La tension de l’implosion

Bon… j’ai beaucoup trop de boulot mais l’actualité politique est tellement dense et explosive que je ne peux pas venir m’épancher sur mon blog pour analyser, de mon petit point de vue, ce qui se passe… Quelle période folle que nous vivons ! Il y a un basculement, au niveau national mais aussi mondial, et notre pays symbolise parfaitement cette tension, palpable, sensible, que les événements, que les manigances politiques, accompagnent autant qu’elles engendrent.

Déjà, la réalité du Parlement… J’ai essayé d’expliquer à ma fille, qui commence à s’intéresser à la chose politique, l’erreur de ne mesurer les forces qu’avec le filtre bipolaire gauche/droite. Le recours permanent à l’analogie historique contribue pour beaucoup à maintenir une illusion idéologique alors que le véritable moteur des intérêts est à présent purement économique, voire prosaïquement financier. Il faut arrêter cet aveuglement qui consiste à imaginer nos animaux politiques poursuivre un quelconque idéal sociétal… Tout repose sur la manière dont est partagée, répartie pour être plus précis, la richesse. Et là, le Parlement actuel révèle des logiques qui ne laissent pas trop de place à un quelconque espoir pour ceux qui sont le plus démunis, les plus oubliés… et je pense notamment aux électeurs du RN qui ne sont pas majoritairement des fascistes mais bien des êtres humains faillibles, désespérés, en colère, perdus et enfumés par des médias très complaisants qui abusent de leur capacité de manipulation. Donc, ce Parlement ne compte qu’une centaine d’insoumis, face à tout le reste qui veut et va entretenir le système actuel. Ce n’est pas pour rien si notre monarque suprême vient de déclarer qu’il nommerait un Premier tyran, pardon, ministre, après le vote pour le président de l’Assemblée. Ce qui sortira de tout ça sera à l’évidence un compromis, donc au pire la sortante (mais très bon symbole de la tétanie systémique) au mieux De Courson qui serait tout du moins un arbitre un peu habité par ses responsabilités (mais ne soyons pas trop naïf quant à sa capacité à enfreindre la règle pour le bien du peuple, un tout petit peu le fond de tout ce fatras ludico-réglementaire). Mais à la fin, quoi qu’il en soit, entre la venue trop retardée de la proposition d’un premier ministrable du NFP qui révèle de la faille, de la rupture, entre deux idées de ce que doit être la Gauche, et les manœuvres pathétiques d’un président qui s’adresse par l’entremise de « lettres » à son peuple, révélant le recours à la manigance (mais pas que ça : il y a de la peur, il y a de la fuite, il y a cette sensation de pousser le bouchon à un point qui effraie un peu), ce Parlement est dans sa grande majorité à droite. Et par cela je ne dis pas qu’il y ait une quelconque idéologie qui unissent tous les partis, mais bien une idée de la répartition de la richesse produite par le peuple. Une richesse qui veut que les capitaux soient abondés sur le dos d’un peuple destiné à turbiner pour ce noble but.

L’implosion est inévitable. Que ce soit avec l’Europe qui veut nous dresser à coups d’amendes alors que c’est la France qui abonde magistralement ses caisses, ou les résultats calamiteux de la politique économique de ce qui apparaît avec le temps comme un incompétent ou un illuminé (je n’ose évoquer la traîtrise volontaire), la situation est terrible. La France est dévastée, gérée par un centralisme et tout un poulailler culturel qui avec une insouciance coupable, ont bâti leur bonheur sur la misère de leurs concitoyens en province. Que dire quand on regarde chaque région de notre pays à la loupe ? Que dire quand l’horizon est aussi sombre que la politique actuelle nous donne à constater ?

A l’évidence, le choix aura été fait de détruire ce qui faisait un peuple. Nous avons été atomisés, consciencieusement, nous avons été réduits à n’être que des individus isolés et incapables de nous unir vers et pour un but commun. Nous avons été encouragés à poursuivre un individualisme prédateur qui fait que l’autre est soit un ennemi soit une chose à exploiter. Il y a une réelle faillite morale dans tout ça, avec en principale responsable la tête de pont politique. Quand Jean-Luc Mélenchon est indéniablement la seule figure politique qui conserve des épaules et une réelle valeur (je n’ai pas osé parlé d’un « capital ») culturelle, c’est à la fois déconcertant et déprimant. Dans le fond des choses, il n’y a aucune proposition novatrice qui ressorte de tout ce bordel politique. Présenter la France Insoumise comme une force du chaos ou, avec un peu de vernis, de la révolution, est une farce. Nous n’avons qu’une horde de réformistes qui veulent ajuster le système à la marge. Sauf que c’est bien une page qui se tourne, alors la marge elle se fout bien de notre gueule.

De cette inconscience, de ce narratif entretenu, soigneusement maintenu comme seule stratégie de gouvernance d’un système qui vit aux dépens d’un peuple comme des parasites n’ayant comme seule ambition de se nourrir jusqu’à ce que la bête soit exsangue, il ne sortira rien de bon. Ce futur Parlement, qui va décevoir tellement de gens, de droite ou de gauche, qui espèrent sincèrement (ou désespèrent, à mon instar) un changement positif, va incarner pleinement la faillite de la démocratie représentative. Macron a annoncé, avec des termes feutrés, doucement introduits comme tout ce qui pénètrent les zones sensibles, qu’il allait se pencher sur ces questions constitutionnelles. C’est la dernière étape d’un implacable retour à la féodalisation soit le déséquilibre institutionnalisé des forces par une hiérarchie sociale acceptée. Que reste-t-il de notre peuple, de ce conte pour enfants qu’est la France ?

La rentrée va être terrible, mais cet été ne le sera pas moins. 600 décrets passés en lousdé, un Parlement qui va commencer un sophisme industriel pour nous expliquer que « nous n’avons pas le choix ». La marmite qui commence à chauffer comme il faut, faisant que les grenouilles clamsent peu à peu mais sûrement. Clément Viktorovitch qui invite à la création d’une nouvelle Constituante, projet autant fantasque que cette idée de parler à un peuple via le médium fourni par un GAFAM… Tant que le constat liminaire ne sera pas de comprendre que la démocratie représentative repose sur la réalité d’une ploutocratie, nous continuerons à nous comporter comme des enfants turbulents auxquels il suffit de raconter une belle histoire pour taire toute velléité de changement.

Tant que nous estimerons que nous y sommes, à l’acmé de ce qui peut se faire en terme de gouvernance, tant que nous continuerons à adorer cette fameuse démocratie représentative comme une chose irréfutable, comme un processus fonctionnel et salvateur, nous serons piégés dans cette logique sisyphienne qui veut que nous attendions un espoir avec autant de chance qu’arrive un messie cosmique. Ce n’est pas impossible, mais c’est vraiment faire reposer son destin sur un coup de dé à mille faces.

Certains commencent à dénoncer la révolution de 1789 comme une révolution bourgeoise. Soit. Mais comme toujours, il faut aussi ne pas se perdre dans le manichéisme coupable. C’est bien des êtres éduqués, des êtres cultivés, des êtres idéalistes qui ont aussi insufflé ce qui fait la beauté des valeurs, d’une volonté humaniste inscrite encore sur certains frontons de nos monuments. La seule révolution qui peut changer les choses doit être culturelle et philosophique. Refuser le destin d’être réduits à des animaux dont on attend que d’être dominés, et donc manipulés, par nos bas instincts, nos humeurs et nos émotions. Sortir de l’enclos du narratif écrit pas des intérêts privés pour écrire celui d’une société qui se voudrait à nouveau unie et solidaire. Hier, ma fille me disait, suite aux événements de ce WE, que les ricains étaient un peuple de tarés. Je lui ai répondu que c’est le système et son idéologie qui engendre les névroses dans un peuple… et qu’il fallait arrêter de considérer que nous puissions être différents vu l’américanisation de notre pays, en nette accélération à la chute du mur de Berlin. En bref, et pour faire dans le brutal et le violent (soyons un peu redneck), sommes-nous encore français, ou sommes-nous devenus des américains ? Qu’est-ce que l’Amérique (un terme en soi qui nécessiterait tout un développement tant il porte en lui-même une histoire et une escroquerie), les Etats-Unis pour être plus précis ? Un ensemble de petits pays dirigés par une élite ploutocratique qui fait croire à un destin commun, à l’idée d’une compétition civilisationnelle. Si tu remplaces l’Amérique par l’Europe, tout s’éclaire et tout est simple.

Par ailleurs les restaurants à base de burgers ont vu exploser leurs bénéfices l’année dernière. S’il est possible de définir l’idéologie dominante d’un peuple par ses choix alimentaires, nous y sommes aussi. Est-il possible de se dégager de l’étreinte fatale de la sirène burger, symbole alimentaire de l’artificialité de nos sociétés ? Difficile à dire, mais entre une blanquette de veau et un machin tri-protéiné (bacon/poulet/fromage), mes gosses ont depuis longtemps fait leur choix. Qu’y puis-je ? Rien, c’est à eux de vouloir autre chose et pour leur défense on ne leur propose que ça à la carte du menu.

Allez, une grosse demi-heure à écrire (mais ça défoule), retour au boulot, surtout que ça va pas tarder à chauffer sec.

L’impasse idéologique

Bon… ce matin j’essaie de bosser mais il y a des fois où je suis dans des phases d’intenses turbinages intérieurs et c’est pas évident d’être bassement, mais pragmatiquement, productif. Avant de venir ici, j’ai réalisé un petit boulot de planification… mais à force d’écouter les analyses et les commentaires de la chose politique (ne pas mettre les médias en marche en bossant), une fois encore je viens me perdre dans ces horizons arctiques car voilà, créature de Frankenstein oblige.

J’écoute tout, comme toujours. La gauche, la droite, le centre mou, et tous ceux qui ne sont pas dans ces polarités mais bien dans le navire qui tangue, tangue, tangue, et qui n’a pas du tout fini de tanguer (ça va même très très secouer dans très peu de temps).

Nous en sommes à la phase des espoirs et des promesses, de la digestion des déceptions et des amertumes prophètes d’un avenir sombre. Mon petit point de vue c’est que de toute manière nous sommes dans une impasse, et plus profondément que simplement choisir un camp, nous nous retrouvons dans une impasse idéologique. Que ce soit à gauche ou ailleurs, tout repose sur des schémas archaïques où germent en eux-mêmes les semences du problème. Ce que tout un système promeut, le seul point du consensus qui nourrit la validation médiatique, c’est la nécessité d’un productivisme qui transforme l’individu honteux en travailleur glorieux. Il y a là la base d’une errance où il est facile, si tentant, de se perdre. Oui, il est si bon de participer à cette synergie collective, il est si bon de faire partie du corps avec la sensation d’en être un organe vibrant et actif. Oui, je sais, j’ai nourris mes propres chimères avec cette passion que je nourris pour le travail qui me pousse par ailleurs à écrire ces lignes plutôt que me distraire ou m’évader dans des activité ludico-productive (ça y est, j’ai décidé de me lancer dans l’écriture d’un ouvrage dont j’ai achevé le plan). Mais là, le (bon) vouloir ne va pas suffire. Nous nous écroulons sur nous-mêmes, nous nous agitons et nous remuons du vide pour le vide. Jamais nous n’aurons été dans une sorte de bavardage intense dans une tentation lancinante de l’obsession stérile. Y en a des obsessions qui reviennent dans les débats, par ailleurs : le méchant Mélenchon, la dette menaçante, le machiavéliste président, l’impuissance politique et économique, le reste du monde qui nous rappelle constamment à quel point nous sommes petits et si négligeables. Tout nous rappelle constamment que l’apocalypse arrive et que ça va être dur comme la pointe d’un diamant qui pète celui qui rutilait avant.

