Les sermons de minuit sur Netflix

Quand je suis sur une plateforme de SVOD je suis tour Ă  tour perplexe, confus, puis dĂ©couragĂ©. Pourquoi ? Car la visualisation, par vignettes, des « produits » culturels, ne me procure que de l’image lĂ  oĂč j’attends du sens, du conseil, du rĂ©sumĂ©, en bref, de quoi savoir ce dans quoi je m’apprĂȘte Ă  me lancer. Je surfais donc nonchalamment ces jours derniers, quand je vis ce titre Ă  la vignette peu inspirante. En cliquant un instant je vis quelques noms magiques ; d’abord celui de Mike Flanagan, puis celui de Stephen King. J’ai un grand regret en ce dĂ©but d’annĂ©e, de ne pas avoir vu Doctor Sleep que beaucoup de critiques ont fini par consensus Ă  saluer, juste parce que j’ai encore commis l’erreur de me faire attiĂ©dir par une impression partisane avant la sortie du film (du genre « aprĂšs Kubrick, c’est mort ») et parce que j’ai le rĂ©flexe, depuis l’adolescence, de me dĂ©fier de tout ce qui est trop populaire/populiste… deux attitudes qui ont retardĂ© souvent ma dĂ©couverte de purs chef-d’oeuvres, bien que durant trĂšs longtemps, les prĂ©conisations de la revue Madmovies furent une boussole solide. Je trouve Ă  prĂ©sent, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, dans la presse mais aussi sur le web, que la subjectivitĂ© prend trop de place – mĂȘme si le fait d’apprĂ©cier une oeuvre doit compter, la reconnaissance de ses valeurs intrinsĂšques comptent Ă©galement ; un bon critique ne doit pas dire s’il a aimĂ© un film, mais s’il est possible que le rĂ©cepteur de son avis puisse l’aimer, en Ă©numĂ©rant les qualitĂ©s visibles, les thĂ©matiques, les originalitĂ©s, etc. Me vient l’exemple de la critique rĂ©cente d’un film qui ne l’est pas, par ce cher Simon, Jupiter ascending, sur Youtube. J’ai commencĂ© Ă  Ă©crire un commentaire argumentant mon propre point de vue, et finalement je ne l’ai pas publiĂ© (pourtant il faisait trois pages, comme tous mes commentaires par ailleurs – que voulez-vous, j’aime Ă©crire, j’aurais beau le rĂ©pĂ©ter il y en aura toujours qui ignoreront cette logorrhĂ©e fulgurante qui me caractĂ©rise Ă  la vie comme Ă  la scĂšne). La raison Ă©tant qu’au moment de valider l’envoi de mon opinion (toujours) Ă©clairĂ©e (par une supernova, au moins), je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idĂ©e, finalement, d’intervenir dans une exercice de cĂ©lĂ©bration que je trouve un peu pervers (que je qualifierai avec un brin de facĂ©tie de rĂ©habilitation par excĂšs de ferveur personnelle). J’ai une philosophie (parmi une plĂ©thore), qui est de ne jamais gĂącher le plaisir d’autrui ; si je n’aime pas quelque chose, si je suis d’avis contraire, tant qu’il n’y a pas un discours politique ou idĂ©ologique, mon rĂ©flexe est de fermer ma grande gueule et ne pas parasiter le bonheur des autres. Ce n’est mĂȘme pas de la tolĂ©rance, quel vilain mot, c’est juste qu’un tout petit pas vers la sagesse Ă©lĂ©mentaire que d’avoir conscience que notre individualitĂ© n’est pas une rĂ©fĂ©rence… enfin, je ne me perdrais pas encore dans les ramifications de mes digressions, il suffit de voir un chef d’oeuvre comme le GoĂ»t des autres de Jaoui/Bacri pour s’Ă©duquer un peu sur la question.

