La tension de l’implosion

Bon… j’ai beaucoup trop de boulot mais l’actualité politique est tellement dense et explosive que je ne peux pas venir m’épancher sur mon blog pour analyser, de mon petit point de vue, ce qui se passe… Quelle période folle que nous vivons ! Il y a un basculement, au niveau national mais aussi mondial, et notre pays symbolise parfaitement cette tension, palpable, sensible, que les événements, que les manigances politiques, accompagnent autant qu’elles engendrent.

Déjà, la réalité du Parlement… J’ai essayé d’expliquer à ma fille, qui commence à s’intéresser à la chose politique, l’erreur de ne mesurer les forces qu’avec le filtre bipolaire gauche/droite. Le recours permanent à l’analogie historique contribue pour beaucoup à maintenir une illusion idéologique alors que le véritable moteur des intérêts est à présent purement économique, voire prosaïquement financier. Il faut arrêter cet aveuglement qui consiste à imaginer nos animaux politiques poursuivre un quelconque idéal sociétal… Tout repose sur la manière dont est partagée, répartie pour être plus précis, la richesse. Et là, le Parlement actuel révèle des logiques qui ne laissent pas trop de place à un quelconque espoir pour ceux qui sont le plus démunis, les plus oubliés… et je pense notamment aux électeurs du RN qui ne sont pas majoritairement des fascistes mais bien des êtres humains faillibles, désespérés, en colère, perdus et enfumés par des médias très complaisants qui abusent de leur capacité de manipulation. Donc, ce Parlement ne compte qu’une centaine d’insoumis, face à tout le reste qui veut et va entretenir le système actuel. Ce n’est pas pour rien si notre monarque suprême vient de déclarer qu’il nommerait un Premier tyran, pardon, ministre, après le vote pour le président de l’Assemblée. Ce qui sortira de tout ça sera à l’évidence un compromis, donc au pire la sortante (mais très bon symbole de la tétanie systémique) au mieux De Courson qui serait tout du moins un arbitre un peu habité par ses responsabilités (mais ne soyons pas trop naïf quant à sa capacité à enfreindre la règle pour le bien du peuple, un tout petit peu le fond de tout ce fatras ludico-réglementaire). Mais à la fin, quoi qu’il en soit, entre la venue trop retardée de la proposition d’un premier ministrable du NFP qui révèle de la faille, de la rupture, entre deux idées de ce que doit être la Gauche, et les manœuvres pathétiques d’un président qui s’adresse par l’entremise de « lettres » à son peuple, révélant le recours à la manigance (mais pas que ça : il y a de la peur, il y a de la fuite, il y a cette sensation de pousser le bouchon à un point qui effraie un peu), ce Parlement est dans sa grande majorité à droite. Et par cela je ne dis pas qu’il y ait une quelconque idéologie qui unissent tous les partis, mais bien une idée de la répartition de la richesse produite par le peuple. Une richesse qui veut que les capitaux soient abondés sur le dos d’un peuple destiné à turbiner pour ce noble but.

L’implosion est inévitable. Que ce soit avec l’Europe qui veut nous dresser à coups d’amendes alors que c’est la France qui abonde magistralement ses caisses, ou les résultats calamiteux de la politique économique de ce qui apparaît avec le temps comme un incompétent ou un illuminé (je n’ose évoquer la traîtrise volontaire), la situation est terrible. La France est dévastée, gérée par un centralisme et tout un poulailler culturel qui avec une insouciance coupable, ont bâti leur bonheur sur la misère de leurs concitoyens en province. Que dire quand on regarde chaque région de notre pays à la loupe ? Que dire quand l’horizon est aussi sombre que la politique actuelle nous donne à constater ?

A l’évidence, le choix aura été fait de détruire ce qui faisait un peuple. Nous avons été atomisés, consciencieusement, nous avons été réduits à n’être que des individus isolés et incapables de nous unir vers et pour un but commun. Nous avons été encouragés à poursuivre un individualisme prédateur qui fait que l’autre est soit un ennemi soit une chose à exploiter. Il y a une réelle faillite morale dans tout ça, avec en principale responsable la tête de pont politique. Quand Jean-Luc Mélenchon est indéniablement la seule figure politique qui conserve des épaules et une réelle valeur (je n’ai pas osé parlé d’un « capital ») culturelle, c’est à la fois déconcertant et déprimant. Dans le fond des choses, il n’y a aucune proposition novatrice qui ressorte de tout ce bordel politique. Présenter la France Insoumise comme une force du chaos ou, avec un peu de vernis, de la révolution, est une farce. Nous n’avons qu’une horde de réformistes qui veulent ajuster le système à la marge. Sauf que c’est bien une page qui se tourne, alors la marge elle se fout bien de notre gueule.