Il y a un petit bruit derrière tout ça, il y a un petit bruissement d’énergie et d’envie qui circule dans des petits canaux isolés mais qui commencent à s’irriguer entre eux. Dans ces corridors souterrains qualifiés souvent de complotistes par une bonne pensance très installée, il y a de l’ambition et quoi qu’on en dise une saine volonté. Des gens qui rêvent de leur pays, qui veulent retrouver le bonheur collectif comme but sociétal et politique. Des gens qui rêvent de justice et d’un mouvement qui tendrait non à tenir les meubles d’une baraque qui s’effondre, mais bien proposer un retour à l’ambition d’un pays qui se veut pays et non petit atome d’un tout qui le rend infime et dérisoire, qui le pille tout en le dénigrant consciencieusement. Hier soir j’écoutais donc la rencontre jubilatoire de Pierre-Yves Rougeyron du Cercle Aristote et Yohan du Canard réfractaire, arbitré par un Idriss Aberkane jovial. Bonheur de voir des bords se rejoindre non pour s’invectiver dans une logique binaire mais bien s’écouter pour se rejoindre dans une idée commune d’un avenir commun. Je sors, personnellement, rincé de ses élections législatives. Je parle à mes voisins, certains votant RN. Ce ne sont pas des fascistes, ce ne sont pas des salauds ou des racistes. Oui, je sais, ne sombrons pas dans l’angélisme, mon travers par ailleurs, il y en a car la haine pathologique est aussi réelle que la candeur coupable. Mais une fois encore réduire le débat à un combat manichéen avec la création très opportune d’un Front Républicain qui demeure en lui-même l’incarnation de la fracturation d’un peuple, est une errance insupportable. Cet abus de la référence historique pour asseoir une pensée vide, pour camoufler le manque d’inspiration, le besoin d’en trouver dans un passé qui nous a fait connaître l’hubrys ultime d’un conflit mondial particulièrement destructeur, est consternant.

Ce matin, un commentateur (sur Tocsin) évoquait la médiocrité du personnel politique. Soit. Qu’attendre dans une société de la jouissance qu’une succession d’apparatchiks qui jonglent avec le lexique de la sophistique élémentaire ? Il y a quelque chose de fascinant à voir ce combat pour la démocratie menacée par la bête immonde. Ils y croient les bougres, ils s’enfièvrent et s’angoissent en imaginant des défilés d’uniformes bruns dans des champs Elysées relayant l’imagerie d’une société napoléonienne croisée avec un fascisme du début XXème. Nous sommes dans un ancien monde qui meurt et nous emporte avec lui, comme l’écume prise dans un siphon implacable.

Outre Atlantique, un vieux monarque dévoile sa triste obsolescence, symbole involontaire et tragique d’un système incapable de lâcher prise. Là-bas aussi, il y a une stratégie du pourrissement. C’est sans nul doute la seule qui reste une fois tous les abus consommés. Quand tout est construit sur la base mouvante et mourante de l’exploitation d’autrui, les recours ne sont pas nombreux. J’ai abordé ici, à maintes reprises, la tentation de la verticalisation. Pour le coup, l’Histoire regorge de révélations quant à l’avenir de ce type de construction sociale… une tête malade ne rend jamais un corps sain qui comme une hydre pragmatique choisit un jour d’en changer. Dans l’espoir d’avoir enfin la bonne tête qui le guide et le nourrit au lieu de s’enfler à ses dépens. Il y a quelque chose de résolument pathétique, et il faut le dire, méprisable, que ce désir de jouir de ce que l’on extorque à l’autre. Il y a de la psychopathie et de la sociopathie a prendre tout en prétextant que celui d’en dessous, quoi qu’il en soit, ne le mérite pas. Comme le disait Georges Kusmanovic suite au résultat de ces élections, il y a de la fable de La Fontaine dans tout ça. La grenouille qui se veut plus grosse que le boeuf et tout ça.

Nous nous débattons dans des vieux schémas, nous nous suffisons des vieilles, si vieilles, modélisations. Le marxisme était une analyse brillante, il est vrai… même si elle était le suc d’un système qu’elle croyait dénoncer. Je sais, vous me direz que nous sommes de toute manière pris comme dans une toile d’araignée par le train aliénant de la globalisation. Ce n’est pas que la France qui subit tout ça, c’est bien le monde entier. Absolument tous les peuples sur le globe sont en train de subir un destin commun, une logique commune. Et quand un pays comme le notre, qui a pourtant tous les moyens d’une réelle autonomie, se met dans la triste position de la pure dépendance, que faire et que dire ? Que penser, que vouloir, que désirer, qu’espérer, sinon trembloter dans son coin en priant pour que les demains ne soient pas aussi terribles qu’on les annonce.

Ils le seront. Une fois la farce actuelle éventée, une fois les illusions des lendemains de cuite dissipées, le réveil sera brutal et dur. Pour beaucoup, c’est déjà le cas. Ce n’est pourtant pas une fatalité. Mais ça demande à chacun d’entre nous de résister, de ne plus accepter des règles et des visions du monde, et de nous-mêmes, qui nous aliènent et nous empêchent. De ne plus êtres des petits hommes (et femmes) réduits à une animalité consommée. Quand les peuples comprendront qu’ils sont traités comme du bétail, quand arrivera cette prise de conscience, les choses pourront changer. Mais pour cela, il est vrai que nous devons aussi ne plus endosser le rôle avec une docilité déconcertante. Une pensée pour tous ceux qui sont pris dans l’inertie implacable de l’apathie ou de l’inconscience. Je repense encore à cet argument d’une injustice parfaite délivré par ce qui est sacralisé dans nos sociétés comme le symbole de Justice (ce qui en soi est très révélateur) : la turpitude. Tout ce cirque est permis voire bâti sur cette idée, sur cette volonté, sur cette attitude. Que de passivité, que d’acceptation, que d’allant à valider les raisonnements toujours réducteurs des élites condescendantes, si coupables d’être indigne de leur position, de leur prétendu surplomb tant moral qu’intellectuel. Qu’attendre d’une société où la vanité n’est plus une honte mais une médaille ? Qu’attendre d’un système où l’indignité est dans la faiblesse et non dans l’expression d’une domination à la fois brutale et perverse ?

Vraiment, essentiellement, il faut remplacer le kratos par l’ethos. Nous devons vouloir ce changement, nous devons refuser cette sacralisation qui installe un monde figé, délétère et sans issu. Oui, il y a une révolution à faire, pas dans les rues, pas en surface, mais intérieure, profonde. Il faut repenser les bases, ne pas se contenter d’un but contraint à un système pré-existant, mais bien vouloir tendre vers une aspiration à la fois collective et ambitieuse. Une première brique à la grande et nouvelle bâtisse : la nécessité première de la Justice élémentaire et de la solidarité glorieuse. Ne pas limiter la philanthropie à un don financier déductible des impôts. Comprendre que toute richesse excessive ne se permet et ne se crée que dans la spoliation et l’acceptation d’une inégalité systémique.

Oui, je sais, c’est chiant, ça fait de la soupasse philosophique, mais c’est ça qu’il faut pour penser un monde meilleur. Les commentaires et les convictions personnelles ne feront que de la tuile de paille qui n’empêchera pas la grêle de tout casser. Le vrai défi repose peut-être entre la bestialité d’une société des émotions aussi fragiles et manipulable et celle d’une peuple rationnel qui ne s’interdit jamais d’interroger la moindre certitude qui crée les profondes inégalités qui le torture ? Quoi qu’il en soit, et en conclusion, les idéologies actuelles ne sont que des impasses : pour en sortir il faut peut-être aller au bout de la pente, il faut la dévaler pour en constater l’angle perfide. La France demeure le pays possédant symboliquement le capital nécessaire à l’élaboration d’un nouvel idéal. Mais il ne se fera pas en recyclant sans fin les modélisations d’un passé révolu, en se figeant dans une vision archaïque des sociétés humaines, condamnées à l’injustice et à la seule condition d’un « kratos » qui suppose implicitement un maître… et un soumis.

Un point de bascule

Quelques jours avant le second tour des législatives et dans les médias les projections et les Cassandre(s) se disputent toutes les théories et les analyses concernant la suite des événements.

J’ai écrit moult billets depuis quelques semaines qui pourrissent dans la section des brouillons de ce site. Dans l’un d’entre eux je me risquais à la métaphore en disant simplement que pour retrouver la santé tous les régimes possibles ne sont guère utiles lorsque vous vous trouvez dans un bolide dont vous n’avez pas le volant. Mais à vrai dire, je pense que le problème politique, démocratique, économique que nous traversons est, dans la configuration systémique qui est la notre, insoluble.

Ce matin, j’écoutais un fervent défenseur de la démocratie représentative… D’ordinaire, je suis davantage habitué à ceux qui la souhaiteraient davantage participative. Nous sommes dans un moment de tumulte pendant lequel chacun donne son opinion, sa vision des choses, sa solution, son remède, son expédient. Quoi qu’il se passe dimanche, nous serons dans la continuité d’une phase de révélation qui s’est entamée à l’issue des élections présidentielles en 2022. Il n’y a pas de mouvement révolutionnaire en marche, il n’y a, de gauche comme de droite, en exceptant de traiter chacun d’extrême, qu’une molle intention réformiste.

Quelle chose merveilleuse que la réforme. Allez, perdons quelques secondes précieuses à analyser le mot. Re-former, en résumé, donner une nouvelle forme à une chose qui nécessitait d’en changer. Ce qui m’amuse toujours avec la réforme, c’est qu’elle contient en elle, par un abus dogmatique, l’idée qu’elle est toujours un progrès. Sérieusement. Et dans notre système au sophisme triomphant, la réforme devient un levier puissant pour valider une idée sans vraiment faire la démonstration des arguments. C’est comme ça que depuis des années ont été détricotées de très belles choses pour d’excellentes raisons, en donnant les récoltes minables ou les pires conséquences, sans que jamais ne soit remis en cause l’abus de la réforme pour la réforme. De la malédiction de la conviction qui en politique fait qu’on puisse endetter un pays pour 30 générations en prétendant l’avoir messianiquement sauvé.

Quoi qu’il arrive, qu’il y ait un pourrissement ou des ajustements à la marge, rien ne va changer. Le signe qui détermine mon pessimisme ? La stabilité de la bourse qui après une période d’angoisse s’est vite rassérénée.

Certains veulent y croire, un peu comme si nous nous trouvions à la veille d’un grand matin. Vous êtes sommés de choisir votre camp. Mais plus que jamais, à mes yeux, il n’y a pas de salut dans ce que j’entends. Le piège de nos sociétés libérales, c’est que la solidarité, la volonté même de construire une société humaine fonctionnelle visant le bonheur collectif, arrive en queue de peloton derrière les intérêts personnels. Les intérêts de classe, les intérêts électoralistes, les intérêts à la bourse, en bref des agios comptables, très personnels.

