Qu’on me pardonne ce titre tragique et un poil ésotérique, mais m’interrogeant sur l’ambiance générale actuelle, du moins de mon petit point de vue d’être humain, accessoirement français, petite fourmi dans ce vaste monde, c’est ce qui m’a semblé le plus pertinent. Après, j’aime utiliser des termes où l’exagération le dispute à la dramatisation… mais oui, il y a comme un air de fin du monde ce matin, une fin du monde tranquille, paisible, qui vient tout doucement, en nous caressant la tête tendrement, histoire de nous pousser délicatement vers le bord du précipice en nous souhaitant, ironie ou délicatesse, bonne nuit.
Je reste toujours optimiste, c’est ma terrible nature, mais j’avoue que je constate, d’année en année, de mois en mois, de semaine en semaine, de jour en jour (j’arrête ici l’énumération du lexique calendaire), l’absurdité d’un système qui ne vit plus que pour lui même sans aucune véritable considération pour ses décisions les plus ineptes. Non, je ne parlerai pas ici de la retraite, ça me semble abscons de toute manière de reposer sur un principe qui lui-même vient d’un autre temps complètement révolu, mais bien du marché de l’énergie. Ce matin, levée matinale comme trop souvent, et je tombe sur notre monarque suprême qui semble découvrir l’aberration de l’indexation du cours de l’électricité sur celui du gaz. Il lui reste donc, avec quelques années de retard, à découvrir le fonctionnement inepte du marché en lui-même, qui fait d’un pays premier producteur en électricité au monde, la victime consentante, le sacrifice volontaire, d’une fiction aussi délirante que l’Europe. Tentons la métaphore… c’est un peu comme si les pays producteurs de pétrole s’engageaient à vendre leur or noir à un prix bas, sacrifié, pour que d’autres le vendent bien plus cher. Et oui, ça ne fonctionne pas trop comme ça, et encore, ma métaphore est encore imparfaite car il y a beaucoup à dire sur le coût réel de l’or noir, dont la valeur n’est pas relative au coût de son extraction ou de son transport, mais bien de sa valeur en considération de sa prépondérance, de son importance, dans nos sociétés énergivores.
Ce délire économique va avoir des conséquences terribles dans les prochains mois sur l’économie française, notamment les entreprises, qui vont voir les postes sur l’énergie exploser en termes de charges. Vraiment, je ne comprends pas comment une prétendue élite peut voir venir d’aussi loin l’iceberg sans se dire que la coque ne va pas aimer du tout l’impact. Alors nous avons la prévisible, pathétique et misérable, concentration des moyens de contrôle pour endiguer les révoltes logiques, mais… et après ? Opprimer pour contrôler, décourager, désespérer, c’est une phase qui, bien que révoltante et moralement méprisable, peut induire tout de même une forme de vision et de planification… mais détruire le tissu économique en faisant les choix les plus pyromanes et les plus insensés, provoque, du moi chez moi, une réelle sidération. Cui bono ? Je ne veux pas céder aux sirènes du complotisme (Davos n’existe pas) mais sommes-nous dans la triste réalité d’une complète xénocratie qui planifie tranquillement le pillage et la destruction de notre pays dans une totale impunité ?
J’attends depuis des années un sursaut, pas que du peuple sur lequel les commentateurs passent leur temps à vouloir balancer le fardeau, comme si la démocratie était véritablement en cause (quelle blague), mais bien du monde entrepreneurial qui reste un des poumons du pays. A force de s’entendre répéter que le pire ce sont « les charges salariales », trop lourdes, ce monde là n’a pas vu venir l’apocalypse énergétique. Il arrive pourtant, les boulangeries n’étaient que la première ligne à encaisser le choc, des scandales en chaîne qui font les beaux jours des commentateurs sans qu’encore une fois des mesures soient prises pour éviter les drames ou les faire cesser. On s’indigne, c’est facile et ça ne coûte pas cher, mais on sert le thé à l’invité en fronçant les sourcils, car de nos jours la révolte se veut toujours polie et jamais agressive.
