Ce soir sur Arte, fin de la série initiée par Frédéric Azéma, qui s’est révélée, au fil des épisodes, de plus en plus palpitante. J’invite les amateurs potentiels à découvrir un excellent article de Benjamin Nilset (Pourquoi faut-il regarder la nouvelle série d’Arte, Odysseus), sur le site de l’express.fr, qui résume avec précision et justesse les avantages et défauts de la série. Personnellement, je ne partage pas les reproches faits sur la reproduction/représentation de la mythique Ithaque, car au contraire je trouve le résultat foncièrement réaliste. Beaucoup oublie que le concept de foule et de surpopulation urbaine est essentiellement moderne, et pour un petit royaume insulaire, la représentation très intimiste du palais, me semble assez fidèle à ce que pouvait être ce type de petite aristocratie isolée. À l’arrivée, le résultat se permet en outre de flirter avec la thématique de la tragédie grecque, en nous offrant un spectacle à la croisée du feuilleton et de la pièce théâtrale.
Car dans cette série, les excellents scénaristes ont offert une réelle épaisseur à des figures dont nous ne connaissons que le nom : Mentor, Télémaque, Pénélope, et même Odysseus lui-même, brisent le carcan confortable de l’imagerie populaire pour acquérir une humanité à la fois rassurante et désagréable, car évoquant nos basses lâchetés quotidiennes, nos petites compromissions permanentes, ou encore la dualité entre notre devoir et nos désirs. Tous les personnages, sans exception, perdent leur vernis mythologique pour laisser parler la chair et le sang : Odysseus revient traumatisé de la guerre de Troie, paranoïaque et violent ; Télémaque qui a d’abord de la peine à exister par lui-même à cause notamment de l’ombre tutélaire de son père légendaire, s’émancipe dans la douleur en acquérant la sagesse et le destin d’un roi ; Mentor, amoureux désespéré de Pénélope, est déchiré entre son devoir et le désir profond de vivre enfin sa propre vie ; enfin, Pénélope, incarnation de la reine magnifique, est une mère castratrice et une épouse malheureuse, toujours à rêver et espérer le retour d’un bonheur a jamais enfui. Je pourrais continuer longtemps en citant les autres personnages (même les moins défendables comme Antinoüs, excellemment incarné par un acteur français du nom d’Augustin Legrand, une vrai découverte) , car tous les acteurs du récit partagent une même qualité de traitement, une même volonté d’épouser les points de vue de chacun pour délivrer finalement une belle leçon sur l’humanité et la civilisation. Car il est surtout de ça, dans cette série, du clivage entre un monde ancien, barbare, belliciste et le nouveau qui se profile, via les fils et les héritiers, davantage préoccupés à connaître le bonheur et la paix que la gloire et le sang. Nous sommes pleinement dans le conflit générationnel, avec la confrontation des pères et des fils, qui ne se comprennent plus et ne se reconnaissent plus.
Donc ce soir, fin de cette formidable série, qui a été très injustement critiquée (tandis que d’autres purges vides squattent les écrans), et qui est la démonstration d’un véritable savoir-faire, tant au niveau du scénario que de la mise en scène. Sans fioritures, sans effets spectaculaires ni intrusion technologique tonitruante et pompière, la série nous montre de beaux et virils affrontements qui rendent honneur à l’esprit et au pugilat grec (l’Agon). Audacieux, iconoclaste, sincère, Odysseus est un spectacle qui bouscule nos idées reçues pour offrir une histoire originale, palpitante, et je le répète, d’une immense qualité.
Si votre rétine est trop durement marquée, imprimée, par la grande fanfare hollywoodienne, passez votre chemin, car vous ne trouverez pas de ralentis emphatiques ou de corps ridiculement bodybuildés, ni discours patriotiques ou autres démagogies héroïques. Pour moi, ce n’est que du bonheur, car je peux passer à l’envi de l’excellent « 300 » de Zack Snyder, adapté de la bd de Frank Miller, à ce type de production davantage préoccupé par le fond que par la forme (voire l’esbrouffe). Entre Psyché et Éros, entre l’amour rationnel et l’amour passionné, ces deux types de spectacle sont paradoxalement opposés et complémentaires. L’important étant certainement de ne pas mélanger les genres, ou pire, les confondre.