Donc j’irais voter, marionnette de plus dans un théâtre bien organisé. Après, il sera intéressant de voir les postures et les impostures que vont révéler les votes, les projets de loi, les discussions. La politique française s’est totalement décrédibilisée depuis un demi-siècle, dans l’indifférence générale. Il reste à espérer que cette fois le peuple, cet entité très fictive, prenne conscience de l’énormité du propos démocratique. Il y en a encore, beaucoup trop, qui sont dans l’euphorie d’une apothéose civilisationnelle. Et tous ceux qui douteront seront classés impitoyablement dans une catégorie spécifique qui suffira à balayer tout moment de réflexion, voire de conscience. Il n’y a pas de bons et de méchants. Ils s’insultent tous entre eux, ils se traitent tous d’une manière ou d’une autre, en bref le débat n’est permis qu’avec les pratiquants d’une même chapelle ou ça tourne à l’ordalie. Dans cette manière de faire, il n’y a d’ailleurs plus d’élégance élémentaire ; taper à plusieurs est encouragé voire souhaité, car ça permet de satisfaire la foule romaine qui se presse au colisée médiatique. L’important c’est vaincre, la faim justifiant les moyens.

Que restera-t-il de toute cette incandescence ? Des cendres grises et froides ou des braises qui attendent de faire de grands brasiers ? Dans la chaleur d’un été qui commence, il y a fort à croire et à craindre que tout sombre, avant la rentrée qui promet d’être très tumultueuse, dans une mollesse de saison. Après, la Bastille est tombée en juillet, tout est possible, mais je crains encore qu’à autre époque, autres mœurs. Le point de bascule est encore loin, loin à l’horizon. Personne n’y est vraiment prêt, et je me demande même si la majorité le veut. Nostalgique des années où la France suivait les rails d’une autonomie qu’une élite humaniste avait voulu, certains voudraient revivre les mêmes heures en conservant les avantages de la libéralité. Penser pour tous ou penser pour soi, nous en sommes là, et entre les dialogues de sourds et les monologues enfiévrés, bien que je passe pas mal de temps à écouter attentivement les logorrhées diverses et variées, rien qui me fasse annoncer aujourd’hui qu’il est reviendu le temps des cerises (ou alors sur le nez du clown – celui qui fait peur, pas l’autre !).

La fête des pères

En ce moment j’écris pas mal sur ce blog, mais jamais je n’avais autant eu envie d’écriture. De lecture aussi, je m’y suis remis après des années sans avoir le besoin de compulser un bouquin. Cette hygiène correspond à une sorte d’équilibre que j’ai réussi à trouver, avec une ambition qui s’est suivie d’une discipline précise. Celle (l’ambition) de retrouver une saine et vive conscience des choses, sans être entraîné, bien malgré moi, par le cours d’une société humaine qui ne cesse de se perdre dans des entreprises de plus en plus folles. En (discipline) en multipliant les sources d’informations tout en faisant que professionnellement je poursuive mes propres buts sans sacrifier à mes prétentions éthiques et morales. Il y a quelques années, j’ai découvert le noble chemin octuple, et j’ai été surpris de constater que ça rejoignait mes propres conclusions… pas évident en cette société humaine qui sacrifie tout à un productivisme pragmatique, pour cause d’un mode de vie qui exige de consommer le monde et par extension exploiter les autres. Pourtant, j’essaie à présent de multiplier les activités intellectuelles et ludiques, tout en m’adonnant à des choses bien pratiques… ce qui rend mes journées bien chargées mais très satisfaisantes.

Comme je l’ai dit à mon fils il y a quelques jours, avec une conviction exaltée qui l’a dérangé, il faut toujours regarder le mal en face. A mon sens, en tant que citoyen, il faut oser s’informer sur des choses révoltantes et horribles, simplement parce qu’il ne faut pas se perdre dans un angélisme sélectif qui en lui-même serait un acte de collaboration, dans le sens minable du terme. J’ai donc acheté le magazine Omerta, avec la petite Lola en couverture, qui traite de nombreux sujets qui vont de la pédocriminalité à l’addiction des écrans par notre jeunesse perdue dans ce perpétuel espace de tentation. Pour être honnête, la lecture du magazine est douloureuse, tant les faits rapportés sont à la fois communs et abominables. Hier soir, je matais les deux premiers épisodes de la série The Boys qui voit la fine équipe échouer dans une convention « complotiste », dépeinte comme le rassemblement de gens désespérés, un peu débiles, avec à un moment donné cette séquence un poil idéologique qui montre une des héroïnes s’en prendre à un pauvre type accusé d’exploiter le sujet sans vraiment chercher à en déterminer, et à donc lutter vraiment contre, la cause. Ce matin, j’ai maté une vidéo de Sud Radio qui revenait hier sur l’affaire des accusations de propos pédophiles par Depardieu révélés dans le cadre d’une émission de Complément d’enquête ; en bref, ce serait un montage, avec en témoin Yann Moix qui explique que les rushs lui ont été dérobés et témoignant que ce qui est montré n’était que mis en scène dans le cadre d’un film comique mettant en scène un personnage aussi décadent et excessif que le rôle savoureux de Poelvoorde dans « C’est arrivé près de chez vous ». N’oublions pas, malgré tout, que l’acteur est poursuivi pour des agressions d’ordre sexuel par de nombreuses femmes. Dans cette même émission, les intervenants reviennent sur l’affaire de réseaux pédophiles dans des cénacles parisiens qui ont œuvré il y a quelques décennies. Pour m’achever, j’ai maté cette semaine la vieille interview de Régina Louf qu’a mis en ligne Karl Zero sur sa chaîne dans le cadre de la sinistre affaire Dutroux…

Regarder le mal en face. En ce jour de fête des pères, je savoure l’attention et l’amour de mes enfants, devenus adultes, avec lesquels j’ai la chance d’avoir une relation privilégiée. Pour l’anecdote, j’ai donné la douche à mes deux gosses, durant les premières années de leur vie. Nous allions dans la douche, et je leur ai appris à se laver, tout en jouant avec eux. Des chouettes moments, des moments innocents qui font des bons souvenirs, avec la volonté à l’époque de leur montrer que la nudité est quelque chose de naturel, notamment et surtout dans le cadre familial. Ma mère revenait souvent sur une anecdote de mon enfance, d’un événement que j’ai pour ma part complètement oublié. Le médecin m’ausculte, puis jugeant mon appendice, me dit que la nature m’a bien obligé. Ce à quoi je lui répond un laconique « bah celui de mon papa il est encore plus gros ! » – et là, inspiration du médecin qui rend l’anecdote savoureuse, se tournant vers ma mère « c’est comme ça que naissent les légendes ». Pourtant, mes parents étaient d’une pruderie presque maladive : je n’ai jamais reçu l’esquisse d’une éducation sexuelle et le sujet ne venait absolument jamais dans la discussion familiale. Pour m’amuser, et parce que je suis provocateur dans l’âme, je l’ai fait quelques fois pour créer le malaise chez mes parents. Merci aux parents de mes potes qui avaient eu la délicate attention de leur fournir des bouquins d’éducation sexuelle qui m’ont stratégiquement éclairé. Une petite pensée à Madame Bérille (en fait c’est la seule qui avait eu cette indiscutable bonne idée) qui était (enfin j’espère qu’elle l’est encore – le temps passant je sais qu’il fait sa moisson) une femme admirable et qui m’a profondément marqué par sa gentillesse et sa noblesse de cœur.

Pour moi, un enfant c’est sacré. Je ne comprends même pas, je ne veux pas comprendre en fait, ce qui motive un adulte à nourrir la moindre pensée perverse quand il s’agit d’un gosse. Parmi tous les sujets qui me désespèrent et qui me mettent en colère, la pédocriminalité est sans doute celui qui me fait le plus de mal. A chaque fois que je m’intéresse à un fait divers de ce triste domaine, je n’en sors jamais indemne. Ça m’abîme, ça m’effleure le karma et ça bouleverse mes chakras. Je me dis que je fais partie de la même espèce, « humaine », que tous ces salauds qui se cachent et qui dissimulent leur ignominie et ça me blesse. Il y a quelques années, un matin de révolte plus violent que les autres, j’ai déclaré à mes gosses que je ne faisais pas partie de cette humanité. Je la refusais, comme on refuse une nationalité ou l’enrôlement forcé. Je refusais d’être englobé avec tous les apathiques et les complaisants, avec tous les collabos et les compromis, avec toutes les brutes et les sadiques. Mais c’était encore une fois un caprice, de la désinvolture exaltée. Je vis toujours au même endroit, j’ai toujours les mêmes conventions sociales, je n’ai ni changé de nom ni changé de face. Je suis condamné à n’être qu’un individu parmi les autres, un petit atome de cette masse qu’on appelle « peuple », un résidu organique de cette biomasse qui s’appelle société. Je n’ai ni les moyens ni vraiment l’envie de partir comme Alceste loin de tout, dans un désert sans homme, et pas de pulsions suicidaires qui feraient que le nihilisme l’emporte sur l’amour passionnel, sur l’étreinte cognitive, que le Monde m’inspire et motive. Je vis donc le désespoir tranquille, la désespérance un brin surjouée du gars qui regarde le mal en face, s’interroge sur sa propre part d’ombre, constate son impuissance ou sa lâcheté, puis finalement pense à autre chose. Pendant que ça continue, quelque part. Un autre gosse.

Alors aujourd’hui c’est la fête des pères… pourtant il faut toujours se rappeler que c’est encore une inversion des choses. Ce sont nos enfants qu’il faut chaque jour célébrer et aimer. Et il faut traquer le moindre enfoiré qui abuse de sa position, de son statut, du pouvoir que lui confère un simple mot, un simple titre, pour faire du mal à un enfant. Depardieu est peut-être victime d’un montage, la diffamation reste vraiment l’oeuvre la plus dégueulasse qui soit, et ce n’est pas participer à la lutte contre la pédocriminalité que d’agir ainsi. Ça participe à invisibiliser ce qui se passe vraiment, ça participe à rendre des gens comme moi, naïfs et candides, qui au départ imaginent que le monde est aussi beau et bon que les fables nous le racontent. Tout ça c’est du complot, jusqu’à ce que, quelques décennies plus tard, les scandales surgissent alors que tous les coupables sont morts et les victimes enterrées et oubliées.

Il y a peu, j’ai vu la vidéo d’un Youtubeur cinéphile/phage qui expliquait pourquoi il avait décidé de ne pas aller voir « The Zone of Interest ». Il ne voulait pas s’imposer ça, il ne savait pas comment il allait réagir à ça. « Ça » c’est constater comment il est facile de vivre tranquillement et luxueusement à la proximité des charniers et des massacres. Comment il est tentant et si facile de se dire un minable « bah, c’est comme ça, qu’y puis-je en vrai ? ». Je m’impose, au contraire, de ne pas détourner le regard. Comme le reste, je m’impose de savoir et d’avoir conscience. Mais ça me reste, ça me hante, car quand je regarde le ciel bleu il y a des fois la sensation d’un hurlement d’enfant que je n’entends pas, mais que je devine, en filigrane, comme si tout n’était qu’un voile que je refuserai de lever. La dernière phrase de la Chute, de Camus.

Bonne fête des pères donc. Et courage et soutien à des gens comme Karl Zero qui ont mis à l’index leur carrière et leur fameuse respectabilité pour se battre contre l’intouchable et l’invisible. Rien de plus odieux, à mes yeux, que ceux qui balaient, d’un revers de la main et d’une petite vindicte méprisante ces questions là, comme si ça n’était, encore une fois, que du complot, de la paranoïa louche, des obsessions écœurantes et vicieuses. Il y a toujours et encore quelque chose de pourri au royaume du Danemark. La pilule rouge ou la pilule bleue. Dans mes moments les plus nihilistes, je me dis parfois que vivre c’est subir d’être complice et témoin de tout ça, sans pouvoir rien faire que d’écrire un billet que personne ne lira et qui pour une fois ne sera même pas libérateur.