De cette inconscience, de ce narratif entretenu, soigneusement maintenu comme seule stratégie de gouvernance d’un système qui vit aux dépens d’un peuple comme des parasites n’ayant comme seule ambition de se nourrir jusqu’à ce que la bête soit exsangue, il ne sortira rien de bon. Ce futur Parlement, qui va décevoir tellement de gens, de droite ou de gauche, qui espèrent sincèrement (ou désespèrent, à mon instar) un changement positif, va incarner pleinement la faillite de la démocratie représentative. Macron a annoncé, avec des termes feutrés, doucement introduits comme tout ce qui pénètrent les zones sensibles, qu’il allait se pencher sur ces questions constitutionnelles. C’est la dernière étape d’un implacable retour à la féodalisation soit le déséquilibre institutionnalisé des forces par une hiérarchie sociale acceptée. Que reste-t-il de notre peuple, de ce conte pour enfants qu’est la France ?

La rentrée va être terrible, mais cet été ne le sera pas moins. 600 décrets passés en lousdé, un Parlement qui va commencer un sophisme industriel pour nous expliquer que « nous n’avons pas le choix ». La marmite qui commence à chauffer comme il faut, faisant que les grenouilles clamsent peu à peu mais sûrement. Clément Viktorovitch qui invite à la création d’une nouvelle Constituante, projet autant fantasque que cette idée de parler à un peuple via le médium fourni par un GAFAM… Tant que le constat liminaire ne sera pas de comprendre que la démocratie représentative repose sur la réalité d’une ploutocratie, nous continuerons à nous comporter comme des enfants turbulents auxquels il suffit de raconter une belle histoire pour taire toute velléité de changement.

Tant que nous estimerons que nous y sommes, à l’acmé de ce qui peut se faire en terme de gouvernance, tant que nous continuerons à adorer cette fameuse démocratie représentative comme une chose irréfutable, comme un processus fonctionnel et salvateur, nous serons piégés dans cette logique sisyphienne qui veut que nous attendions un espoir avec autant de chance qu’arrive un messie cosmique. Ce n’est pas impossible, mais c’est vraiment faire reposer son destin sur un coup de dé à mille faces.

Certains commencent à dénoncer la révolution de 1789 comme une révolution bourgeoise. Soit. Mais comme toujours, il faut aussi ne pas se perdre dans le manichéisme coupable. C’est bien des êtres éduqués, des êtres cultivés, des êtres idéalistes qui ont aussi insufflé ce qui fait la beauté des valeurs, d’une volonté humaniste inscrite encore sur certains frontons de nos monuments. La seule révolution qui peut changer les choses doit être culturelle et philosophique. Refuser le destin d’être réduits à des animaux dont on attend que d’être dominés, et donc manipulés, par nos bas instincts, nos humeurs et nos émotions. Sortir de l’enclos du narratif écrit pas des intérêts privés pour écrire celui d’une société qui se voudrait à nouveau unie et solidaire. Hier, ma fille me disait, suite aux événements de ce WE, que les ricains étaient un peuple de tarés. Je lui ai répondu que c’est le système et son idéologie qui engendre les névroses dans un peuple… et qu’il fallait arrêter de considérer que nous puissions être différents vu l’américanisation de notre pays, en nette accélération à la chute du mur de Berlin. En bref, et pour faire dans le brutal et le violent (soyons un peu redneck), sommes-nous encore français, ou sommes-nous devenus des américains ? Qu’est-ce que l’Amérique (un terme en soi qui nécessiterait tout un développement tant il porte en lui-même une histoire et une escroquerie), les Etats-Unis pour être plus précis ? Un ensemble de petits pays dirigés par une élite ploutocratique qui fait croire à un destin commun, à l’idée d’une compétition civilisationnelle. Si tu remplaces l’Amérique par l’Europe, tout s’éclaire et tout est simple.