Mais, et c’est le lien avec ma digression, je n’ai rien vu passer sur les Sermonts de minuit. Rien dans le Mad Movies du mois dernier, rien sur Youtube, alors que pour les deux sĂ©ries Haunting y avait quand mĂȘme pas mal de monde pour commenter, encourager, plĂ©bisciter ou contester. Mais lĂ , rien, plein feux sur Matrix 4, plein feux sur Spiderman, mais que dalle sur la nouvelle production/rĂ©alisation de Mike Flanagan. Un peu surpris, beaucoup curieux, j’ai lancĂ© la mini-sĂ©rie, et lĂ  un petit bijou, encore (j’ai adorĂ© les deux saisons de the Haunting), avec une intrigue trĂšs « kingienne » (petite bourgade ricaine, suite de petits portraits typiques, plein d’anti-hĂ©ros masculins, des femmes fortes (oui, King n’a pas attendu le nĂ©o fĂ©minisme pour faire de magnifiques hĂ©roĂŻnes), des figures religieuses), en bref, c’est plein d’humanitĂ©, d’Ă©motions, magnifiquement mises en images par Flanagan, bien jouĂ© par des acteurs parfaits (syndrĂŽme American Horror Story, avec le retour de certains acteurs de the Haunting (1 & 2)… en bref je me rĂ©gale et je me bingwatch le tout (en trichant pour fĂȘter le 31 et dormir un peu mais j’ai fini ce matin au rĂ©veil) et lĂ  ce qui me frappe, c’est la raison pour laquelle il y a cet Ă©trange silence autour de la sĂ©rie. L’analogie avec ce qui passe avec le/la covid, le vaccin, le passe sanitaire… quand on voit que l’intrigue, finalement, nous parle d’une croyance dĂ©tournĂ©e pour imposer Ă  une communautĂ© des certitudes qui finissent par la dĂ©truire… je me doute que ça devient politique sans le vouloir !

Pourtant, il faut regarder la sĂ©rie en se libĂ©rant de tout ce climat anxiogĂšne. Il est question de foi, il y a une trĂšs intelligente rĂ©flexion sur les religions et notamment un passage oĂč le shĂ©rif de confession islamiste, fait la promotion de sa foi sans nier celle des autres ! Ce qui me rappelle mes Ă©changes avec des amis musulmans, il y a quelques annĂ©es, quand je leur avais demandĂ© pourquoi ils Ă©taient devenus musulmans (l’un Ă©tait arabe, ingĂ©nieur, l’autre d’origine française, converti) ; le premier m’avait rĂ©pondu que comme pour un programme (il Ă©tait ingĂ©nieur en informatique) il avait choisi la version la plus rĂ©cente (!) et l’autre m’avait confiĂ©, de maniĂšre Ă©nigmatique et stimulante qu’il y avait des vĂ©ritĂ©s cachĂ©es (codĂ©es) dans le Coran. Etant profondĂ©ment laĂŻc, je suis paradoxalement pour la totale libertĂ© religieuse. Il faut crĂ©er au sein de nos espaces publics ces dialogues autour des croyances, sans les imposer, sans en faire la promotion. MĂȘme quelqu’un de profondĂ©ment athĂ©e ne doit pas imposer sa certitude et finalement un certain fanatisme (comme si ne croire en rien Ă©tait une preuve d’intelligence). La sĂ©rie prĂ©sente ces thĂ©matiques de maniĂšre humaniste et brillante, car si au prime abord on pourrait interprĂ©ter le rĂ©cit et sa rĂ©solution comme une charge contre la foi, elle est surtout la dĂ©nonciation des certitudes par la religion.

J’ai Ă©tĂ© personnellement trĂšs touchĂ© par la conclusion de la mini sĂ©rie en sept Ă©pisodes, que j’ai trouvĂ© belle, trĂšs rĂ©ussie, poĂ©tique, symbolique, puissante. Ma rĂ©flexion, profĂ©rĂ©e Ă  voix haute (oui, je suis fou comme disait ma dĂ©funte maman, je parle souvent tout seul) c’est que j’adore les tĂ©nĂšbres mais jamais je ne pourrais me passer de la lumiĂšre du jour. Tous ces personnages, Ă  la fin, qui se tournent vers le soleil, comme prĂ©sence divine symbolique, procurent Ă  l’histoire une dimension mythologique. La thĂ©matique de la lumiĂšre, sa perception, est par ailleurs poĂ©tiquement illustrĂ©e et finement traitĂ©e.

Bon, bonne annĂ©e 2022 (j’ai failli oubliĂ©, mais parler de soleil vient de me rappeler que tout ça clĂŽt une pleine rĂ©volution autour de son auguste personne) et n’hĂ©sitez pas Ă  voir cette sĂ©rie, elle est juste stimulante, un nouveau coup de maĂźtre de la part de Mike Flanagan qui rĂ©ussit vraiment Ă  saisir l’essence des oeuvres du grand King.

