Bertrand Tavernier, la vie et rien d’autre.

Mort de ce cinéaste aujourd’hui, et moi qui écoute l’énumération de tous ses grands films, car il y en a eu.. et qui revient toujours à celui là, La vie et rien d’autre qui par le hasard des choses est disponible depuis peu sur Netflix. Un film que j’adore, qui est un de mes préférés, et que pourtant j’ai du mal à revoir. Pourquoi ? Car étrangement, quand c’est trop fort, j’ai un recul maintenant, à revivre certaines émotions trop puissantes. Quand j’ai vu le film, j’avais 20 ans (hier donc), et j’ai immédiatement été bouleversé par l’histoire, magnifiquement contée car Tavernier était un vrai cinéaste avec un sens aigu de l’image et de la mise en scène… mais encore par le personnage de Philippe Noiret qui, je m’en rends compte en écrivant ces lignes, n’est pas si éloigné de celui de Stéphane dans Un coeur en hiver, cité récemment sur ce même blog. Dans les deux films, on voit deux hommes cyniques, se réfugiant dans l’absurdité de la vie professionnelle, rassurante car mécanique, leur permettant d’échapper aux relations humaines, incertaines et donc dangereuses. Dans les deux films, des femmes pètent un plomb pour dire à un homme de vivre et d’être enfin vrai, d’arrêter de jouer à être plutôt qu’être vraiment. Cette scène, dans la vie et rien d’autre, dans laquelle Azéma donne à Noiret toutes les cartes pour que commence une magnifique et belle histoire d’amour, qu’il gâche affreusement, presque comiquement… et le rattrapage, le sauvetage, la rédemption, comme dans le film de Sautet, à la toute fin, cette fois via une lettre, moyen tellement plus facile pour une parole captive… Voilà, Tavernier est mort, Sautet est mort, tout s’achève ici, enfin matériellement car personnellement ça n’a jamais été ma conviction. Pourtant, ce film, déjà dans son titre, nous dit une grande vérité, à laquelle nous pouvons croire dans ce monde de chimères et de faux semblants. Oui, la vie et rien d’autre, et aussi beaucoup d’amour et de paix, message final de ce film génial qui me fait penser à mon père, un homme de chiffre, lui aussi captif de cette numération infernale. La méduse mathématique qui peut faire croire que le vertige de la raison permet d’oublier le bonheur de la sensation réelle. Mais non Papa, la vie et rien d’autre, comme le filmait si bien Bertrand Tavernier.

Après, la voix magique de Philippe Noiret, acteur juste génial, au timbre unique, lisant cette lettre finale, ça reste un trésor qui m’émeut bien plus que toutes les versions de Roméo et Juliette réunies. Et je vous l’ai trouvé en plus, donc si vous ne voulez pas vous faire spoiler/spolier, n’hésitez pas à plutôt aller voir le film. Sinon faites comme moi, et régalez vous de ces formules surannées, soutenues, maniérées, affectées, qui me restent dans ma mémoire atavique comme l’écho d’un monde perdu.

Superman & the Autority

Il y a peu, j’ai réagi à une vidéo sur Youtube concernant un petit débat sur le Batman versus Superman de Snyder. Simplement car les deux tribuns partageaient pour le coup une franche admiration sur le plan du collier de perles de la mère de Bruce Wayne, qui se brise tandis que le coup de feu fatal met fin à sa vie. Je m’étais donc permis de rappeler que cette image, ce moment, cette métaphore, cette idée, était celle de Frank Miller dans son mythique Dark Knight, paru à la fin des années 80 et que j’ai dans ma bibliothèque, édition Zenda (j’ai dû corriger j’avais écrit « Zelda » mdr), juste à coté des Watchmen de Moore. Réaction assez étrange de la rédaction (car les deux youtubers font partie d’une équipe éditoriale qui à l’évidence possède un pragmatique mais maladroit community manager) qui m’a répondu qu’ils le savaient… mais qu’ils n’avaient pas voulu surcharger la vidéo d’infos « inutiles » vu la richesse intrinsèque de l’échange. Oui, mais non. Personnellement, je n’ai pas insisté, car je sais aussi que Miller passe souvent pour un extrémiste aux idées réactionnaires (en gros, il a tendance à un peu trop célébrer le patriotisme en stigmatisant « l’étranger », cet envahisseur perfide,… ce qui est toujours délicat en ces temps d’universalité bienveillante). Je peux le comprendre, donc je n’insiste jamais, même si je suis conscient de l’apport de Miller dans le paysage du comics (avec Daredevil et Batman en tête). Mais en gros, je disais dans mon intervention que ce film est un hommage évident au comics de Frank Miller…. et ces derniers jours, la news est sortie :https://www.eklecty-city.fr/cinema/justice-league-zack-snyder-dark-knight-returns/me donnant définitivement raison. Simon, cette phrase est pour toi mdr.