Par ailleurs les restaurants à base de burgers ont vu exploser leurs bénéfices l’année dernière. S’il est possible de définir l’idéologie dominante d’un peuple par ses choix alimentaires, nous y sommes aussi. Est-il possible de se dégager de l’étreinte fatale de la sirène burger, symbole alimentaire de l’artificialité de nos sociétés ? Difficile à dire, mais entre une blanquette de veau et un machin tri-protéiné (bacon/poulet/fromage), mes gosses ont depuis longtemps fait leur choix. Qu’y puis-je ? Rien, c’est à eux de vouloir autre chose et pour leur défense on ne leur propose que ça à la carte du menu.

Allez, une grosse demi-heure à écrire (mais ça défoule), retour au boulot, surtout que ça va pas tarder à chauffer sec.

L’impasse idéologique

Bon… ce matin j’essaie de bosser mais il y a des fois où je suis dans des phases d’intenses turbinages intérieurs et c’est pas évident d’être bassement, mais pragmatiquement, productif. Avant de venir ici, j’ai réalisé un petit boulot de planification… mais à force d’écouter les analyses et les commentaires de la chose politique (ne pas mettre les médias en marche en bossant), une fois encore je viens me perdre dans ces horizons arctiques car voilà, créature de Frankenstein oblige.

J’écoute tout, comme toujours. La gauche, la droite, le centre mou, et tous ceux qui ne sont pas dans ces polarités mais bien dans le navire qui tangue, tangue, tangue, et qui n’a pas du tout fini de tanguer (ça va même très très secouer dans très peu de temps).

Nous en sommes à la phase des espoirs et des promesses, de la digestion des déceptions et des amertumes prophètes d’un avenir sombre. Mon petit point de vue c’est que de toute manière nous sommes dans une impasse, et plus profondément que simplement choisir un camp, nous nous retrouvons dans une impasse idéologique. Que ce soit à gauche ou ailleurs, tout repose sur des schémas archaïques où germent en eux-mêmes les semences du problème. Ce que tout un système promeut, le seul point du consensus qui nourrit la validation médiatique, c’est la nécessité d’un productivisme qui transforme l’individu honteux en travailleur glorieux. Il y a là la base d’une errance où il est facile, si tentant, de se perdre. Oui, il est si bon de participer à cette synergie collective, il est si bon de faire partie du corps avec la sensation d’en être un organe vibrant et actif. Oui, je sais, j’ai nourris mes propres chimères avec cette passion que je nourris pour le travail qui me pousse par ailleurs à écrire ces lignes plutôt que me distraire ou m’évader dans des activité ludico-productive (ça y est, j’ai décidé de me lancer dans l’écriture d’un ouvrage dont j’ai achevé le plan). Mais là, le (bon) vouloir ne va pas suffire. Nous nous écroulons sur nous-mêmes, nous nous agitons et nous remuons du vide pour le vide. Jamais nous n’aurons été dans une sorte de bavardage intense dans une tentation lancinante de l’obsession stérile. Y en a des obsessions qui reviennent dans les débats, par ailleurs : le méchant Mélenchon, la dette menaçante, le machiavéliste président, l’impuissance politique et économique, le reste du monde qui nous rappelle constamment à quel point nous sommes petits et si négligeables. Tout nous rappelle constamment que l’apocalypse arrive et que ça va être dur comme la pointe d’un diamant qui pète celui qui rutilait avant.