Le syndrome de la Tour de Babel

Je me suis rĂ©abonnĂ© Ă  Netflix. AprĂšs, j’ai Ă©tĂ© un des premiers abonnĂ©s. J’ai tout de mĂȘme 4 chromecast Ă  la maison, dont 3 maintenant qui sont stockĂ©s dans la rĂ©serve du matos informatique que je me suis constituĂ© depuis 20 ans. Mais je suis passĂ© il y a un peu plus de deux ans Ă  ce petit bijou de Nvidia Shield qui me sert de caster Ă  tout faire (Netflix, Prime, Youtube, Steam, etc.).
Bref, je me suis rĂ©abonnĂ© Ă  Netflix. J’ai des petits coups de nerf parfois, je suis de ceux qui prennent des mesures radicales et un peu brutales quand ça me gonfle. LĂ  c’Ă©tait un film inepte (mais alors Ă  un point), oĂč on voyait un jeune couple emmĂ©nager dans une maison pour rĂ©gler des petits problĂšmes d’adultĂšres (sic) provoquĂ©s par des petits comportements dysfontionnels (sic) eux-mĂȘmes causĂ©s par des petits comportements moralement odieux (sic) faisant l’Ă©cho Ă  tous les problĂšmes de l’humanitĂ© car dans la dite maison la mĂȘme histoire avait presque dĂ©jĂ  eu lieu (sic sic sic). Ecrit comme une suite de clichĂ©s et d’archĂ©types confinant presque Ă  la blague lourde (perso j’aurai appelĂ© le film « la valse des Ă©gocentriques »), le coup de grĂące d’Aftermath (c’est le titre du truc : « ConsĂ©quence » en français, donc… oui, il y a un peu de philosophie de comptoir lĂ , aprĂšs c’est juste du fait divers sensationnaliste, ne rĂȘvez pas) rĂ©sidait dans sa conclusion qui se permettait, l’air de rien, une petite dĂ©claration politique bien vacharde. Encore en bref, il y avait cette duretĂ© pragmatique qu’on bouffe actuellement de partout de la part de tous ces gens qui savent comment rĂ©gler les problĂšmes (notamment avec les « intrus » qui violent notre territoire). Qui savent comment traiter tous ceux qui nous empĂȘchent de vivre notre petit bonheur matĂ©rialiste avec leurs drames Ă  la con et leurs pathĂ©tiques destins d’inadaptĂ©s sociaux. LĂ , j’ai senti que les auteurs et Netflix me disaient sans prendre de gants que je n’Ă©tais plus la cible. Trop vieux, trop idĂ©aliste, trop humaniste peut-ĂȘtre… ou alors plus jeune, pas assez cynique, pas assez dur peut-ĂȘtre. J’ai trouvĂ© les « hĂ©ros » odieux (mais c’est quoi ces gens qui pensent rĂ©gler des histoires de trahisons en s’achetant une baraque ?!), invraisemblables (« l’hĂ©roĂŻne » immensĂ©ment talentueuse avec son atelier mode) et vertigineusement creux (Ă  la fin on vend la baraque, comme ça plus de nĂ©vroses et de soucis). Un film poubelle, un film miroir d’un certain Ă©tat d’esprit, avec un discours Ă  la fois antisociale et anxiogĂšne… qui m’a motivĂ© Ă  me dĂ©sabonner comme une grosse goutte d’eau splotchant dans un vase dĂ©jĂ  trop plein.

Puis, j’ai vu passer les critiques cinĂ© de « Don’t look up » un peu partout. Des bonnes, des qui te poussent Ă  remettre en question tes grands serments, qui te font philosopher sur l’extrĂ©misme du mot « jamais », qui te chuchotent Ă  l’oreille que y a que les cons qui changent pas d’avis… et mĂȘme si tu sais que es perdu pour la cause car tu n’as plus d’illusions sur toi-mĂȘme, petite chose humaine perdue parmi une plĂ©thore d’autres petites choses humaines, tu finis le dimanche soir Ă  repartir pour un tour, histoire de voir un film au prix d’une place de cinĂ© (puis ils m’ont tous saoulĂ© avec Squid Game, et aprĂšs deux ans d’attentes j’ai vu qu’il y avait de nouveaux Ă©pisodes de Jojo’s). Et j’ai vu le film. Et avant de me mettre au boulot (je piaffe d’impatience aprĂšs tous ces mois de labeur incessant), ce matin je me lĂšve et j’Ă©coute la critique sur la chaĂźne Youtube de France Culture. Et donc ça me motive Ă  balancer Ă  la volĂ©e ma propre impression.

J’ai un cerveau Ă©trange, une sorte d’organisme indĂ©pendant qui vit sa propre vie. Donc, je regardais la critique (avec le son, hein, ne commencez pas Ă  dire que je faisais preuve d’inattention), quand une petite musique a commencĂ© Ă  rĂ©sonner (j’adore toujours l’homonymie avec « raisonner ») dans mon crĂąne, devenant un petit peu entĂȘtante alors que j’entamais mon deuxiĂšme cafĂ©. M’attardant un instant Ă  identifier la mĂ©lodie trublionne, je me rendis compte, effarĂ© (j’ai envie de sortir plein de termes dĂ©calĂ©s ce matin, c’est mon cotĂ© facĂ©tieux qui se dĂ©chaĂźne), qu’il s’agissait de « Land of Confusion » de Genesis.

