Ce dimanche, j’ai vu sur le média avec l’excellent Julien Théry, une auteure venue parler de son dernier livre dénonçant la grosse manipulation de la Constitution. Diantre, j’aurais voulu le signifier avant, car ça fait un paquet de temps que ça m’agace l’escroquerie de cet énième objet symbolique de pouvoir qu’on tend à l’envi pour incanter l’idée d’une démocratie dont la perfection serait le fait d’un algorithme verbal plus ou moins sophistiqué.
Je suis un homme de mots, notamment mais pas que, et j’aime les manier comme j’aime les comprendre. Les textes légaux j’adore ça. Je dispose de l’outillage culturel et intellectuel pour me plonger en apnée dans les abysses verbeux et en ressortir une perle entre les dents. Paradoxalement, je suis devenu, au fil du temps, très méfiant et rétif à user des armes que ces talents procurent. Il y a peu, j’ai été gratté par des personnes qui ont voulu m’apprendre la loi en osant un pathétique abus de pouvoir. Des personnes pas très armées et très inconscientes, plus bêtes que méchantes. Comme toujours, l’adrénaline m’a fourni son petit shoot encourageant à faire un carnage… finalement, plus égratigné que blessé, j’ai rangé le katana en me disant que rajouter du mal au mal, encore une fois, ne serait pas faire preuve de sagesse. A la lettre rempli d’un règlement abscons et d’arguments fallacieux, j’aurais pu répondre par des textes de loi et la dénonciation d’une bien pathétique manipulation. Mais faire démonstration d’intelligence n’en est pas claire manifestation. Autant venir ici, déballer le cake à kéké sans que personne ne vienne le béqueter sans caqueter. J’ai donc laissé couler car il serait un peu ironique d’utiliser les mêmes armes que ceux qui me débectent (notez l’utilisation fine d’un verbe faisant le subtil écho sémantique à un qui le précède).
Donc la Constitution. Je regardais les états d’âme de Yohan du Canard réfractaire suite à son débat fort intéressant avec Idriss Aberkane et Etienne Chouard. J’aime chaque homme de ce trio pour des raisons différentes. Mais concernant la question de la Constitution, ça fait un paquet de temps maintenant que j’ai compris ce que Lauréline Fontaine expliquait donc à Julien Théry ce dimanche, ce qui lui fait une belle jambe car elle a écrit un livre sur le sujet qui me renvoie à la fatuité de mon propos. Personnellement, ça fait un paquet de temps que j’ai compris que les lois et autres règlements sont autant de mécanismes de contrôle et de manipulation qu’une société d’injustice peut en commettre. Finalement, il faut toujours en revenir, analytiquement, au préambule du projet : quelle est l’intention du truc ?
A quoi servent ces Constitutions, qui , telles des épisodes de Starwars, sont numérotées comme autant de chapitres d’une saga fantastique ? Quelle est leur intention à toutes ? Vous me répondrez, bien heureux que vous êtes, que c’est pour vivifier la démocratie en ajustant au fil du temps le propos aux prises de conscience humanistes qui animent nos sociétés bordéliques. Tout ça pour constater que les versions ne sont pas des améliorations mais des aménagements pour asseoir le pouvoir particulier sur les reins du bien général. Pour le bien de tous, bien entendu. Toujours créer des anax pour le bien de tous ces cons qui tels des poulets sans tête sont incapables de vivre ensemble sans se flinguer. C’est pour ça qu’on fait des guerres aussi, pour permettre aux poulets de se défouler un coup laissant un peu d’espace pour un petit coup de balai sanitaire au niveau du poulailler.