Il y a un petit bruit derrière tout ça, il y a un petit bruissement d’énergie et d’envie qui circule dans des petits canaux isolés mais qui commencent à s’irriguer entre eux. Dans ces corridors souterrains qualifiés souvent de complotistes par une bonne pensance très installée, il y a de l’ambition et quoi qu’on en dise une saine volonté. Des gens qui rêvent de leur pays, qui veulent retrouver le bonheur collectif comme but sociétal et politique. Des gens qui rêvent de justice et d’un mouvement qui tendrait non à tenir les meubles d’une baraque qui s’effondre, mais bien proposer un retour à l’ambition d’un pays qui se veut pays et non petit atome d’un tout qui le rend infime et dérisoire, qui le pille tout en le dénigrant consciencieusement. Hier soir j’écoutais donc la rencontre jubilatoire de Pierre-Yves Rougeyron du Cercle Aristote et Yohan du Canard réfractaire, arbitré par un Idriss Aberkane jovial. Bonheur de voir des bords se rejoindre non pour s’invectiver dans une logique binaire mais bien s’écouter pour se rejoindre dans une idée commune d’un avenir commun. Je sors, personnellement, rincé de ses élections législatives. Je parle à mes voisins, certains votant RN. Ce ne sont pas des fascistes, ce ne sont pas des salauds ou des racistes. Oui, je sais, ne sombrons pas dans l’angélisme, mon travers par ailleurs, il y en a car la haine pathologique est aussi réelle que la candeur coupable. Mais une fois encore réduire le débat à un combat manichéen avec la création très opportune d’un Front Républicain qui demeure en lui-même l’incarnation de la fracturation d’un peuple, est une errance insupportable. Cet abus de la référence historique pour asseoir une pensée vide, pour camoufler le manque d’inspiration, le besoin d’en trouver dans un passé qui nous a fait connaître l’hubrys ultime d’un conflit mondial particulièrement destructeur, est consternant.

Ce matin, un commentateur (sur Tocsin) évoquait la médiocrité du personnel politique. Soit. Qu’attendre dans une société de la jouissance qu’une succession d’apparatchiks qui jonglent avec le lexique de la sophistique élémentaire ? Il y a quelque chose de fascinant à voir ce combat pour la démocratie menacée par la bête immonde. Ils y croient les bougres, ils s’enfièvrent et s’angoissent en imaginant des défilés d’uniformes bruns dans des champs Elysées relayant l’imagerie d’une société napoléonienne croisée avec un fascisme du début XXème. Nous sommes dans un ancien monde qui meurt et nous emporte avec lui, comme l’écume prise dans un siphon implacable.

Outre Atlantique, un vieux monarque dévoile sa triste obsolescence, symbole involontaire et tragique d’un système incapable de lâcher prise. Là-bas aussi, il y a une stratégie du pourrissement. C’est sans nul doute la seule qui reste une fois tous les abus consommés. Quand tout est construit sur la base mouvante et mourante de l’exploitation d’autrui, les recours ne sont pas nombreux. J’ai abordé ici, à maintes reprises, la tentation de la verticalisation. Pour le coup, l’Histoire regorge de révélations quant à l’avenir de ce type de construction sociale… une tête malade ne rend jamais un corps sain qui comme une hydre pragmatique choisit un jour d’en changer. Dans l’espoir d’avoir enfin la bonne tête qui le guide et le nourrit au lieu de s’enfler à ses dépens. Il y a quelque chose de résolument pathétique, et il faut le dire, méprisable, que ce désir de jouir de ce que l’on extorque à l’autre. Il y a de la psychopathie et de la sociopathie a prendre tout en prétextant que celui d’en dessous, quoi qu’il en soit, ne le mérite pas. Comme le disait Georges Kusmanovic suite au résultat de ces élections, il y a de la fable de La Fontaine dans tout ça. La grenouille qui se veut plus grosse que le boeuf et tout ça.

Nous nous débattons dans des vieux schémas, nous nous suffisons des vieilles, si vieilles, modélisations. Le marxisme était une analyse brillante, il est vrai… même si elle était le suc d’un système qu’elle croyait dénoncer. Je sais, vous me direz que nous sommes de toute manière pris comme dans une toile d’araignée par le train aliénant de la globalisation. Ce n’est pas que la France qui subit tout ça, c’est bien le monde entier. Absolument tous les peuples sur le globe sont en train de subir un destin commun, une logique commune. Et quand un pays comme le notre, qui a pourtant tous les moyens d’une réelle autonomie, se met dans la triste position de la pure dépendance, que faire et que dire ? Que penser, que vouloir, que désirer, qu’espérer, sinon trembloter dans son coin en priant pour que les demains ne soient pas aussi terribles qu’on les annonce.