Petite madeleine de Proust surprise : on est en 1986, et je vais m’acheter le 33 tours du dernier album de Genesis, « Invisible Touch ». J’aime tellement cet album que je n’hĂ©siterai pas Ă  l’offrir, quelques mois plus tard, Ă  un copain pour son anniversaire. Un petit bijou, il m’arrive encore d’Ă©couter souvent le morceau « In too deep » que je viens par ailleurs de remettre en fond sonore avant d’achever cette phrase . Mais ce matin, c’Ă©tait le morceau prĂ©cĂ©demment citĂ© qui m’Ă©tait venu en « commentaire », « Land of confusion ».

A ce moment prĂ©cis de ce billet intempestif, je suis Ă  la croisĂ©e des intentions et des sensations. Je regarde l’heure et je me dis qu’il serait peut-ĂȘtre temps de m’y mettre (au boulot), enfin si je veux accomplir la tĂąche de la journĂ©e (baptisĂ©e pragmatiquement « faire le fond des cases »). Je me dis que j’ai dĂ©jĂ  Ă©crit beaucoup, ce qui n’est pas un souci en soi, mais qui ne mĂšne Ă  rien dans cette idĂ©e d’un lectorat souffrant d’un dĂ©ficit permanent d’attention et donc d’intĂ©rĂȘt (φ(k) = At), et que finalement la pirouette stylistique et critique pourrait s’accomplir, non sans brio, en explicitant le titre de ce billet et en expliquant la rĂ©fĂ©rence musicale. Dont acte, je vous ai dĂ©jĂ  donnĂ© tous les gages de mon gĂ©nie et la profondeur de mes rĂ©fĂ©rences culturelles. Comme je l’explique rĂ©guliĂšrement Ă  ma fille, elle-mĂȘme dans la « com’ », « interroges-toi toujours sur l’intention ! » – et vous, esthĂšte de la forme, contemplez cette savante utilisation des guillemets français et anglais dans une mĂȘme phrase).

Dont acte : Don’t look up est dans la lignĂ©e du titre de Genesis (paroles + clip : souvenir de l’Ă©mission Spitting Images qui Ă©taient la version enragĂ©e des Guignols de l’info outre atlantique) la dĂ©monstration du syndrome de la Tour de Babel. OĂč quand une volontĂ© supĂ©rieure s’ingĂ©nie Ă  semer la division par l’entremise de la confusion et de la dissonance, qui s’incarnent dans le chaos politique et sociĂ©tale (que seule la parodie, la caricature, peut synthĂ©tiser dans une oeuvre de fiction). Ne plus parler la mĂȘme langue, c’est ne plus se comprendre, c’est aussi ne plus s’Ă©couter. C’est l’Ă©chec de la synergie sociale, sociĂ©tale, qui signe le dĂ©but de la fin. Sur France Culture ils ont bien tournĂ© dans le bocal mais il manquait, Ă  mon sens, cette petite prĂ©cision qui rĂ©sume tout. Le film ne parle pas tant de fin du monde, n’est pas tant la caricature ou la parodie de notre sociĂ©tĂ© ultra mĂ©diatique et corrompue (j’ai un article plus sĂ©rieux en brouillon que j’ai intitulĂ© « la guerre des alĂ©theia » qui sortira peut-ĂȘtre un jour – oui, je sais, vous avez hĂąte), que le constat dĂ©senchantĂ© de cette impossibilitĂ©, de plus en plus nette, d’une concorde. Dans le rĂ©cit biblique, la construction de la tour est interrompue, empĂȘchant l’homme d’Ă©galer Dieu. Et Dieu symbolisant l’Ă©ternitĂ©, il n’y a plus que la mort Ă  la fin du rĂ©cit, celle qui emporte tout.

Conclusion vertigineuse, dramatique et un poil Ă©mouvante qui va clore ce billet sur une note heureuse et optimiste.

Et Joyeux Noël (au sens païen ou non, restons insolemment laïc) au passage (mdr).

Note : la chronique de France Culture et le clip de Genesis – oui, citons les sources (et ça fait des illustration habillant de maniĂšre ludique et colorĂ©e ces grandes pages blanches remplis de verbiage).