Le chaos ou le bordel ?

Je dois m’y mettre, mais comme hier, il y a une telle effervescence politique que de bon matin, ça me passionne un peu trop. Ce qui ressort de ce tumulte analytique (chacun essaie de sonder les pythies ou tente d’analyser les ressorts psychologiques ou moraux du chef de l’Etat), c’est bien la sensation d’un chaos général. Et le chaos est bien le mot qui revient le plus souvent (par exemple l’édito de Françoise Degois sur Sud Radio : « Il y a un chaos général dans la vie politique […] », qu’il soit involontaire ou organisé, c’est la définition du paysage politique qui depuis l’annonce de la dissolution s’impose à tous les analystes.

Personnellement, vivotant entre tous les flux de gauche comme de droite, je trouve toujours aussi pertinente l’analyse de Pierre-Yves Rougeyron disponible sur le site du Front Populaire qui rappelle une de ses thématiques prégnantes, l’influence et la puissance de la xénocratie sur le destin de notre nation à la dérive. PYR évoque avec une lucidité qui est sa marque de fabrique la victoire d’un bloc européiste et surtout ultra-libéral dans ses élections européennes, faisant de Macron un émissaire du chaos, mais d’un chaos programmé, stratégiquement, pour destabiliser encore davantage le pays à l’intérieur et par l’intérieur. Il évoque aussi la stratégie du champ de ruines, la terre brûlée laissée à son futur successeur, ce qui pourrait assez bien décrire la politique menée depuis 7 ans qui en plus d’être un jeu de massacre social, pour notre bien (notez), et une dévastation économique encore inédite (avec une dette abyssale). Aimant la simplicité, contrairement à ce que ma prose alambiquée pourrait faire croire, il y a un filtre efficace que j’aime toujours appliquer à toutes choses, soit celui du « Cui bono » (pour une fois que je rends aux latins ce qui appartient aux latins »). Dans notre mythologie sociétale, le peuple dans son ensemble croit donc toujours que le sommet social est incarné par les chefs d’état, bien que de plus en plus s’immisce l’idée que la richesse dans un monde ploutocrate désigne vraiment les titans qui dirigent. Et notre président, à l’évidence, est un émissaire comme un autre. Après, je ne rentrerai jamais dans les questions psychologiques, un travers bien français, qui consiste à « profiler » les intentions de quelqu’un en dévoilant voire en devinant le paysage de sa psyché cachée de tous. Je reste encore en cela très chrétien, je reste encore en cela très pragmatique et simple, en appliquant cette fois le filtre « On reconnaît un arbre à ses fruits », rendant hommage à celui que les mêmes latins auront crucifié (sans vouloir choquer la masse des sceptiques qui de plus en plus suspecte la création d’une fiction voire d’une mythologie à des fins de manipulations religieuses – oui, je passe beaucoup de temps à brasser de la donnée, c’est un mal personnel). Macron aura donc vendu une quantité non négligeable de joyaux français, pour reprendre une image très parlante souvent usitée pour décrire le scandale Alsthom, aura ouvert la voie à un ultra-libéralisme décomplexé (Uber), et surtout aura surendetté la France d’une manière très surprenante pour quelqu’un disposant d’une culture financière voire purement bancaire ne lui dissimulant pas les conséquences dramatiques d’un surendettement (j’ai eu un petit moment la petite sérénade d’une mention légale venue d’un lointain passé de publiciste dans le registre du rachat de crédits).

Donc, la France est en train de devenir un vaste bordel politique, ou alors effectivement un véritable chaos, mais alors dans sa pure définition étymologique. Comme il est bien expliqué sur Wikipédia :

Le nom Chaos (en grec ancien Χάος / Kháos, littéralement « Faille, Béance », du verbe χαίνω / khaínô, « béer, être grand ouvert ».

Source

Le chaos c’est donc la béance, et la béance ça ouvre sur le vide. Alors oui, je sais, y a la gauche et la droite, ça brasse des discours très sérieux sur le marxisme, sur le capitalisme, sur la liberté d’entreprendre comme de faire des profits. Nous vivons encore une fois la névrose des grandes menaces, alors que sont ressuscités les grandes peurs de la cohorte brune et autres prédateurs fascistes aux exactions horribles. L’ancien monde et le nouveau se font encore leur petite guerre dans le débat éternel entre la réforme et le conservatisme, tandis que le petit peuple s’interroge sur les vertus ou les désagréments du changement. En bref, et en cela je trouve l’analyse de PYR très pertinente, nous sommes aveuglés par des questions presque secondaires qui dissimulent le centre du cyclone.

Immédiatement, les vertueux les plus admirables, les champions du camp du bien me répondront (avant de me punir) que non, le fascisme n’a rien de secondaire. Peut-être qu’il faudrait ouvrir tes yeux nimbés d’étoiles mon ami(e), nous y sommes depuis longtemps, vu que la mamelle essentielle du fascisme est le totalitarisme. Le déroulement des dernières élections européennes nous l’a encore démontré : une pensée unique servant une volonté notoire est bien effective. Finalement, ces législatives comme ces dernières élections ne sont qu’une mascarade à laquelle nous participons.

Peut-être faudrait-il moins considérer les raisons de la manœuvre et la personne présidentielle que ce qu’il y a derrière cette béance. La France est en train de devenir une pure fiction, une série Netflix, certes distrayante mais dans laquelle finalement rien ne se passe de plus qu’une suite de péripéties. Des années maintenant que les dysfonctionnements démocratiques ont démontré la superficialité du Parlement faisant de notre République le terrain de jeu d’une ploutocratie souvent doublée d’une cleptocratie. Pourtant, tous les observateurs redoublent de gravité concernant l’enjeu de ces élections. En prenant un peu de recul, et simplement en prenant comme exemple le triste destin des agriculteurs qui ont été très récemment bien escroqués, rien ne peut changer tant que nous restons sous la férule européenne. Et comme l’a notoirement et toujours sagacement rappelé PYR, le bloc européiste et ses maîtres ultra-libéraux l’ont magistralement emporté.

Que faire quand un homme libre accepte de porter les fers de l’esclavage ? L’exhorter à un peu d’honnêteté et de lucidité. Nous en sommes là, c’est le pas à faire avant toute révolution. Le bruit et la fureur c’est génial, ça fait des grands films de cinéma et bouillir notre sang souvent ralenti par le rythme tranquille des belles et longues nuits d’été. Mais cette émotivité entretenue, cette exaltation encouragée, nous masquent les enjeux véritables. Oui, il y a une tempête. Et alors ? Nous ne sommes toujours pas à ce chaos qui précède la révolution. Ce n’est juste qu’un chaos bruyant, un bordel, qui la retardera d’autant plus que nous continuerons collectivement à croire en des illusions très savamment entretenues, dont notre cher leader demeure l’un des plus brillants prestidigitateurs. Un bon bordel a son lot d’entremetteuses et de péripatéticiennes. Il n’est pas non plus recommandé d’en faire consommation, les plaisirs bestiaux et les bas instincts ne visant que l’éphémère et favorisant le sordide, alors qu’il est possible d’envisager l’humanité avec une idée à la fois plus ambitieuse, simplement plus glorieuse, de ce que nous voulons être.

Je regarde autour de moi. Peut-être ne sommes-nous devenus que des individus, des consommateurs, des êtres détachés des intérêts tant généraux que supérieurs. Plus de citoyens, plus de démocrates, juste des rêveurs perdus dans un solipsisme aussi débile que coupable. Des jouisseurs, des exhibitionnistes décomplexés de nos petites turpitudes, de nos bas desseins matérialistes et égoïstes. Peut-être que le destin de nos sociétés modernes à l’hédonisme vain n’est que dans une ultime dissolution, et que de ce grand bain primordial naîtra alors une nouvelle réaction chimico-sociale qui apportera alors le changement tant souhaité. Ce qu’on appelle « décadence » n’est peut-être que le substrat de cette terre trop exploitée, trop usée, pour ne donner rien d’autre que des fleurs fanées.

Toujours, la mort de Sardanapale.

Sur ces désillusions cruelles, je retourne travailler sur mes petites oeuvres, qui du point de vue de mon solipsisme à moi m’apportent bien plus de satisfaction que le charivari des sirènes (auquel, malgré ma défense, je succombe trop souvent – pour preuve ce billet matinal).

Bonne journée !

Un peu de politique de bon matin ?

Bon… Avant de m’y mettre, je prends mon café tranquillou, j’allume ce qui me sert de réceptacle à informations (une télévision mais ça fait longtemps que je ne la regarde plus – je fais mon marché sur Youtube entre canal de gauche, de droite, du centre, de l’arrière et du juste milieu (salut Rémi !)). Et là… La vie dissolue de la dissolution s’impose à mes sens, m’enivre jusqu’à me saouler, m’envahit insidieusement de toutes les analyses qui se bousculent depuis que notre suprême leader nous ait fait l’honneur de son dernier coup de jarnac (ou j’arnaque, au choix).

Politique. Encore un mot, faut dire que notre réalité n’est fait que de ça, des mots qui s’agencent pour nous permettre de donner du sens à ce qui n’en a ontologiquement pas. Je sais que je me répète, mais c’est introduction liminaire est essentielle… Surtout quand à l’évidence le discours médiatique dispose d’une puissance que le résultat des dernières élections présidentielles ne peut que révéler. Les divers commentateurs m’auront bien fait rire avec « la justesse des estimations sondagières ». Et le coup de la prophétie auto-révélatrice, vous connaissez ? Pourtant, le Dune de Villeneuve aura exposé cette logique avec une force narrative qu’il n’est pas vraiment possible de dénier ? Jamais, dans une élection, le projecteur n’aura été accaparé et réservé à une poignée, que dis-je, un trio de candidat : Hayer, Bardella, Glucksmann. Une sorte de Cerbère désigné par ce qu’il n’est pas complotiste, pardon, exagéré, de définir comme un système aux ordres d’un ensemble d’intérêts particuliers en composant un autre de système. Parfois je me dis que je devrais quitter mes activités créatives pour me lancer dans une tentative de révélation, à coups de schémas et d’organigrammes/sociogrammes, des forces en présence dans notre bon pays. Puis je me dis qu’il faut encore un public pour ça, et vu le résultat des dernières européennes, je ne suis pas sûr qu’il y ait un intérêt pour la pilule rouge. Comme souvent dans ma vie, je suis tiraillé entre deux pulsions, celle de participer à la vie collective et celle de me concentrer sur mes petites ambitions plus personnelles mais finalement pas moins futiles. Car l’expérience m’aura aussi révélé à quel point croire en la solidarité des autres est illusoire, quand bien même elle s’exécuterait dans leur propre intérêt. J’ai vu et constaté combien la tentation du destin personnel est plus forte que l’idée d’une collaboration généreuse. Notre société est bien celle du chacun pour soi, ce qui explique en partie la décadence actuelle. Plus que jamais, je ne crois qu’en une société solidaire et responsable, où l’intérêt général prévaut sur tout le reste – et l’intérêt général, pour moi, c’est la volonté puissante de réaliser les conditions d’un bonheur collectif. Je sais, je suis un naïf, un idéaliste, un idiot, un utopiste, un rêveur, un fou, un gros connard même. Le monde, tous les jours, me le répète assez quand j’écoute les médias ressasser l’ignominie organisée que sont devenues nos glorieuses démocraties.

