Good Bye John Cassaday

Je parle un peu trop souvent de politique sur ce blog, comme un expert de la matiĂšre noire, cette chose invisible et intangible qui donne des migraines au monde scientifique, mais je nourris bien des passions dont la BD. Et cette semaine j’ai appris avec une grande tristesse la mort de John Cassaday, un artiste que j’ai appris Ă  aimer notamment sur ce que je considĂšre comme un chef d’oeuvre du genre, Planetary avec Warren Ellis au scĂ©nario.

Je n’ai pas beaucoup de choses Ă  dire sur l’artiste, je ne suis pas du genre Ă  farfouiller dans la vie des gens, j’ai dĂ©jĂ  trop de mal Ă  vivre la mienne, donc je n’ai pas suivi le cours de la carriĂšre de l’artiste autrement que par ses collaborations et ses oeuvres. J’ai lu un peu de sa contribution sur la sĂ©rie X-Men, j’ai adorĂ© l’Ă©volution de son style, sobre et dĂ©licat, anti-spectaculaire et en mĂȘme temps d’une Ă©tonnante puissance dans la simplicitĂ©. En faisant une rapide recherche avant d’attaquer ce billet, j’ai vu une clichĂ© de lui, apparemment jeune, et j’ai Ă©tĂ© surpris de constater Ă  quel point il ressemblait au personnage du Batteur de Planetary. Je ne pourrais jamais signifier l’admiration que je porte Ă  tous les artistes qui oeuvrent, c’est le juste verbe, pour nous apporter la beautĂ© de la crĂ©ativitĂ© et de l’imagination dans un monde qui se complaĂźt dans la trivialitĂ© et une volontĂ© farouche de ne jamais sortir de l’orniĂšre, de l’impasse, d’un monde ancien. A chaque fois que j’apprends la mort d’un artiste, notamment dans la BD, c’est toujours avec le sentiment qu’un chaman de la Bulle nous quitte en nous laissant tous un peu orphelins.

Bye Bye John Cassaday, je ne te connaissais pas autrement que par les ĂȘtres que tu imaginais et dessinais, que par ton trait particulier qui au tout dĂ©but m’avait rebutĂ© avant que tu m’apprivoises et que tu me fasses comprendre que c’est ça aussi la beautĂ© : ne pas forcĂ©ment rĂ©pondre Ă  une attente, mais bien proposer quelque chose de nouveau, d’inattendu, pour enrichir nos dĂ©sirs trop souvent rendus conformes par les modes et les lignes Ă©ditoriales qui finalement rĂ©pondent autant aux idĂ©ologies dominantes que le reste.

Il me vient l’image finale de l’Ă©pisode des X-Men qui voit Kitty Pryde prisonniĂšre d’une immense balle qui finalement ne percute pas la Terre mais la voit s’Ă©loigner horriblement, terriblement, loin de tous et de ceux qu’elle aime. La derniĂšre page, sublime, montre la balle et une case de dialogue qui sobrement finit la phrase entamĂ©e la page prĂ©cĂ©dente avec l’adjectif « parti ». J’aurais voulu trouver cette image en ligne, je sais qu’elle dort quelque part dans le bordel qu’est ma bibliothĂšque, repaire de petits trĂ©sors. Toi aussi tu as dĂ©cidĂ© de partir et c’est bien triste car trĂšs Ă©goĂŻstement je sais que je ne peux plus que me repaĂźtre de ce que tu as dĂ©jĂ  crĂ©Ă© et qu’en partant si jeune, tu nous as tous privĂ© de ton talent si particulier. C’est pas grave, va, j’espĂšre simplement que pour des gens qui mettent de la magie et du rĂȘve dans le coeur des autres, il y a une petite place, spĂ©ciale et douce, pour eux, Ă  ce qui ressemble au Paradis.

Allez, une image piquĂ©e sur le site (https://them0vieblog.com/2010/04/21/astonishing-x-men-omnibus-by-joss-whedon-john-cassidy/), qui pour le coup illustre Ă  la fois la tristesse de ton dĂ©part et dĂ©montre la rĂ©alitĂ© de mes trop courts compliments. Peut-ĂȘtre qu’un jour je me donnerai le temps de rendre hommage Ă  tous les artistes que j’aime en faisant le travail de critique que j’ai menĂ©, une fois n’est pas coutume, sous un autre pseudonyme.