Don’t look up – Teaser in french by Netflix
La chronique de France Culture
Land of confusion

En passant…

TrĂšs longtemps que je ne suis pas venu ici pour poster un article, mais le boulot m’accapare, mon grand projet qui prend forme petit Ă  petit en me demandant toute mon Ă©nergie et tous mes efforts. Mais au vu des Ă©vĂ©nements, il faut Ă©crire pour tĂ©moigner. MĂȘme si ce blog n’est que mon journal intime Ă  ciel ouvert, en rĂ©sumĂ© juste un espace personnel pour dĂ©fouler, un peu, ma passion pour l’Ă©criture, c’est important Ă  l’heure actuelle de signifier sa position par rapport Ă  l’orientation d’un monde qui part dans une trĂšs mauvaise direction.

J’adore les mots, j’adore le langage, je suis philologue au sens Ă©tymologique du terme. TrĂšs jeune, on a remarquĂ© cette facilitĂ© que certains qualifient de don et qui n’est Ă  mon sens qu’une expression d’une certaine sensibilitĂ©. Quand j’Ă©tais enfant, les mots sonnaient comme des notes de musique et longtemps, j’ai Ă©crit en composant plus qu’en rĂ©flĂ©chissant. Je suis trĂšs sensible Ă  la poĂ©sie et je peux ĂȘtre vĂ©ritablement Ă©mu Ă  la lecture ou Ă  l’Ă©coute d’un beau texte. Il y avait pour moi une forme d’harmonie dans l’Ă©criture qui longtemps, fut ma boussole. Puis avec le temps est venu la quĂȘte du sens. Soif de culture avant tout, car je venais d’un milieu humble malgrĂ© des parents d’une rare intelligence et d’une certaine finesse. Je ne suis pas l’expression de mon habitus, je suis pour le coup, et j’Ă©cris ça avec Ă©normĂ©ment d’humour et de dĂ©rision, le parfait français. Actuellement, c’est compliquĂ© d’Ă©crire ou de dire ça, car dans cette Ă©poque trouble de repli sur soi, de haine et de rancoeur pour cet autrui qui nous prend tout, dans cette hystĂ©rie qui raconte une rĂ©alitĂ© oĂč les espaces sont menacĂ©s en permanence d’une perfide invasion… ĂȘtre français sonne comme une dĂ©claration de guerre.

Paradoxe Ă©trange de ce pays tellement enivrĂ© de lui-mĂȘme, de l’image qu’il se fait de lui, de cette idĂ©e fixe qui compose l’essentiel du discours patriotique. Le pays des LumiĂšres, le pays des droits de l’homme, le pays de la LibertĂ©. Et aussi de tout son inverse, des pires exactions, des pires corruptions. J’ai eu l’immense chance d’avoir deux grand-pĂšres formidables, les deux militaires, qui ont Ă©tĂ© du bon cotĂ© en 39/45. Du cotĂ© maternelle, il crapahutait aux cotĂ©s du GĂ©nĂ©ral Leclerc, et il a dĂ©barquĂ© Ă  Paris Ă  l’issue de cette odyssĂ©e. L’autre a reçu, deux mois avant sa mort il y a 5 ans , son euthanasie pour ĂȘtre prĂ©cis, la lĂ©gion d’honneur pour acte de bravoure (dynamitage de voies ferrĂ©es dans la RĂ©sistance). Je me rappelle mon grand-pĂšre paternel avec qui j’avais un rapport particulier, un rapport fort, car nos caractĂšres avaient l’Ă©vidence la mĂȘme hardiesse… ce que je comprends, Ă  prĂ©sent, avec le temps. A peine avait-il reçu cette mĂ©daille, rentrĂ© chez lui, vautrĂ© dans son fauteuil, affaibli et parfois hagard, qu’il me regarde et me demande si « effectivement, c’Ă©tait important » ? Je l’ai regardĂ© et j’ai rĂ©pondu du fond de mon coeur, le plus sincĂšrement que ma propre pudeur le permettait : « bien sĂ»r que c’est important ».

Je ne parlais pas de la mĂ©daille ; je parlais de l’acte. Je parlais de ce qu’il avait fait pour la mĂ©riter, aprĂšs tant d’annĂ©es passĂ©es en n’ayant jamais mis Ă  profit cette hĂ©roĂŻsme vĂ©ritable, lĂ  oĂč d’autres avaient fait des carriĂšres opportunistes. Mes grand-pĂšres Ă©taient français, chacun Ă  leur maniĂšre. Français comme l’explique si bien Romain Gary dans les cerfs-volants, avec cet officier allemand qui trouve la mort aprĂšs l’attentat ratĂ© contre Hitler. Français comme l’ont rĂȘvĂ© nos plus grands Ă©crivains. Je ne suis pas fier des faits de guerre, je ne suis pas fier d’une histoire conçue comme un artefact Ă  destination d’un ego sans cesse boursouflĂ©. Si je ne peux pas croire les rĂ©cits d’un passĂ© sans cesse recomposĂ© et toujours davantage hĂ©roĂŻsĂ© (voire Ă©rotisĂ© vu les passions que certaines lĂ©gendes suscitent), jusqu’au dĂ©ni d’une rĂ©alitĂ© pourtant rĂ©cente (la collaboration), je peux me fier Ă  la plume de Victor Hugo, de ces fameuses LumiĂšres, de ceux qui au fil du temps ont tĂ©moignĂ© d’une sagesse et d’une grandeur, qui sont, elles, vĂ©ritables.