Maintenant, quand je vois un règlement, un codex, une loi, un document bien verbeux, je suis méfiant. Car plus c’est long et complexe, plus ça sent le mécanisme pervers de dégoûter par excès de gras. Il y a quelque chose de révélateur et de pervers à constater que tout ce bagage « démocratique » ressemble finalement à un contrat aux petites lignes innombrables, cachées et obscures. La raison pour laquelle je suis chrétien, ce n’est pas parce que j’ai hérité de la croyance par habitus ou parce que j’ai subi le prosélytisme dès ma prime jeunesse. Je suis chrétien car tout est limpide, sobre et clair dans l’héritage laissé par celui que l’histoire appelle Jésus. Par contre je ne suis pas catholique ou protestant, car je ne supporte absolument pas la religiosité dans quoi que ce soit. De la différence entre la croyance et la religion : la foi ne s’incarne pas de la même manière et ne se manifeste pas par les mêmes excès. Par exemple, je m’en fous que Jésus ait été le fils de Dieu. Je n’en sais rien, je n’y étais pas, et étant laïc, je n’ai ni l’envie ni le besoin de blesser ceux qui en sont ou veulent en être convaincus. Pareil pour toutes les autres religions, tant que ça ne me crée aucun souci dans ma vie quotidienne au sein de l’espace public, j’ai rien à dire, l’esprit de la laïcité étant à mon sens dans cette idée non pas d’une tolérance mais bien d’une ignorance. Une intimité spirituelle en sorte mais bon, je m’éloigne de mon sujet principal, qui, vous me voyez peut-être venir, est la simplicité versus la complexité perverse. Aimez-vous les uns les autres, ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse, etc., c’est clair net et précis. Surtout ça ne vend rien, ça te profite. Et bien l’esprit de nos Constitutions, c’est pas trop ça.
Quand tu fais le choix de rejeter l’idée liminale du Bien et du Mal, en arguant que le vecteur moral est dangereux en prenant comme argument les abus des religions dans l’enceinte des sociétés humaines, tu finis dans l’impasse du codex interminable des règles qui veulent absolument, tout prévoir, tout anticiper, à-priori. Non pour susciter chez l’individu une adhésion par la volonté profonde mais bien en le soumettant à l’intimation de la lettre. Ethos versus Kratos, on en revient toujours à ça. C’est comme ça, comme le rappelle le duo du Média ce dimanche, on en arrive à des Conseils constitutionnels, autoproclamés croisés de la vertu, qui te pondent des injustices bien crasses en les enrobant de petites et soyeuses réserves. Et toi, petit atome, petit individu qui témoigne d’une flemme bien compréhensible à devoir lire une bible indigeste légale pour commencer à vivre en société, bah tu te dis que c’est pas normal mais bon, c’est comme ça. C’est le but chouchou, c’est le but.
J’apprécie Etienne Chouard, mais je pense sincèrement que sa quête, pas forcément impossible, est tout de même bien compliquée. Fixer le bonheur dans nos sociétés par la confections de labyrinthes symboliques et éminemment politiques (au sens du « pouvoir » dans la cité) est à mon sens une perdition sophistique. C’est très difficile de déloger le sophisme quand il se pare des plus beaux oripeaux et surtout qu’il se targue des plus beaux oriflammes. L’intention doit nous servir de révélateur comme le jus de citron pour l’encre invisible. De belles lignes, une formulation savante et porteuse d’une non moins savante affectation tenant le démuni en dehors de l’enceinte bourgeoise (de « bourg », soit l’endroit où se crée des règles afin de fluidifier les flux de richesses) sont révélatrices d’une manipulation qui ne vise généralement pas le bien commun mais bien les intérêts particuliers. Vous me répondrez, un sourire narquois, « alors on fait comment ? ». La jungle ou la cité ? Quand la cité devient une jungle, et que des êtres humains se comportent comme des bêtes, il faut revenir à l’éthos, la volonté profonde de vouloir vivre ensemble. Il y a, au fond de ce problème, la triste constatation d’une nature humaine qui ne peut se manifester sans l’inévitable domination de l’égo prédateur dompté par un système auto-régulateur et surtout jugulateur.
Les sociétés humaines ne peuvent sans doute pas se passer de lois. Mais ce ne sont pas leur complexité qui proportionnellement les rendent justes. L’intention étant à l’évidence de se reposer sur la logique du contrat, qui par essence devrait créer un rapport d’égalité entre les deux parties… alors que sa forme impose immédiatement un différentiel entre celui qui la comprend et celui qui en abuse. Entre celui qui le conçoit avec moult chausse-trappes pour que le second découvre à l’usage qu’il a signé pour sa fin (faim ?).
De l’écart entre l’idée que le citoyen lambda se fait de la « démocratie » et celui qui en jouit comme d’un capital aménagé pour assurer son enrichissement et sa suprématie.