Le péril jaune ou ce qui reste dans la boite de Pandore

OulĂ … un titre un brin romanesque, entre le jeu de mot et l’allusion fine, je suis en forme. Ou plutĂŽt non. Fin de semaine, j’ai bossĂ© comme un dingo, il reste aujourd’hui, mais bon, l’actu, les rĂ©actions, moi, le monde, mon cerveau, le chaos, l’entropie et ce blog pour vidordurer tout ce qui m’emboutit.

Barnier donc. J’ai explosĂ© de rire, tant le choix est Ă  la fois Ă©vident, rĂ©vĂ©lateur, dramatique.

Evident parce qu’il n’y avait finalement pas de choix plus europĂ©iste que celui-ci, du technocrate biberonnĂ© aux couloirs et recoins des univers dĂ©mocratiques, qui aura Ă©tĂ© dĂ»ment dĂ©fendu par un Asselineau qui reste un homme de droite, ce que sa position souverainiste pourrait parfois faire oublier. Je conseille par ailleurs d’aller voir l’analyse trĂšs fine et pertinente de Georges Renard Kuzmanovic sur Tocsin (mĂ©dia prĂ©sent sur Youtube) – tout est dit et bien dit. Tout ça pour dire que le souverainisme n’est pas forcĂ©ment Ă  droite, mais la gauche ayant fait du nationalisme une manifestation du fascisme, c’est encore un prĂ©jugĂ© qu’il sera difficile de commuer.

RĂ©vĂ©lateur car au moins, on sait que le travail d’huissier va pouvoir dĂ»ment commencer. Avec la logique, avalisĂ©e par le mĂ©dias et peut-ĂȘtre mĂȘme par vous, petit citoyen hypnotisĂ© par la rengaine du dĂ©terminisme financier, qu’il faut rĂ©gler ses dettes, fussent-elles contractĂ©es par d’autres en votre nom, le temps est venu de cĂ©der le mobilier Ă  dĂ©faut de billets joliment imprimĂ©s (car le digital, ça reste du vent, et seul les dieux dĂ©cident si ce vent est tangible ou gazeux).

Dramatique, car avec ce choix, c’est un nouveau coup d’Ă©tat, un abus de pouvoir, une manifestation d’une tyrannie « dĂ©mocratique » qui s’accomplit. Psychologiquement, symboliquement, c’est bien dire au citoyen qu’il doit s’y faire, que tout ça n’est qu’illusion, que tout ça, la dĂ©mocratie, les droit(e)s de l’Homme, la LibertĂ©, ne sont que du dĂ©corum pour faire croire, pour faciliter la coloscopie en la rendant un peu moins douloureuse. Tu y es en dĂ©mocratie ? Tu en es sĂ»r ? Oui, peut-ĂȘtre. Si tu concĂšdes que ton seul pouvoir c’est accepter ou ne pas accepter, sachant qu’Ă  l’arrivĂ©e ça n’a absolument aucune importance pour ceux qui sont tes maĂźtres. As-tu vraiment le droit de te plaindre ? Tu y crois, tu y participes, tu fais de ton immarcescible candeur le carburant de leur manipulation vulgaire. Comme disait l’autre prĂ©sidentiable, « et ça passe ». Attention Ă  ce que la coloscopie ne s’achĂšve pas en lobotomie.