Ils le seront. Une fois la farce actuelle éventée, une fois les illusions des lendemains de cuite dissipées, le réveil sera brutal et dur. Pour beaucoup, c’est déjà le cas. Ce n’est pourtant pas une fatalité. Mais ça demande à chacun d’entre nous de résister, de ne plus accepter des règles et des visions du monde, et de nous-mêmes, qui nous aliènent et nous empêchent. De ne plus êtres des petits hommes (et femmes) réduits à une animalité consommée. Quand les peuples comprendront qu’ils sont traités comme du bétail, quand arrivera cette prise de conscience, les choses pourront changer. Mais pour cela, il est vrai que nous devons aussi ne plus endosser le rôle avec une docilité déconcertante. Une pensée pour tous ceux qui sont pris dans l’inertie implacable de l’apathie ou de l’inconscience. Je repense encore à cet argument d’une injustice parfaite délivré par ce qui est sacralisé dans nos sociétés comme le symbole de Justice (ce qui en soi est très révélateur) : la turpitude. Tout ce cirque est permis voire bâti sur cette idée, sur cette volonté, sur cette attitude. Que de passivité, que d’acceptation, que d’allant à valider les raisonnements toujours réducteurs des élites condescendantes, si coupables d’être indigne de leur position, de leur prétendu surplomb tant moral qu’intellectuel. Qu’attendre d’une société où la vanité n’est plus une honte mais une médaille ? Qu’attendre d’un système où l’indignité est dans la faiblesse et non dans l’expression d’une domination à la fois brutale et perverse ?

Vraiment, essentiellement, il faut remplacer le kratos par l’ethos. Nous devons vouloir ce changement, nous devons refuser cette sacralisation qui installe un monde figé, délétère et sans issu. Oui, il y a une révolution à faire, pas dans les rues, pas en surface, mais intérieure, profonde. Il faut repenser les bases, ne pas se contenter d’un but contraint à un système pré-existant, mais bien vouloir tendre vers une aspiration à la fois collective et ambitieuse. Une première brique à la grande et nouvelle bâtisse : la nécessité première de la Justice élémentaire et de la solidarité glorieuse. Ne pas limiter la philanthropie à un don financier déductible des impôts. Comprendre que toute richesse excessive ne se permet et ne se crée que dans la spoliation et l’acceptation d’une inégalité systémique.

Oui, je sais, c’est chiant, ça fait de la soupasse philosophique, mais c’est ça qu’il faut pour penser un monde meilleur. Les commentaires et les convictions personnelles ne feront que de la tuile de paille qui n’empêchera pas la grêle de tout casser. Le vrai défi repose peut-être entre la bestialité d’une société des émotions aussi fragiles et manipulable et celle d’une peuple rationnel qui ne s’interdit jamais d’interroger la moindre certitude qui crée les profondes inégalités qui le torture ? Quoi qu’il en soit, et en conclusion, les idéologies actuelles ne sont que des impasses : pour en sortir il faut peut-être aller au bout de la pente, il faut la dévaler pour en constater l’angle perfide. La France demeure le pays possédant symboliquement le capital nécessaire à l’élaboration d’un nouvel idéal. Mais il ne se fera pas en recyclant sans fin les modélisations d’un passé révolu, en se figeant dans une vision archaïque des sociétés humaines, condamnées à l’injustice et à la seule condition d’un « kratos » qui suppose implicitement un maître… et un soumis.

Un point de bascule

Quelques jours avant le second tour des législatives et dans les médias les projections et les Cassandre(s) se disputent toutes les théories et les analyses concernant la suite des événements.

J’ai écrit moult billets depuis quelques semaines qui pourrissent dans la section des brouillons de ce site. Dans l’un d’entre eux je me risquais à la métaphore en disant simplement que pour retrouver la santé tous les régimes possibles ne sont guère utiles lorsque vous vous trouvez dans un bolide dont vous n’avez pas le volant. Mais à vrai dire, je pense que le problème politique, démocratique, économique que nous traversons est, dans la configuration systémique qui est la notre, insoluble.

Ce matin, j’écoutais un fervent défenseur de la démocratie représentative… D’ordinaire, je suis davantage habitué à ceux qui la souhaiteraient davantage participative. Nous sommes dans un moment de tumulte pendant lequel chacun donne son opinion, sa vision des choses, sa solution, son remède, son expédient. Quoi qu’il se passe dimanche, nous serons dans la continuité d’une phase de révélation qui s’est entamée à l’issue des élections présidentielles en 2022. Il n’y a pas de mouvement révolutionnaire en marche, il n’y a, de gauche comme de droite, en exceptant de traiter chacun d’extrême, qu’une molle intention réformiste.

