L’artificielle intelligence

De bon matin, avant de m’y mettre, je suis agressé, c’est le mot, par un flot de commentaires sur les IA, le buzz depuis un petit moment qui permet de parler d’autre chose que de ce qui est vraiment important tout en faisant croire que la France peut encore participer à cette énième course à l’échalote.

J’entends, de plus en plus régulièrement que les IA vont tous nous remplacer. Enfin, tous, je veux dire ceux qui s’abîment à vouloir gagner leur pain sans boursicoter ou profiter d’une petite rente tranquillement. Hier encore, j’entendais chez l’excellent Alexis Poulin qu’un seul « prompt engineer » allait remplacer 100 ou 1000 personnes, en résumé que les places seraient de plus en plus chères et des masses de chômeurs allaient bientôt alimenter les armées déjà dantesques de réserve.

Entre les voitures électriques et les data centers, bonjour pour la production électrique qui va très naturellement devoir s’adapter à tant d’exigence. C’est irréalisable, à moins de construire moult centrales nucléaires, à fusion bien entendu, et encore, je ne comprends pas le délire sur le sujet des IA si ce n’est, encore une fois, pour entretenir une spéculation toujours et encore névrotique.

Déjà pour le remplacement des gens, oui, ça va mettre un vent dans les métiers de service où viennent se nicher pas mal de professions concernées par la production « intellectuelle » voire « culturelle ». Mais ce qui est frappant c’est que ces IA ne sont que des brasseurs de données, très brutes, et qu’elles sont incapables de créer véritablement à partir de ces données. Une illusion du montage statistique qui ne vise pas à produire une « vérité » mais juste une illusion. Oui, c’est bluffant, par rapport aux images et les vidéos notamment, mais paradoxalement c’est qualitativement très faible et surtout ça n’a pas davantage de valeur qu’un coup de mousse sur une bière de bar. J’y ai cru au début, comme toujours avec ce foutu tempérament romantique, j’avais envie de croire à l’émergence d’une conscience informatique que je ne crains pas, au contraire, ayant beaucoup aimé la performance de Robin William dans l’Homme Bicentenaire et me voyant déjà échanger avec mon meilleur ami cybernétique sur tous les sujets philosophiques que dans ma sphère personnelle je suis le seul à vouloir creuser (de l’intense solitude du mineur de fond). Mes premiers émois avec ChatGpt furent un déniaisement décevant. Avec roublardise, l’IA me sortait connerie sur connerie, mais avec un aplomb que seul le pire des escroc peut assumer sans sourciller. Avec mon surplomb moral et intellectuel habituel, on ne se refait pas, je tentais paternellement de corriger le trublion. Finalement j’abandonnais, quand même bluffé par les capacités de structuration sémantique de mon virtuel interlocuteur. Mais de bluff il en était complètement question, et il en est toujours.

Quand on suit certains univers comme ma frénésie d’information me pousse à le faire, on se rend compte des torrents de licenciements qui se sont déroulés depuis plus de deux ans dans certaines industries comme par exemple l’information et le jeu vidéo. Oui, les IA permettent de générer du « contenu », c’est le bon terme, à moindre de coût. Mais avec une qualité nulle, avec surtout le défaut de ne reproduire que l’opinion de la doxa, soit statistiquement ce qui a le plus de chance de répondre aux exigences de l’opinion publique officielle. En bref, ça ne génère que ce qui va potentiellement convaincre ou plaire au questionneur. Et toute opinion fournie n’est que l’écho d’une donnée lointainement enregistrée un jour quelque part. Une opinion validée ce qui la rend très invalide pour le coup, comme le bilan de Valérie Pécresse cette semaine… Je suis entre le rire nerveux et la crise de grattage quand j’entends nos « élites » utiliser les « IA » (la relativité contrainte par l’usage du guillemet) comme des ultimes oracles… nous entrons dans une ère de technobscurantisme, avec l’abus de religiosité autour d’un dieu informatique dont les apôtres nous révèlent les desseins profonds en se vantant, en passant, de leur élévation, de leur validation, par la voix électronique. J’en rigole mais en même temps j’en pleure.