La gauche s’insurge. Poliment presque. MĂ©lenchon, grave et dans une contention qui est peut-ĂȘtre motivĂ©e par la volontĂ© de dĂ©montrer qu’il n’est pas le minotaure Ă©ructant du labyrinthe politique. Allez, on manifeste, Ă  Paris et pour les ploucs de province, un peu oĂč vous voulez… De toute maniĂšre, qui s’intĂ©resse Ă  la banlieue et au No man’s land dans ce pays oĂč la centralisation incarne le dĂ©faut majeur, le pĂ©chĂ© capital (sans jeu de mot) ? Au pire, cramez deux trois voitures histoire qu’on puisse dire que vous ĂȘtes Ă  la fois dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s, impolis et indĂ©crottables. Et Ă  nouveau, entre analystes, ça invoque, ça espĂšre, ou ça dĂ©sespĂšre, ça incante, ça prophĂ©tise, ça apocalyptise, le retour des gilets jaunes. SĂ©rieusement… Je suis souvent Ă©tonnĂ© qu’aucun analyste ne se penche un peu sur la raison de ce soulĂšvement qui repose, pour moi, sur le profil d’individu qui en Ă©tait la sĂšve. Qui Ă©taient les gilets jaunes, ceux des rond-points, les purs, les durs ? Pour l’essentiel, des travailleurs ou de simples citoyens qui venaient du monde bien rĂ©el. Des gens qui ne sont pas en train de s’abrutir entre les 12 000 possibilitĂ©s d’Ă©vasion, de distraction, de fuite, que leur offre leurs Ă©crans, qui ne voient pas le monde par le prisme dĂ©formant des mĂ©dias et des mĂ©diums qui nous rĂ©gurgitent la rĂ©alitĂ© pour nous la faire percevoir comme toute une idĂ©ologie veut que nous la percevions. Plus tard, de leurs rangs viendront les hĂ©ros du Covid, Ă  la premiĂšre heure. Encore plus tard, une partie d’entre eux seront encore « punis » pour dĂ©faut d’obĂ©issance, pour rĂ©sistance. Quid de tous ceux qui ont Ă©tĂ© privĂ©s de salaire, qui ont Ă©tĂ© harcelĂ©s au travail ou en famille, qui ont vu leurs droits simplement niĂ©s avec l’accord tacite de leur suprĂȘme leader qui ne rĂȘvait que de les emmerder ?

Ce matin j’Ă©coutais une matinale de France Culture sur la droitisation de la France… J’ai Ă©tĂ© un peu Ă©berluĂ©, Ă  la fin, par le consensus des participants… Tous les rĂ©acs sont donc des français qui croient en une France en noir et blanc qui n’aura donc jamais existĂ© (je caricature un peu) ? SĂ©rieusement ? Car vous ne croyez pas que la start-up nation c’est pas encore plus con comme illusion ? Nous sommes TOUS victimes de notre perception tronquĂ©e de ce qui fait le monde. La seule maniĂšre d’essayer de s’extirper un tant soi peu, et sans perdre la sagace conscience que nous serons toujours piĂ©gĂ©s par notre subjectivitĂ©, notre Ă©thos et notre habitus, de ce moi qui nous tyrannise, c’est en croisant un maximum les donnĂ©es, les sources, c’est en Ă©coutant tous les bords, tous les discours, toutes les visions, toutes les narrations, toutes les fictions. C’est pas Ă©vident, mais il n’y a que ça qui permet de distinguer l’absurde comĂ©die humaine qui fait notre sociĂ©tĂ©. Si la vĂ©ritĂ© n’est qu’un consensus, si la vĂ©ritĂ© n’est que l’interprĂ©tation sĂ©lective des faits que tu hiĂ©rarchises, valides ou invalides, tout n’est que fiction. Si l’idĂ©e est de vouloir prouver que sa fiction est meilleure donc s’impose Ă  celle des autres, c’est Ă  la fois une folie et une tragĂ©die. Ah, nous y sommes. Je suis donc rĂ©ac. Dur, au petit matin.

Qui furent donc les gilets jaunes pour ces bobos trĂšs satisfaits de leurs certitudes ? Ces fameux rĂ©acs, ces français dĂ©classĂ©s mais donc, selon les experts de France Culture, victimes d’un dĂ©ni somme toute condamnable (ils sont cons, pour faire court). Des français qui n’ont pas pris le train du monde, qui n’avait pas les jambes assez fortes pour courir et saisir l’opportunitĂ©, le kairos implacable d’un monde moderne, serviteur implacable d’un darwinisme cruel mais Ă©rigĂ©, reconnu, en loi immanente (sinon ces imbĂ©ciles de dinosaures auraient fini par inventer la dĂ©mocratie bien avant nous).