Pourtant, nous y allons vers ce triste choix… celui qui consiste à respecter les règles ou les enfreindre. Mon récent billet s’intitulait irrévérence… je pense aux trois discours sur la condition des grands de Pascal. En même temps, je me demande si climatiquement, si écologiquement, il nous reste suffisamment de temps pour réfléchir et enfin agir. Le plus terrible là-dedans, c’est de constater le niveau de destruction et de malfaisance, littéralement nié par un narratif qui continue à fredonner le meilleur des mondes comme si nous y étions. Souvent, je dis à mes enfants que je suis déjà mort, ce qui n’est pas faux. J’ai passé plus de la moitié du parcours, je n’ai pas à m’inquiéter, personnellement, du monde que je vais laisser. Pourtant, quand je constate l’anxiété, la perte de repère, la candeur entretenue de la génération de mes enfants, je ressens une profonde honte. Je me rappelle une collègue de bureau, mère de deux jeunes enfants, il y a quelques années, quand j’avais osé publiquement dire tout ça… « Après moi le déluge », m’avait-elle répondu dans un rire. Choqué, atterré, je m’étais tu, ce qui n’est pas ma nature. Mais cet égocentrisme foncièrement coupable prend actuellement des proportions, provoque des conséquences, qui font de notre société des irresponsables destructeurs de monde.
Pourtant, je ne crois toujours pas dans les anathèmes voire les extrêmes. Non, le capitalisme n’est pas en soi mauvais. Le consumérisme non plus. L’erreur repose sur l’excès, sur cet hubris qui nous pousse à corrompre tous les principes que nous mettons en place pour faire fonctionner nos sociétés. Il est possible de mettre de la vertu et de la bienveillance en chaque principe ou système que nous créons. La faillite actuelle n’est pas le fait de nos idéologies mais bien des élites qui se prévalent pourtant, et cyniquement, d’une intelligence et d’une perspicacité sans cesse auto-proclamée et glorifiée.
Regarde-le ton monde, et dis moi, rien ne te choque ? La fable du prince, affalé sur son trône d’or, qui dit au pouilleux dans sa boue : « finalement, entre toi et moi, il n’y a pas tant de différence que ça. Humain tous les deux, coupables des mêmes vices, nous partageons la responsabilité de notre incapacité à discerner finement ce qui est bien et ce qui est mal ». C’est cette parole, accaparée, fausse et qui se veut incantatoire, qui est la cause de tout. Il est pourtant dangereux de penser que le pouilleux n’a que les mots pour s’exprimer, car c’est croire que le débat s’arrêtera dans l’arène de la parole, de l’expression, de la réflexion… avec le confort de se dire qu’on aura toujours en face un adversaire désarmé.
Eschatologique. Apocalypse. Crisis. Qu’il est amusant de constater combien ces mots d’origine grec ont vu leur sens dévoyé avec le temps. Il est peut-être temps de retrouver l’aletheia des philosophes grecs qui disaient que sans poursuite de la vérité, il ne pouvait y avoir de discours valables et respectables.
Commentaires clos
La question de l’IA
Depuis quelques semaines, je suis très fébrile par rapport aux progrès de ce qui est appelé communément « IA » pour Intelligence Artificielle. Je ne reviendrais pas sur l’inflation (c’est à la mode) propre à l’expression… Peut-on désigner comme intelligence ce qui n’est pas conscient et libre de ses propres décisions ? Enfin, point de débat ce matin, juste l’enthousiasme à partager les opportunités des services à notre disposition. Oui, nous assistons actuellement à un changement majeur dans le processus productif et même créatif car ces outils vont simplement modifier solidement et durablement la manière d’appréhender le travail dans le tertiaire, si bien entendu le désastre écologique et la rareté des matériaux ne nous rattrapent pas d’ici là. Mais ne cédons pas ce matin au catastrophisme de bon ton, restons dans l’ivresse des jours aux lendemains certains, et faisons le bilan de ce qui est en train de nous arriver.