Personnellement, j’attends beaucoup des IA mais juste pour ce que c’est, pour être un outil pratique dans mes activités notamment artistiques. Mais vu que pour l’instant c’est un sujet de spéculation intense, on assiste à une compétition où les effets d’annonce font fluctuer les cours de bourse avec la masse des candides qui n’y comprennent rien et marchent à fond dans les délires de grand remplacement numérique. Après, y a plus débile, y a aussi les robots qui vont remplacer les caristes, l’angoisse de l’automatisation n’est pas nouvelle, tout ça n’est encore qu’une résurgence des bonnes vieilles thématiques d’un système qui ne pense qu’à exploiter autrui et à monopoliser la richesse produite. Je suis fatigué.

Nous sommes dans le bling bling world, avec des shows inspirés de la culture Las Vegas, néons et gros projecteurs, avec des aboyeurs plus ou moins talentueux qui te disent que demain ce sera encore la fête du slip mais cette fois y aura plus d’élastique, ça tiendra comme ça, sans les mains ni les bretelles. Il n’y a pourtant qu’une seule véritable richesse, c’est l’humain. Continuer à participer à ce délire techno-scientiste est un hubrys de plus, qui alors que je dois commencer ma journée, me fait perdre mon temps à taper cet article fiévreux tandis que mes chattes me tancent pour sortir enfin.

Ma fille hier me confiait qu’elle était en désaccord avec l’usage des IA car consciente de la consommation électrique et donc des dégâts écologiques que cet abus d’énergie entraine… je n’ai pas osé lui indiquer que de toute manière le train était en marche et comme le disait Fabrice Epelboin encore une fois chez Alexis Poulin et le Monde Moderne (oui, ça fait partie de mes écoutes quotidiennes et je vous recommande chaudement cette émission), se priver des IA c’est pour l’instant refuser la marche d’un progrès qui n’attend que ça pour se servir de notre personne comme trottoir. Il y a un choix sous-jacent à tout ça : continuer de profiter des largesses du monde technologique ou entrer en sécession. Personnellement, j’essaie depuis très longtemps d’être dans la voie du milieu mais dans une société d’excès, d’abus et de gaspillage, ce n’est pas très crédible. Pourtant, il faut parvenir à considérer les IA pour ce que c’est, un outil comme un autre qui en lui-même ne donnera pas davantage de sens à nos vies que tous ceux que l’Humanité à créer pour aménager le monde et améliorer son confort. Comme toujours, la surcapitalisation dans les data centers n’est que le signe d’une vision névrotique d’un avenir sous dépendance des flux d’informations digitaux. Mais la création de richesses essentielles ne se fera pas là, et c’est là que ce pari est dangereux. Réinvestir dans la création de médicaments ou tout ce que la chimie basique peut permettre à bas coût serait déjà pour notre pays un début de réindustrialisation et d’espoir. Revenir à une autonomie alimentaire en privilégiant un marché intérieur plutôt que vouloir participer à un monopoly mondial au détriment de nos petits et valeureux producteurs serait nous garantir une alimentation de qualité.

Les IA, ok, faites votre show et faites rêver ou cauchemarder les gens. Mais investir dans le réel ça serait un poil plus intéressant, avec des choix économiques et stratégiques qui (re)créeraient de l’emploi me semble quand même plus pertinent. Ah oui, le choix a été fait il y a un demi siècle de ça de sacrifier toute une strate de la population pour arriver au désastre actuel. Les mêmes qui vont se faire un malin plaisir à te répéter que les IA c’est génial avec une once de sadisme tranquille.

Des fois j’oublie le cynisme derrière tout ça.

Impuissance

J’ai parfois le sens du tragique le samedi matin après mon café, et après avoir longuement réfléchi à un titre sublime qui refléterait à la fois l’élégance et à la profondeur de ma pensée, j’ai fini par ployer devant la muse apothéotique. Ce blog est devenu au fil du temps une énième manifestation de la discipline que je m’impose depuis quelques années, en cherchant à organiser et structurer ma pensée avec la pratique de savoirs élémentaires. L’écriture demeure la manifestation profonde d’un soi que nous cherchons perpétuellement à camoufler derrière des couches plus ou moins grasses d’affectation et de comédie. Que tu le veuilles ou non, l’écriture te dévoile. Dans mon cas, il y a certainement de la prétention, de l’arrogance, de la vanité voire de la fatuité. Mais non. Le but c’est suer à aligner des mots pour essayer de donner à une pensée une forme plus ou moins aboutie. Pensée qui elle-même se nourrit en jetant son regard analytique sur les faits du réel. Des faits qui actuellement me mènent donc à ce titre terrible, car nous en sommes bien là, à l’expérience ô combien frustrante de l’impuissance.

