La fête des pères

En ce moment j’écris pas mal sur ce blog, mais jamais je n’avais autant eu envie d’écriture. De lecture aussi, je m’y suis remis après des années sans avoir le besoin de compulser un bouquin. Cette hygiène correspond à une sorte d’équilibre que j’ai réussi à trouver, avec une ambition qui s’est suivie d’une discipline précise. Celle (l’ambition) de retrouver une saine et vive conscience des choses, sans être entraîné, bien malgré moi, par le cours d’une société humaine qui ne cesse de se perdre dans des entreprises de plus en plus folles. En (discipline) en multipliant les sources d’informations tout en faisant que professionnellement je poursuive mes propres buts sans sacrifier à mes prétentions éthiques et morales. Il y a quelques années, j’ai découvert le noble chemin octuple, et j’ai été surpris de constater que ça rejoignait mes propres conclusions… pas évident en cette société humaine qui sacrifie tout à un productivisme pragmatique, pour cause d’un mode de vie qui exige de consommer le monde et par extension exploiter les autres. Pourtant, j’essaie à présent de multiplier les activités intellectuelles et ludiques, tout en m’adonnant à des choses bien pratiques… ce qui rend mes journées bien chargées mais très satisfaisantes.

Comme je l’ai dit à mon fils il y a quelques jours, avec une conviction exaltée qui l’a dérangé, il faut toujours regarder le mal en face. A mon sens, en tant que citoyen, il faut oser s’informer sur des choses révoltantes et horribles, simplement parce qu’il ne faut pas se perdre dans un angélisme sélectif qui en lui-même serait un acte de collaboration, dans le sens minable du terme. J’ai donc acheté le magazine Omerta, avec la petite Lola en couverture, qui traite de nombreux sujets qui vont de la pédocriminalité à l’addiction des écrans par notre jeunesse perdue dans ce perpétuel espace de tentation. Pour être honnête, la lecture du magazine est douloureuse, tant les faits rapportés sont à la fois communs et abominables. Hier soir, je matais les deux premiers épisodes de la série The Boys qui voit la fine équipe échouer dans une convention « complotiste », dépeinte comme le rassemblement de gens désespérés, un peu débiles, avec à un moment donné cette séquence un poil idéologique qui montre une des héroïnes s’en prendre à un pauvre type accusé d’exploiter le sujet sans vraiment chercher à en déterminer, et à donc lutter vraiment contre, la cause. Ce matin, j’ai maté une vidéo de Sud Radio qui revenait hier sur l’affaire des accusations de propos pédophiles par Depardieu révélés dans le cadre d’une émission de Complément d’enquête ; en bref, ce serait un montage, avec en témoin Yann Moix qui explique que les rushs lui ont été dérobés et témoignant que ce qui est montré n’était que mis en scène dans le cadre d’un film comique mettant en scène un personnage aussi décadent et excessif que le rôle savoureux de Poelvoorde dans « C’est arrivé près de chez vous ». N’oublions pas, malgré tout, que l’acteur est poursuivi pour des agressions d’ordre sexuel par de nombreuses femmes. Dans cette même émission, les intervenants reviennent sur l’affaire de réseaux pédophiles dans des cénacles parisiens qui ont œuvré il y a quelques décennies. Pour m’achever, j’ai maté cette semaine la vieille interview de Régina Louf qu’a mis en ligne Karl Zero sur sa chaîne dans le cadre de la sinistre affaire Dutroux…

Regarder le mal en face. En ce jour de fête des pères, je savoure l’attention et l’amour de mes enfants, devenus adultes, avec lesquels j’ai la chance d’avoir une relation privilégiée. Pour l’anecdote, j’ai donné la douche à mes deux gosses, durant les premières années de leur vie. Nous allions dans la douche, et je leur ai appris à se laver, tout en jouant avec eux. Des chouettes moments, des moments innocents qui font des bons souvenirs, avec la volonté à l’époque de leur montrer que la nudité est quelque chose de naturel, notamment et surtout dans le cadre familial. Ma mère revenait souvent sur une anecdote de mon enfance, d’un événement que j’ai pour ma part complètement oublié. Le médecin m’ausculte, puis jugeant mon appendice, me dit que la nature m’a bien obligé. Ce à quoi je lui répond un laconique « bah celui de mon papa il est encore plus gros ! » – et là, inspiration du médecin qui rend l’anecdote savoureuse, se tournant vers ma mère « c’est comme ça que naissent les légendes ». Pourtant, mes parents étaient d’une pruderie presque maladive : je n’ai jamais reçu l’esquisse d’une éducation sexuelle et le sujet ne venait absolument jamais dans la discussion familiale. Pour m’amuser, et parce que je suis provocateur dans l’âme, je l’ai fait quelques fois pour créer le malaise chez mes parents. Merci aux parents de mes potes qui avaient eu la délicate attention de leur fournir des bouquins d’éducation sexuelle qui m’ont stratégiquement éclairé. Une petite pensée à Madame Bérille (en fait c’est la seule qui avait eu cette indiscutable bonne idée) qui était (enfin j’espère qu’elle l’est encore – le temps passant je sais qu’il fait sa moisson) une femme admirable et qui m’a profondément marqué par sa gentillesse et sa noblesse de cœur.