Donc, dans les faits, gros score du RN. Suivi dans un mouchoir de poche par Reniou (oui, ça me fait rire) et l’europophile exalté Glucksmann, soit le PS. L’autre vrai score notable, c’est la paradoxale mais quand même forte progression de la LFI. Et dans les données à considérer, la chute des verts, et le résultat de l’invisibilisation des petites listes, notamment les souverainistes qui ont payé chèrement leur désir d’indépendance. Faire des millions de vues sur Youtube c’est bien, mais ça ne reste qu’une paille dans l’oeil qui demeure rivé sur le flux mainstream. En résumé, et très rapidement car ça nécessiterait un développement et une analyse plus exigeante qu’une affirmation intrinsèquement insuffisante pour s’établir comme vérité, il ne faut pas confondre la petite masse des gens concernés qui prennent le temps de choisir son flux d’infos et la grosse qui n’a pas le temps pour ça et qui se contente d’épouser les opinions toutes faites qu’on leur délivre à la radio, dans les journaux, et à la TV.

Et là, dissolution. Comme ça, sans gants et sans ménagement. Le coup de la rupture amoureuse qui survient sans crier gare, sans prémices ni signes. Ce qui est faux en soi : des indices, il y en avait plein, et plus tôt dans la journée j’avais délivré cet oracle à mes enfants. Si j’avais su à quel point c’était génial de le spécifier, je l’aurais écrit sur ce blog. Tant pis, je resterai une Cassandre de blog, ce n’est pas comme si je voulais me vendre en tant que politologue du dimanche, y en a déjà bien trop sur le marché. Et depuis, polarisation médiatique, même ceux qui dénoncent la manipulation y participent. J’avoue que je suis un bon spectateur, car la politique j’adore ça. Je ne la considère pas comme un art noble ou comme un domaine réservé à des spécialistes. La politique, de « Polis », la cité en grec ancien, c’est tout ce qui touche à la vie de la cité devenue société. Tout est politique. Absolument tout. Car la moindre de nos actions citoyennes ou même simplement civiques participent à la cité. Même nos oeuvres culturelles les plus mineures participent au discours politiques en mettant en scène, de manière faussement naïves, des modes de vie ou des principes idéologiques voire moraux. Dire bonjour ou ne pas dire bonjour à un voisin est un acte politique. Toiser un autre qui nous agace ou lui sourire est un acte politique. Une vision peut-être un poil dramatique voire emphatique, mais c’est la mienne. Le monde étant tel que nous le faisons, dans une logique presque karmique, nos comportements publics, nos actes sociaux, déterminent sa nature. En ce moment c’est pas très fifou comme le dirait ma fille, très touchée moralement par ce qu’elle aura vu, lu et entendu sur les réseaux qu’elle suit ou qu’elle abonde.

Les observateurs s’interrogent donc sur l’intention. Le machiavélophile président est certes réputé pour son addiction à la manipulation, même si elle est souvent grossière. La roublardise, ou l’audace pour utiliser un terme que ses aficionados préfèrent, est son essentiel moteur. Franchir non pas le rubicon, mais tous les rubicons possibles et imaginables, en constatant que la sidération est un phénomène proportionnellement répétable selon l’incapacité à comprendre la réalité de la situation. C’est un peu lapidaire comme analyse, mais elle est pourtant réelle : dans la grande majorité des cas, peu ont compris le but des manoeuvres et des abus de pouvoir en cascade de ces deux dernières années. Il y a aussi de la brutalité et de la rapidité dans l’exécution qui rappellent les campagnes de César. Finalement, est-ce surprenant de nous voir assiéger tels des gaulois réfractaires par un pouvoir qui ne vise qu’à nous réformer en tant que peuple et en tant que nation ? Je vous renvoie aux excellentes vidéos de Pacôme Thiellement sur la chaîne vidéo Youtube de Blast qui m’a inspiré cette saillie. Sachant de plus que sa vision du Christ rejoint la mienne, et que ça fait du bien en ces temps d’intense religiosité (je ne parle pas des religions, mais bien de la religiosité).

Personnellement, je pense que la volonté de notre président est d’ouvrir la voie au RN pour lui saborder celle de la présidentielle. Notre arène politique « professionnelle » étant devenue un théâtre de Guignol (et j’ai pas écrit de « guignols » – notez la finesse qui évite la saillie facile) où le narratif l’emporte sur le réel, c’est bien le mandat qui importe, pas tant que l’action politique en soi. Il n’est pas impossible qu’ayant ouvert la voie à l’ennemi fondamental, l’idée soit de lui laisser un peu le manche pour montrer à tous qu’il en fait n’importe quoi. Après, le vrai grand danger, c’est bien cette maudite gauche, encore un autre cerbère, dont une des têtes est profondément menaçante, cherchant à faire faillir cette esprit lucrato-libéral qui fait le bonheur des flux boursiers et des gras dividendes (« Pognon… je t’aime ! » Imitation savoureuse du regretté Jean-Pierre Mariel de Michel Leeb). Finalement, quand tu additionnes tous les partis de gauche aux européennes, ça monte pas mal, presque au niveau du RN. Gageons que les égos de la gauche sauront encore prédominer sur l’intérêt général et qu’ils feront encore les idiots utiles en se perdant, une fois encore, dans des introspections existentielles les poussant à suspecter leurs collègues d’être des traîtres ou des salauds en embuscade. Petite pensée pour le cristallin de service, qui me fait penser aux ante-christ de l’Apocalypse. Et j’ai trouvé touchante la réaction désabusée de Thomas Porcher sur le Média, fatigué de constater le continuel revirement opportuniste d’une gauche capricieuse, plus soucieuse de remporter des élections à but personnel que dans la logique d’un combat idéologique censé la magnifier.

En conclusion, et pour faire court (car je dois m’y mettre), ces Législatives seront aussi un moment d’éclaircissement à défaut d’être de révélation. Vu le chaos social que nous traversons depuis l’élection présidentielle, il n’y a rien de pire à venir. Je suis curieux de voir ce que fera le RN s’il obtient une majorité au Parlement. Je suis curieux de voir si la natalité des castors va connaître un bond aussi prodigieux que la dernière fois et comment les médias vont agir pour que ceux-ci fasse leur barrage là où on voudra qu’ils les fassent. LFI se voit sommer de faire corps, et dans les prochains jours, nous verrons si la gauche radicale fera son pacte avec le diable de la classe moyenne. Glucksmann, avatar d’un Macron lui aussi, en son temps, sponsorisé par une gauche bobo, ne pourra pas cohabiter avec son ennemi intime, son véritable ennemi (qui n’est pas la finance).

Et si le RN dominait, quid du premier ministre ? Bardella ou Marine Le Pen ? Deux ans d’échec pourrait sonner le glas d’un mandat présidentiel ou vicier la candidature d’un mandant de ce parti pour en faire l’utile bouc émissaire qu’un nouveau messie médiatisé pourrait supplanter (Glucksmann ?).

Je regardais ce jour Viktorovitch en pleine exaltation de sa peur de l’avènement d’un fascisme, qui lui émet l’idée que le but de la manœuvre c’est retrouver une majorité présidentielle en jouant sur les peurs. Ce qui me semble abscons par faute simplement de candidats macronistes. L’air de rien, le dernier remaniement a quand même dévoilé le manque d’enthousiasme pour un parti qui va porter longtemps la marque de ses choix impopulaires. En bref, à part des amateurs et des nouvelles têtes, peu de chance que des vieux briscards ou des prétendants sérieux participent à ce qui ne sera au mieux qu’un remake du Titanic en milieu urbain. Après, il y a peut-être une escouade de réserve que je ne vois pas venir, mais je n’y crois pas. Après (2), il n’y aura de victoire que dans des fiefs conquis depuis longtemps – dans une France dévastée économiquement, ce genre de territoire commence à se faire rare.

Il est quand même triste de voir certaines politiques effacées ou invisibilisées quand elles ne sont pas diabolisées. Je regardais des infographies du Monde hier, et j’ai été encore surpris de voir des catégories comme celle de « l’extrême-droite » englobant un peu tout et n’importe quoi. C’est là aussi qu’il faut constater à quel point il est difficile pour un observateur qui se veut objectif de réifier son indépendance de point de vue tout en acceptant, en validant, le logos d’une matrice qui déforme par sa nature systémique tout ce qu’elle désigne. Une fois encore, la liberté voire la révolution ne pourra se réaliser que par la contestation des mots et des idées, par dans le jonglage qu’est devenu, de nos jours, l’exercice politique comme analytique.

Bonne journée (je suis à la bourre).

Les limites du narratif

Quelle période folle ! Beaucoup d’entre nous ne perçoivent pas ce qui se passe mais nous vivons tout simplement la fin lente mais certaine d’une manière, d’une méthode, d’une stratégie, de présenter les choses, d’arranger les faits, en bref de substituer un narratif plus ou moins bien savamment construit en lieu et place du réel.

Alors oui, le « réel » est une chose très floue, un concept comme un autre, car du fait de notre subjectivité, nous sommes tous les otages de notre perception du monde, et ce qui nous relie ce sont bien le canevas des croyances et des conventions que nous partageons. Il y a quelque chose de fascinant de constater à quelle point les humains croient en des artefacts aussi éthérés que les nations ou en certaines idées encore plus floues comme peuvent l’être la démocratie ou la liberté. Mais finalement, vivre n’est-ce pas pour chacun d’entre nous de tenter de donner du sens, d’adopter des croyances, pour s’y raccrocher tout au long du parcours de vie ? Toujours, je serai condamné au terrible constat qui m’a frappé alors que j’avais tout juste 7 ans : rien n’a de sens… Il ne reste donc qu’à tenter d’en donner, même si parfois le tentation de céder à l’acceptation de l’impermanence menace (à ne pas confondre avec la menace de l’incontinence qui pèse sur chacun d’entre nous à plus ou moins longue échéance).

A l’évidence, les orfèvres de la manipulation des masses ont bien compris combien la puissance médiatique était, par exemple, un levier terrible pour influer sur nos perceptions. Tous les jours, je constate combien l’agenda médiatique répond à des intérêts bien précis et surtout bien privés, et comme tout est orchestré pour influencer et non pour informer. Ah, les sondages ! C’est délirant comme ces pseudos méthodes d’estimation d’une opinion qui serait « publique » ont pris une place prépondérante dans la discussion médiatique. Ou, comment des échantillons peuvent prétendre refléter l’incroyable hétérogénéité d’un peuple désigné avec emphase par leur nationalité : les fameux « français ». Les sophistes en abusent par ailleurs : « j’ai rencontré les français », « tous les français veulent », « ce qui intéresse les français », et j’en passe ! Toujours ça tourne au jeu de rôle du représentant suprême dont l’oreille fabuleuse aurait réussi à saisir le son pourtant complexe d’une masse de 68 millions d’âme pour en restituer la substantifique essence. Personnellement, et bien que je me sente profondément français, jamais ces gens là n’évoque mon opinion ou mes idées. Nous devons être peu à les avoir, mes opinions, donc elles sont dissoutes dans la dense fusion des millions d »autres, contradictoires, dans un processus finalement démocratique où la majorité l’emporte sur le reste. Ben c’est pas joli joli ce mélange de haine et d’intolérance, cette volonté sourde de toujours désigner des êtres creux comme ses maîtres, pardon, ses représentants. Sans rire.