J’ai commencé à lire des comics à l’âge de 5 ans. Mes parents m’achetaient Pif Gadget, mais moi je voulais lire les aventures d’Iron man, de Spiderman, des X-men, etc. Je suis donc de ceux qui ont une grosse culture « classique » des comics, et j’ai décroché vers 2010, un peu irrité de voir que la philosophie américaine du refus de la vieillesse et de la mort provoquait des constants reboots de ces histoires et des héros concernés. Le déclenchement fut le sort de Peter Parker aka Spiderman, qui dans une histoire se voit projeté dans le passé, avant l’arrivée de Mary Jane dans sa vie. Vendu comme un retour de l’âge d’or, moi je l’ai vécu comme un effacement de mes souvenirs. Puis le choix implacable des producteurs des films, consistant à tout réinventer ou changer, a brisé toute ambition de rester à jour dans cet univers sans cesse changeant. Et pour finir… et Henry Pym alors ?!!!!

Mais dans ma fameuse bibliothèque, j’ai conservé précieusement des comics qui sont pour moi des chefs-d’oeuvre. Et en bonne place, je possède les premiers volumes de The Autority, qui fut pour moi à l’époque une initiation aux nouveaux scénaristes des comics, iconoclastes et géniaux, que furent et sont encore Grant Morrison, Mark Millar, et Warren Ellis. D’ailleurs, bien plus que The Autority, Planetary reste l’oeuvre que j’affectionne le plus. Mais comment décrire une histoire qui recycle le vieux signal des 4 Fantastiques en svastika ? Il y a du génie dans ces scénarios, et il me vient cette vérité que l’apport de Mark Millar dans le succès des Vengeurs au cinéma me semble un peu minimisé. Avec Brian Hitch, c’est ce duo qui a fait le choix d’utiliser Samuel Jackson comme modèle pour la nouvelle version de Nick Fury par exemple. Enfin, et en bref, j’ai décroché, en arrêtant d’étaler (comme ici) ma petite culture de vieux fan des comics, un peu déçu de ne plus pouvoir prophétiser le déroulement des intrigues… mais comprenant parfaitement le choix des producteurs dans un monde qui pour vibrer doit être nécessairement surpris et étonné. Mais de là à créer une love story entre Hulk et la Veuve noire, j’ai jamais pu adhérer.

Cependant, il y a deux jours, les rumeurs d’un futur comics m’a fait vibrer et m’a fait retrouvé l’excitation que je ressentais, antan, quand on annonçait des cross overs mythiques…. Superman & The Autority c’est juste l’archétype associé à l’iconoclastie. Après, il y a eu un dessin animé Superman contre l’Elite, qui l’air de rien est une réponse (et une caricature) à l’irrévérence de The Autority, et donc un détournement des héros de ce comics qui finissent d’ailleurs par se noyer dans leur cynisme face à l’inamovible puissance morale de Superman.

Dans l’attente donc, car pour le coup, le détournement sus nommé ne rendait pas justice à l’émouvante Jenny Sparks, l’esprit du vingtième siècle, avec son insolent Union Jack sur le tee-shirt, qui meurt au début du nouveau siècle… The Autority ce n’était pas un groupe de punks souhaitant détruire le monde en n’agissant qu’à leur tête… c’était surtout des libertaires qui conscients de leurs pouvoirs, voulaient s’affranchir d’une certaine autorité pour favoriser la justice. La vraie, celle qui répare les préjudices des faibles, des démunis et des opprimés. Dans cette idée de l’autorité, le comics révolutionnait le discours tout en invitant à la réflexion. Les voir revenir, au détour d’un comics inattendu, ne pouvait que m’inspirer cet article enthousiaste d’un vieux fan endormi.