C’est pour ça qu’il a Ă©tĂ© facile de passer sur les mutilations, sur le harcĂšlement, sur le tabassage en rĂšgle que ces citoyens ont subi, qu’ils ont vĂ©cu dans leur chair et leur tĂȘte. Finalement, ils l’avaient bien mĂ©ritĂ© Ă  nous bloquer pour nous empĂȘcher de prendre nos vacances bien mĂ©ritĂ©es. Et ils Ă©taient d’extrĂȘme droite. Ah, cet anathĂšme qu’il suffit de citer pour forclore tout dĂ©bat. Toi qui est contre l’immigration, tu es donc mĂ©caniquement raciste. Tout part de ça et tout est restĂ© Ă  ça. Mais j’ai de plus en plus de mal Ă  Ă©coutes les analyses qui dĂ©crivent les votants du RN et tout ce qui n’est pas Ă  gauche comme des « fachos ». Nous allons crever de cette discorde, nous sommes tous inutilement divisĂ©s et opposĂ©s avec l’impossibilitĂ© d’un dialogue.

Dans cette logique absolutiste et intransigeante, les gilets jaunes ont Ă©tĂ© victimes d’une rĂ©pression, d’une sauvagerie systĂ©mique, qui ne peut laisser que des traumatismes et de l’amertume. RĂȘver leur retour, c’est encore se dire que cet autre, qu’on mĂ©prise et qu’on moque, dont la plouquerie nous arrache un long soupir d’atermoiement, va venir, Ă  notre place, se taper le sale boulot. C’est aussi ne pas avoir compris que cette strate d’individus, qui venaient du rĂ©el, une rĂ©alitĂ© sale et matĂ©rielle, ont Ă©tĂ© brisĂ©s, hachĂ©s menus, et totalement refroidis par le manque de soutien populaire. Il y a eu une grande victoire du « pouvoir » fin 2019, juste avant le Covid. L’exemple avait Ă©tĂ© fait, le principe avait Ă©tĂ© acceptĂ©, celui que le « pouvoir » puisse dĂ©foncer le peuple avec une totale tranquillitĂ© d’esprit. La glorieuse manifestation du « kratos », cette logique qui induit que nous perdurons dans une pensĂ©e ancienne et rance, qui finit toujours par l’expression et la victoire de la violence.

Les sĂ©ditieux ayant Ă©tĂ© matĂ©s, peu de temps aprĂšs il Ă©tait judicieux de voir si les autres seraient obĂ©issants, de mesurer le niveau de complaisance. Nous fĂ»mes du bĂ©tail stoĂŻque et appliquĂ© Ă  paĂźtre lĂ , oĂč et quand nous devions le faire. De par mon signe zodiacal, je suis une bĂȘte Ă  cornes, donc c’est un peu mon destin d’ĂȘtre cocu. Je ne me considĂšre donc pas ĂȘtre meilleur que les autres. J’ai signĂ© moi aussi mes propres attestations de sortie. J’y ai cru, j’avais le nez sur les stats, je constatais une partie de l’escroquerie, je restais constructif. J’avais surtout peur de causer du tort. Je ne pouvais pas envisager qu’il puisse y avoir derriĂšre tout ça un dessein autre que protĂ©ger la population Ă  prĂ©venir le pire. Puis j’ai dĂ©couvert Saint Just.

« Tout le monde veut gouverner, personne ne veut ĂȘtre citoyen. OĂč est donc la citĂ© ? » / « Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement » / « Pas de libertĂ© pour les ennemis de la libertĂ©. »

Depuis, je continue de contracter mais trĂšs prudemment.

Que sera demain ? Sur ce blog, j’ai annoncĂ© il y a quelques mois, en dĂ©but d’annĂ©e si mes souvenirs sont bons, que la rentrĂ©e serait terrible. Nous y sommes. Un bras de fer peut s’engager… ou alors ça sera l’accomplissement de ce grand plan qui vise Ă  dĂ©faire la France, Ă  la dĂ©truire. 50 ans que nous subissons une guerre Ă©conomique souterraine, avec la complaisance de ceux qui ont fait de l’argent leur Graal et leur but. Ce pays, son peuple, auront Ă©tĂ© sacrifiĂ©s. Tout ça me rappelle l’incipit de Philip K Dick dans Substance mort (de mĂ©moire, je l’ai lu il y a 30 ans maintenant). Il Ă©voquait le destin de ses amis, tous rattrapĂ©s par les abus de substances illicites. Il rĂ©clamait de la clĂ©mence, il manifestait de la compassion pour leur lĂ©gĂšretĂ©, pour leur insouciance. J’ai l’impression que ce sera ça le bilan, plus tard, quand les historiens reviendront sur cette pĂ©riode. Un peuple qui profitait d’un bonheur, certes imparfait, il ne faut pas non plus cĂ©der Ă  cette idĂ©e qu’hier c’Ă©tait le paradis, mais merde, nous n’Ă©tions pas dans cette mouise abominable qui fait que le systĂšme n’est devenu qu’un repaire de parasites tout Ă  fait prĂȘts Ă  dĂ©truire un peuple, une nation et ses institutions Ă  seules fins de pillage et d’une cupiditĂ© sans fin. L’inconsĂ©quence de notre Ă©lite politique est une insigne preuve d’une trahison organisĂ©e.