Tout ça n’est qu’artifice, et pourtant, jamais les sondages n’auront autant servi de pavés pour préparer le chemin de nos votes, quitte à en faire des tonnes et surtout quitte à dévoiler à quelle point tout ça n’est qu’imposture et escroquerie.

La France va mal, et ça ne va pas s’arranger. En fait, ça ne peut simplement pas s’arranger. Il n’est pas possible de faire son bonheur sur la misère des autres, et c’est pourtant le choix qui a été complaisamment et consciemment fait par une certaine classe sociale qui s’est abandonnée totalement aux gains que lui a promis puis apporté une idéologie néo/ultra/libérale, et surtout très immorale, de l’économie. Nous sortons de plus de quinze ans de délire monétaire, nous sommes à la fin d’un chemin comme le seraient des héros d’un conte juste avant sa conclusion (ce serait plutôt du Andersen pour le coup). Et la tactique pathétique d’user encore et encore de boucs émissaires caractérisés par leur insigne faiblesse pour faire diversion et surtout canaliser la rancœur et la rancune ne sera plus salutaire. Il y a quelque chose de fascinant, encore une fois, à entendre les éditorialistes et autres analystes déplorer que la nouvelle réforme du chômage visent encore ceux qui recherchent un emploi avec comme dessein de les motiver à accepter les royales 350 000 offres qui seraient tout simplement boudées par des armées de profiteurs qui vivraient dans une insouciante farniente. Il faut que le dormeur se réveille : cette réforme ne vise absolument pas les chômeurs (dont ce pays et ses représentants s’en foutent très complaisamment), mais ceux qui sont salariés et qui pourraient, dans un proche avenir, perdre leur travail. C’est une réforme serre-les-fesses sponsorisée par ceux qui vont encore te vendre une énième assurance pour commuer la peine. Tu frappes tant que la victime est sidérée, pourquoi s’arrêter en si bon massacre ?

Les motivations de ces exactions politiques, de ces décisions aussi brutales que foncièrement cruelles et injustes (les cotisations restant les mêmes), sont à chercher dans un désir d’installer un ordre social qui, comme je l’ai écrit à maintes reprises ces dernières années, n’ambitionne qu’à revenir à une féodalisation notamment dans les rapports sociaux. Il y a la conscience d’une minorité qui possède et qui souhaite tout mettre en oeuvre pour forclore tout idée même de contestation ou de rébellion. Ce qui est pourtant à la fois une insigne preuve de stupidité comme un terrible aveu d’une crainte profonde. Toute notre économie est à présent artificielle, tout obéit à un narratif qui tremble devant les coups de boutoirs d’un réel que les agences de notation ne représentent absolument pas, faisant partie du problème, mais qu’elles annoncent quand même à bas bruit. Un mélange entre un requiem et une musique militaire, rien de gai là-dedans, c’est clair.

Entre ceux qui prétendent que la dette c’est pas grave et ceux qui gravement annonce l’effondrement, il y a de quoi se poser des questions. La vérité, encore une fois, est entre ces deux eaux. Oui, une dette en soi n’est jamais grave tant qu’on a les moyens de la rembourser. Oui, une dette est grave quand on a pas manière ou moyen de générer ce qui est dû et encore moins quand il n’y a plus de cash dans la poche. Ce qui est terrible, c’est que ce sont ceux qui ont fait exploser les compteurs qui ont œuvré à dévaster les moyens de s’en sortir. Incompétence ? Stupidité notoire ? Très haute trahison ? Corruption systémique prévalant sur la raison la plus élémentaire ? J’ai tenté d’expliquer au début du « quoi qu’il en coûte » la roublardise de la manœuvre. J’usais alors de la métaphore de l’argent pris dans ma poche, dont on me redonnait avec magnanimité une toute petite part en me disant qu’on m’avait dès lors sauvé de la ruine. J’ai pris conscience alors combien ces questions logiquement économiques ne parlent qu’à trop peu de personnes. Nous sommes un peuple, nous « les français », qui a été soigneusement déséduqué. Biberonné avec des mots comme la démocratie, la République, la Liberté, la fraternité, qui auront été vidés de leur sens réel pour ne représenter qu’un mode de vie consumériste et faussement idéal.

Très naïvement, j’ai pensé au début de la crise du COVID qui demeure un grand moment en soi, un traumatisme illustrant combien toute crise est source d’opportunités pour certains systèmes prédateurs, que c’était l’occasion de mettre un frein à l’hubrys avec l’accord et la concertation de tous. Le choix de l’argent magique, délirant de la part de celui qui s’en était défendu, aura défoncé les derniers bastions de ma candeur. Je n’ai pas la prétention de détenir la vérité parfaite, je me suis donc demandé si le choix se révélerait payant, à la longue. Si j’avais tort, si la corruption systémique n’était pas aussi terrible que je l’estimais. A l’arrivée, j’avais bel et bien tort, cette corruption, véritable rapacité organisée, est encore bien pire que je l’avais envisagé. Encore une fois, la volonté de parasitisme jusqu’à tuer l’organisme nourricier a démontré la névrose, c’est bien le mot, d’une minorité qui n’en a absolument rien à foutre de l’intérêt général.

Nous sommes entrés dans une période fascinante qui va voir s’affronter deux blocs, ceux qui possèdent et ceux qui sont exploités. Je ne fais pas ici dans la finesse, surtout que dans un proche avenir il est prévisible que ceux qui possèdent, surtout pas grand chose, soient exploités (coucou l’épargne, coucou les résidences secondaires !) mais comme toute possession n’est en soi qu’une croyance partagée et acceptée, le contrat va être pour les générations futures d’accepter d’être spoliées des richesses dont la jouissance est déterminée par la très relative légitimité de l’antécédence. Planter un drapeau avec « preums » ne suffit pas. Il faut aussi que celui qui arrive juste après accepte tout ce que le principe impose. Cette société de l’exploitation ne tient que par ça : la soumission à une prétention qui n’est en vérité que ça. Si encore, il y avait une sorte de répartition, une sorte de justice qui empêcherait les abus de l’accaparement, qui permettrait à chacun, raisonnablement, d’avoir son petit bout à soi, il serait possible d’imaginer que les choses s’améliorent. Mais non. Un peu de concentration, beaucoup de concentration : nos PME le sentent bien passer actuellement. Il en est ainsi des marchés qu’ils se partagent tant que tu as les coudes pour t’y promener : dès qu’on te coupe les bras, c’est déjà plus difficile.

Qu’arrive-t-il à un pays qui ne produit plus de richesses matérielles et concrètes pour se consacrer à l’abus de processus rentiers qui vampirisent les flux monétaires plutôt que les irriguer ? Qu’arrive-t-il à un pays qui est consciencieusement pillé et plombé par ce qu’il serait honnête de déterminer comme une véritable guerre économique, à bas bruit ? L’austérité et la rigueur sont encore deux beaux syllogismes qui sont agités comme des solutions à ce qui ne serait qu’un problème budgétaire, gestionnaire, alors qu’en vérité il n’est pas possible d’attendre de récolte d’une terre qui aura été méticuleusement pillée puis stérilisée.

Il y a de la panique, il y a une sorte d’hébétement, chez une élite qui constate que tout leur échappe. Il y a eu, un temps, de l’euphorie à voir comme il était facile d’influencer les candides, les naïfs, les stupides, les mous comme les apathiques (un vrai tour de passe passe). Il y a une fascination emprunte de dégoût en voyant les mêmes oser ne plus penser, ne plus agir, comme il est entendu, en promettant d’aller voter pour la bête immonde. Les médias réduits à des caisses de résonance jouent le jeu, tandis que leur crédibilité est mise à l’épreuve avec dureté. L’idée de la collaboration, la vilaine, revient dans nos psychés trop habituées à ne réagir et à ne penser qu’avec la parallèle de la seconde guerre mondiale. Beaucoup d’observateurs un brin sagaces osent remarquer qu’en France le travail n’a pas été bien fait, au moment où il fallait faire la part des choses, déterminer la responsabilité de certains, veiller à empêcher le retour de certains hubrys. Demain, nous allons fêter le Débarquement, l’opération Overlord en langage codé, traduction : Suzerain. 70 ans plus tard, devant ce qu’il reste de notre pays, est-il préférable d’avoir peur d’être traité de complotiste ou de con tout court pour ne pas constater ce que nous sommes devenus ?

Personnellement, je suis très impatient de voir les résultats de prochaines élections européennes pour voir si les pythies sondagières auront délivré de bons oracles ou encore réalisé un travail de bluff et de persuasion efficace avec le médiatique nudge marketing qui veut que je n’ai pas encore reçu, à trois jours du début du scrutin, les professions de foi. Jamais l’invisibilisation très volontaire, la théâtralisation, le déni démocratique, la validation ploutocratique (t’as pas d’argent t’existe pas) n’auront été aussi manifeste pour réduire le choix à ce qui n’est qu’un janus politique, à la fibre très clientéliste : la Majorité et RN. En alternative, impossible à totalement invisibiliser pour faute d’une popularité encore vive (reste la décrédibilisation et la diabolisation), la Gauche à la dérive avec un PS vestige et incarnation de ce qu’il aura toujours été, soit une gauche de classe moyenne ; et la LFI, honorable dans ses indignations mais dans le fond peu révolutionnaire avec une illusion de la réforme (encore) et l’idée saugrenue de pouvoir dompter la technocratie européenne (vu les affaires de corruption qui ont eu peu d’écho, ça promet). Pour le reste, une armée des ombres, qui à la manière des résistants de la seconde guerre, sont cachés et peu audibles (s’il venait à certain d’épouser leurs idées). Cependant, c’est bien dans ces volontés farouches que se trouvent peut-être notre salut, notamment avec le courant souverainiste, de gauche comme de droite, qui rêve d’une résistance à la déliquescence. Chiche que « souverainiste » remplace bientôt complotiste ?

Je suis quasiment sûr qu’il y aura un vote sanction, mais j’ai l’audace de penser que cette fois ce sera surtout la dénonciation d’une classe sociale déconnectée des besoins et des souffrances de ce qui compose l’essentiel du peuple. Si c’est le RN qui emporte la mise, comme tous les sondages l’annonce, ça permettra de faire la clarté sur le positionnement d’un parti qui reste purement réactionnaire avec la fragilité de n’avoir absolument aucune colonne vertébrale idéologique (le racisme suspecté n’en étant pas une). Que se passera-t-il du coté de la gauche ? Le travail médiatique va-t-il réussir à diaboliser et donc punir le bloc radical (LFI) en faisant qu’une gauche de droite nous refasse du hollandisme ? Ou au contraire, va-t-on assister à un rejet de cette vision née dans une France à la centralisation toujours et encore coupable avec un vote massif de ceux qui croient en l’universalisme et les vieilles idées marxistes ?

J’aimerais que plein de petites listes parviennent à placer des représentants. J’aimerais que toute la superficialité d’un système démocratique apparaisse avec la conscience d’une spoliation par ce qu’il serait commun de désigner comme une aristocratie technocratique (kratos kratos). Mais je suis aussi maintenant trop habitué à constater que notre peuple s’est résigné ou s’est converti aux fausses idoles en espérant, pour certains, en récupérer quelques miettes. Quoi qu’il arrive, quelque chose se passe. Un très grand et profond changement. Pas forcément une révolution, mais pour que celle-ci advienne, il faut toujours une phase de chaos, nécessaire pour se substituer à l’apathie tétanisante. On y va, tant bien que mal (enfin plutôt mal) et ça ne sera certainement pas une partie de plaisir, car personne ne sera épargné.