Je vais partir de mon cas personnel pour essayer de traduire le fond de ma pensée. J’ai choisi une activité solitaire, mais propre à ma nature, mes attentes, mes envies, mes ambitions, avec la pleine conscience de ce que cela signifiait d’efforts et de travail à venir. Pour tout avouer, j’ai plié mon mode de vie à ces ambitions en m’imposant une discipline plus que spartiate mais qui me rend heureux, pour tout dire. Cette discipline a pour but essentiellement d’entretenir voire d’améliorer mes fonctions cognitives ainsi que mes capacités manuelles. Malgré tout, étant constamment dans le stratégique et le prévisionnel, j’ai inclus dans mon calcul mon vieillissement et le déclin de mes capacités. C’est donc avec réalisme et peu d’illusion que je me suis lancé dans ma dernière et magnifique aventure, en me disant qu’il valait mieux des remords que des regrets et surtout, en répondant à ma nature et mon caractère profonds que j’aurais trop combattus durant de nombreuses années.
J’étais donc au stade de faire, et pour le coup j’ai bien fait car j’ai abattu un boulot considérable ces dernières années pour parvenir à créer la base de mon activité. En constatant que je devrais, à regret, ne pas pouvoir faire tout ce que je souhaitais, ne pas réaliser tout ce que j’avais ébauché. Je m’étais réfugié dans l’idée d’un process d’écriture testimonial, si j’ose dire… en bref, coucher par écrit toutes mes idées dans l’illusion rassurante (mais conscient de la potentielle vacuité de la chose) qu’un autre puisse un jour en trouver l’usufruit.
Et là, les IA.
A ce stade, il est important de bien comprendre un point qui me semble actuellement primordial et que peu ont noté. Il y a certes une révolution technique, mais il y a surtout un process qui va irrémédiablement avoir une conséquence majeure qui va être la protection forcenée et très limitative des droits de ce qu’on appelle la propriété intellectuelle. En bref, les IA de création se servent actuellement de toutes les créations d’autrui pour générer leurs résultats, car ces créations sont en libre accès sur la vaste terre de moins en moins sauvage qu’est le Web (enfin, le web grand public ; ignorer les abysses ne rend pas la mer moins mystérieuse qu’elle ne le sera toujours). Naturellement, les créateurs se voient spoliés et pillés par ces process, et si ces derniers n’ont pas la puissance systémique pour exprimer leur colère, les tenanciers des grandes franchises du divertissement le feront pour eux. En bref, les IA de création ne pourront, à l’avenir, qu’utiliser ce qui leur sera licencié (je ne parle pas de débarquage salarial mais d’acquisition de licence – je sais, en ces temps de confusion organisée, ça n’aide pas d’utiliser un idiome qui à mon instar, est d’un autre temps). Pour le dire plus clairement, les IA vont bientôt devoir faire avec les fils barbelés de la territorialisation de la propriété intellectuelle qui va s’accentuer, avec tout ce que cela induit à la fois de justice sociale et de pénibilité pour le consommateur lambda.
Ayant toujours été dans les deux mondes, celui prosaïque de la productivité bas du front qui ressasse sans cesse que le temps c’est de l’argent et l’univers un peu plus tortueux de la réalité artistique qui compose avec les humeurs et les envies, je sais que le premier a pris pour habitude de spolier le second. J’ai voulu, en mon temps, attaquer un employeur qui ne m’avait résolument pas rémunéré en proportion de l’apport de ma contribution au fonctionnement et surtout à l’enrichissement de sa société. Etant créateur de tout, de la forme comme du fond (il n’y avait que la réalité du service dont je ne pouvais invoquer la paternité), j’ai eu l’illusion un temps de pouvoir légalement en recevoir un juste usufruit (surtout que je parle d’un bon millier de messages publicitaires réalisés en print comme en ligne). J’ai finalement abandonné, conscient du changement drastique de la justice française qui a épousé de manière atroce la transition vers cet ultra-libéralisme qui n’en finit pas de nous rendre malheureux. Sur le fond, j’avais raison – de là à attendre de mes juges qu’ils penchent de mon coté plutôt que celui du bon camp actuel, soit l’employeur sauveur de l’humanité en soif de travail, je n’en avais pas la candeur.