Donc, nous allons voir, rapidement, comment les choses vont se passer. De grands soulĂšvements ? Il en faudra plus. Du chaos ? Oui, Ă  minima. Du changement ? Pour du bon, il faudrait casser la baraque, renverser la table. Entre la droite mortifĂšre et la gauche rĂ©trograde, quel espoir rĂ©el peut survenir ? L’Europe va nous dĂ©truire, mĂ©thodiquement, lĂ©galement, la mithridatisation fatale. La grande menace c’est qu’il n’y ait plus de français, juste des individus qui pourront attester ĂȘtre nĂ©s dans une certaine partie du monde, se remĂ©morant vaguement les paroles agressives d’un hymne, le chant d’un monde ancien et barbare, avant l’apogĂ©e dĂ©mocratique.

Il y a ceux qui pensent que la rĂ©volution française ne s’est jamais vraiment achevĂ©e. Il est possible que nous assistions Ă  sa conclusion, peu glorieuse, avec le retour Ă  toutes les inĂ©galitĂ©s passĂ©s. D’une dĂ©mocratie de libertĂ©s nous sommes passĂ©s Ă  une dĂ©mocratie de privilĂšges. L’agora est redevenue la Cour, avec son petit roi soleil qui dĂ©trousse la constitution pour l’incliner dans la position qu’il souhaite et qui lui permet d’en avoir le contrĂŽle.

L’aristocratie qui Ă©tait l’idĂ©e d’un pouvoir exercĂ© par la manifestation de l’excellence a Ă©tĂ© pervertie en devenant une caste d’individus qui accaparent la richesse par le truchement de rĂšgles et de lois aussi iniques qu’injustes. C’est ce qui avait motivĂ© la rĂ©volte et la colĂšre en 1789. La faim oui, mais aussi le sentiment d’injustice. C’est ce que nous vivons Ă  nouveau aujourd’hui. Mais le peuple n’est plus le mĂȘme. Il n’a pas encore vraiment faim, mĂȘme si les banques alimentaires voient les cohortes de demandeurs exploser.

Tout ce qui composait le Tiers-Ă©tat Ă©tait solidaire, en 1789, de sa rĂ©alitĂ© terrible. Nous, nous sommes atomisĂ©s, individualisĂ©s, nous sommes entretenus dans des oppositions autant factices qu’illusoires (il faudrait dĂ©jĂ  parvenir Ă  s’affranchir de cette maudite comparaison sociale, de ce rĂ©flexe Ă  rejeter cet autre qui ne nous ressemble pas). Quand ĂȘtre de la classe « moyenne » ne sera pas un vague moment de fiertĂ©, mais la conscience que cela induit qu’il y ait une strate en dessous mais aussi au dessus. Quand l’idĂ©e mĂȘme que la pauvretĂ© s’impose comme une abomination et non plus une simple banalitĂ©, alors il y a la possibilitĂ© d’un changement car ce sera nous obliger Ă  comprendre qu’il n’est absolument pas possible de crĂ©er un bonheur durable, mais Ă©galement moral, sur le malheur des autres.

A suivre, donc… L’automne sera Sioux ou Apache, en espĂ©rant que l’hiver ne tourne pas Ă  Fort Alamo (et oui, j’aime la culture ricaine, le destin des autochtones devrait un peu nous alerter).