Logomachie

Une période compliquée, décadence oblige, et jamais cette guerre du mot, dont le titre de ce billet fait écho, n’aura autant pris d’ampleur dans ce qu’il convient de désigner comme le vaste champ du sophisme le plus pur. Quand j’évoque mon action en communication, j’aime souvent à préciser que le véritable terme serait la manipulation. Un terme qui possède une connotation très négative, bien qu’à mon sens la manipulation est tout aussi ambivalente que le reste. L’important demeure dans l’intention, le but poursuivi, et il est parfois plus rapide et plus adapté de guider quelqu’un dans la bonne voie plutôt que de lui expliquer le code de la route et lui faire pratiquer la conduite. Mais je ne serai pas non plus candide, si facilement candide, au point de dénier que la communication consiste en une vaste entreprise de manipulation dont les fins demeurent très libérales, même si c’est effleurer la litote avec un brin de légèreté. C’est étrange, à la fin, d’avoir connu ce destin professionnel juste parce que mon appétence à l’art et l’écriture m’en avait balisé la route. J’en garde de bons souvenirs, même si à présent je me sens chatouillé par des soucis d’éthique, voire d’éthos, qui régulièrement me font froncer les sourcils.

Il y a peu, je m’interrogeais à ce sujet, me demandant finalement ce que je pourrais bien faire à présent de la puissance de ces mots avec lesquels j’ai le don de jongler. Je me suis adonné à la rhétorique, et avec le temps j’ai eu mon lots de petites victoires. J’évite à présent les discussions trop animées, car contrairement à ce que certains croient, je n’aime pas dominer quand je pourrais convaincre. Je suis réellement fatigué par les disputes, pas par faiblesse de caractère ou usure des choses, juste que le fond me désespère. Rien de plus déprimant que de voir quelqu’un refuser de concéder quelques croyances, rien de plus décevant que de constater qu’il y a certaines limites qu’il n’est pas possible de franchir sans blesser ou humilier celui qui nous fait face. Nous vivons une triste époque, d’une violence verbale terrible, car les mots sont devenus des armes mentales, des balles morales, qui servent davantage à cribler les psychés qu’à les nourrir sainement.

Hier, un député s’en est pris à un autre en le traitant d’un nom d’animal qui a toujours symbolisé les bas instincts de l’être humain. En fond, un conflit terrible qui s’éternise avec son lot de massacres et de morts inutiles. J’ai écrit sur ce blog ma position à ce sujet, il y a quelques mois, et s’il faut le préciser, je déplore autant les victimes dans les deux camps que l’impossibilité d’une concorde. Je parle de camps, mais je me laisse abuser, moi aussi, par cette vision toujours binaire ou manichéenne des choses. Il y a des victimes et des bourreaux, les premières restants les jouets des seconds. Le camp du bien n’existe définitivement pas, il n’existera jamais tant que les actes révèlent la réalité de l’arbre qui en produit les fruits. Il est douloureux pour moi de constater à quel point, en quelques mots, avec un dosage savant de sophisme purement amoral, il est possible de justifier l’impardonnable. Il y a quelque chose de la psychopathie là-dedans, de la sociopathie même, quand les défendeurs de la vertu redéfinissent la violence comme un acte salutaire, voire pire, comme un acte de justice.

Une période, une époque, difficile, pour le dire plus simplement, moche. Un retour à la féodalité la plus violente dans un océan d’apathie. Le triomphe des escrocs qui jouissent que la majorité accepte que la parole et les armes de la justice soient à la disposition des plus forts. Le règne des nombres, avec constamment des études et des tableaux excel qui créent des vérités bien pratiques, quitte à s’arranger avec l’honnêteté la plus élémentaire. Tu n’as plus le droit de te sentir malheureux ou victime, tu dois reconnaître ton erreur voire ta condamnable inclination à te croire au centre de tout et à ne rien vraiment comprendre. J’écoute tous les jours des discours clairement hallucinés qui sont autant de syllogismes sans éclat. Tous les jours j’entends la petite querelle du bon mot, du juste mot, pour décrire l’horreur, pour l’attester, pour la contester aussi. Massacre, génocide, crime de guerre, acte terroriste, meurtre, assassinat, et son petit cortège d’euphémismes qui les camouflent : dégâts collatéraux, banalité de la guerre, triste sort de celui qui n’y était pour rien mais qui était là, victimes pas si innocentes que ça, à bien y regarder. Jamais les images n’auront été aussi claires, aussi nettes, aussi cruelles. Jamais les mots n’auront servi à laver le sang et la merde, jamais les valeurs les plus belles n’auront servi à justifier les choses les plus laides.

Il faut trouver des coupables, toujours. Ceux qui sont les plus impuissants et surtout les plus inaudibles, les plus silencieux, sont toujours aussi parfaits. Les pauvres, les démunis, les marginalisés du système, les oubliés de la mondialisation pour utiliser un aphorisme suintant le cynisme tranquille. Des pauvres gens, de toutes les religions, de toutes les origines, qui dans ce jeu brutal écope du rôle de victime. Il y a, toujours et encore, le triomphe de l’absurdité la plus totale dans tout ça, comme si la société humaine ne pouvait faire que ça à l’arrivée. Capables de donner du sens aux choses, nous sommes réduits à corrompre ce pouvoir pour en faire une machine à laver l’ignominie.

Une pensée pour les victimes, qu’elles soient juives, arabes, musulmanes, chrétiennes, asiatiques ou noires, tous ces adjectifs qui font oublier qu’il n’y a pas de races, juste une humanité, à la limite une espèce, qui devrait se faire corps dans une logique de saine fraternité. Nous sommes réduits à n’être qu’une masse « d’autres », une masse d’individus fragmentés, divisés, opposés, invités constamment à jouir de l’ego en faisant d’un monde commun notre petit monde à nous. Cette société moderne a inventé le supraconsommateur, l’individu qui ne perçoit le monde et tout ce qui le compose, notamment dans le domaine du vivant, que comme quelque chose à consommer, à consumer.

Et pendant que les commentaires sur des noms d’animaux suscitent l’indignation ou les quolibets, la guerre se poursuit, les morts s’accumulent. On nous dit que le conflit est importé ici… Ah bon ? Au contraire, je vois autour de moi des personnes conscientes de l’horreur de ce qui se passe, aucunement aussi manichéennes que les médias le racontent. Oui, il y a aussi ceux qui s’en foutent, parce qu’ils ne comprennent absolument pas les tenants et les aboutissants, et parce qu’ils sont autant déconnectés de ce qui se passe au proche Orient qu’en Nouvelle Calédonie.

Et les élections européennes qui se profilent pour nous faire croire à un enjeu démocratique qui camoufle la réalité d’une technocratie qui est tout sauf élue. Triste époque, décadence lente qui me rappelle les paroles d’une chanson de Julien Clerc et qui me fera une belle conclusion, montrant ce en quoi les mots sont le plus précieux soit la confection de la réconfortante poésie :

Comme une légende qui s’éteint, comme un grand peuple en décadence
Comme une chanson qui se meurt, comme la fin de l’espérance
Mon cœur volcan devenu vieux bat lentement la chamade
La lave tiède de tes yeux coule dans mes veines malades

Comme une armée de vaincus, l’ensemble sombre de mes gestes
Fait un vaisseau du temps perdu dans la mer morte qui me reste
Mon cœur volcan devenu vieux bat lentement la chamade
La lave tiède de tes yeux coule dans mes veines malades

Le coeur volcan : Paroliers : Etienne Roda-gil / Julien Clerc

Ataraxie

Ma fille, encore une fois, a échoué lamentablement le petit test culturel auquel je l’avais insidieusement soumise. Je lui ai demandé ce que signifiait le mot « ataraxie », ce à quoi elle me répondit, sans se démonter : une maladie oculaire (enfin j’adapte, elle n’a pas, comme moi, la passion de l’adjectif précis, de la saine perversion de l’acribologie). Alors que j’écris ces mots, et qu’elle les lit au-dessus de mon épaule, j’ai droit à cet anathème : « tu es le pire des papas ». Je sais, n’ayant jamais eu l’ambition de l’être, « papa », je n’ai toujours commis qu’une prétention au rôle. Il me revient, une fois, un échange pour le moins insolite où un triste sir m’avait traité de « fake », m’arrachant, bien malgré moi, un sourire teinté à la fois d’ironie et de sincère commisération. J’étais tenté de répondre que l’abus d’anglicisme empruntant à une culture web qui ne reflète qu’un conformisme à la médiocrité la plus facile n’était pas la démonstration d’une réelle capacité à l’analyse psychologique d’autrui, mais j’ai préféré opté pour ce que m’ont appris les choses du droit et de la justice… soit les vertus salutaires du silence. Grand bien m’en prit, par ailleurs.

Etre ou ne pas être, finalement, on en revient toujours à ça. J’ai deux enfants qui sont à présent deux adultes, et pourtant, pourtant, ils me traitent et me veulent toujours comme leur patriarche, tranchant les disputes, distribuant les bons points, félicitant ou déplorant, me refusant la facilité de n’être plus que le vieux con qui de toute manière ne comprend plus rien à rien. Ce soir, alors qu’il y avait de quoi, dans ma journée, me féliciter du bon patriarcat que j’avais (encore) involontairement incarné, je me suis demandé si j’arriverais un jour à cette fameuse ataraxie qui depuis toujours m’a semblé le Graal à atteindre.

La paix de l’esprit, la paix de l’âme, la paix tout court, en ce monde tourmenté, me semble une chimère de plus que je ne parviens pas à abandonner, tant elle est belle.

Parfois, quand me vient l’idée de moins en moins éloignée, de ma vieillesse, j’aime à m’imaginer dans la quiétude d’un grand jardin où je savoure la lumière du soleil et la beauté du règne végétal. Loin des conflits stériles, loin des fausses idoles, tentant de protéger ce qui reste des vertus et des idéaux qui m’auront passionnés, bien inutilement, toute mon existence. Il y a peu, une personne m’a fait le compliment de voir du panache dans les propos publics que j’avais eu, encore une fois, l’outrecuidance de commettre. J’adore le mot « panache », autant que j’aime le héros romancé de Rostand, mais je suis juste un exalté qui n’aura jamais cessé de vouloir ressentir la fièvre de vivre, de le signifier, de l’expérimenter. La trivialité d’un monde au matérialisme triomphant n’aura jamais de cesse de me combattre donc il me vient, à l’usure, l’envie de cette ataraxie qui induit l’abandon des vaines et stériles discordes. Quand j’étais jeune, on me traitait « d’éternel révolté ». Maintenant, je suis soit aigri soit perché, selon l’humeur cruelle ou montagnarde de mon jeune interlocuteur. Soit, l’aigre-perché est un chouette nom d’oiseau.

Alors que j’écris ces mots, j’écoute une autre exaltée exprimant sa vision romantique et pourtant réellement distordue de la réalité géopolitique. Je suis fatigué de ces gens qui défendent leur vieux monde comme s’il fallait le sauver. La réalité politique, celle qui a pour ambition de nous expliquer l’univers, la vie, les vaches, est tellement délirante, déconnectée du quotidien de chacun qu’il y a quelque chose de comique à constater l’ampleur du désastre. Cabrel, dans sa grande chanson, « la Corrida », le disait très facétieusement mais aussi très justement : « est-ce que le monde est sérieux ? » A vrai dire, il se prend surtout beaucoup trop au sérieux quand il nous raconte des conneries, la névrose de ces gens-là devient réellement de plus en plus effrayante, entre l’illumination et le fanatisme toujours louche.

