Ataraxie

Ma fille, encore une fois, a échoué lamentablement le petit test culturel auquel je l’avais insidieusement soumise. Je lui ai demandé ce que signifiait le mot « ataraxie », ce à quoi elle me répondit, sans se démonter : une maladie oculaire (enfin j’adapte, elle n’a pas, comme moi, la passion de l’adjectif précis, de la saine perversion de l’acribologie). Alors que j’écris ces mots, et qu’elle les lit au-dessus de mon épaule, j’ai droit à cet anathème : « tu es le pire des papas ». Je sais, n’ayant jamais eu l’ambition de l’être, « papa », je n’ai toujours commis qu’une prétention au rôle. Il me revient, une fois, un échange pour le moins insolite où un triste sir m’avait traité de « fake », m’arrachant, bien malgré moi, un sourire teinté à la fois d’ironie et de sincère commisération. J’étais tenté de répondre que l’abus d’anglicisme empruntant à une culture web qui ne reflète qu’un conformisme à la médiocrité la plus facile n’était pas la démonstration d’une réelle capacité à l’analyse psychologique d’autrui, mais j’ai préféré opté pour ce que m’ont appris les choses du droit et de la justice… soit les vertus salutaires du silence. Grand bien m’en prit, par ailleurs.

Etre ou ne pas être, finalement, on en revient toujours à ça. J’ai deux enfants qui sont à présent deux adultes, et pourtant, pourtant, ils me traitent et me veulent toujours comme leur patriarche, tranchant les disputes, distribuant les bons points, félicitant ou déplorant, me refusant la facilité de n’être plus que le vieux con qui de toute manière ne comprend plus rien à rien. Ce soir, alors qu’il y avait de quoi, dans ma journée, de quoi me féliciter du bon patriarcat que j’ai (encore) involontairement incarné, je me suis demandé si j’arriverais un jour à cette fameuse ataraxie qui depuis toujours m’a semblé le Graal à atteindre.

La paix de l’esprit, la paix de l’âme, la paix tout court, en ce monde tourmenté, me semble une chimère de plus que je ne parviens pas à abandonner, tant elle est belle.

Parfois, quand me vient l’idée de moins en moins éloignée, de ma vieillesse, j’aime à m’imaginer dans la quiétude d’un grand jardin où je savoure la lumière du soleil et la beauté du règne végétal. Loin des conflits stériles, loin des fausses idoles, tentant de protéger ce qui reste des vertus et des idéaux qui m’auront passionnés, bien inutilement, toute mon existence. Il y a peu, une personne m’a fait le compliment de voir du panache dans les propos publics que j’avais eu, encore une fois, l’outrecuidance de commettre. J’adore le mot « panache », autant que j’aime le héros romancé de Rostand, mais je suis juste un exalté qui n’aura jamais cessé de vouloir ressentir la fièvre de vivre, de le signifier, de l’expérimenter. La trivialité d’un monde au matérialisme triomphant n’aura jamais de cesse de me combattre donc il me vient, à l’usure, l’envie de cette ataraxie qui induit l’abandon des vaines et stériles discordes. Quand j’étais jeune, on me traite « d’éternel révolté ». Maintenant, je suis soit aigri soit perché, selon l’humeur cruelle ou montagnarde de mon jeune interlocuteur. Soit, l’aigre-perché est un chouette nom d’oiseau.

Alors que j’écris ces mots, j’écoute une autre exaltée exprimant sa vision romantique et pourtant réellement distordue de la réalité géopolitique. Je suis fatigué de ces gens qui défendent leur vieux monde comme s’il fallait le sauver. La réalité politique, celle qui a pour ambition de nous expliquer l’univers, la vie, les vaches, est tellement délirante, déconnectée du quotidien de chacun qu’il y a quelque chose de comique à constater l’ampleur du désastre. Cabrel, dans sa grande chanson, « la Corrida », le disait très facétieusement mais aussi très justement : « est-ce que le monde est sérieux ? » A vrai dire, il se prend surtout beaucoup trop au sérieux quand il nous raconte des conneries, la névrose de ces gens-là devient réellement de plus en plus effrayante, entre l’illumination et le fanatisme toujours louche.