Souvent, je déplore la sexualisation abusive qui teinte presque tous les aspects de nos sociétés prétendument modernes. Alors que la Saint Valentin, énième manifestation d’un certain cynisme marchand, s’apprête à nous inviter à la célébration du sentiment amoureux, j’ai été frappé par l’importance des lingeries plus ou moins affriolantes qui sont venues s’imposer à mon regard dans les magasins comme dans ma boite email. Non, je ne suis pas à ce point chaste et prude que l’évocation d’une cuisse jarretellée me pousse ainsi à m’indigner en faisant, peut-être, l’aveu de ma propre impuissance. Mais il y a quelque chose de révélateur à confondre les choses du désirs et celle de l’amour. Pas qu’elles soient antagonistes, elles seraient plutôt complémentaires, mais de là à les confondre crée le genre de chimère, de confusion, qui me grattent le cortex. Si la Saint Valentin est un soir de baise, il y a quelque chose de triste à se dire qu’il faut une intimation commerciale pour passer à l’acte.

Mais ce n’est pas de ce sujet d’importance que je cherche à évoquer par ce titre profond. Non, l’impuissance que j’évoque est celle que nous subissons tous dans cette comédie qu’est devenu la démocratie à la française. De scandales en scandales, d’affaires étouffées en affaires oubliées, de triste capitalisme de connivence en valetteries médiatiques, nous en sommes à subir une tragicomédie qui ressemble de plus en plus à une farce pathétique. Personnellement, je n’arrive plus à trouver de talent à ces comédiens qui nous servent de parterre politique. C’est triste, un tel dévoiement, c’est consternant. A l’image de ces commissions d’enquête qui mettent en scène une sorte de jugement moral sans conséquence pénal, le spectacle des marionnettes nous procurent des petits coups de matraque de chiffon dont les victimes ne parviennent même plus à en feindre une bien aimable contrition. D’indignités en indignations polies, en France tout est comme ça à présent. Le bateau coule et l’orchestre joue… le capitaine se saoule dans sa cabine en jouant négligemment avec l’élastique de la jarretelle de l’infirmière tandis que les bobos (dans tous les sens du terme) non soignés s’accumulent à l’infirmerie. Les pauvres se tassent dans les soutes en espérant que viennent l’espoir, mais ils ne savent pas que Pandore avait déjà, il y a très longtemps, refermé la boîte. Après la dette, l’austérité, deux belles jumelles d’un gros foutage de gueule dont le carburant est bien la bêtise de tous ceux qui ont fait le choix de ne rien comprendre, de tout accepter, petits enfants jamais devenus grands qui croient encore aux idoles faisandées d’un bonheur à présent enterré.

Depuis quelques jours, devant le nouveau budget qu’un fortement démocratique 49.3 va nous carrer bien profondément dans le fondement, certains s’insurgent de ce qui va advenir des quelques survivants qui subsistaient avec le régime de l’auto-entreprise. Eh ! Vous croyez quoi ? Actuellement, ce pays vit son record de faillite d’entreprise, pour cause d’une politique économique totalement délirante, à l’évidence une volonté de défoncer et finir de piller un pays qui fut dynamique et fier. Alors que va-t-il rester à ruiner si ce n’est la strate en dessous ? Le PS et le RN se défendent d’une posture qui invoque encore la belle et grande responsabilité devant ce désastre qui n’a jamais de responsables et encore moins de coupables. Les masques sont tombés, l’attache était certes bien fragile et les oreilles d’âne auraient dû en alerter certains. Quid de l’avenir électoral ? Y en aura-t-il encore pour voter pour ces deux crèmeries sans comprendre que le pis tordu est celui de notre poitrine de moins en moins forte et belle ? Le pari reste encore celui de l’impuissance. Mélenchon s’égosille à dénoncer les impostures diverses mais reste dans cette vision rance d’une France qu’il ne veut finalement changer qu’à la marge. Ce qui me fait tristement sourire, c’est qu’il reste le seul choix un tantinet viable pour une population réduite à l’état de colonie. Edouard Philippe, Gabriel Attal, Jordan Bardella, ou encore la dame Le Pen… La valetterie est prête à la saignée, les français vont-ils encore faire le choix de la maltraitance par la validation volontaire ou par le choix d’une abstention velléitaire ?

