La fête du cinéma c’est bien, surtout quand cela me donne l’occasion de voir deux films d’horreur/épouvante d’affilée sans avoir à me ruiner. En ayant surtout comme ambition d’aller voir le film de Barry Levinson dont les bons échos n’ont cessé de me titiller l’oreille, j’ai décidé de faire un petit combo en matant Dark Skies dans la foulée. Dark Skies et The Bay pour 7 € en cinémascope, soit 3 heures d’épouvante et de grandes sensations, c’était comme pour me racheter d’avoir rater le récent remake d’Evil Dead !
En lisant quelques critiques en diagonale, histoire de ne pas trop me déflorer une intrigue qui tient en ses suspenses divers le vrai plaisir du film, j’avais cru voir des références à Sinister tant en terme de thématique que de traitement. N’ayant pas vu ce film, mais me rappelant les similitudes faites avec Insidious (vous me suivez ? en résumé, ça donne Dark Skies > fait penser à Sinister > qui fait penser à Insidious = Dark Skies > Insidious), j’attendais donc une histoire d’home invasion, avec des petits relents fantastiques ou mystiques. Et rien ne me surprit malheureusement la rétine, avec un cahier des charges très propre et très archétypal, livrant un produit calibré et tristement prévisible. Le pire étant malgré tout une paradoxale absence de tension. Le harcèlement alien repose en grande partie sur une pression sociale qui est peut être la véritable bonne idée du métrage, mais qui est un ressort inattendu voire incongru dans ce type de production. La caractérisation, la mise en situation qui fait écho au profond sentiment de crise qui secoue les vieilles sociétés occidentalisées, sont autant de choix scénaristiques qui à la fin consternent ; si l’idée est de mettre en parallèle la menace extraterrestre avec la montée des pays asiatiques, il serait même possible de discerner une forme de xénophobie primaire, mais gageons que le réalisateur et les scénaristes n’aient pas volontairement voulu aller jusque là.
Tout de même, en y repensant, certaines thématiques de la névrose économique sont là : le père est un talentueux cadre au chômage et désespéré de payer sa belle bicoque dans son joli lotissement ; la maman un agent immobilier chargé de vendre une vieille maison décorée seventies (style affiche « Room 237 »), angoissante et apparemment surestimée. Plus de pognon et un marché immobilier en berne, c’est sans doute là que se situe la partie la plus angoissante du récit, ce qui est un paradoxe presque comique dans un film sensé nous faire peur. Il y a bien quelques jump scare, mais qui à l’arrivée, font presque office de blagues, tant ils confinent à la programmation rythmique, avec une bande son cassant toute possibilité de surprise avec sa structure toute en boucle (« tiens, le jump scare va pas venir quand le son est le plus fort ? Ah ben, oui. »). On effleure même le comique, quand à un moment donné, on voit la maman suivie par un alien qui hésite pour lui faire, ou non, une petite tapette sur l’épaule (« chat ! »).
Tellement pas sous tension, qu’à un moment donné, alors que logiquement le film nous fait entrer dans le cœur du sujet avec la compréhension de la réalité de la menace par la famille, je me suis littéralement endormi, ne me réveillant qu’au moment où l’attaque alien commence ; et attention, la technologie extraterrestre menace grandement le marché du bricolage et de la décoration, vu comme ils savent assembler des produits alimentaires pour faire des décos à la crop circle sur les plafonds, ou retirer des clous avec le rayon de leurs lampes torche. J’ai été littéralement achevé par la fin, ultra convenue et prévisible, avec l’apparition de quelques pièces stratégiques d’un puzzle dont on a depuis longtemps reconnu le motif.
Après un bon café pour chasser les vilaines substances chimiques de l’endormissement dans mon organisme, stimulées par la vision de ce métrage pas très inspiré, je suis allé voir The Bay, qui est une excellente surprise, un vrai bon film « Found footage », qui paradoxalement se risque dans les mêmes méandres socio-économiques que Dark Skies, mais en réussissant pleinement son pari. Chômage et prêt immobilier dans le film des envahisseurs nocturnes alien, pollution et collusion dans ce film qui tire son intrigue des conséquences d’une société de consommation déconnectée de toute logique écologique, s’abimant dans une administration corrompue et incompétente. Dans les deux films, on assiste à l’apocalypse du quotidien, à l’achèvement d’un mode de vie, qui repose essentiellement sur une forme d’illusion et l’impérialisme culturel. La vie à l’américaine, comme le dit la journaliste au début de sa confession, est ainsi habilement dénoncée dans toute la vanité, voire la folie, de l’épicurisme qui la caractérise. Inconscience, immoralité, ingénuité, arrogance, médiocrité, sont les démons invisibles qui hantent le métrage et qui vont donner naissance à une race mutante de bestioles qui nous renvoie à notre propre voracité. Réponse cruelle d’un monde qui se fait dévorer, les créatures du film n’ont d’autres fins (faims ?) que de nous bouffer de l’intérieur.
Le film, réalisé sur le principe du (faux) documentaire, en alternant habilement les sources et le format, se concrétise par un passionnant kaléidoscope d’images et de sons. C’est bien foutu, souvent terrifiant, et contrairement à Dark Skies, prenant et stressant. Personnellement, je regrette simplement, après beaucoup de sobriété en ayant beaucoup et brillamment joué sur la suggestibilité (la scène avec les policiers dans la baraque des habitants est formidable, un plan fixe qui tire sa puissance émotionnelle de la terrifiante bande sonore), certains effets propres au genre, qui semblent du coup incongrus (le coup du cadavre qui se relève, le clignement d’yeux de la face arrachée…). Le film rappelle alors sa vocation purement horrifique, et peut être dédramatise un propos qui pourrait presque s’avérer réaliste et prophétique.
En résumé, Dark Skies ne m’a pas emballé, me donnant presque l’impression de voir du sous Ken Loach chez les ricains, et à l’inverse, The Bay m’a enthousiasmé. Je tire de ces deux films, Dark Skies et The Bay, une insidieuse sensation d’apocalypse sociétale planant sur nos cultures occidentales, conscientes que leur mode de vie et leur culture sont peut-être en phase de mutation, voire d’extinction. Intéressant de voir comme ce type de production peut paradoxalement devenir des instantanés de nos sociétés en crise, à l’inverse d’autres genres qui viseront le divertissement pur en évitant soigneusement ces thématiques anxiogènes.
- Dark Sky : film de Scott Stewart (je vous invite à revoir ses excellents Légion & Priest, par contre).
- The Bay : film de Barry Levinson.