d’obsession pour l’identification d’un « mal » à l’origine de toute souffrance.

Tiens, il me vient immédiatement le concept de « République », avec sa majuscule, qui est souvent nommée, qui est souvent citée, comme une sorte de déité floue mais essentielle qu’il convient de protéger, d’adorer, de révérer, en n’oubliant pas au passage de prêter les mêmes attitudes aux hiérophantes qui se prétendent gardiens du temple. Quel mot, quel concept fascinant que la République… la démonstration même du caractère polysémique que le moindre terme induit. Il y a « personne » aussi… Je suis toujours subjugué qu’avec ce mot il soit possible à la fois de désigner une individualité comme une absence. Avec une telle ambivalence au niveau de la signifiance, comment voulez-vous qu’émerge du sens surtout quand les orateurs s’amusent à truquer les raisonnements pour simplement, pour perfidement, vous amener là où ils le veulent ? Enfin, personnellement, ils m’y amènent, je regarde un peu la déco, puis je m’en retourne dans mes pénates. Mais c’est fascinant, souvent révoltant, et je passe trop de mon temps à me scandaliser de tous les sophismes, de tous les syllogismes qui sont la manifestation évidente de cette période chaotique que nous vivons tous. La conclusion, malgré tout, après la phase d’agacement est bien dans la constatation d’un léger mais réel changement, profond, au niveau du public, de l’audience visée. Davantage d’esprit critique, davantage la volonté de ne pas se contenter de l’apparence des choses, de ne pas se cantonner au brillant du vernis pour gratter et découvrir ce qu’il y a sous la surface.

Donc, ce matin, discipline toujours, celle qui me fait multiplier les activités créatives comme culturelles. Ce blog n’est qu’un journal à ciel ouvert, un espace d’expression que je veux public car malgré tout confidentiel (je ne promeut pas ce site et je n’ai pas l’illusion de susciter l’intérêt d’un potentiel lecteur) et qui m’oblige à m’abstraire pour rester dans l’enclos rassurant et éthique de la pudeur élémentaire (je ne parle pas de ma vie privée, je l’évoque accessoirement – mes états d’âme sont politiquement très corrects). En bref, l’exercice est bien dans l’articulation « littéraire » de ma pensée, afin d’en constater la qualité d’organisation mais aussi de traitement de l’information. Avec cette volonté, cette intention, je me suis demandé de quoi je pouvais bien parler ce matin… tout ce que je lis, tout ce que je regarde, tout ce que je joue, tout ce que je fais, tout ce que je crée… j’en aurais beaucoup à dire, mais véritablement, ce qui m’a frappé ce matin en me posant la question solennelle du « sujet », c’est bien ce subtil mais pourtant réel changement que je sens actuellement dans notre société en souffrance.

J’avais écrit, il y a peu, un commentaire d’une vidéo Youtube où son créateur se lamentait de l’apathie générale. J’avais tenté en quelques mots de le réconforter en émettant l’idée que le changement, la volonté de changement, proviendraient surtout de la nécessité qui se précède trop souvent de la souffrance. La volonté politique de nos sociétés néo-libérale est à l’évidence la préservation d’un statu quo, rudement mis à l’épreuve en ce moment. Je pourrais passer des heures à écrire ou réfléchir, à disserter ou à gloser, sur le sens de certains termes ou certaines expressions. Là, c’est le fameux « statu quo » qui me fait sourire. Je suis de plus en plus fasciné par la tyrannie douce du langage, ou comment les individus se laissent emprisonner dans des logiques avec une réelle difficulté à les remettre en question. « Démocratie » par exemple, encore. Il y a peu, je m’interrogeais sur la possibilité de moderniser la notion (soit la liberté donnée au peuple de se gouverner par lui-même) en modifiant, en inventant un nouveau terme, qui ne serait plus fallacieusement connoté par ses origines étymologiques comme historiques (la démocratie grecque c’est quand même réduire le peuple à une élite aux dépens d’une majorité asservie). Processus complexe, processus intéressant tout de même, car il consisterait à démantibuler le mot pour en comprendre l’anatomie. « Démos » et « Kratos », le peuple (encore un mot si passionnant à analyser) et le pouvoir (qui induit une idée de violence car toute expression de pouvoir est violence faite à un autre), avec l’héritage d’une pensée grecque qui elle-même n’est que le substrat de cultures oubliées et déformées. Je crois de plus en plus qu’une véritable révolution sociétale n’est réellement possible qu’en opérant un travail méticuleux et sans volonté idéologique (le but n’est pas de dénoncer, mais bien de comprendre pour neutraliser… ou assainir) de remise en cause du lexique qui est le nôtre. S’il est possible de comparer le langage à l’utilisation d’algorithmes verbaux, les mots étant autant d’opérations complexes, alors le résultat ne peut être que trompeur si nous n’en saisissons pas la valeur réelle.

La question que je me pose ce matin, c’est bien celle de la « vérité » comme notion éthique du langage. Est-il raisonnable que « personne » soit aussi ambivalent, que « démocratie » et « République » puissent devenir des expressions dissimulant la réalité d’une autocratie organisée ? Nos sociétés se veulent l’apothéose (acmé) d’une évolution sociétale, une sorte d’accomplissement, mais peut-on encore se contenter de l’apparence des choses sans jouir vraiment de ce que les mots promettent ? Sur ce petit vertige existentiel et pseudo philosophique (restons sérieux, rien ne l’est vraiment – surtout pas mon blog… ceux qui me connaissent vraiment le savent d’instinct), il est temps de prendre un petit café en profitant de ma journée dominicale.