Désinvolte

En ces temps de révolutions tranquilles
Tellement de cris et de bruits qui cognent
Tous ceux qui vous le donnent en mille
Tout en s’en mettant plein les pognes

Y a jamais eu autant de belles paroles
Et de grosses vessies faisant lanternes
En très grandes pompes ça caracole
Dans un paysage de plus en plus terne

Restons désinvoltes
Pas la peine d’aborder
Ces histoires de révoltes
Y a plus qu’à accorder
Le doux son de nos colts

En ces temps d’apocalypses lents
A l’horizon y a rien qui déboule
Tu peux continuer à fermer l’rang
Sans redouter le petit coup’d’boule

Y en a tellement qui y croit dur
Comme fer que tout peut revenir
Alors que l’odeur sous la dorure
C’est ce qui reste de leur avenir

Restons désinvoltes
Pas la peine d’évoquer
Ces besoins de récoltes
Y a qu’à révoquer
Le commerce des biscottes

Y a que la Terre qui fait révolution
Petit slow au milieu des astres
Sans qu’aucune considération
Mesure l’étendue du désastre

Les gens sont comme des météores
Perdus dans des courses folles
Agitant leur capes de matadors
Car dans le vent tout s’envole

Restons désinvoltes
Plus la peine d’imaginer
Ces fleurs qui virevoltent
Y a plus qu’à accepter
La décharge à 100 00O volts.

« écrit en attendant qu’arrive le bus de mon fils, traduisant mon état d’esprit car je déteste attendre ;-} »

Désaturation

Je suis allé voir le second volet de Dune de Denis Villeneuve, ne partageant pas l’enthousiasme aveugle de ma fille en trouvant le film très monochrome, d’une fadeur chromatique qui m’a poussé à m’interroger sur la potentielle déliquescence des bâtonnets de mes yeux fatigués. Une petite pensée pour une stagiaire que j’avais embauché, Clémentine, qui m’avait interpellé par rapport à la psychologie appliquée à la communication. Nous avions convenu de réaliser certaines expériences, et j’avais eu plaisir à constater, à mon grand dam, que certaines de ses assertions s’étaient révélées justes, comme cette fois quand, entre deux pubs, un simple changement de saturation sur un fond vert avait amélioré le score d’une publicité en print. Elle avait pris le temps de m’expliquer, alors, que les gens entre 40 et 55 ans étaient davantage séduits par des couleurs désaturées et autres tons pastels, ce qui s’était réalisé assez nettement. Oui, je sais, il n’est pas possible non plus de parler de réelle expérience établie dans des conditions pouvant réifier une potentielle vérité, mais je pensais vraiment que la pub ferait un bide – au contraire, elle a même un peu mieux marché qu’à l’ordinaire. Après, peut-être que je voulais que Clémentine ait raison, toujours dans une soif éperdue de sens, j’avais peut-être besoin alors d’en trouver dans des études et l’intérêt d’une personne à l’intellect aiguisé qui ne se suffisait pas de son très personnel sens du beau et de ses petites convictions esthétiques. Les métiers de l’image et de la communication demeurent une expérience intime et puissante sur les affres de la mesquinerie bourgeoise que tout professionnel endure à plus ou moins forte intensité.. Enfin, j’avais été éduqué sur l’existence des bâtonnets et leur rôle stratégique dans notre perception du monde.

Depuis Dune 2 (titre en soi assez comique), je teste ma vision en essayant de jauger si je souffre d’une inéluctable désaturation. Mon salon étant une jungle de plantes vertes, mes petites chéries, j’essaie de voir si les couleurs de leurs feuilles sont moins flamboyantes qu’à l’ordinaire. Et c’est pour le coup très difficile d’avoir un avis tranché sur la question. Comme toujours, condamné à l’enclos de la perception sans pouvoir changer vraiment de point de vue (au premier degré), je suis perplexe. Ce qui m’a poussé à écrire ce matin ce billet avec ce titre, car dans les faits je me demande si je ne vois pas le monde de plus en plus gris. La désaturation, chez moi, naît peut-être davantage d’une saturation. Le pire c’est que j’ai adopté un chat noir – heureusement que la nature a eu l’heureuse inspiration de le doter d’une paire de yeux émeraudes qui ne cessent de m’émerveiller à chaque instant que je les croise !

Saturation à cause de l’actualité. Après 50 ans de désindustrialisation intensive pour cause de financiarisation abusive, notre pays connaît le déclin inéluctable d’une nation qui continue de vivre sa tranquille trahison politique. Saturation à cause d’une l’idéologie nauséabonde qui me fait subir chaque jour un sophisme triomphant. Saturation à cause de tous les scandales qui émaillent notre société dont la corruption est devenue une réalité systémique. Saturation à cause du climat belliciste qui fait qu’hier j’entendais un professionnel de la mort de masse s’enthousiasmer sur la place de la France dans le commerce de l’armement. Petite pensée pour cette news dans laquelle des enfants maniaient des faux fusils doté de téléphone leur permettant de connaître les joies du shooting en milieu urbain grâce à la réalité augmentée, concept aussi abscons que l’intelligence artificielle. Saturation, aussi, de l’escroquerie d’une sémantique marketing qui s’insinue dans chaque pore d’un langage contaminé par l’ultra-libéralisme triomphant.

Ma fille a adoré Dune. En rentrant de la séance, je n’ai pas pu m’empêcher de tempérer son enthousiasme avec cette affaire de colorimétrie. Personnellement, je continue de penser qu’avec un poil plus de saturation dans ce désert gris, l’image aurait gagné en télégénie. J’ai toujours considéré cette inclination à la désaturation et à l’abus de pastellisation comme un travers d’un embourgeoisement que dévoile l’aliénation de la convention. Ah ! Cette bonne vieille teinte taupe qui faisait les beaux jours des devantures de certains magasins à la fin de la première décade de notre second millénaire. Quelle horreur que ce bordeaux marronnasse qu’on m’aura imposé tant de fois avec cet air faussement inspiré qui dissimule gauchement un bête mimétisme social ! Oui, je sais, l’abus de couleurs psychédéliques et survitaminées n’est pas non plus idoine. Soit. Mais entre les deux, n’y a-t-il pas un oasis dans lequel trouver une certaine et calme beauté ? La Joconde avec un peu moins de peps et ça deviendrait une grosse sauce de marrons noisettes qui ne ferait même pas un bon ersatz de Nutella. Je ne parle même pas de mon Delacroix adoré… que serait le Romantisme sans cet éclat fier de couleurs jetées comme des moments de colère ou d’humeurs prestement exaltés ?