Ataraxie, tu sonnes comme le nom d’un pays qu’il me serait bon de découvrir. Je laisse les Eldorado aux fils de pie, divers et variés, dont le cœur ne bat que pour ce qui brille et qui luit. Je te rêve verte, douce et silencieuse, ouverte aux symphonies paisibles des oiseaux qui ornent tes arbres et qui parsèment tes cieux. Je t’imagine avec quelques rares humains qui ont lu Prévert et qui ne dédaignent pas Victor Hugo, qui ont laissé leurs valises d’ego à la rade du petit port qui clôt le seul accès qui demeure vers un monde à jamais perdu.

Ataraxie, tu m’évoques le nom d’une maladie qui m’a pris il y a longtemps et qui m’oblige jour après jour à subir la violence d’un système dont la triste obsession est sa volontaire et méthodique auto-destruction. Les vains plaisirs dont les bons vins ne font plus que s’éventer ne parviennent plus à me sauver par leur douce ébriété. Est-ce toi que décrivait le désert d’Alceste ? Est-ce toi ce pays pour les vieux hommes dont pourtant des cinéastes récents ont vanté l’inexistence (Ah, que j’adore ce film !) ?

Ataraxie, tu sonnes comme le nom d’un vaccin qui n’aurait pas besoin de booster ni de propagande pour immuniser à la souffrance. Ataraxie, tu es mon cinquante au scrabble, même si j’aurais besoin d’un « a » ou d’un « e » pour espérer te placer. Ataraxie, tu es le nom de la fille que je n’aurais jamais, parce que dans le fond, ce serait cruel d’infliger ça à un individu vu le futur qu’on lui réserve. Ataraxie, je n’aurais plus qu’à t’affubler d’un « y » en conclusion pour faire de toi le titre parfait d’une oeuvre qui serait, naturellement, géniale, et de par l’anglophonie, usuellement universelle.

Allez, trève d’anataraxie, j’avais juste envie de défouler la plume, histoire de clore une journée de plus au pays des fous, en dédiant ce billet à ma fille chérie !

L’ensemencement des nuages

J’ai eu l’insigne déshonneur de travailler dans le sinistre domaine de la chimie, et l’anecdote à ce sujet fut ma propension à ne détenir aucun produit de cette entreprise à mon domicile. Quand j’essaie de comprendre les choix de ma vie professionnelle, je dois concéder que souvent je fus, comme la majorité d’entre nous, entraîné dans une logique absconse qui nous fait croire que l’important c’est l’acquisition d’un moyen de survivance aux dépens de nos valeurs et inspirations profondes. Je ressens un peu de honte à présent, une honte diffuse, que je me pardonne en me disant qu’il faut du temps pour y voir clair dans ce monde complètement vérolé par ce que j’appellerai la vieille mentalité européenne, pour ne pas dire, au vu du contexte actuel, européiste.

[/le HS habituel ou digression intempestive ]

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, fascinant, sociologique et historique, presque vertigineux, qui explique et clarifie la psychologie profonde de nos sociétés se décrivant, s’annonçant, se définissant, comme « occidentales ». Pour être bref, car en ce samedi matin pour le moins jaune (je m’expliquerai après), personnellement je comprends le monde moderne comme la poussée d’une mentalité européenne, c’est-à-dire issue des principaux pays de la vieille Europe… une mentalité qui va engendrer les Etats-Unis d’Amérique (une fédération et pas une nation), engendrer un colonialisme purement cupide et névrotique, deux putains de guerres dites mondiales (en cette idée très ethnocentriste que l’Europe est le monde), le nazisme, l’ultra-libéralisme et en accomplissement merveilleux un marché européen dont nous apprécions à présent tous les miracles qu’il nous procure. Non, je ne suis pas « woke », je ne serai jamais de gauche (et encore moins du centre ou de droite, même pas en marche arrière), je ne milite pour aucune cause (je serai davantage dans une vision holistique ; sinon que pour moi tout ne tient qu’à une logique du sparadrap), et je n’ai aucune envie de me battre contre ce que je représente symboliquement comme le mur de la connerie. J’estime encore, j’estime toujours, que le salut ne peut être que collectif… personnellement, comme je le répète à mes enfants, j’ai l’impression d’avoir été aliénés parmi des fous, sans espoir de sortir de l’asile qui est notre monde. Et il n’y a qu’à regarder la fin de Vol au dessus d’un nid de coucous pour comprendre comment ça va se finir.

[/fin du HS habituel ou digression intempestive ]

Ce matin, je me lève tranquillou, et comme souvent je vais sur la terrasse pour savourer mon petit café tout chaud, et là, je constate que le ciel, que tout, est recouvert d’un voile jaune. Encore à présent, alors qu’une heure s’est écoulée, tout ressemble à une mauvaise production filmique qui abuserait d’un filtre jaune pour donner un peu de cachet à une photogénie sans inspiration. J’ai une sainte horreur de ça au ciné, mais dans la vie c’est encore plus terrible. Hier soir, alors que j’allais chercher mon fils, j’avais déjà constaté que le soleil, étrangement, était moins brillant qu’à l’accoutumée, phénomène étrange qui a même poussé mon fils, un instant, à se demander s’il ne s’agissait pas de la lune. Ce matin, donc, continuité du phénomène, me poussant (à mon tour) à m’interroger sur les raisons potentielles, bien entendu rationnelles, physiques ou techniques qui pourraient provoquer un tel spectacle. J’ai bien cru voir, rapidement, l’impact d’une tempête quelque part dans le monde provoquant le we compliqué, météorologiquement parlant, que nous entamons, mais il y aussi l’évocation en mon for intérieur de ce qui est gracieusement baptisé sous l’expression « d’ensemencement du ciel » chez (ou dans le) wikipédia.

Donc ce matin, je suis allé faire un tour sur wikipédia, pour consulter un peu ce qui y était dit. Et là, l’émerveillement de constater les vieux ressorts de cet esprit européen qui se caractérise par l’abus de sophismes et autres syllogismes pour vendre l’invendable. Je me rappelle une discussion animée avec ma fille qui comme argument suprême m’avait sorti celui des fameuses études, nées d’esprits supérieurs, qui concèdent de vulgariser un peu de leur intelligence elle-aussi supérieure, pour expliquer aux singes pourquoi leurs bananes sont à la fois jaunes et bonnes. J’adore quand l’étude, généralement dans ses conclusions, utilise la formulation que « rien n’indique que » pour induire une vérité qui n’en est donc pas une (l’absence de preuves ne faisant pas preuve). Après cette courte introduction sur la manipulation par la savante formulation, je vous laisse apprécier ce court passage concernant la toxicologie (potentielle, hein ? Je ne voudrais pas sombrer dans l’ornière sordide du complotisme pour complaire à l’abruti zététicien) par l’iodure d’argent (utilisé comme levier chimique) – donc source copyright wikipédia :

En France, en 2013, l’ANELFA (association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques) indique (concernant les diffuseurs d’iodure d’argent dans les vignobles) « l’iodure d’argent ainsi disséminé ne représente aucun risque à ce niveau de concentration (1 000 fois inférieur au seuil critique de toxicité). En 2005, le gouvernement français a indiqué « aucune étude n’a été en mesure de démontrer un quelconque effet nocif. 

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Ce matin, en regardant le ciel, tout ça a composé un gros cumulonimbus mental qui m’a poussé à écrire ce petit article. Car en me demandant pourquoi tout était jaune, j’ai inclus normalement des causes physiques purement naturelles (du sable en altitude ? un dieu quelconque qui aurait utilisé un filtre de couleur sous son photoshop divin ?), puis m’est venu subrepticement la potentialité d’une nouvelle interaction humaine dans notre société qui joue avec la chimie en constatant très, trop souvent, à posteriori les conséquences de certaines utilisations. Sujet sensible, car le hasard (ou presque) a voulu que j’ai toujours eu les dents légèrement jaunes, ce qui n’a pas provoqué un complexe mais a quand même créé un léger sentiment d’injustice vu que je n’ai jamais fumé (ce dont me soupçonnais les autres quand j’étais jeune adulte) et bu du café sur le tard (dans la trentaine). La raison (qui finalement n’a rien à voir avec le hasard) ? L’utilisation d’antibiotiques à base de tetracycline qui ont ainsi coloré mes dents avant même que les définitives émergent. La vie m’a donc enseigné dans le dur, à chaque fois qu’un miroir me renvoie mon sourire, la connerie inhérente à cet abandon total aux vertus de la chimie. Cette même chimie qui guérit miraculeusement au fur et à mesure que des nouveaux cancers plus ou moins foudroyants émergent. Cette même chimie qui assassine des agriculteurs pour l’éternelle bonne cause de la productivité triomphante (et nécessaire à l’accumulation de brouzoufs, but suprême de notre humanité actuelle). Cette chimie qui est dans chaque chose ou presque qui est vendue dans les grandes surfaces, que ce soit au niveau des emballages ou du contenu. Cette chimie qui fait que nos meubles nous polluent la gueule chaque jour, demandant à mes petites plantes vertes dépolluantes des efforts dont je les remercie encore (hommages à mes pothos, ficus, et autres spathiphyllums).

Après, j’adore le jaune, j’écris tout ça sous ma reproduction du baiser de Klimt (sur lequel je pourrais gloser longuement) et en regardant par la fenêtre le joli parterre de pissenlits qui a survécu au passage récent du zélé jardinier qui a tout ratiboisé, mu par cette obsession étrange que rien ne dépasse. Simplement je l’apprécie à petite dose, de manière naturelle et parcimonieuse, comme la nature sait si bien le faire. Je suis trop vieux pour m’inquiéter de l’impact de cette entropie chimique, je suis mûr pour avoir à mon tour mon cancer et j’entre dans la fenêtre du tirage de révérence plus ou moins dans l’ordre des choses… mais j’ai peur des impacts de cette folie névrotique qui pousse, toujours pour des affaires de cupidité, pardon, financières, à griller les étapes. J’ai peur que des générations futures ne voient plus le jour se lever, clair et limpide, avec un vilain filtre jaune recouvrant tout, toujours, tout le temps. Je suis peut-être parano ce matin, peut-être défaitiste, peut-être pessimiste, mais l’hubris permanent qui règne sur nos sociétés décadentes ne me motive pas à changer d’état d’esprit. Il a fallu que des dents deviennent jaunes pour qu’on retire certains médicaments du marché… j’espère qu’il ne faudra pas constater que le ciel est vert pour que cesse la volonté mégalomane de dominer les nuages et la météo.

Il y a une vérité que je sais et qui pour moi n’est pas contestable : tout est système, tout fait système. Chaque modification, même infime, peut avoir des conséquences globales. Le nier, ne pas le comprendre, considérer ça avec légèreté, est une forme de stupidité conséquemment crasse. Pourtant, c’est ce que je constate chaque jour en écoutant les actualités, en entendant les déclarations d’idéologues illuminés (ou corrompus, au choix), sombres pyromanes t’expliquant avec la conviction profonde qu’un peu plus de napalm devrait finir par forclore l’incendie.

Bon WE de Pâques quand même, ne marchez pas trop sur des œufs ;-].