TrĂšs longtemps que je ne suis pas venu ici pour poster un article, mais le boulot m’accapare, mon grand projet qui prend forme petit Ă petit en me demandant toute mon Ă©nergie et tous mes efforts. Mais au vu des Ă©vĂ©nements, il faut Ă©crire pour tĂ©moigner. MĂȘme si ce blog n’est que mon journal intime Ă ciel ouvert, en rĂ©sumĂ© juste un espace personnel pour dĂ©fouler, un peu, ma passion pour l’Ă©criture, c’est important Ă l’heure actuelle de signifier sa position par rapport Ă l’orientation d’un monde qui part dans une trĂšs mauvaise direction.
J’adore les mots, j’adore le langage, je suis philologue au sens Ă©tymologique du terme. TrĂšs jeune, on a remarquĂ© cette facilitĂ© que certains qualifient de don et qui n’est Ă mon sens qu’une expression d’une certaine sensibilitĂ©. Quand j’Ă©tais enfant, les mots sonnaient comme des notes de musique et longtemps, j’ai Ă©crit en composant plus qu’en rĂ©flĂ©chissant. Je suis trĂšs sensible Ă la poĂ©sie et je peux ĂȘtre vĂ©ritablement Ă©mu Ă la lecture ou Ă l’Ă©coute d’un beau texte. Il y avait pour moi une forme d’harmonie dans l’Ă©criture qui longtemps, fut ma boussole. Puis avec le temps est venu la quĂȘte du sens. Soif de culture avant tout, car je venais d’un milieu humble malgrĂ© des parents d’une rare intelligence et d’une certaine finesse. Je ne suis pas l’expression de mon habitus, je suis pour le coup, et j’Ă©cris ça avec Ă©normĂ©ment d’humour et de dĂ©rision, le parfait français. Actuellement, c’est compliquĂ© d’Ă©crire ou de dire ça, car dans cette Ă©poque trouble de repli sur soi, de haine et de rancoeur pour cet autrui qui nous prend tout, dans cette hystĂ©rie qui raconte une rĂ©alitĂ© oĂč les espaces sont menacĂ©s en permanence d’une perfide invasion… ĂȘtre français sonne comme une dĂ©claration de guerre.
Paradoxe Ă©trange de ce pays tellement enivrĂ© de lui-mĂȘme, de l’image qu’il se fait de lui, de cette idĂ©e fixe qui compose l’essentiel du discours patriotique. Le pays des LumiĂšres, le pays des droits de l’homme, le pays de la LibertĂ©. Et aussi de tout son inverse, des pires exactions, des pires corruptions. J’ai eu l’immense chance d’avoir deux grand-pĂšres formidables, les deux militaires, qui ont Ă©tĂ© du bon cotĂ© en 39/45. Du cotĂ© maternelle, il crapahutait aux cotĂ©s du GĂ©nĂ©ral Leclerc, et il a dĂ©barquĂ© Ă Paris Ă l’issue de cette odyssĂ©e. L’autre a reçu, deux mois avant sa mort il y a 5 ans , son euthanasie pour ĂȘtre prĂ©cis, la lĂ©gion d’honneur pour acte de bravoure (dynamitage de voies ferrĂ©es dans la RĂ©sistance). Je me rappelle mon grand-pĂšre paternel avec qui j’avais un rapport particulier, un rapport fort, car nos caractĂšres avaient l’Ă©vidence la mĂȘme hardiesse… ce que je comprends, Ă prĂ©sent, avec le temps. A peine avait-il reçu cette mĂ©daille, rentrĂ© chez lui, vautrĂ© dans son fauteuil, affaibli et parfois hagard, qu’il me regarde et me demande si « effectivement, c’Ă©tait important » ? Je l’ai regardĂ© et j’ai rĂ©pondu du fond de mon coeur, le plus sincĂšrement que ma propre pudeur le permettait : « bien sĂ»r que c’est important ».
Je ne parlais pas de la mĂ©daille ; je parlais de l’acte. Je parlais de ce qu’il avait fait pour la mĂ©riter, aprĂšs tant d’annĂ©es passĂ©es en n’ayant jamais mis Ă profit cette hĂ©roĂŻsme vĂ©ritable, lĂ oĂč d’autres avaient fait des carriĂšres opportunistes. Mes grand-pĂšres Ă©taient français, chacun Ă leur maniĂšre. Français comme l’explique si bien Romain Gary dans les cerfs-volants, avec cet officier allemand qui trouve la mort aprĂšs l’attentat ratĂ© contre Hitler. Français comme l’ont rĂȘvĂ© nos plus grands Ă©crivains. Je ne suis pas fier des faits de guerre, je ne suis pas fier d’une histoire conçue comme un artefact Ă destination d’un ego sans cesse boursouflĂ©. Si je ne peux pas croire les rĂ©cits d’un passĂ© sans cesse recomposĂ© et toujours davantage hĂ©roĂŻsĂ© (voire Ă©rotisĂ© vu les passions que certaines lĂ©gendes suscitent), jusqu’au dĂ©ni d’une rĂ©alitĂ© pourtant rĂ©cente (la collaboration), je peux me fier Ă la plume de Victor Hugo, de ces fameuses LumiĂšres, de ceux qui au fil du temps ont tĂ©moignĂ© d’une sagesse et d’une grandeur, qui sont, elles, vĂ©ritables.