Une fois encore, ce n’est que mon avis. Ma fille a adoré Dune 2 et ses images ternes… ou alors elle a adoré un film magnifique à l’image subtilement sobre et élégante. Paradoxalement, je ne pouvais m’empêcher de penser au Petit Prince et aux dunes colorées de Saint Exupéry. J’ai toujours considéré ce beau livre comme l’illustration d’un homme qui décrit la mort inéluctable de son enfant intérieur. Peut-être que j’essaie de protéger le mien en le laissant dans son désert coloré. Je deviens nostalgique des films de mon enfance, dans lesquels je revis une société toujours aussi bordélique mais qui transpire une envie, un désir, que je ne retrouve pas dans la frénésie suspecte des images d’aujourd’hui. Les couleurs sont vives, l’image transpire un naturel que les filtres d’aujourd’hui polluent un peu trop. En matière artistique, l’artifice s’ensuit souvent de l’artificiel. L’abus de procédés dévoile une tentation de camoufler le prosaïque tant abhorré. La volonté coupable de sublimer le banal en lui donnant la patine des clichés photographiques des magazines de mode.

Un truc qui me rassure quand même… c’est que je les trouve bien vertes mes petites plantes. C’est peut-être Dune 2 qui était par trop désaturé ? C’est sur cette note d’espoir fébrile que j’achèverai mon billet du jour avec un clin d’œil sur-batônnemisé.

Le légal, le moral, et les IA

HIer soir, ma fille m’a invité à une séance spéciale, car unique, d’un film adapté du manga Psycho-pass dont je ne connaissais que le premier épisode, découvert en sa compagnie il y a quelques années. Initialement, c’était un devoir de père de l’accompagner, mais à l’arrivée ce fut une excellente soirée à découvrir un très bon métrage. Je me moquais intérieurement de moi d’être resté sur mon Akira, meilleur métrage de l’animation japonaise, car à vrai dire si le chef d’oeuvre de Katsuhiro Otomo conserve sa superbe, il est à présent, malgré tout, marqué par certaines thématiques qui étaient alors en vogue… il y a peu, avec mon beau-frère, nous évoquions tous ces films des années 70-80 qui tournaient autour de la thématique des pouvoirs psychiques. Alors que je m’interrogeais sur la disparition de ce type d’intrigue, il m’a rétorqué très logiquement que les films de super-héros avaient complètement tué l’intérêt potentiel pour ce type de prouesse… et oui, l’emphase, l’hubrys, encore et toujours, qui tonnent et claironnent en commuant le son doux des choses délicates… J’aimais pourtant toutes ces intrigues faites d’individus particuliers suscitant la convoitise d’organisations plus ou moins obscures, toujours secrètes, et qui finissaient en bonne conclusion par faire la démonstration dantesque de leurs capacités. Furie de De Palma, Mai the Psychic Girl, l’échiquier du Mal de Dan Simmons, La grande Menace avec Richard Burton dont la VF me reste toujours comme une intense madeleine, Scanners, et donc Akira… Alors, la menace, la chose dont on attendait l’émergence comme sorte de grande (r)évolution à venir, c’était l’esprit humain, échappant au carcan du corps pour se sublimer, se transcender, dans une forme d’énergie cosmique, immanente, omnisciente.

Le film d’hier m’a plu mais il m’a aussi fait prendre conscience qu’à présent c’est bien à la machine qu’on voue cette sorte de culte étrange. Je constate, autour de moi, dans les médias, cette fascination pour ce qui désigné comme une « intelligence artificielle », nourrissant autant de craintes que de fantasmes. J’ai toujours été un homme profondément romantique, en cela que j’ai toujours été exalté et profondément rêveur. Le paradoxe c’est qu’on m’a souvent reproché ma froideur et ma distance, parfois même mon manque de cœur… J’ai juste le défaut de me méfier de mes émotions comme il est sage d’identifier avant toute chose sa propre nature. Qui fait l’ange fait la bête… De cette tension s’est nourri mon caractère qui fait que si j’adore, je n’idolâtre jamais… Si j’aime, je ne le fais jamais à moitié, je ne crois pas aux compromis, ces zones grisâtres qu’en ces temps ultra-libéraux certains veulent nous convaincre de l’utilité. Je ne transige pas avec la morale, je ne crois pas, à l’instar de la vérité ou de la justice, qu’on peut la transformer en un artefact narratif. Au petit matin, quand chacun de nous se réveille, c’est aussi le rappel de ces anges et ses démons qui composent la cour que nous formons au fil de nos vies. Les regrets, les remords, les actes manqués, les actes moches, nous font compagnie et nous escorte jusqu’au bout. Il est possible de trouver une manière de s’en accommoder, le déni et la corruption tacite sont des solutions très accessibles. Personnellement, j’essaie juste de consciencieusement éviter que le sérail s’agrandisse par trop. Et pour cela, la première règle c’est de ne pas se faire entraîner par autrui. Ne pas forcément « penser » comme ce que je désignerai les systèmes nous invitent à penser. Considérer les choses, c’est déjà les considérer en partant de soi. Le souci étant souvent que nous ne prenons pas le temps de réfléchir à la sémantique, à la signifiance de ce que nous regardons. Nous utilisons des expressions, des conventions, comme autant de « prêt-à-penser » qui dès leur acceptation, dès leur utilisation, nous entraînent dans des logiques perverses et transverses. C’est le cas, à mon sens pour les « IA », un acronyme qui dès le départ, à l’instar du mot « dieu », impose une identité et un ensemble de valeurs qui ne permettent pas de considérer le sujet dans la crudité de l’idée première. Car oui, le mot est une idée identifiée, habillée, vêtue et parée pour être manipulée à l’envi dans la maison de poupées qu’est le langage, qu’est la pensée.

