Nous sommes en pleine phase de « gueule de bois » démocratique ; devant les efforts que le gouvernement et le petit monde politique ne cessent de demander aux français, et de manière plus élargie, aux européens, le déficit public ne cesse d’intriguer le péquin moyen à qui on ne cesse d’annoncer que son train de vie coûte cher. Enfin, le scandale Cahuzac, initié par Médiapart, organe de presse qui dérange (mais qui se révèle de plus en plus utile en répondant à une forme d’idéal du journalisme qui trouve, il est hélas vrai, peu d’incarnations en France), et qui a ouvert le débat sur cette partie obscure, que nos politiciens se sont toujours ingéniés à dissimuler, soit leur rémunération et leur capital. La politique, dans notre culture républicaine, est toujours quelque part associée à la poursuite d’un idéal, qui suppose le sacrifice de ses intérêts à ceux d’un état ou d’un peuple. En réalité, il est évident que le pouvoir, racine du mot politique, est souvent le graal que nos chers acteurs de gauche comme de droite, poursuivent réellement. L’art du sophisme est devenu la base de l’exercice politique, et en repensant aux dernières élections présidentielles notamment, on ne peut qu’être frappé par la vacuité des débats, par l’inanité des stratégies ne reposant concrètement que sur des manœuvres de disqualification ou de dénonciation des opposants.
Dimanche dernier, j’ai regardé Arnaud Montebourg invité à l’émission C politique sur France 5, présentée et animée par Caroline Roux (vous pouvez revoir l’émission sur leur site). Notre ministre du redressement productif s’est exprimé, entre autre chose, avec précaution sur le sujet du conflit d’intérêt entre la fonction politique et l’exercice d’une profession. Qu’un politicien soit avocat par exemple, ou homme d’affaire, est réellement illogique, et il l’a clairement exprimé. Maintenant ses réserves sont intéressantes, lorsqu’il évoque le cas d’un confrère, médecin de campagne, notamment en cette période de pénurie de soutien médicalisé dans nos contrées lointaines, il y a effectivement une réflexion qui mérite d’être menée. Ou pas. Le sujet n’est pas tant dans le cumul entre la fonction politique et la profession, mais bien dans le sens et les conséquences de la dite profession. Un médecin peut s’enrichir, mais que lui apporte un rôle politique dans son action ? Sa clientèle ne pensera pas que ses fonctions politiques en feront un meilleur praticien, et lui-même pourra estimer perdre du prestige en revenant, le temps d’une auscultation, au niveau de la plèbe que le marche-pied politique lui fait surplomber. On pourrait initialement penser qu’à l’encontre, le métier d’avocat ne suppose pas une même dépréciation du statut. Mais comme l’induisait Montebourg, en pénal par exemple, il y a certains combats qui mériteraient de profiter de l’aura d’un défendeur investi dans la scène publique. En réalité, c’est rarement le cas ; trop de calculs, trop d’importance donnée à la communication vouée à maquiller et à camoufler la réalité sous de beaux oripeaux démocratiques. Se mettre en risque dans un débat quelconque est un acte contraire à la stratégie actuelle qui est d’éviter toute implication dans des questions pouvant parasiter l’image donnée. C’est intéressant comme nous sommes actuellement dans cette logique d’instantané ; un homme politique bénéficie d’une image, un ensemble de valeurs que sa personne incarne. Ce capital est très volatil, et doit beaucoup au discours médiatique. Exemple parfait, Madame Taubira dotée d’une visibilité soudainement très forte, suite à ses implications dans des débats sociétaux polémiques. Que nos hommes d’état veuillent ne pas risquer de ternir leur aura médiatique est déjà un élément fort de leur rôle public. Enfin, les questions de temps sont évidemment présentes. S’il semble certains qu’ils ne peuvent à la fois gérer leur rôle étatique/public en même temps que des fonctions plus prosaïques, il est rare que ce type d’argument revienne dans les affaires ou scandales financiers récemment dévoilés (on trouve toujours du temps pour une petite donation ou une petite prestation de conseil).