Etrange pays que la France, si prompt à bomber le torse en se déclarant premier à défendre et promouvoir les droits de l’homme, tandis qu’en douce, derrière le rideau, l’exploitation est organisée et consciencieusement élaborée. En tant que créatif, je l’ai lentement et amèrement compris, ce qui m’a dégoûté, littéralement, du processus artistique et créatif en entreprise. J’en nourris encore un cynisme sain, ayant bouffé, des années durant, des champions du petit doigt levé et leur sens du beau et du bien dont la voilure était proportionnelle à leur culture, souvent nulle et dérisoire. J’en garde des moments anecdotiques savoureux, comme cette fois où j’expliquais à une jeune cadre qu’une bonne pub n’était pas forcément une pub « belle » mais bien une pub performante. Le plus risible, dans mon cas, c’est que j’ai fini par être plus pragmatique, et à mon sens efficace, que des décideurs résolument égarés dans leur ego là où il fallait penser « public » et « marché ». Je reconnais aisément qu’encore maintenant je reste schizophrène, à la fois cet homme stratège et rationnel, calculateur et méthodique, et cet autre plus désinvolte, romantique et fou. Le premier a rêvé d’un monde du travail organisé où la performance se situait avant tout dans la qualité de la pensée avant les manœuvres politiques et ce que j’appelle, un sourire en coin, « l’imposture de la posture ». Le second a compris que du premier qu’il pouvait en trouver un solide allié, ce qui m’a amené aux choix que j’ai fait ces dernières années et que je ne regrette absolument pas.
Surtout lorsque je me rends compte que les IA sont, dans mon cas, une pure bénédiction. Toujours, toujours, je me suis épuisé à produire, à écrire, à dessiner, à apprendre, à assimiler, à noter, constatant avec dépit que je n’avançais jamais assez vite, que c’était toujours la même montagne chaque jour à tenter de gravir, en espérant en voir peut-être, dans un lointain avenir, la cime. L’énergie, je l’ai toujours, c’est ma chance et ma richesse, chaque matin elle me pousse et me motive à aller de l’avant… et vas-y que j’y vais ! De toute manière je sais qu’un homme comme moi ne finit pas en chevrotant dans un fauteuil mais bien en cassant comme une brindille rebelle finalement brisée par le vent. C’est peu cher payé pour une nature sauvage que personne, ni même moi, n’aura fini par dompter. Mais il y avait quand même un peu de désespoir et de résignation derrière les humeurs lyriques. Depuis quelques semaines, je n’ai pas besoin de shoot d’adrénaline pour y croire et continuer, j’ai fait l’inventaire de ce peuvent me procurer comme assistance les IA et je suis littéralement enthousiaste et confiant.
Par exemple, je suis en train de planifier la suite de mon premier projet, et du coup, je suis en train de prévoir la manière dont je vais opérer pour que ces IA me mâchent l’essentiel du boulot. Attention, je ne dis pas qu’elles seront créatives, et que personne n’en ait l’illusion, elles ne le seront jamais. Elles ne peuvent que créer des patchworks en empruntant à d’autres, ce qui fait qu’elles resteront toujours dans l’opérationnel là où un créatif sera dans l’inspiration. Mais je perds tellement d’énergie et de temps à simplement préparer le boulot qu’elles vont simplement m’économiser un temps que je croyais irrémédiablement perdu, nécessairement sacrifié.
J’ai déjà réalisé un budget prévisionnel, je pense maintenant à m’atteler à des choses que je destinais aux archives. Contrairement aux mauvais augures, les IA ne sont pas un danger pour l’humanité, elles ne font que préciser ce qui est une certitude : il faut irrémédiablement changer la vision et la place du travail dans nos sociétés, dont les dirigeants, la pseudo élite politique, s’obstinent dans une idée passéiste et rétrograde, totalement obsolète. Nous produisons bien plus de richesse que les générations passées, parce que nos outils s’améliorent. La question n’est pas dans la productivité, qui a explosé, mais bien dans la répartition des richesses. Après, sombrer dans la rhétorique de la compétition de cette productivité, c’est juste applaudir et participer à un esclavagisme moderne qui font qu’une minorité se l’approprie. Et je le répète, je ne suis et ne serai jamais de gauche (et encore moins de droite) : je suis pour une société idéale où chaque citoyen participe activement et en conscience à l’enrichissement de la cité et par extension des autres, des siens. Je crois en la solidarité et la fraternité, et il n’y a pas d’avenir à refuser ou nier le progrès. Il y a juste à placer ces évolutions, ces grands changements, dans une volonté politique et même sociétale où le but n’est pas l’enrichissement des intérêts particuliers mais bien l’intérêt de tous.
Commentaires clos