HIer soir, donc, après le film, ma fille me demanda, curieuse, expectative, mes impressions… qui furent bien entendu positives et enthousiastes. Mais immédiatement, je lui confiais que je doutais que le public de ce genre de programme saisisse la portée philosophique du propos qui est, à mon sens, une réflexion au niveau systémique de l’ingérence de la technologie dans le fonctionnement des sociétés humaines. En bref, dans le film, des IA rendent plus ou moins obsolètes l’intervention humaine par une forme d’auto-gestion dont l’impartialité est à la mesure du caractère inhumain et mécaniques des mécanismes mis en oeuvre. Il y avait des propositions intéressantes sur l’idée des lois, sur la religiosité qui naît d’une adhésion au scientisme (à ne pas confondre avec la science tout court), sur la soumission à la technologie proportionnelle à notre démission à vouloir gérer nous-mêmes nos existences. Le paradoxe c’est que je compte très prochainement utiliser les IA actuels pour mon travail, ce que ma fille voit d’un très mauvais oeil. Elle a tenté alors de me clarifier son point de vue en m’expliquant que pour elle les IA menacent le statut de nombres de travailleurs, en premier lieu les artistes. J’ai tenté alors en retour de lui expliquer que le problème n’est pas l’outil, car les IA ne sont que ça, des outils, mais bien le fonctionnement et la philosophie des sociétés ultra-libérales qui deviennent la norme. Le souci n’est pas l’outil, ne sera jamais l’outil, mais bien la manière dont la richesse produite est redistribuée ou au contraire, accaparée.

A la fin du film, le personnage féminin principal commet un acte profondément christique, courageux, voire révolutionnaire. Je dois dire que ça m’a emballé comme m’avait emballé, il y a plus de 30 ans de cela, la fin de Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet. Ce moment charnière où un individu préfère son humanité, sa dignité, son intégrité, à la compromission qu’on lui propose. Je ne pense pas que ma fille ait mesuré l’invitation silencieuse à la révolte, je ne pense pas qu’elle ait discerné l’intelligence du propos… pas qu’elle en manque, au contraire, d’intelligence, à l’instar de ceux de sa génération… mais parce qu’elle est prise comme nous tous dans les rouages d’un systèmes qui ne nous donne pas le luxe de réfléchir vraiment, de considérer les choses dans leur ensemble. Le progrès dans le domaine des IA vient pourtant de nous forcer à faire ce boulot, au risque sinon de finir comme dans le métrage dans une société où mécaniquement tout est géré, et donc fourvoyé, perverti, par les maîtres mécaniciens. Étrange constat que nos sociétés, dénonçant constamment le manque grandissant d’humanité et de compassion dans les rapports humains comme sociaux, ne peuvent que se perdre dans ses promesses technologiques qui peu à peu, très insidieusement, échange la liberté contre le confort.

Comme un pacte avec le diable, c’est pourtant ce que nous sommes qui est en jeu. Il faut s’interroger sur le prix à payer, il faut considérer la duperie dans l’échange. Les IA ne seront que des outils si nous ne nous perdons pas dans une sacralisation excessive qui sert ceux qui veulent conserver le fonctionnement des systèmes à leurs bénéfices. Les IA seront nos maîtres si nous en faisons de nouveaux dieux, installant une théocratique technologique qui n’a besoin que de notre apathie et notre soumission tacite pour prospérer… dans tous les sens du terme.

La bande-annonce de l’excellent film vu hier, que je vous invite à découvrir :

Amour des Feintes

Triste nouvelle ce WE avec la disparition de Jane Birkin. Une occasion pour moi de lui rendre hommage en évoquant « ma » chanson française préférée, soit Amour des Feintes, chef-d’oeuvre du regretté Serge Gainsbourg. J’écoutais ce morceau la semaine dernière, version symphonique… en me disant que si c’est Jane Birkin qui chante c’est bien lui qui s’exprime, révélant beaucoup de l’homme qu’il était vraiment, derrière l’image chaotique qu’il affichait en permanence dans les médias. Un couple incroyable, des chansons sublimes, une personnalité foncièrement humaine et émouvante… Bye bye Jane B., tu resteras toujours une des plus chouettes icônes d’un passé chaque jour de plus en plus révolu…

Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Cartes en quinte
S’édifiant
Le palais d’un prince
Catalan
Amours des feintes
Seul un can-
Délabre scint-
Ille au vent
Où l’on emprunte
Des sentiments
Le labyrinthe
Obsédant
Et comme si de rien n’était
On joue à l’émotion
Entre un automne et un été
Mensonge par omission
Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Etrange crainte
En écoutant
Les douces plaintes
Du vent
Amours des feintes
Au présent
Et l’on s’éreinte
Hors du temps
Et pourtant maintes
Fois l’on tend
A se mainte-
Nir longtemps
Le temps ne peut-il s’arrêter
Au feu de nos passions
Il les consume sans pitié
Et c’est sans rémission
Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Couleur absinthe
Odeur du temps
Jamais ne serai
Comme avant
Amours des feintes
Au loin j’entends
Là-bas qui tinte
Le temps
De ces empreintes
De nos vingt ans
Ne restent que les teintes
D’antan
Qui peut être et avoir été
Je pose la question
Peut-être étais-je destinée
A rêver d’évasion.

Good-bye Ryūichi Sakamoto

Bon, on fait une petite partie chill de Core Keeper quand votre fils vous apprend que Ryūichi Sakamoto est mort.

Que dire sinon que je rends hommage à celui qui a bercé mes oreilles de tant de belles musiques depuis que j’ai pris connaissance de sa belle existence et de son grand ouvrage avec son joli rôle dans Furyo (avec l’immense David Bowie avec qui, depuis encore, je l’ai toujours associé dans ma mémoire).

J’aurais pu mettre Forbidden colors, qui reste un thème magnifique et magistral, ou celui de Wurthering Heights, mais je préfère en ce moment « citer » Amore, du moins tant que le lien Youtube marchera :

Allez, impossible d’y résister, j’adore tellement cette version « trio » de Forbidden colors :

Battu par chaos ?

Un des modules de ce site m’a rappelé violemment, hier, que ça faisait plus d’un mois que je ne m’étais pas connecté. Beaucoup de boulot, une névralgie cervico brachiale qui m’a bien pourri la vie et qui n’est pas totalement réglée, et bien entendu le contexte social, économique et politique qui accapare beaucoup de mon attention. Alors ce matin, avant de m’y mettre, petit exercice sain d’écriture et de réflexion sur cette période à la fois passionnante et inquiétante de notre présent démocratique.