Je me sens français quand je lis l’Aigle du casque et sa justice immanente. Je me sens français quand je lis Camus… je me rappelle mon Ă©motion, Ă  18 ans, quand j’ai lu la Chute, rĂ©cit frĂ©nĂ©tique jusqu’Ă  la fin, jusqu’Ă  la chute, nous renvoyant tous Ă  l’hypocrisie de nos postures, Ă  la damnation de nos acquis. Je me sens français quand j’entends les citations de tant d’artistes qui font notre grandeur. Je me sens français quand je pense Ă  Saint Louis qui lui, en vrai monarque, allait en aide aux plus dĂ©favorisĂ©s. Je me sens français, quand j’entends la Marseillaise, car je vibre d’Ă©motion en imaginant ces gens rĂ©voltĂ©s. C’est ça mon ADN de français, ce n’est pas du chauvinisme aveugle mais bien la fiertĂ© d’un hĂ©ritage d’humanisme et de grandeur.

Je me sens français quand je me rappelle ce qu’il y a, dans ce mot, « France ». Je suis parfois tristement sidĂ©rĂ©, quand je pose la question Ă  mes compatriotes, qu’ils n’entendent plus le son qui pourtant, moi, me frappe. France comme free, France comme Franck… une racine commune qui infuse dans tous ces mots la notion de libertĂ©.

Etre français, pour moi, c’est refuser la tyrannie. C’est refuser d’oublier les idĂ©es et les idĂ©aux qui sont inscrits, beautĂ© sublime, dans notre constitution. C’est voir aussi le mal, sans louvoyer, comme l’aigle du casque qui Ă©cƓurĂ© par la mĂ©chancetĂ©, la vilainie de Tiphaine, prend soudainement vie. Etre français c’est trois mots qu’on oublie Ă  l’heure d’aujourd’hui. Trois mots qui ont la force et la puissance, qui sont la plus parfaite des trinitĂ©s : LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ©. Tout est lĂ , il n’y a rien Ă  gloser ou Ă  dire de plus. Juste Ă  s’interroger si cette simple loi, celle qui domine toutes les autres, est respectĂ©e. Etre français, ce n’est pas dresser une cocarde vidĂ©e de toute sa substance pour semer la haine, la discorde et l’injustice. Etre français ce n’est pas prĂ©tendre dĂ©fendre une rĂ©publique fantĂŽme, une rĂ©publique fantoche, qui oublie que sa seule raison d’ĂȘtre est de servir, et non asservir, son peuple.

Alors oui, je suis le parfait français, en cela que j’aurai toujours en horreur l’autoritarisme, le totalitarisme, et surtout, l’injustice. Je suis profondĂ©ment atterrĂ© par le niveau des dĂ©bats en politique, par la dĂ©cadence et l’impĂ©ritie de la scĂšne politique. Je constate la profonde division de notre peuple qui se dĂ©chire au grĂ© de toutes les manipulations, les provocations, les intimidations de ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir et entendent bien le garder. Je suis si profondĂ©ment déçu que le rĂ©flexe soit encore de s’en prendre, si lĂąchement, aux minoritĂ©s les plus silencieuses et les plus vulnĂ©rables. C’est si facile, c’est si minable, c’est tellement pratique, Ă©galement.

Je suis le parfait français et je suis donc profondĂ©ment imparfait car j’ai conscience de n’ĂȘtre rien, et j’en suis pour le coup trĂšs fier… car c’est une preuve d’intelligence. Mais Ă  notre Ă©poque cynique oĂč l’amoralitĂ© est un consensus, il vaut mieux lire Machiavel que Blaise Pascal. Pourtant, je vais citer ce grand français car c’est dans son humanisme que moi, personnellement, je me retrouve… et que je veux demeurer malgrĂ© le bruit des bottes et la menace de la trique :

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.

Toute notre dignitĂ© consiste donc en la pensĂ©e. C’est de lĂ  qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durĂ©e, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc Ă  bien penser : voilĂ  le principe de la morale.