Ataraxie, tu sonnes comme le nom d’un pays qu’il me serait bon de découvrir. Je laisse les Eldorado aux fils de pie, divers et variés, dont le cœur ne bat que pour ce qui brille et qui luit. Je te rêve verte, douce et silencieuse, ouverte aux symphonies paisibles des oiseaux qui ornent tes arbres et qui parsèment tes cieux. Je t’imagine avec quelques rares humains qui ont lu Prévert et qui ne dédaignent pas Victor Hugo, qui ont laissé leurs valises d’ego à la rade du petit port qui clôt le seul accès qui demeure vers un monde à jamais perdu.

Ataraxie, tu m’évoques le nom d’une maladie qui m’a pris il y a longtemps et qui m’oblige jour après jour à subir la violence d’un système dont la triste obsession est sa volontaire et méthodique auto-destruction. Les vains plaisirs dont les bons vins ne font plus que s’éventer ne parviennent plus à me sauver par leur douce ébriété. Est-ce toi que décrivait le désert d’Alceste ? Est-ce toi ce pays pour les vieux hommes dont pourtant des cinéastes récents ont vanté l’inexistence (Ah, que j’adore ce film !) ?

Ataraxie, tu sonnes comme le nom d’un vaccin qui n’aurait pas besoin de booster ni de propagande pour immuniser à la souffrance. Ataraxie, tu es mon cinquante au scrabble, même si j’aurais besoin d’un « a » ou d’un « e » pour espérer te placer. Ataraxie, tu es le nom de la fille que je n’aurais jamais, parce que dans le fond, ce serait cruel d’infliger ça à un individu vu le futur qu’on lui réserve. Ataraxie, je n’aurais plus qu’à t’affubler d’un « y » en conclusion pour faire de toi le titre parfait d’une oeuvre qui serait, naturellement, géniale, et de par l’anglophonie, usuellement universelle.

Allez, trève d’anataraxie, j’avais juste envie de défouler la plume, histoire de clore une journée de plus au pays des fous, en dédiant ce billet à ma fille chérie !

L’ensemencement des nuages

J’ai eu l’insigne déshonneur de travailler dans le sinistre domaine de la chimie, et l’anecdote à ce sujet fut ma propension à ne détenir aucun produit de cette entreprise à mon domicile. Quand j’essaie de comprendre les choix de ma vie professionnelle, je dois concéder que souvent je fus, comme la majorité d’entre nous, entraîné dans une logique absconse qui nous fait croire que l’important c’est l’acquisition d’un moyen de survivance aux dépens de nos valeurs et inspirations profondes. Je ressens un peu de honte à présent, une honte diffuse, que je me pardonne en me disant qu’il faut du temps pour y voir clair dans ce monde complètement vérolé par ce que j’appellerai la vieille mentalité européenne, pour ne pas dire, au vu du contexte actuel, européiste.

[/le HS habituel ou digression intempestive ]

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, fascinant, sociologique et historique, presque vertigineux, qui explique et clarifie la psychologie profonde de nos sociétés se décrivant, s’annonçant, se définissant, comme « occidentales ». Pour être bref, car en ce samedi matin pour le moins jaune (je m’expliquerai après), personnellement je comprends le monde moderne comme la poussée d’une mentalité européenne, c’est-à-dire issue des principaux pays de la vieille Europe… une mentalité qui va engendrer les Etats-Unis d’Amérique (une fédération et pas une nation), engendrer un colonialisme purement cupide et névrotique, deux putains de guerres dites mondiales (en cette idée très ethnocentriste que l’Europe est le monde), le nazisme, l’ultra-libéralisme et en accomplissement merveilleux un marché européen dont nous apprécions à présent tous les miracles qu’il nous procure. Non, je ne suis pas « woke », je ne serai jamais de gauche (et encore moins du centre ou de droite, même pas en marche arrière), je ne milite pour aucune cause (je serai davantage dans une vision holistique ; sinon que pour moi tout ne tient qu’à une logique du sparadrap), et je n’ai aucune envie de me battre contre ce que je représente symboliquement comme le mur de la connerie. J’estime encore, j’estime toujours, que le salut ne peut être que collectif… personnellement, comme je le répète à mes enfants, j’ai l’impression d’avoir été aliénés parmi des fous, sans espoir de sortir de l’asile qui est notre monde. Et il n’y a qu’à regarder la fin de Vol au dessus d’un nid de coucous pour comprendre comment ça va se finir.