Quelle chose merveilleuse que la réforme. Allez, perdons quelques secondes précieuses à analyser le mot. Re-former, en résumé, donner une nouvelle forme à une chose qui nécessitait d’en changer. Ce qui m’amuse toujours avec la réforme, c’est qu’elle contient en elle, par un abus dogmatique, l’idée qu’elle est toujours un progrès. Sérieusement. Et dans notre système au sophisme triomphant, la réforme devient un levier puissant pour valider une idée sans vraiment faire la démonstration des arguments. C’est comme ça que depuis des années ont été détricotées de très belles choses pour d’excellentes raisons, en donnant les récoltes minables ou les pires conséquences, sans que jamais ne soit remis en cause l’abus de la réforme pour la réforme. De la malédiction de la conviction qui en politique fait qu’on puisse endetter un pays pour 30 générations en prétendant l’avoir messianiquement sauvé.

Quoi qu’il arrive, qu’il y ait un pourrissement ou des ajustements à la marge, rien ne va changer. Le signe qui détermine mon pessimisme ? La stabilité de la bourse qui après une période d’angoisse s’est vite rassérénée.

Certains veulent y croire, un peu comme si nous nous trouvions à la veille d’un grand matin. Vous êtes sommés de choisir votre camp. Mais plus que jamais, à mes yeux, il n’y a pas de salut dans ce que j’entends. Le piège de nos sociétés libérales, c’est que la solidarité, la volonté même de construire une société humaine fonctionnelle visant le bonheur collectif, arrive en queue de peloton derrière les intérêts personnels. Les intérêts de classe, les intérêts électoralistes, les intérêts à la bourse, en bref des agios comptables, très personnels.

Donc j’irais voter, marionnette de plus dans un théâtre bien organisé. Après, il sera intéressant de voir les postures et les impostures que vont révéler les votes, les projets de loi, les discussions. La politique française s’est totalement décrédibilisée depuis un demi-siècle, dans l’indifférence générale. Il reste à espérer que cette fois le peuple, cet entité très fictive, prenne conscience de l’énormité du propos démocratique. Il y en a encore, beaucoup trop, qui sont dans l’euphorie d’une apothéose civilisationnelle. Et tous ceux qui douteront seront classés impitoyablement dans une catégorie spécifique qui suffira à balayer tout moment de réflexion, voire de conscience. Il n’y a pas de bons et de méchants. Ils s’insultent tous entre eux, ils se traitent tous d’une manière ou d’une autre, en bref le débat n’est permis qu’avec les pratiquants d’une même chapelle ou ça tourne à l’ordalie. Dans cette manière de faire, il n’y a d’ailleurs plus d’élégance élémentaire ; taper à plusieurs est encouragé voire souhaité, car ça permet de satisfaire la foule romaine qui se presse au colisée médiatique. L’important c’est vaincre, la faim justifiant les moyens.

Que restera-t-il de toute cette incandescence ? Des cendres grises et froides ou des braises qui attendent de faire de grands brasiers ? Dans la chaleur d’un été qui commence, il y a fort à croire et à craindre que tout sombre, avant la rentrée qui promet d’être très tumultueuse, dans une mollesse de saison. Après, la Bastille est tombée en juillet, tout est possible, mais je crains encore qu’à autre époque, autres mœurs. Le point de bascule est encore loin, loin à l’horizon. Personne n’y est vraiment prêt, et je me demande même si la majorité le veut. Nostalgique des années où la France suivait les rails d’une autonomie qu’une élite humaniste avait voulu, certains voudraient revivre les mêmes heures en conservant les avantages de la libéralité. Penser pour tous ou penser pour soi, nous en sommes là, et entre les dialogues de sourds et les monologues enfiévrés, bien que je passe pas mal de temps à écouter attentivement les logorrhées diverses et variées, rien qui me fasse annoncer aujourd’hui qu’il est reviendu le temps des cerises (ou alors sur le nez du clown – celui qui fait peur, pas l’autre !).