Il y a quelques jours, je fêtais naturellement Noël avec mes petites têtes blondes qui n’en sont plus, quand le sujet du petit papa est arrivé d’un coup dans la discussion. Je matais le film Red One sur Prime avec mon fils qui exceptionnellement était sorti de son antre, quand le sujet du mensonge liminaire du généreux patriarche écarlate est arrivé sur la table. A cette évocation du mensonge, mon fils, qui demeure constamment un écho des plus récentes résurgences youtubiennes, me traite naturellement de complotiste, ce que je contre très tactiquement en arguant que oui, le père Noël est l’exemple même du complot.
Stupeur, tremblement, sans Amélie ni homélie, mon fils me regarde avec cette expression qui dévoile, chez lui, le processus d’une naissance de raisonnement intellectuel de par l’attente suscitée par toutes ces fois où poursuivant l’anathème d’une démonstration implacable, mon rejeton se sentait soudainement moins con. Phénomène que j’ai constaté depuis sa plus tendre enfance, qui lui a permis par la suite de régurgiter autour de lui certaines opinions, que nous qualifierons avec un brin de complaisance, d’originales. Donc, je m’explique : Oui, le père Noël est bien un complot, soit une entente tacite d’une strate de la population, non pas les tas profonds pour une fois, celle des adultes, plus précisément des parents qui ont un intérêt fallacieux à ce sinistre calcul. Je peux le dire, je peux en témoigner. A l’instar de l’héritage religieux que pour beaucoup nous acceptons la dette sans en concevoir l’initiale absurdité, j’avais durant un temps assimilé la coutume, et je dois avouer que dans un couple de parents, ça ne doit pas être évident d’être raccords sur la question. Mais je ne nierais pas ma responsabilité… Oui, j’ai fait croire au père Noël à mes enfants, avec un soin du détail, avec un art manipulatoire que je n’ai même pas exercé avec autant de passion dans mon métier en communication (pour cause de scrupule ou d’éthique au choix). Pour l’anecdote, ma fille y a cru jusqu’à l’âge de 9 ans, ma mère finissant par dévoiler la supercherie dans une séquence dramatique qui vit ma fille débouler les larmes aux yeux et me posant la terrible question : « Papa, le père Noël n’existe pas ? ».
Bon, j’ai réussi à jouer le coup en expliquant à ma fille dont l’intelligence ne supportait pas les explications confuses que le père Noël c’est un symbole, une idée, une image, qui permet d’apporter aux enfants le fameux esprit des fêtes de fin d’année, qui permet à la générosité très contenue les 11 mois et 24 jours précédents de se libérer dans une démonstration merveilleuse d’amour via CB. Mais oui, c’est bien un complot. Je pense qu’il faudrait que les adultes devraient commencer à s’avouer cette terrible vérité qui est la preuve que le complotisme n’est pas un mal mais bien un acte de révélation tant personnel que politique. Une fois que nous avons admis que nous avons fait parti du complot, nous pouvons dès lors accepter de voir les murs de la matrice. Tout n’est que manipulation et croyance. Nos sociétés humaines sont des scènes de théâtre dans lesquels nous participons constamment en jouant nos rôles, tour à tour bourreaux et victimes, dans une logique à l’absurdité insondable. J’ai maté l’excellente série The Jackal sur Prime, et j’ai été fasciné par la volonté du ou des scénaristes à bien transcrire les rapports de domination qui tissent actuellement la réalité de nos sociétés occidentale (pour les autres pas d’illusions, mais je ne parle que de ce que je connais d’expérience). Une affaire de gros et de petits poissons, sachant que la troisième règle avec celle du gros et du petit qui mange ou se fait manger, il y a celle qui avertit « qu’il y a toujours un plus gros poisson que soi ». Dans cette logique du gros poisson qui mange le petit, quand on fait des gosses on se sent un devoir de leur faire croire que le monde est magique et beau, plein de justice et d’amour. Il y a quelque part de la cruauté là-dedans, car quelle bonne raison peut nous animer à ainsi tromper ceux que nous prétendons aimer le plus ? Oui, les complots ont toujours un fond de malveillance, celui qui veut faire croire au père Noël et sa magie attenante est une terrible machine à accepter de reproduire l’inacceptable. « Jungle bells », encore une faute d’orthographe, un « i » pervers, qui dissimulent la terrifiante réalité.