[/fin du HS habituel ou digression intempestive ]

Ce matin, je me lève tranquillou, et comme souvent je vais sur la terrasse pour savourer mon petit café tout chaud, et là, je constate que le ciel, que tout, est recouvert d’un voile jaune. Encore à présent, alors qu’une heure s’est écoulée, tout ressemble à une mauvaise production filmique qui abuserait d’un filtre jaune pour donner un peu de cachet à une photogénie sans inspiration. J’ai une sainte horreur de ça au ciné, mais dans la vie c’est encore plus terrible. Hier soir, alors que j’allais chercher mon fils, j’avais déjà constaté que le soleil, étrangement, était moins brillant qu’à l’accoutumée, phénomène étrange qui a même poussé mon fils, un instant, à se demander s’il ne s’agissait pas de la lune. Ce matin, donc, continuité du phénomène, me poussant (à mon tour) à m’interroger sur les raisons potentielles, bien entendu rationnelles, physiques ou techniques qui pourraient provoquer un tel spectacle. J’ai bien cru voir, rapidement, l’impact d’une tempête quelque part dans le monde provoquant le we compliqué, météorologiquement parlant, que nous entamons, mais il y aussi l’évocation en mon for intérieur de ce qui est gracieusement baptisé sous l’expression « d’ensemencement du ciel » chez (ou dans le) wikipédia.

Donc ce matin, je suis allé faire un tour sur wikipédia, pour consulter un peu ce qui y était dit. Et là, l’émerveillement de constater les vieux ressorts de cet esprit européen qui se caractérise par l’abus de sophismes et autres syllogismes pour vendre l’invendable. Je me rappelle une discussion animée avec ma fille qui comme argument suprême m’avait sorti celui des fameuses études, nées d’esprits supérieurs, qui concèdent de vulgariser un peu de leur intelligence elle-aussi supérieure, pour expliquer aux singes pourquoi leurs bananes sont à la fois jaunes et bonnes. J’adore quand l’étude, généralement dans ses conclusions, utilise la formulation que « rien n’indique que » pour induire une vérité qui n’en est donc pas une (l’absence de preuves ne faisant pas preuve). Après cette courte introduction sur la manipulation par la savante formulation, je vous laisse apprécier ce court passage concernant la toxicologie (potentielle, hein ? Je ne voudrais pas sombrer dans l’ornière sordide du complotisme pour complaire à l’abruti zététicien) par l’iodure d’argent (utilisé comme levier chimique) – donc source copyright wikipédia :

En France, en 2013, l’ANELFA (association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques) indique (concernant les diffuseurs d’iodure d’argent dans les vignobles) « l’iodure d’argent ainsi disséminé ne représente aucun risque à ce niveau de concentration (1 000 fois inférieur au seuil critique de toxicité). En 2005, le gouvernement français a indiqué « aucune étude n’a été en mesure de démontrer un quelconque effet nocif. 

Source

Ce matin, en regardant le ciel, tout ça a composé un gros cumulonimbus mental qui m’a poussé à écrire ce petit article. Car en me demandant pourquoi tout était jaune, j’ai inclus normalement des causes physiques purement naturelles (du sable en altitude ? un dieu quelconque qui aurait utilisé un filtre de couleur sous son photoshop divin ?), puis m’est venu subrepticement la potentialité d’une nouvelle interaction humaine dans notre société qui joue avec la chimie en constatant très, trop souvent, à posteriori les conséquences de certaines utilisations. Sujet sensible, car le hasard (ou presque) a voulu que j’ai toujours eu les dents légèrement jaunes, ce qui n’a pas provoqué un complexe mais a quand même créé un léger sentiment d’injustice vu que je n’ai jamais fumé (ce dont me soupçonnais les autres quand j’étais jeune adulte) et bu du café sur le tard (dans la trentaine). La raison (qui finalement n’a rien à voir avec le hasard) ? L’utilisation d’antibiotiques à base de tetracycline qui ont ainsi coloré mes dents avant même que les définitives émergent. La vie m’a donc enseigné dans le dur, à chaque fois qu’un miroir me renvoie mon sourire, la connerie inhérente à cet abandon total aux vertus de la chimie. Cette même chimie qui guérit miraculeusement au fur et à mesure que des nouveaux cancers plus ou moins foudroyants émergent. Cette même chimie qui assassine des agriculteurs pour l’éternelle bonne cause de la productivité triomphante (et nécessaire à l’accumulation de brouzoufs, but suprême de notre humanité actuelle). Cette chimie qui est dans chaque chose ou presque qui est vendue dans les grandes surfaces, que ce soit au niveau des emballages ou du contenu. Cette chimie qui fait que nos meubles nous polluent la gueule chaque jour, demandant à mes petites plantes vertes dépolluantes des efforts dont je les remercie encore (hommages à mes pothos, ficus, et autres spathiphyllums).