Pour moi, un enfant c’est sacré. Je ne comprends même pas, je ne veux pas comprendre en fait, ce qui motive un adulte à nourrir la moindre pensée perverse quand il s’agit d’un gosse. Parmi tous les sujets qui me désespèrent et qui me mettent en colère, la pédocriminalité est sans doute celui qui me fait le plus de mal. A chaque fois que je m’intéresse à un fait divers de ce triste domaine, je n’en sors jamais indemne. Ça m’abîme, ça m’effleure le karma et ça bouleverse mes chakras. Je me dis que je fais partie de la même espèce, « humaine », que tous ces salauds qui se cachent et qui dissimulent leur ignominie et ça me blesse. Il y a quelques années, un matin de révolte plus violent que les autres, j’ai déclaré à mes gosses que je ne faisais pas partie de cette humanité. Je la refusais, comme on refuse une nationalité ou l’enrôlement forcé. Je refusais d’être englobé avec tous les apathiques et les complaisants, avec tous les collabos et les compromis, avec toutes les brutes et les sadiques. Mais c’était encore une fois un caprice, de la désinvolture exaltée. Je vis toujours au même endroit, j’ai toujours les mêmes conventions sociales, je n’ai ni changé de nom ni changé de face. Je suis condamné à n’être qu’un individu parmi les autres, un petit atome de cette masse qu’on appelle « peuple », un résidu organique de cette biomasse qui s’appelle société. Je n’ai ni les moyens ni vraiment l’envie de partir comme Alceste loin de tout, dans un désert sans homme, et pas de pulsions suicidaires qui feraient que le nihilisme l’emporte sur l’amour passionnel, sur l’étreinte cognitive, que le Monde m’inspire et motive. Je vis donc le désespoir tranquille, la désespérance un brin surjouée du gars qui regarde le mal en face, s’interroge sur sa propre part d’ombre, constate son impuissance ou sa lâcheté, puis finalement pense à autre chose. Pendant que ça continue, quelque part. Un autre gosse.

Alors aujourd’hui c’est la fête des pères… pourtant il faut toujours se rappeler que c’est encore une inversion des choses. Ce sont nos enfants qu’il faut chaque jour célébrer et aimer. Et il faut traquer le moindre enfoiré qui abuse de sa position, de son statut, du pouvoir que lui confère un simple mot, un simple titre, pour faire du mal à un enfant. Depardieu est peut-être victime d’un montage, la diffamation reste vraiment l’oeuvre la plus dégueulasse qui soit, et ce n’est pas participer à la lutte contre la pédocriminalité que d’agir ainsi. Ça participe à invisibiliser ce qui se passe vraiment, ça participe à rendre des gens comme moi, naïfs et candides, qui au départ imaginent que le monde est aussi beau et bon que les fables nous le racontent. Tout ça c’est du complot, jusqu’à ce que, quelques décennies plus tard, les scandales surgissent alors que tous les coupables sont morts et les victimes enterrées et oubliées.

Il y a peu, j’ai vu la vidéo d’un Youtubeur cinéphile/phage qui expliquait pourquoi il avait décidé de ne pas aller voir « The Zone of Interest ». Il ne voulait pas s’imposer ça, il ne savait pas comment il allait réagir à ça. « Ça » c’est constater comment il est facile de vivre tranquillement et luxueusement à la proximité des charniers et des massacres. Comment il est tentant et si facile de se dire un minable « bah, c’est comme ça, qu’y puis-je en vrai ? ». Je m’impose, au contraire, de ne pas détourner le regard. Comme le reste, je m’impose de savoir et d’avoir conscience. Mais ça me reste, ça me hante, car quand je regarde le ciel bleu il y a des fois la sensation d’un hurlement d’enfant que je n’entends pas, mais que je devine, en filigrane, comme si tout n’était qu’un voile que je refuserai de lever. La dernière phrase de la Chute, de Camus.

Bonne fête des pères donc. Et courage et soutien à des gens comme Karl Zero qui ont mis à l’index leur carrière et leur fameuse respectabilité pour se battre contre l’intouchable et l’invisible. Rien de plus odieux, à mes yeux, que ceux qui balaient, d’un revers de la main et d’une petite vindicte méprisante ces questions là, comme si ça n’était, encore une fois, que du complot, de la paranoïa louche, des obsessions écœurantes et vicieuses. Il y a toujours et encore quelque chose de pourri au royaume du Danemark. La pilule rouge ou la pilule bleue. Dans mes moments les plus nihilistes, je me dis parfois que vivre c’est subir d’être complice et témoin de tout ça, sans pouvoir rien faire que d’écrire un billet que personne ne lira et qui pour une fois ne sera même pas libérateur.