Economie locale, la clé d’un futur plus harmonieux ?

Le pain est notre aliment essentiel, en France, et il est presque impensable d’imaginer un repas sans lui… alors quand tout est produit en local, ça montre qu’en ces temps de mondialisation, broyeur d’humains, certaines logiques ne sont pas délétères mais peut-être salutaires ?

Petite vidéo sympa sur le site du Dauphiné libéré, qui donne envie d’une telle dynamique un peu partout, loin des logiques d’optimisation des coûts et de compétition à la performance.

La vidéo, c’est ici !

https://www.ledauphine.com/economie/2021/03/20/de-la-farine-au-pain-quand-tout-est-realise-localement

Du changement dans les cookies… de l’intérêt de l’adhésion

Il y a peu, on m’a demandé comment je ferais pour bien référencer une page, un site, etc. Ma réponse a été immédiate, simplement se mettre bien à jour des contraintes du légendaire algorithme protéiforme de Google et du contenu de qualité. Il y a au 31 mars une évolution notable de la législation entourant l’utilisation des cookies (voir l’article sur webrankinfo toujours aussi clair et complet) et dans le fond ça me fait un peu sourire car tout ça suit l’évolution simplement prévisible d’une société toujours en quête de normalisation. Une normalisation qui peut être vue comme un frein, une stratégie de contrôle, une stratégie pour créer de nouvelles et fructueuses interactions et dépendances financières, en bref plein de choses négatives et qui de manière logique peuvent titiller l’entrepreneur à l’instinct libéral (et donc libertaire) qui n’en peut plus de toutes ces règles qu’on lui impose. Après, l’ambivalence dans notre monde est peut être la seule chose qu’on ne peut décemment nier. Il faudra toujours des règles et du contrôle et comme je l’espère profondément, de la liberté pour agir et exister. Durant longtemps, internet aura été une sorte de Far west (à mes yeux), soit une terre où planter ses piquets ne posaient pas trop de souci, sachant que l’absence d’un territoire physique rendait l’exécution de la loi problématique (de la question du virtuel). Bien entendu, ça n’aura duré que le temps de la compréhension de ce qu’est internet, au delà d’un mot magique, un simple protocole s’appuyant sur une réalité matérielle donc localisée, localisable, et par essence, sous l’égide d’une législation quelconque.

J’adore l’histoire et la sociologie, et je dois confesser que j’ai trouvé l’accélération culturelle, technologique et médiatique des 20 dernières années tout simplement passionnante. Ce fut intense, parfois fou, souvent absurde, mais extrêmement intéressant. J’ai donc vu naître ce business model consistant à l’exploitation des données (de manière dynamique) avec au début la pleine conscience des aspects dérangeants de la pratique. Surtout qu’au début, il y avait un vieil instinct de résistance qui ne supportait pas la surveillance et le flicage, donc je n’imaginais pas que cela fonctionne aussi bien. Puis, bouleversement, j’ai vu un changement radical de cet état d’esprit, avec une sorte de confiance aveugle dans la nouvelle technologie et les services. Dans le fond, l’important demeure la bienveillance… mais quand nos données deviennent l’objet de transactions secrètes, d’un véritable trafic parfois, à l’évidence l’excès de liberté ne pouvait apporter qu’une sorte d’anarchie, peu justifiable.

J’avais humblement prédit la prégnance de plus en plus forte de la réglementation, de la loi, du juridique, sur le web. C’est toujours autant amusant de voir les sites web en premières pages de Google partageant souvent les mêmes contenus, par la magie du copié/collé. J’ai par ailleurs le souvenir en 2008, d’un ami webmarketeur qui constatait avec colère qu’un site ayant dupliqué son contenu se retrouvait mieux classé que sa propre page sur le web. Car les critères pour gagner des rangs se basant sur l’antériorité en ligne, il pouvait arriver à l’époque – j’avoue que je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui- de se retrouver déclassé alors même qu’on était l’auteur d’un billet, d’un article, d’un contenu quelconque. Ce qui m’avait amené par ailleurs à déposer certains contenus à différentes occasions, car oui, c’est irritant de voir ses mots, son travail, récupérés par d’autres. Et dieu sait que ça m’est arrivé, même au niveau artistique pour ma part. Souvent, je me plais à dire que tout est capital, au sens économique du terme. Tout ce qui est créé possède une valeur, intrinsèque. On peut avoir l’âme généreuse et philanthrope, et en faire don au collectif. Ou on peut vouloir en conserver la paternité, auquel cas il faut se préparer à devoir se défendre en ayant la charge de la preuve.