Depuis presque trois décennies, j’essaie de faire un peu de pédagogie sur le concept de la démocratie. Durant des années, je ne suis pas allé voter, à cause d’une petite anecdote qui avait fait sens… Chirac s’était vanté de sa légitimité avec son score au second tour face à JM Le Pen, et j’avais été à la fois dégoûté et contrarié de tant de roublardise. Dès lors, j’ai considéré le vote dans une démocratie représentative comme une vaste entreprise manipulatoire. Ce qui était né il y a longtemps de mon instinct, primal, de défiance et d’irrévérence, a évolué par la suite avec la progression de mon capital culturel. J’avais il y a plus de 30 ans l’ambition de comprendre ce monde, je ne voulais pas me contenter des réponses toutes faites, des idées préconçues, des a priori(s), des certitudes qui font que la plupart d’entre nous déambulent dans ce monde en se heurtant aux parois de la caverne davantage qu’en arpentant un chemin lumineux. Maintenant, alors que je vais fêter mon quinquanniversaire, j’y vois plus clair avec l’amertume, souvent, de ne pouvoir partager ma vision des choses. Hier, en discutant avec un proche, je me suis encore tu, et je l’ai laissé me régurgiter la paquet confectionné par l’arsenal médiatique qui alimente un narratif totalement décalé par rapport à la terrible réalité. Je n’ai pas agi par condescendance, ni par suffisance, et encore moins par lâcheté. Simplement, il ne m’est pas possible de détricoter, au fil d’une discussion, le tissu complexe d’une perception du monde complètement faussée.

Mon père est mort l’été dernier, un homme particulier avec qui j’avais une relation particulière. Nous étions loin du cliché de la relation qui tient du mentorat… mon père était un homme inspirant mais sans instinct paternel. Une de mes premières actions de ma vie d’adulte fut de comprendre et pardonner mon père. Grâce à ma mère, qui était une femme d’une générosité et d’une miséricorde magnifiques, j’ai pu le faire. Sans ses révélations, sans sa capacité à me confier les failles et les fêlures de mon père, j’aurais peut-être fini par lui tenir rancune de son absence, de ses silences, de son indifférence, de son désintérêt. Celui que je suis s’est construit dans l’ombre gigantesque d’un homme vraiment exceptionnel, à la fois immense et fragile. Il était taiseux, mutique, froid, campé dans cette élégance un brin affectée qui’il a malheureusement perdu dans sa vieillesse difficile. Le plus ironique dans tout ça, c’est que mes proches, mes enfants notamment, ne supportent jamais mes silences. Ce qui est rare pour eux était mon quotidien avec mon père.

J’aimais mon père, mais dès mon plus jeune âge, j’ai pris le parti de ne jamais lui faire de reproches, surtout celui d’être un mauvais père. Et pour cause, il ne l’a pas été, car en bien des choses il aura été généreux et présent… la caractéristique d’une génération qui vivant l’opulence, remplaçait le temps et la disponibilité, l’attention et le don de soi, par l’argent. Avec mon père je n’ai jamais manqué de rien… avec mon père j’ai toujours manqué de lui.

Un an avant sa mort, alors que des gens manifestaient en masse, pacifiquement, pour dénoncer les dérives du passe sanitaire, j’avais à peine effleuré le sujet avec lui au téléphone, qu’il m’a renvoyé, hystérique, une imprécation définitive : « Mais tu ne vas pas soutenir ces irresponsables !? ». Fin de discussion, raccrochage, moment de solitude personnelle, celle que j’ai vécu tellement de fois en sa compagnie. Tous ceux qui ont voulu me comprendre devraient déjà percevoir chez moi l’immense tristesse qui est née de cette distance, insoluble et définitive, entre mon père et moi. J’ai appris à me taire, à cacher ma révolte et ma colère, même si elles ont toujours été présentes en moi. J’ai appris à les juguler et à en faire un force, une source d’énergie. Mais avec la condition de ne pas m’égarer dans de vaines querelles. Malgré tout, toujours me reste l’aigreur du silence, la sensation de fuite qui naît toujours dans la tempérance. Céder à la colère c’est souvent sombrer dans l’hubris… Se garder de l’excès c’est ressentir la frustration de l’inaction.

Ces dernières années, j’ai énormément travaillé, et je ne parle pas seulement de cette hystérie productiviste qui fait les beaux jours de la propagande actuelle. J’adore bosser, j’en ai besoin, et la stimulation d’un quelconque maître d’oeuvre qui se prétendrait vital pour compenser ma turpitude ne m’a jamais été nécessaire. Je sais ce que j’ai à faire, et quand je ne sais pas, je me lance quitte à affronter des moments d’incertitude voire de solitude. Mais je parle aussi d’un point de vue réflexif et culturel. J’ai pris conscience, il y a quelques années, que j’étais moi aussi tellement la tête dans le guidon, tellement encouragé à faire n’importe quoi, à accepter n’importe quoi, que je me perdais, lentement, doucement, mais sûrement. Pour toute personne, il y a celui (ou celle) qu’on veut devenir, et celle qu’on devient. Je n’ai jamais pu rentrer dans une case, pas par désir de distinction, pas par puéril volonté de me sentir meilleur ou différent des autres. Je ne pouvais pas le faire, tout simplement. J’aurais essayé, j’aurais fait d’énormes efforts. Toutes mes réussites et tous mes succès, souvent notables, ne m’ont laissé qu’une impression amère. La sensation du nonosse en échange de la servitude. La vraie vanité qui se nourrit du regard des autres, souvent compensée, presque heureusement, par la dénégation et le mépris de ceux qui me refusaient les trophées. Dans cette société de la compétition permanente, c’est un peu ça le subtil piège : tout étant fait de croyances, c’est celui qui incante le plus qui souvent l’emporte. Les fameuses apparences, la tension permanente entre la posture et l’imposture. Le narratif. Vivre en société tient à mes yeux beaucoup à ça : choisir de participer, ou non, au narratif. J’ai longtemps rêvé, souhaité, attendu, ce moment d’échanges et de dialogue autour de tous les sujets qui font la vie. Presque toujours, ça n’aura tourné qu’à l’invitation à partager (ou non, encore), des certitudes.