Une rentrĂ©e 2024 dans la rĂ©alitĂ© d’une dĂ©mostasis

OulĂ , qu’il est beau mon titre de billet ! Qu’il est beau mon nĂ©ologisme, qu’il est grec ! Donc, « dĂ©mo », je ne vous ferai pas l’affront de vous soupçonner d’en ignorer le sens, mais « stasis », dixit WikipĂ©dia :

La stasis (du grec ancienÂ ÏƒÏ„ÎŹÏƒÎčς / stĂĄsis, plurielÂ ÏƒÏ„ÎŹÏƒÎ”Îčς / stĂĄseis, « faction, discorde, sĂ©dition »1) dĂ©signe dans la GrĂšce antique une crise politique d’origine sociale et morale procĂ©dant d’un conflit interne Ă  une citĂ©-État sur le fondement d’un dĂ©sĂ©quilibre ressenti dans la rĂ©partition du pouvoir, pouvant mener Ă  la guerre civile.

Nous vivons donc une belle et totale dĂ©mostasis, soit la faillite de la dĂ©mocratie reprĂ©sentative qui en soi est de toute maniĂšre une belle escroquerie, et ce depuis son Ă©laboration quelque peu opportuniste Ă  un moment crucial qui a vu un changement de paradigme durable et difficilement rĂ©versible. Quand des ĂȘtres humains se mettent Ă  croire en la libertĂ©, c’est difficile de les remettre en cage en leur faisant avaler les couleuvres du droit divin et toutes ces sacralisations bien pratiques pour fixer les choses comme on veut qu’elles le restent. Faire croire Ă  un peuple qu’il aurait le pouvoir en faisant confiance Ă  des reprĂ©sentants qui, naturellement, seraient immunisĂ©s Ă  la corruption du pouvoir et Ă  la tentation d’une mercenaire duplicitĂ©, reste un coup magistral. Mais nous en sommes Ă  un point de tension, Ă  un point de surtension mĂȘme, qui est le prĂ©ambule Ă  une crise systĂ©mique et peut-ĂȘtre mĂȘme idĂ©ologique.

Jamais nous n’aurons autant discutĂ© sur la Constitution, ce texte sacrĂ©, sur le totalitarisme, jamais il n’y aura eu cette interrogation sur la rĂ©alitĂ© d’une dictature, affirmĂ©e ou cachĂ©e. Jamais nous n’aurons senti le retour du harnais autour de nos dĂ©licats coups de bĂȘtes de somme. Recentrons le dĂ©bat sur l’espace de notre hexagone. Le peuple français aura Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© Ă  peu prĂšs tout depuis un demi siĂšcle : rĂąleurs, fainĂ©ants, profiteurs, mĂ©diocres, et mĂȘme carrĂ©ment soupçonnĂ© de dĂ©gĂ©nĂ©rescence. Jamais nous n’avons Ă©tĂ© aussi divisĂ©s, contrariĂ©s, opposĂ©s, flattĂ©s ou mĂ©prisĂ©s qu’Ă  l’heure actuelle. La preuve, nous avons un Parlement reflĂ©tant 3 blocs Ă  l’impossible mixitĂ©. 3 huiles diffĂ©rentes qui refusent de se mĂ©langer et qui surtout, ne le veulent pas. Ainsi, nous arrivons Ă  la terrible vĂ©ritĂ© d’une dĂ©ficience, d’une impossibilitĂ© de gestion par le mouvement politique. Ne reste donc que le salut apportĂ© par la sacrosainte loi, presque naturelle elle-aussi, du marchĂ©. Ah, le marchĂ©… Ce dieu, n’ayons pas peur des mots, qui auto-rĂ©gule tout par les voies sacrĂ©es (elles-aussi) de l’offre et de la demande, les deux archanges de cette pas si nouvelle religion.

J’exagĂšre, mais finalement c’est bien Ă  ça que certains rĂȘvent d’arriver. Un pays ingouvernable devenant une simple rĂ©gion, d’irrĂ©ductibles gaulois, qui ne pouvant trouver le salut dans ses illusions dĂ©mocratiques, va devoir se soumettre Ă  la toute puissance d’une technocratie qui elle ne subit pas toutes ces errances quelque peu improductives.