Blaise Pascal, Pensées, fragment 347

Welcome back Dexter

Beaucoup de boulot en ce moment, mais je suis tombé par hasard sur ça :

Dexter reste une de mes sĂ©ries prĂ©fĂ©rĂ©es, simplement parce que Michael C. Hall a rĂ©ussi Ă  incarner parfaitement ce mĂ©lange de rationalitĂ© et de folie pour offrir des intrigues Ă  la fois ubuesques, jouissives et souvent haletantes. Oui, Ă  la fin le peu d’inspiration des scĂ©naristes et la pression d’un succĂšs auprĂšs d’un public plus large que prĂ©vu ont fini par parasiter la qualitĂ© globale… mais jusqu’au bout, j’ai suivi les errances de notre tueur en sĂ©rie favori avec un brin de tendresse. La scĂšne finale, plan triste et gris d’un homme solitaire, perdu, brisĂ©, Ă©tait Ă  la fois Ă©mouvante… et rassurante… Je sais que les amĂ©ricains ont tendance au reboot et au retournement de situation plus que rocambolesques (coucou Bobby), mais personnellement ça fait des annĂ©es que j’attends cette suite, surtout dans cette ambiance typique des petites bourgades ricaines, qui est propice Ă  de gĂ©niales histoires avec des portraits de persos secondaires croquignolets (coucou Fargo).

Je ne suis pas trĂšs sĂ©rie, donc je ne me tiens pas trop au courant des actualitĂ©s Ă  ce sujet, mais l’algorithme de Youtube a eu la douce impulsion de me proposer ça… Vivement l’automne !

VoilĂ , le blog n’est pas mort, je suis juste dĂ©bordĂ© et trop fatiguĂ© pour le nourrir comme il le mĂ©riterait, mais je me rends compte que mon Ă©nergie n’est pas aussi inĂ©puisable que ça !

Jupiter’s Legacy le 7 mai sur Netflix

Je suis fan de Mark Millar depuis ses frasques scĂ©naristiques au dĂ©but des annĂ©es 2000… Je le qualifie souvent d’iconoclaste, car c’est pour moi l’un des premiers Ă  avoir « cassé » l’image nette et respectable de certains superhĂ©ros, en allant jusqu’Ă  mettre en scĂšne leur mort dans des conditions souvent choquantes. AprĂšs, avec le temps, certaines choses sont devenues un peu des gimmicks scĂ©naristiques, comme par exemple sa propension Ă  dĂ©peindre des gĂ©nies comme des intellectuels dotĂ©s d’une sorte de prĂ©cognition logique. DerriĂšre cet assemblage (…blague ?) fumeux, je veux dire qu’il part du principe que par pur raisonnement logique, on peut aller jusqu’Ă  anticiper des actions complexes, notamment concernant le comportement d’autrui (gĂ©nĂ©ralement, le gĂ©nie en question retourne psychologiquement un personnage moins intelligent en quelques mots bien sentis). Mais lire du Mark Millar, c’est se prĂ©parer, avec dĂ©lice, Ă  l’imprĂ©visible et au sensationnel. Sur ce blog, il y a quelques annĂ©es, j’avais ainsi donnĂ© mon avis sur Old Man Logan oĂč dĂ©jĂ  je vantais l’iconoclastie de Mark Millar (bien avant le Logan de James Mangold)… AprĂšs il y a eu Redson, les productions cinĂ© originales (Kingsman), enfin Mark Millar a surfĂ© intelligemment sur l’adhĂ©sion du grand public Ă  un genre qui Ă©tait, quand j’Ă©tais gosse, comme beaucoup d’autres choses (le manga, le jeu vidĂ©o), rĂ©servĂ©es Ă  des grands enfants soupçonnĂ©s d’immaturitĂ© chronique. J’ai acceptĂ© depuis longtemps ce terrible fardeau.

Quand Jupiter’s Legacy est sorti, je me le suis donc procurĂ©, et j’ai guettĂ© la suite car le cliffhanger du premier tome Ă©tait juste parfait. Puis j’adore le style d’une sobriĂ©tĂ© pleine de sens de Frank Quitely, ce qui fait de ce comics un vĂ©ritable plaisir total. Venant de dĂ©couvrir l’adaptation Ă  venir le 7 mai sur Netflix, je n’ai pas pu m’empĂȘcher de venir taper ce petit billet avant de me mettre au boulot (deux pages de storyboard, 4 de dialogues pour aujourd’hui…) et j’attends donc avec impatience le 7 mai pour me bingwatcher la sĂ©rie (avec le plaisir coupable de pouvoir comparer avec la BD – dĂ©jĂ  spoilĂ© mais avec le plaisir de pouvoir conseiller mes proches mdr).