Mais, une fois ce terrible raisonnement mis en oeuvre, et voyant que mon fils se taisait, incapable d’organiser sa pensée pour s’opposer, un peu, à mon impitoyable démonstration, j’enchaînais sur un néologisme qui renvoie aux plus belles trouvailles de la libéralité roublarde. Sans me démonter, j’annonçais à mon fils et au monde (en passant), que je n’étais pas complotiste mais conniventionniste. Concédant que le complot a bien une connotation de malveillance entendue, un poil plus diplomate, un poil plus hypocrite, sémantiquement créatif, j’établissais (phase du consentement tacite) avec l’avènement brutal mais salvateur du conniventionnisme, cette idée qu’il y a bien une entente de plusieurs individus pour en tromper d’autres, mais avec la notion rédemptrice de la collaboration, si nécessaire à la cohésion sociale qui nous unit. En plus, en France, on s’y connait en collaboration, jamais je n’ai vu autant de personnes se résigner à accepter l’indignité et la tyrannie avec l’expression concernée de ceux qui camouflent leur lâcheté avec le masque grave de la responsabilité profonde. J’ai toujours dit que c’était la faim qui créaient les révoltes, l’autre mensonge étant de penser que les révolutions sont le fait d’une volonté profonde de justice et d’égalité. Non, l’espèce humaine se résout très bien à l’injustice quand le sort individuel ne l’oblige pas à sortir les fourches. La connivence, c’est aussi ça, c’est bien ce pacte tacite qui unit deux personnes qui se donnent les bonnes raisons pour ne rien faire et ne rien changer. Je me range dans ce triste lot, j’ai les fourches rases depuis mon récent passage chez le coiffeur.
Je trouve que je suis encore un peu trop acide, ou amer, ou cynique, mais bon, cette fin d’année et ce nouveau gouvernement à base de chaises tournantes et de fond de cuve ne me met pas dans une humeur très optimiste. Y en a pas mal de connivence, aussi, à ce niveau là, et c’est un peu le coup du père Noël qu’on nous fait. Nous sentons que c’est de la grosse connerie, mais nous faisons semblant d’y croire au moment de déballer les cadeaux, en grimaçant un peu de voir à quel point cette année la livraison est bien pourrie… j’avais demandé une démocratie, on m’offre une ripoublique… Non, cette fois je n’irai pas sur ces genoux pour sentir sa grosse barbe me gratouiller les joues. Je suis trop vieux pour ne pas voir dans ce gros bedon, cette accoutrement un poil trop exubérant, ces rennes et ces lutins esclavagisés, tout un symbole patriarcal qui presque me convaincrait que le wokisme existe lui aussi.
Petite confidence, je ne fête plus Noël depuis que mes parents sont morts. J’ai laissé la tradition à mes enfants qui m’embarquent malgré moi, car ayant très bien participé à la connivence, je ne peux à présent les dégoûter de cette liesse artificielle. Après tout, ça reste une bonne soirée, j’ai fini par déballer mon cadeau hier, car je l’avais résolument oublié. Chaque année, à présent, je fête le solstice d’hiver, grand moment de joie car ça signifie qu’on reprend la bonne trajectoire, celle qui verra les jours s’allonger et la nuit diminuer. Y en a qui veulent nous expliquer que non, il n’y a aucun rapport entre les saturnales romaines et la convention catholique. Pour le coup, je ne suis pas dans la connivence… j’ai des doutes quand même, car le hasard, comme cette lune qui dissimule parfois si parfaitement le disque solaire, fait quand même bien les choses.
Je compte sur vous pour que tout cela reste entre nous, naturellement.