La volontĂ© politique en France aura Ă©tĂ©, consciencieusement, de dĂ©truire ce qui fait un citoyen pour ne produire que des individus consumĂ©ristes et individualistes. Nous y sommes. Alors, comme l’a si bien Ă©crit Gainsbourg, « quoi ? ». Ce matin, j’Ă©coutais un obscure Ă©ditorialiste vanter un sondage qui veut faire croire que les « français » sont moins dĂ©primĂ©s en cette rentrĂ©e 2024. Sans dĂ©conner ? Donc, que va-t-il se passer ? Depuis deux semaines, je mise sur Cazeneuve, mais il y a un tel feedback nĂ©gatif que ça peut influencer la mascarade Ă  venir. Se foutre de la gueule du peuple, oui, mais avec un peu les formes, le but Ă©tant de faire tenir le petit Ă©difice branlant qu’est devenu notre systĂšme politico-administratif. J’ai entendu les noms de Sarkozy et de Hollande… que dire sinon que j’ai explosĂ© de rire… Hollande, l’ennemi de la finance, ayant intronisĂ© notre suprĂȘme monarque issu du monde de l’adversaire, sans nul doute par dĂ©sir de combattre le mal par le mal (c’est pas vraiment gagnĂ©), pourrait devenir le premier majordome de l’ancien ? Nous vivons une farce, et sincĂšrement, je n’arrive pas Ă  imaginer ce qui va suivre.

Ce qui est dĂ©plorable, c’est bien le vide de l’offre politique actuelle. Nous payons des dĂ©cennies de libĂ©ralisme Ă©chevelĂ©. Des individus sans consistance intellectuelle, des arrivistes qui rĂ©duisent la chose politique Ă  l’application scolaire d’un sophisme de bon ton. MĂ©lenchon, le seul Ă  avoir un peu d’Ă©paules, jouent son ultime coup de Jarnac avec les prochaines prĂ©sidentielles, anticipĂ©es ou non. Le pays est mal, tous les signaux sont au rouge, et personne n’en parle, Ă  part dans les petits mĂ©dias alternatifs qui ne participent pas au narratif qui camoufle le dĂ©sastre. Des diversions sont tentĂ©es, qui ressemblent toutes Ă  des blagues : l’Ă©pidĂ©mie Monkeypox, les faits divers les plus tristes et sordides qui s’alignent jour aprĂšs jour pour nous maintenir dans une fiĂ©vreuse Ă©motivitĂ©, les manifestations sportives et leurs petits shoots d’adrĂ©naline, l’immigration par ci par lĂ … Absolument tout y passe, et pourtant, pourtant, le malaise est lĂ , la colĂšre est froide, les yeux un peu trop cernĂ©s par des nuits qui n’ont pas Ă©tĂ© de fĂȘte mais bien d’angoisse.

J’attends la blague de notre leader suprĂȘme. J’ai peur d’ĂȘtre déçu quand mĂȘme. Il aura toujours Ă©tĂ© surprenant dans sa maniĂšre de foutre le bordel. Pas imprĂ©visible. Quand tu as compris que le but c’est la dĂ©vastation en profitant de l’effet de stupĂ©faction, tu te prĂ©pares. J’aimerais crĂ©er un compteur de roublardise en mettant, Ă  chaque degrĂ© atteint, les points forts de ce dĂ©sastre bi-quinquĂ©nal.

Ah oui, il pourrait y avoir une destitution. SĂ©rieusement, comme si les agents zĂ©lĂ©s d’un systĂšme allaient faire quoi que ce soit pour le changer vraiment. Car c’est ça la terrible vĂ©ritĂ© dans tout ça : il n’y a pas d’opposants et d’adversaires, il y a des bactĂ©ries vivaces qui se disputent les organes d’un mĂȘme systĂšme, le but n’Ă©tant pas qu’il guĂ©risse mais bien d’en sucer la substantifique moelle. AprĂšs, je ne sais pas pourquoi Castet n’aura pas Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e, elle n’aurait pas fait long feu. J’ai l’impression que le but c’est jouer la montre un maximum, et dans cette logique lĂ , il n’y a pas de petites Ă©conomies, plus maintenant quand le torchon brĂ»le et menace d’enflammer la cuisine.

Bonne rentrée en Démostasie !