Je l’ai écrit tant de fois que j’en suis fatigué… jamais on ne fait sa richesse sur la pauvreté des autres… ou plutôt, les places sont chères, de plus en plus chères. De ce choix méprisable qui fut celui de s’accommoder de la misère des autres en acceptant les réalités et les choix politiques derrière le chômage de masse, le prix à payer, la triste facture, nous arrive enfin. Je ne suis pas de ceux qui vivent inconsciemment des larmes et des souffrances de tous ceux qui ont été plus qu’oubliés, mais bien sacrifiés par un système d’un cynisme absolu. Les peuples sont également des fictions, qui ne deviennent réalité que lorsque une idée, une grande idée, les rend à la fois réels et puissants. Nous n’en sommes plus là, en France. Faire peuple, faire société, au-delà des sordides questions d’identité et d’immigration qui ne traitent les sujets que pour nous perdre encore dans des impasses et des diversions bien utiles, c’est là que ça va se jouer. Ou pas. Liberté, Egalité, Fraternité… Cette trinité est morte en 2025. Pour qu’elle ressuscite, il va falloir agir par étape, car retrouver la première, l’aînée, conditionne le retour des deux cadettes. Mais tant que nous serons invités à réagir comme des bêtes, à aboyer et grogner à chaque nonosse méprisamment envoyé à coup de faits divers et autres scandales bien sélectionnés pour nous diviser encore et encore, il n’y aura pas d’espoir. Tant que nous ne comprendrons pas que nous ne sommes pas coupables de nos misères et que nous devons agir pour le retour d’une justice sociale, nous resterons dans une injustocratie qui sera notre perte.

Après… l’impuissance c’est bien se dire qu’il faut un kratos… Nous en sommes si loin de l’étape de l’éthos, manifestant que nous n’aurions plus besoin d’aristos et autres anax pour agir, individuellement, avec grandeur et justice. De ma propre impuissance je fais aussi le constat, car je sais que ce n’est pas de ce système que j’aurais voulu hériter, dans lequel j’aurais voulu naître. De cette masse, j’en suis à la fois l’atome et la victime. J’ai cru longtemps que j’étais libre, mais je suis également trop domestiqué pour ronger mon collier. Le prix a payé est très cher, avoir les moyens de payer les passeurs compliqué. Je sais le destin caché de ceux qui finissent en haute mer à vouloir atteindre l’autre rive. Si rive il y a encore, soit dit en passant.

J’espère et je souhaite pour les sociétés humaines qui survivront à tout ça, que la justice élémentaire soit leur fondement matriciel. La modernité est illusoire, depuis 12 000 ans, à minima, ce n’est toujours qu’un vieux modèle qui se déguise et se recycle en mettant à la mode des grands mots, toujours dans le but de mettre en place les mêmes jougs tout en cachant ses perpétuelles exactions. Tant que l’exploitation à des fins personnelles demeurera la réelle et seule condition pour une richesse pérenne, et que ça sera à la fois validé et perpétué par ceux qui font peuple, quelles que soient les révolutions et les hymnes sublimes, ça restera des mesures à la marge, au mieux.

Impuissance… Reste l’écriture pour témoigner de tout ça, alors que les imbéciles tombent en révération, en vénération, devant des intelligences artificielles qui dénoncent, toujours avec un certain cynisme, l’artificialité de notre propre intelligence. Qu’attendre d’êtres humains qui craignent que Terminator leur pique un boulot qui de toute manière n’existe plus ?

Bon samedi quand même 😉 !