Je suis paradoxalement un homme très heureux. Je sais, le dire, l’écrire, le prétendre, ça sonne toujours comme une incantation, une bravade, une prétention, voire une vanité de plus. Mais j’insiste, je suis heureux. Parce que ce bonheur repose sur des choses simples, sur ma capacité à m’émerveiller, depuis mon enfance, sur des choses d’une simplicité, d’une trivialité, affolantes. Le chant des oiseaux, hier après-midi, pendant que je bossais. Mes deux chats qui chahutent et me font rire. Mes enfants qui n’en sont plus, et que je prends plaisir à voir maintenant mûrir. Le ciel bleu, les arbres, la culture, la beauté des êtres que je croise, la bonté que je sens en eux, l’humanité vibrante qui à la fois m’émeut et me désespère souvent. Je vieillis, la majorité des gens que j’aimais sont morts, et pourtant jamais je ne me suis senti aussi vivant et en paix avec moi-même. Alors souvent, j’écris un commentaire sur les réseaux sociaux, puis au moment de l’envoyer, je l’efface. Ce n’est pas de la fuite, ce n’est aucunement de la lâcheté, je peux fièrement dire que ce qui se passe maintenant, je l’avais exactement prédit et annoncé. Et alors ? Je n’ai même plus envie d’avoir raison, je veux juste ne plus me perdre dans des batailles et des conflits inutiles.

Le chaos actuel est consciencieusement organisé. Il y a plus d’un an, j’avais écrit dans un commentaire que tout système vertical ne peut s’appuyer, à terme, que sur le contrôle et la répression. Après, ce qui me semble le plus absurde dans tout ça, c’est l’idée que cela puisse suffire et surtout, perdurer. J’écoute les analyses, ceux qui psychologisent, ceux qui préconisent, ceux qui prophétisent, et souvent ce qui me frappe c’est la difficulté de prendre de la distance, de s’abstraire de ses propres certitudes. Je me suis toujours considéré comme un homme romantique, au sens le plus pur du terme (sans le réduire à une vignette de stratégie commerciale), et je suis frappé par la volonté des forces dominantes à maintenir le peuple dans l’enclos des émotions et surtout par l’acceptation de celui-ci à l’accepter voire le souhaiter. Ce jeu dangereux de la manipulation, quand tu t’appuies sur les réactions pour contrôler ton interlocuteur. Dangereux car l’émotion fait naître parfois l’excès, l’acte inconsidéré, le moment de folie.

D’où le point d’interrogation à la fin du titre de ce billet du premier avril 2023 : « Battu par chaos ? ». Reste à savoir qui le sera, car comme le dit ce proverbe que j’ai toujours aimé car si poétique : « qui sème le vent récolte la tempête ».

Et mon esprit facétieux, et ce moi intérieur goguenard qui me glisse alors que j’écris ces lignes, d’écouter « Comme un Ouragan » de Stéphanie (de Monac’).

Je vous l’ai dit, je suis bien malgré moi un homme heureux.

Le refuge de la culture

Ce matin, réveil confus et grand vent. Pour ma nature un brin hyperactive, c’est étonnant l’hébétement, ça me plonge toujours dans une longue introspection afin de comprendre les raisons de la torpeur. J’allume la télé, réflexe d’habitus se rappelant d’un temps où ma mère allumait dès le réveil la radio. Je n’ai jamais vécu dans le silence en état de veille, il y a toujours eu du bruit, en fond, pour chasser du vide par la présence du son. Je tombe sur les recommandations de vidéo de Youtube, qui a beaucoup de mal à me profiler quelque chose de viable car à vrai dire je regarde beaucoup de chaînes sans vraiment adhérer à quoi que ce soit. Dans le tas, je découvre la dernière création de Planète Raw, qui évoque la découverte d’une ville disparue aux alentours de Jérusalem remontant à – 10 000 ans avant JC. J’aime bien l’auteur de cette chaîne, car je me sens très proche de lui par rapport à la doxa sur l’archéologie. Si je reconnais humblement l’autorité des chercheurs de la discipline, je connais assez bien la nature humaine et la tentation du dogmatisme pour me méfier, un peu, des certitudes. Une attitude exigeante pour soi-même, car récuser les certitudes des experts c’est aussi admettre sa propre disqualification en tant qu’amateur. Un avis ou une opinion sont choses personnelles, mais c’est aussi la clôture du royaume de l’individualité. En ces temps où s’imposent constamment des vérités temporaires mais indiscutables avec la menace du couperet ignominieux de la dissidence (j’aime faire des phrases pompeuses et « soutenues » comme le disent mes enfants le dimanche matin au réveil), cette réflexion me frappe. Mais je me rassure aussitôt, me rappelant la fonction purement et illogiquement personnelle de ce blog qui reste et demeure un journal intime à ciel ouvert. Des fois je me dis que certains peuvent tomber dessus et lire mes divagations. Il apparaît sur mon CV, cet état civil officiel qui rappelle le parcours glorieux du travailleur combattant dans la grande scène du libéralisme triomphant. C’est amusant comme même la valeur d’autrui peut se limiter à une énonciation de faits, comme s’il était possible de discerner le caractère et les compétences d’une personne (mot toujours aussi ironique en soi) sur un inventaire chronologique. Je me rappelle, il y a quelques années, cet échange improbable avec un recruteur qui s’amusait de voir que dans mes loisirs j’avais osé mettre « littérature et cinéma ». Il se gausse, ricane, et me déclare que tout le monde met ça, induisant au passage que c’est du bluff (et que ça dénote de ma part une sorte de vide, car pour n’avoir pas spécifié le bondage ou la collection de petites voitures, je dois être bien fade au quotidien). Je l’assure de ma prétention et lui permet de tester ma (petite) culture dans les deux domaines, gentil défi qu’il n’acceptera pas. Peut-être, me dis-je, avec ce blog au style si peu « web » et à la volonté si peu « commerciale », trouverais-je en un juge sagace la preuve qui me libérera de la sempiternelle justification, passage obligé de cette société où le mensonge est devenu une norme, le pouvoir en étant la relative force de persuasion et d’acceptation. On ne dispute pas les mensonges des élites, on se dit qu’ils ont leurs raisons et qu’après tout, c’est pour notre bien. Oui, du déni et de l’obéissance comme nouvelle philosophie c’est pas mal aussi.