Après, j’adore le jaune, j’écris tout ça sous ma reproduction du baiser de Klimt (sur lequel je pourrais gloser longuement) et en regardant par la fenêtre le joli parterre de pissenlits qui a survécu au passage récent du zélé jardinier qui a tout ratiboisé, mu par cette obsession étrange que rien ne dépasse. Simplement je l’apprécie à petite dose, de manière naturelle et parcimonieuse, comme la nature sait si bien le faire. Je suis trop vieux pour m’inquiéter de l’impact de cette entropie chimique, je suis mûr pour avoir à mon tour mon cancer et j’entre dans la fenêtre du tirage de révérence plus ou moins dans l’ordre des choses… mais j’ai peur des impacts de cette folie névrotique qui pousse, toujours pour des affaires de cupidité, pardon, financières, à griller les étapes. J’ai peur que des générations futures ne voient plus le jour se lever, clair et limpide, avec un vilain filtre jaune recouvrant tout, toujours, tout le temps. Je suis peut-être parano ce matin, peut-être défaitiste, peut-être pessimiste, mais l’hubris permanent qui règne sur nos sociétés décadentes ne me motive pas à changer d’état d’esprit. Il a fallu que des dents deviennent jaunes pour qu’on retire certains médicaments du marché… j’espère qu’il ne faudra pas constater que le ciel est vert pour que cesse la volonté mégalomane de dominer les nuages et la météo.

Il y a une vérité que je sais et qui pour moi n’est pas contestable : tout est système, tout fait système. Chaque modification, même infime, peut avoir des conséquences globales. Le nier, ne pas le comprendre, considérer ça avec légèreté, est une forme de stupidité conséquemment crasse. Pourtant, c’est ce que je constate chaque jour en écoutant les actualités, en entendant les déclarations d’idéologues illuminés (ou corrompus, au choix), sombres pyromanes t’expliquant avec la conviction profonde qu’un peu plus de napalm devrait finir par forclore l’incendie.

Bon WE de Pâques quand même, ne marchez pas trop sur des œufs ;-].

La répartition des prestations sociales en France

Bon, je dois bosser sur mon storyboard et les dialogues, mais j’ai commis l’erreur de mettre une radio en fond pour entendre une fois de plus que la responsabilité (un peu partagée quand même) du désastre économique actuel en France est (en résumé) en grande partie celle du peuple qui est un peu trop assisté (ça se voit un peu avec tous ces SUV qui circulent de partout, chanceux vainqueurs du miracle de la mondialisation).

Et si au lieu d’écouter les commères (qui nous ressassent que ce sont nous les grands responsables du désastre en louchant sur les pauvres, les démunis, les chômeurs pour expliquer à peu de frais les victimes expiatoires, on allait voir des statistiques sur la question ? Cet édito répétant encore la rengaine habituelle disant c’est encore le peuple et pas ses dirigeants qui sont fautifs, je me suis motivé à aller faire un tour sur Google avec les mots clés « statitiques répartition prestation sociales France » . J’ai débouché sur le site statitica.com, un site produit par des allemands ce qui ravira les europophiles germanomaniaques. Et donc, je suis tombé sur une page sur laquelle un petit diagramme circulaire nous apprend que les cibles habituelles citées plus haut représentent pour 2022 moins de 10% des prestations, sachant que dans ce segment le chômage est en fil de tête avec 4,8% (rappelons que l’assurance chômage se finance essentiellement par les cotisations des travailleurs – logiquement, à moins qu’il y ait une information que j’ignore, ça ne doit pas peser sur le budget de l’Etat, mais je peux pêcher avec ignorance. La CSG représentant la part de l’imposition assumée par l’Etat, elle est réalisée essentiellement sur les revenus d’activité et de remplacement…. donc les allocations chômage. Oui, Madame, c’est ça la France).

Le gros poste demeure la catégorie (je cite) « Vieillesse-Survie » avec 54,2% et « Santé » avec 37,5%. En résumé, et pour faire dans la même caricature que ces éditos en forme de discussions de comptoir (exemptant l’excellent Alexis Poulin qui fait un admirable travail de lutte contre ce type de doxa – découvrez d’urgence