Je me sens français quand je lis l’Aigle du casque et sa justice immanente. Je me sens français quand je lis Camus… je me rappelle mon Ă©motion, Ă 18 ans, quand j’ai lu la Chute, rĂ©cit frĂ©nĂ©tique jusqu’Ă la fin, jusqu’Ă la chute, nous renvoyant tous Ă l’hypocrisie de nos postures, Ă la damnation de nos acquis. Je me sens français quand j’entends les citations de tant d’artistes qui font notre grandeur. Je me sens français quand je pense Ă Saint Louis qui lui, en vrai monarque, allait en aide aux plus dĂ©favorisĂ©s. Je me sens français, quand j’entends la Marseillaise, car je vibre d’Ă©motion en imaginant ces gens rĂ©voltĂ©s. C’est ça mon ADN de français, ce n’est pas du chauvinisme aveugle mais bien la fiertĂ© d’un hĂ©ritage d’humanisme et de grandeur.
Je me sens français quand je me rappelle ce qu’il y a, dans ce mot, « France ». Je suis parfois tristement sidĂ©rĂ©, quand je pose la question Ă mes compatriotes, qu’ils n’entendent plus le son qui pourtant, moi, me frappe. France comme free, France comme Franck… une racine commune qui infuse dans tous ces mots la notion de libertĂ©.
Etre français, pour moi, c’est refuser la tyrannie. C’est refuser d’oublier les idĂ©es et les idĂ©aux qui sont inscrits, beautĂ© sublime, dans notre constitution. C’est voir aussi le mal, sans louvoyer, comme l’aigle du casque qui Ă©cĆurĂ© par la mĂ©chancetĂ©, la vilainie de Tiphaine, prend soudainement vie. Etre français c’est trois mots qu’on oublie Ă l’heure d’aujourd’hui. Trois mots qui ont la force et la puissance, qui sont la plus parfaite des trinitĂ©s : LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ©. Tout est lĂ , il n’y a rien Ă gloser ou Ă dire de plus. Juste Ă s’interroger si cette simple loi, celle qui domine toutes les autres, est respectĂ©e. Etre français, ce n’est pas dresser une cocarde vidĂ©e de toute sa substance pour semer la haine, la discorde et l’injustice. Etre français ce n’est pas prĂ©tendre dĂ©fendre une rĂ©publique fantĂŽme, une rĂ©publique fantoche, qui oublie que sa seule raison d’ĂȘtre est de servir, et non asservir, son peuple.
Alors oui, je suis le parfait français, en cela que j’aurai toujours en horreur l’autoritarisme, le totalitarisme, et surtout, l’injustice. Je suis profondĂ©ment atterrĂ© par le niveau des dĂ©bats en politique, par la dĂ©cadence et l’impĂ©ritie de la scĂšne politique. Je constate la profonde division de notre peuple qui se dĂ©chire au grĂ© de toutes les manipulations, les provocations, les intimidations de ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir et entendent bien le garder. Je suis si profondĂ©ment déçu que le rĂ©flexe soit encore de s’en prendre, si lĂąchement, aux minoritĂ©s les plus silencieuses et les plus vulnĂ©rables. C’est si facile, c’est si minable, c’est tellement pratique, Ă©galement.
Je suis le parfait français et je suis donc profondĂ©ment imparfait car j’ai conscience de n’ĂȘtre rien, et j’en suis pour le coup trĂšs fier… car c’est une preuve d’intelligence. Mais Ă notre Ă©poque cynique oĂč l’amoralitĂ© est un consensus, il vaut mieux lire Machiavel que Blaise Pascal. Pourtant, je vais citer ce grand français car c’est dans son humanisme que moi, personnellement, je me retrouve… et que je veux demeurer malgrĂ© le bruit des bottes et la menace de la trique :
Lâhomme nâest quâun roseau, le plus faible de la nature; mais câest un roseau pensant. Il ne faut pas que lâunivers entier sâarme pour lâĂ©craser : une vapeur, une goutte dâeau, suffit pour le tuer. Mais, quand lâunivers lâĂ©craserait, lâhomme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce quâil sait quâil meurt, et lâavantage que lâunivers a sur lui, lâunivers nâen sait rien.
Toute notre dignitĂ© consiste donc en la pensĂ©e. Câest de lĂ quâil faut nous relever et non de lâespace et de la durĂ©e, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc Ă bien penser : voilĂ le principe de la morale.
Blaise Pascal, Pensées, fragment 347