Retombant sur mes pattes comme le chat de ma fille squattant mon canapé comme chaque matin, je reviens donc au sujet de ce billet, la culture comme refuge. Après Planète Raw, je zappe rapidement entre révolte ou soumission au Passe Vaccinale, les petites évolutions de la campagne présidentielle, une petite vidéo qui m’explique comment me face lifter avec du maquillage (Google, tu es sûr que tu as vu ça dans mes recherches ? Où alors dans ton algo tu as mis mon âge avec dans l’équation l’angoisse du passage du temps et les lents ravages de la gravité ?), du cinéma, de la musique, du jeu vidéo, et un truc qui m’étonne un peu (parfois on se demande si Google n’espionne pas un peu avec le micro mdr), les « petits secrets du miel industriel ». Puis je me rappelle qu’il y a quelques jours j’ai fait une recherche pour comprendre pourquoi mon miel avait commencé à se durcir, phénomène attestant, apparemment, de sa qualité d’élément « vivant ». Bon, c’est de bonne guerre Google, je ne t’en veux pas de regarder un peu au-dessus de mon épaule, n’oublions pas la « gratuité » de tes services si précieux. En bref, je m’use à muser sans m’amuser, et je me retrouve, pantelant, encore hagard (après l’hébétude la confusion), à me demander en quoi me plonger en ce dimanche matin de perdition morale et intellectuelle (il faut toujours mettre un peu de lyrisme dans sa vie). Je vois mon providentiel Chromebook (tu vois Google que je t’aime) et je le déploie comme les ailes d’un ange gardien électronique (adjectif qui se kitschise à grande vitesse donc je l’aime bien du coup) pour me sauver (un peu). Et je tombe sur une recherche faite il y a quelques jours, pour mon travail de créatif/artiste que je n’aborderai jamais ici (la schizophrénie professionnelle obéit à quelques règles bien strictes), concernant un poète que mon grand-père maternel citait souvent avec l’emphase élégante et savoureuse qu’il aimait adopter quand il citait des vers ou une citation bien amenée. josé-Maria de HEREDIA. Il y a presque 30 ans (mon âge ou presque, à quelques mois près), je me suis donné un petit but, une petite routine, que j’ai respecté peu ou prou : chaque jour, assimiler une nouvelle information. N’y voyez pas une pulsion à l’ambition démesurée, pour moi ça pouvait se limiter à un simple mot jusqu’à l’apprentissage complexe d’une alchimie culinaire (ou recette de cuisine pour faire, un tantinet, dans la simplicité). Avec le temps, l’air de rien, cette petite décision a quand même eu des conséquences surprenantes. Par exemple, celle de découvrir ce poète d’origine cubaine, que par manque de curiosité, j’avais classé dans un obscur placard de références biaisées. Pour moi, c’était un poète espagnol, du 16ème siècle (mon grand-père citait toujours des vers des « Conquistadors », ce qui automatiquement, par déduction géniale, me l’avait rendu contemporain de Christophe Colomb et la découverte des Amériques – tiens, je vais m’écouter rapido Joe Dassin après ce billet, ça me fera une madeleine de quelques minutes), et vu que j’aime Victor Hugo qui sera définitivement le poète classique dont l’adoration déclasse immédiatement tous les autres dans la colonne des amateurs, je n’avais jamais pris le temps de me pencher davantage sur la question. Mais pour le boulot, donc, j’ai fait une recherche, et j’ai eu la terrible surprise de tomber sur un autre poème dont la beauté m’a quelque peu interrogé. Ce ne fut pas une interrogation violente et si brutale qu’elle vous entraîne dans une exaltation subite. Comme souvent chez moi, ce fut une lente sédimentation, un peu comme une graine plantée qui pousse dans un coin obscure de la psyché, se transformant en tronc d’arbre que vous prenez en pleine poire un dimanche matin en vous demandant comment ce truc a pu pousser si vite. Je me rends donc sur Wikipédia qui, quoi qu’en disent les contempteurs faciles, reste une source d’informations vitale et précieuse dans cette vaste toile de copypaste fallacieux (je crains plus les copypasta que les creepypasta… ok, j’arrête l’humour ce matin, promis !), et je découvre un homme au parcours étrange et bien loin du portrait que j’avais hardiment créé. J’ai ouvert la porte de la culture, pas celle qui fait raidir le petit doigt en prenant le thé, celle qui vous démontre toute la richesse d’un monde qui vibre d’individus, d’anonymes, source de joie et de beauté. En ces temps tristes et moroses aux constants refrains d’idéologie libérale sur le déclin, la culture demeure l’oasis éternel où retrouver un peu de foi, d’inspiration, de joie et de plaisir. Etant passionné par l’information, plus par nature que par choix, je sais la différence entre une donnée et une pensée. Il n’est rien de plus agréable que de lire un poème, un dimanche matin, de se laisser emporter quelques secondes dorées dans le verbe d’un homme qui a vécu et laissé ces quelques mots comme autant de pépites éternelles, dans la vaste étendue du dévorant et toujours grandissant oubli.

Du refuge de la culture. Et de l’écriture, ça fait du bien.

Les sermons de minuit sur Netflix

Quand je suis sur une plateforme de SVOD je suis tour à tour perplexe, confus, puis découragé. Pourquoi ? Car la visualisation, par vignettes, des « produits » culturels, ne me procure que de l’image là où j’attends du sens, du conseil, du résumé, en bref, de quoi savoir ce dans quoi je m’apprête à me lancer. Je surfais donc nonchalamment ces jours derniers, quand je vis ce titre à la vignette peu inspirante. En cliquant un instant je vis quelques noms magiques ; d’abord celui de Mike Flanagan, puis celui de Stephen King. J’ai un grand regret en ce début d’année, de ne pas avoir vu Doctor Sleep que beaucoup de critiques ont fini par consensus à saluer, juste parce que j’ai encore commis l’erreur de me faire attiédir par une impression partisane avant la sortie du film (du genre « après Kubrick, c’est mort ») et parce que j’ai le réflexe, depuis l’adolescence, de me défier de tout ce qui est trop populaire/populiste… deux attitudes qui ont retardé souvent ma découverte de purs chef-d’oeuvres, bien que durant très longtemps, les préconisations de la revue Madmovies furent une boussole solide. Je trouve à présent, et de manière générale, dans la presse mais aussi sur le web, que la subjectivité prend trop de place – même si le fait d’apprécier une oeuvre doit compter, la reconnaissance de ses valeurs intrinsèques comptent également ; un bon critique ne doit pas dire s’il a aimé un film, mais s’il est possible que le récepteur de son avis puisse l’aimer, en énumérant les qualités visibles, les thématiques, les originalités, etc. Me vient l’exemple de la critique récente d’un film qui ne l’est pas, par ce cher Simon, Jupiter ascending, sur Youtube. J’ai commencé à écrire un commentaire argumentant mon propre point de vue, et finalement je ne l’ai pas publié (pourtant il faisait trois pages, comme tous mes commentaires par ailleurs – que voulez-vous, j’aime écrire, j’aurais beau le répéter il y en aura toujours qui ignoreront cette logorrhée fulgurante qui me caractérise à la vie comme à la scène). La raison étant qu’au moment de valider l’envoi de mon opinion (toujours) éclairée (par une supernova, au moins), je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idée, finalement, d’intervenir dans une exercice de célébration que je trouve un peu pervers (que je qualifierai avec un brin de facétie de réhabilitation par excès de ferveur personnelle). J’ai une philosophie (parmi une pléthore), qui est de ne jamais gâcher le plaisir d’autrui ; si je n’aime pas quelque chose, si je suis d’avis contraire, tant qu’il n’y a pas un discours politique ou idéologique, mon réflexe est de fermer ma grande gueule et ne pas parasiter le bonheur des autres. Ce n’est même pas de la tolérance, quel vilain mot, c’est juste qu’un tout petit pas vers la sagesse élémentaire que d’avoir conscience que notre individualité n’est pas une référence… enfin, je ne me perdrais pas encore dans les ramifications de mes digressions, il suffit de voir un chef d’oeuvre comme le Goût des autres de Jaoui/Bacri pour s’éduquer un peu sur la question.