Plus ironique, Montebourg évoquait combien la prise de fonction politique induit une certaine forme de précarité ; le jeu démocratique ne permet pas l’assurance d’une pérennité. Le raisonnement fait un peu sourire à un époque où l’assurance d’un emploi stable est complètement anéanti par la volatilité d’un marché du travail de plus en plus impacté par les aléas du libéralisme mondial. Il fait rire, après la révélation des patrimoines du gouvernement en place, car bien entendu, des véritables fortunes ont été dévoilées. Il n’y a pas aucune honte à être riche, ni à posséder de l’argent ; mais il est évident que les fonctions politiques sont de plus en plus réservées à une élite qui peut se permettre un investissement politique, par une autonomie plus ou moins grande face aux impératifs économiques auxquels chacun d’entre nous doit faire face. L’équation gagne en complexité parallèlement au rôle politique visé. Si on se base sur la logique démagogique, la démocratie permet d’élire qui se présente ; sauf que celui qui se présente, pour être visible, doit s’appuyer sur une logistique que seul un parti puissant peut lui apporter… avec des financements souvent en lien avec certains intérêts économiques. C’est sans doute là, le cœur du sujet. La démocratie, plus vraiment participative, plus réellement délibérative, n’est plus du tout représentative. Nous avons bel et bien une élite au pouvoir, qu’elle le veuille ou non, et au moment où notre république démontre de grands signes d’obsolescence, le débat ne se pose que mollement sur le sujet d’une rénovation d’un système bicamériste né dans une période de compromis, tandis que nous sommes dès à présent dans une configuration politique et économique complètement différente, avec un contexte qui justifie une urgente évolution démocratique.
Il y a plus précisément urgence à redéfinir le statut et le rôle de l’homme politique, et surtout à redonner au citoyen le pouvoir que notre régime lui promet bien gratuitement. De la transparence, c’est certain, des efforts, certainement, mais plus du coté du citoyen qui est oppressé et culpabilisé depuis des années (on travaille moins bien que les allemands, on est moins compétitifs que nos amis asiatiques, on est assisté, on abuse des soins, etc.) pour éviter d’avoir à remettre en question un système qui ne fonctionne plus. Contrairement à Montebourg qui dénonce les stratégies d’austérité menées en Europe, je pense sincèrement que cette volonté de rationalisation est une intention, saine et salutaire. Mais elle doit s’appliquer à la gestion politique dans notre pays, à commencer par les fonds publics, qui existent (encore) à crédit. Ce devoir d’austérité ne s’adresse pas unilatéralement aux citoyens, mais également aux états. On ne peut évoquer la tyrannie du libéralisme sans s’appliquer les mêmes doctrines.
D’énormes flux d’argent, d’origine publique, circulent depuis des décennies. Il convient d’urgence de créer des autorités pouvant contrôler la saine gestion de ces sommes ; on me répondra qu’elles existent, mais je pense à les multiplier, à des niveaux de plus en plus micro (région, département). Encore de l’argent dépensé, me rétorquera-t-on. Je suis cependant intimement convaincu qu’à l’ère numérique, où l’information n’a jamais été aussi fluide et immédiate, les moyens à mettre en œuvre sont paradoxalement plus concurrentiels que jamais. La clarté est une volonté qui est dès à présent facile à réaliser ; la bonne volonté en la matière, révèlera la réalité des motivations de nos acteurs politiques et publics. En l’état, tout se fait dans la douleur et le scandale, ce qui n’est pas très rassurant quant à la vérité d’un régime se voulant démocratique et égalitaire. Et il n’y a pas remise en cause d’un service public qui est nécessaire dans notre fonctionnement, ni dans des prestations sociales qui justifient notre système. Simplement, juste éviter les gaspillages et les détournements dont l’actualité nous assène en permanence la terrible réalité.