Les données personnelles ont longtemps été un sujet complexe car il demande une appréhension fine de ce que c’est, à quoi ça sert, et tout ce qui peut en découler économiquement. Les cookies sont en cela un symbole fort et exemplaire dans une société où la vitesse, la rapidité, l’obtention de la satisfaction, sont devenus prioritaires. Je me disais ce matin, en y réfléchissant, que devraient apparaître rapidement des applis pour gérer les cookies. En bref, un petit programme facilitant en local (sur l’interface matérielle utilisateur) la gestion des autorisations à distance. Car à l’avenir, avant d’entrer dans un site aux intérêts marchands, il va falloir lire quelques mentions légales avant de pouvoir faire ses emplettes ou trouver des informations. Nous ne sommes plus dans la confiance et la bienveillance, mais bien dans la prise de conscience, l’adhésion et l’acceptation. Au vu des scandales à grande échelle de ces dernières années, il est malheureusement difficile de nier l’intérêt de ce processus de normalisation… tout en se préparant à la lourdeur en terme d’ergonomie.

Une soirée avec Claude Sautet

J’achève ma soirée sur Arte avec Claude Sautet, mon cinéaste favori, une petite tête devant Sergio Leone, mais comme toujours avec moi, l’éclectisme est de mise. BIen qu’en y réfléchissant un peu, les deux cinéastes ne sont pas si éloignés que ça avec une inclination à saisir la vérité des sentiments et des émotions dans les regards et les non-dits. Ma fille était venue une fois encore me briefer sur son workshop (un anglicisme que je trouve assez loufoque vu le contexte : un cours) quand je l’invitais à savourer, en ma compagnie, les derniers plans d’Un coeur en Hiver, mon film favori de Sautet (avec Max et les ferrailleurs, ex-aequo). Ah… cette scène magnifique, de deux personnes qui s’aiment, qui n’ont pas su se trouver au bon moment, et qui par un dernier échange de regards se donnent une seconde chance qu’on se plaira d’imaginer, ou non, avec cette fin délicieusement ambiguë (avec les deux points sur le « e », au bout de 20 de correction auto ça y est, c’est rentré).

A un moment donné, Patrick Dewaere expliquait sa vision du ciné de Sautet que je partage complètement. Sautet était le cinéaste, par excellence, des non-dits. Et surtout, il illustrait cette passion froide mais puissante qui peut saisir un être mu par sa passion sincère, par des sentiments qui dépassent la raison pour bousculer le raisonnable et le quotidien. Ce soir, j’étais ému par le personnage de Camille, interprétée par cette actrice hors norme qu’est toujours restée Emmanuelle Béart, en dérive totale car tourmentée par un amour qui la dépasse et la submerge. J’aime voir Max péter un plomb à la fin des ferrailleurs pour sauver la pute dont il s’est servi, et dont il s’est, bien malgré lui, amouraché. Et le pétage de plomb d’Auteuil dans Quelques jours avec moi, et la volte face de Piccoli dans les choses de la vie. Ce cinéma me manque, cette finesse me manque, cette lenteur dans la description des émotions me manque, dans les productions actuelles où tout est, comme trop de choses, normé, rapide, marketé.

Ma fille n’a pas pris le temps de savourer le dernier regard de Camille à Stéphane, me sommant de lui donner mon avis sur une question tierce, génération sous pression, génération dans l’angoisse bien réelle d’un avenir flou. Plus de temps pour les regards, plus de temps pour ces questions et ces affaires secondaires, à l’heure où les passions se rédigent à distance et en public sur des réseaux qui deviennent, trop souvent, des vitrines pas moins transparentes que celles d’Amsterdam. Pourtant, ce soir, dans le dernier regard de Stéphane à Camille, dans son petit sourire, il y avait un espoir si grand qu’il pourrait servir d’inspiration. Tout n’est perdu que lorsqu’on abandonne, tout reste possible tant qu’on veut y croire. C’est naïf, peut-être, mais ça reste beau.