Mais, et c’est le lien avec ma digression, je n’ai rien vu passer sur les Sermonts de minuit. Rien dans le Mad Movies du mois dernier, rien sur Youtube, alors que pour les deux séries Haunting y avait quand même pas mal de monde pour commenter, encourager, plébisciter ou contester. Mais là, rien, plein feux sur Matrix 4, plein feux sur Spiderman, mais que dalle sur la nouvelle production/réalisation de Mike Flanagan. Un peu surpris, beaucoup curieux, j’ai lancé la mini-série, et là un petit bijou, encore (j’ai adoré les deux saisons de the Haunting), avec une intrigue très « kingienne » (petite bourgade ricaine, suite de petits portraits typiques, plein d’anti-héros masculins, des femmes fortes (oui, King n’a pas attendu le néo féminisme pour faire de magnifiques héroïnes), des figures religieuses), en bref, c’est plein d’humanité, d’émotions, magnifiquement mises en images par Flanagan, bien joué par des acteurs parfaits (syndrôme American Horror Story, avec le retour de certains acteurs de the Haunting (1 & 2)… en bref je me régale et je me bingwatch le tout (en trichant pour fêter le 31 et dormir un peu mais j’ai fini ce matin au réveil) et là ce qui me frappe, c’est la raison pour laquelle il y a cet étrange silence autour de la série. L’analogie avec ce qui passe avec le/la covid, le vaccin, le passe sanitaire… quand on voit que l’intrigue, finalement, nous parle d’une croyance détournée pour imposer à une communauté des certitudes qui finissent par la détruire… je me doute que ça devient politique sans le vouloir !

Pourtant, il faut regarder la série en se libérant de tout ce climat anxiogène. Il est question de foi, il y a une très intelligente réflexion sur les religions et notamment un passage où le shérif de confession islamiste, fait la promotion de sa foi sans nier celle des autres ! Ce qui me rappelle mes échanges avec des amis musulmans, il y a quelques années, quand je leur avais demandé pourquoi ils étaient devenus musulmans (l’un était arabe, ingénieur, l’autre d’origine française, converti) ; le premier m’avait répondu que comme pour un programme (il était ingénieur en informatique) il avait choisi la version la plus récente (!) et l’autre m’avait confié, de manière énigmatique et stimulante qu’il y avait des vérités cachées (codées) dans le Coran. Etant profondément laïc, je suis paradoxalement pour la totale liberté religieuse. Il faut créer au sein de nos espaces publics ces dialogues autour des croyances, sans les imposer, sans en faire la promotion. Même quelqu’un de profondément athée ne doit pas imposer sa certitude et finalement un certain fanatisme (comme si ne croire en rien était une preuve d’intelligence). La série présente ces thématiques de manière humaniste et brillante, car si au prime abord on pourrait interpréter le récit et sa résolution comme une charge contre la foi, elle est surtout la dénonciation des certitudes par la religion.

J’ai été personnellement très touché par la conclusion de la mini série en sept épisodes, que j’ai trouvé belle, très réussie, poétique, symbolique, puissante. Ma réflexion, proférée à voix haute (oui, je suis fou comme disait ma défunte maman, je parle souvent tout seul) c’est que j’adore les ténèbres mais jamais je ne pourrais me passer de la lumière du jour. Tous ces personnages, à la fin, qui se tournent vers le soleil, comme présence divine symbolique, procurent à l’histoire une dimension mythologique. La thématique de la lumière, sa perception, est par ailleurs poétiquement illustrée et finement traitée.

Bon, bonne année 2022 (j’ai failli oublié, mais parler de soleil vient de me rappeler que tout ça clôt une pleine révolution autour de son auguste personne) et n’hésitez pas à voir cette série, elle est juste stimulante, un nouveau coup de maître de la part de Mike Flanagan qui réussit vraiment à saisir l’essence des oeuvres du grand King.

Le syndrome de la Tour de Babel

Je me suis réabonné à Netflix. Après, j’ai été un des premiers abonnés. J’ai tout de même 4 chromecast à la maison, dont 3 maintenant qui sont stockés dans la réserve du matos informatique que je me suis constitué depuis 20 ans. Mais je suis passé il y a un peu plus de deux ans à ce petit bijou de Nvidia Shield qui me sert de caster à tout faire (Netflix, Prime, Youtube, Steam, etc.).
Bref, je me suis réabonné à Netflix. J’ai des petits coups de nerf parfois, je suis de ceux qui prennent des mesures radicales et un peu brutales quand ça me gonfle. Là c’était un film inepte (mais alors à un point), où on voyait un jeune couple emménager dans une maison pour régler des petits problèmes d’adultères (sic) provoqués par des petits comportements dysfontionnels (sic) eux-mêmes causés par des petits comportements moralement odieux (sic) faisant l’écho à tous les problèmes de l’humanité car dans la dite maison la même histoire avait presque déjà eu lieu (sic sic sic). Ecrit comme une suite de clichés et d’archétypes confinant presque à la blague lourde (perso j’aurai appelé le film « la valse des égocentriques »), le coup de grâce d’Aftermath (c’est le titre du truc : « Conséquence » en français, donc… oui, il y a un peu de philosophie de comptoir là, après c’est juste du fait divers sensationnaliste, ne rêvez pas) résidait dans sa conclusion qui se permettait, l’air de rien, une petite déclaration politique bien vacharde. Encore en bref, il y avait cette dureté pragmatique qu’on bouffe actuellement de partout de la part de tous ces gens qui savent comment régler les problèmes (notamment avec les « intrus » qui violent notre territoire). Qui savent comment traiter tous ceux qui nous empêchent de vivre notre petit bonheur matérialiste avec leurs drames à la con et leurs pathétiques destins d’inadaptés sociaux. Là, j’ai senti que les auteurs et Netflix me disaient sans prendre de gants que je n’étais plus la cible. Trop vieux, trop idéaliste, trop humaniste peut-être… ou alors plus jeune, pas assez cynique, pas assez dur peut-être. J’ai trouvé les « héros » odieux (mais c’est quoi ces gens qui pensent régler des histoires de trahisons en s’achetant une baraque ?!), invraisemblables (« l’héroïne » immensément talentueuse avec son atelier mode) et vertigineusement creux (à la fin on vend la baraque, comme ça plus de névroses et de soucis). Un film poubelle, un film miroir d’un certain état d’esprit, avec un discours à la fois antisociale et anxiogène… qui m’a motivé à me désabonner comme une grosse goutte d’eau splotchant dans un vase déjà trop plein.

Puis, j’ai vu passer les critiques ciné de « Don’t look up » un peu partout. Des bonnes, des qui te poussent à remettre en question tes grands serments, qui te font philosopher sur l’extrémisme du mot « jamais », qui te chuchotent à l’oreille que y a que les cons qui changent pas d’avis… et même si tu sais que es perdu pour la cause car tu n’as plus d’illusions sur toi-même, petite chose humaine perdue parmi une pléthore d’autres petites choses humaines, tu finis le dimanche soir à repartir pour un tour, histoire de voir un film au prix d’une place de ciné (puis ils m’ont tous saoulé avec Squid Game, et après deux ans d’attentes j’ai vu qu’il y avait de nouveaux épisodes de Jojo’s). Et j’ai vu le film. Et avant de me mettre au boulot (je piaffe d’impatience après tous ces mois de labeur incessant), ce matin je me lève et j’écoute la critique sur la chaîne Youtube de France Culture. Et donc ça me motive à balancer à la volée ma propre impression.

J’ai un cerveau étrange, une sorte d’organisme indépendant qui vit sa propre vie. Donc, je regardais la critique (avec le son, hein, ne commencez pas à dire que je faisais preuve d’inattention), quand une petite musique a commencé à résonner (j’adore toujours l’homonymie avec « raisonner ») dans mon crâne, devenant un petit peu entêtante alors que j’entamais mon deuxième café. M’attardant un instant à identifier la mélodie trublionne, je me rendis compte, effaré (j’ai envie de sortir plein de termes décalés ce matin, c’est mon coté facétieux qui se déchaîne), qu’il s’agissait de « Land of Confusion » de Genesis.

Petite madeleine de Proust surprise : on est en 1986, et je vais m’acheter le 33 tours du dernier album de Genesis, « Invisible Touch ». J’aime tellement cet album que je n’hésiterai pas à l’offrir, quelques mois plus tard, à un copain pour son anniversaire. Un petit bijou, il m’arrive encore d’écouter souvent le morceau « In too deep » que je viens par ailleurs de remettre en fond sonore avant d’achever cette phrase . Mais ce matin, c’était le morceau précédemment cité qui m’était venu en « commentaire », « Land of confusion ».

A ce moment précis de ce billet intempestif, je suis à la croisée des intentions et des sensations. Je regarde l’heure et je me dis qu’il serait peut-être temps de m’y mettre (au boulot), enfin si je veux accomplir la tâche de la journée (baptisée pragmatiquement « faire le fond des cases »). Je me dis que j’ai déjà écrit beaucoup, ce qui n’est pas un souci en soi, mais qui ne mène à rien dans cette idée d’un lectorat souffrant d’un déficit permanent d’attention et donc d’intérêt (φ(k) = At), et que finalement la pirouette stylistique et critique pourrait s’accomplir, non sans brio, en explicitant le titre de ce billet et en expliquant la référence musicale. Dont acte, je vous ai déjà donné tous les gages de mon génie et la profondeur de mes références culturelles. Comme je l’explique régulièrement à ma fille, elle-même dans la « com’ », « interroges-toi toujours sur l’intention ! » – et vous, esthète de la forme, contemplez cette savante utilisation des guillemets français et anglais dans une même phrase).

Dont acte : Don’t look up est dans la lignée du titre de Genesis (paroles + clip : souvenir de l’émission Spitting Images qui étaient la version enragée des Guignols de l’info outre atlantique) la démonstration du syndrome de la Tour de Babel. Où quand une volonté supérieure s’ingénie à semer la division par l’entremise de la confusion et de la dissonance, qui s’incarnent dans le chaos politique et sociétale (que seule la parodie, la caricature, peut synthétiser dans une oeuvre de fiction). Ne plus parler la même langue, c’est ne plus se comprendre, c’est aussi ne plus s’écouter. C’est l’échec de la synergie sociale, sociétale, qui signe le début de la fin. Sur France Culture ils ont bien tourné dans le bocal mais il manquait, à mon sens, cette petite précision qui résume tout. Le film ne parle pas tant de fin du monde, n’est pas tant la caricature ou la parodie de notre société ultra médiatique et corrompue (j’ai un article plus sérieux en brouillon que j’ai intitulé « la guerre des alétheia » qui sortira peut-être un jour – oui, je sais, vous avez hâte), que le constat désenchanté de cette impossibilité, de plus en plus nette, d’une concorde. Dans le récit biblique, la construction de la tour est interrompue, empêchant l’homme d’égaler Dieu. Et Dieu symbolisant l’éternité, il n’y a plus que la mort à la fin du récit, celle qui emporte tout.

Conclusion vertigineuse, dramatique et un poil émouvante qui va clore ce billet sur une note heureuse et optimiste.

Et Joyeux Noël (au sens païen ou non, restons insolemment laïc) au passage (mdr).

Note : la chronique de France Culture et le clip de Genesis – oui, citons les sources (et ça fait des illustration habillant de manière ludique et colorée ces grandes pages blanches remplis de verbiage).

Don’t look up – Teaser in french by Netflix
La chronique de France Culture
Land of confusion