Comme par hasard (humour), sur Prime, j’ai dĂ©couvert Invincible, une sĂ©rie animĂ©e adaptĂ©e d’un comics de Kirkman, le scĂ©nariste de The Walking Dead. J’ai un avis assez partagĂ© sur Kirkman car j’aime ce qu’il fait (des dialogues savoureux, des personnages profonds et complexes, des situations dĂ©stabilisantes, une noirceur oĂč brille toujours une faible lueur d’espoir) tout en voyant les influences, voire des inspirations dĂ©rangeantes (le dĂ©but de The Walking Dead c’est juste la repompe de 28 jours plus tard de Danny Boyle). J’ai arrĂȘtĂ© the Walking Dead au volume 20 (avec Negan qui explose littĂ©ralement un des protagonistes principaux – trop nihiliste pour moi), surtout Ă  cause d’une lassitude des longs couloirs de dialogues que je trouvais Ă  la fin irrĂ©alistes, voire surrĂ©alistes. Je suis un bavard, un hableur, et je suis un de ces personnages improbables qui te sort un discours interminable nĂ©cessitant une capacitĂ© d’attention et d’adhĂ©sion que je n’ai rencontrĂ©, Ă  vrai dire, que chez mes hamsters nains (mais il n’est pas impossible que ces petits malins me dupent). Invincible, je ne l’ai donc pas lu parce que pas vraiment saisi par le gĂ©nie de Kirkman. Mais quand une adaptation a pointĂ© le bout de son nez sur Prime VidĂ©o il y a deux semaines, je n’ai pas ergotĂ© et j’ai dĂ©couvert le bidule. Enthousiasmant, mais diantre, que ça me fait penser Ă  du Millar, avec le mĂȘme mĂ©canisme d’installation puis de destruction amenant rĂ©ellement l’intrigue Ă  venir. La sortie des ces deux productions (le mot actuel serait plutĂŽt « contenu » – voire mon billet prĂ©cĂ©dent sur le sacrĂ© :-p) est peut-ĂȘtre l’introduction d’un nouvel Ă©pisode dans la mode des superhĂ©ros, aprĂšs les versions pulp et populaires de Marvel, voici venir l’iconoclastie et l’irrĂ©vĂ©rence que le succĂšs de la sĂ©rie « The Boys » sur Prime a clairement initiĂ©/encouragĂ©/stimulĂ©.

Au dĂ©but du teaser on voit la fameuse Ăźle, et c’est juste ça que j’avais regrettĂ© dans le comics initial… il y avait comme un parfum du Planetary de Warren Ellis et Cassaday (un de mes prĂ©fĂ©rĂ©s), mais ça ne reste qu’au stade de la fragrance (j’avais Ă©crit d’abord Ă©crit « flagrance », lapsus sĂ©mantique ?), lĂ  oĂč j’aurais bien fait bombance (la rime est offerte par la maison).

https://youtu.be/mEkFEZAsmFI

Que reste-t-il de sacré sur France Culture

Et non, ce n’est pas une question mais le titre de l’Ă©mission, petite facĂ©tie qui ne fait donc pas affront aux rĂšgles de l’orthographe en ces temps de perfection sĂ©mantique tellement convoitĂ©e et si rarement atteinte. Les guillemets auraient Ă©ventĂ© la feinte et j’aime bien cette posture polĂ©miste alors que je continue d’adorer France Culture (que j’Ă©coute principalement, comme Arte, sur Youtube).

TrÚs agréable moment avec Frédéric Lenoir sur France Culture, avec une réflexion que je partage complÚtement sur le sacré et la spiritualité, avec des propos qui me parlent et avec lesquels je me sens en totale adéquation.

Je ne parle jamais de religion ou de spiritualitĂ© car j’ai toujours peur de contribuer Ă  la confusion actuelle, et parce que je considĂšre que c’est vĂ©ritablement un chemin personnel et solitaire. C’est toujours un paradoxe que je n’aime pas expliquer, d’aimer autant les mots et d’autant m’en mĂ©fier. Le verbe est une chose magnifique, mais les mots sont d’une telle puissance qu’ils Ă©chappent toujours Ă  notre contrĂŽle ou notre volontĂ©. Consciemment ou involontairement, nous pouvons inflĂ©chir, influencer, les choix d’un autre. Je sais que ma spiritualitĂ© est vĂ©ritablement une aventure intime et que je ne peux communiquer que par l’enthousiasme que j’ai toujours ressenti pour certaines questions, pour certaines idĂ©es, voire pour certains idĂ©aux. Je conclurais en disant simplement que je suis profondĂ©ment convaincu que les deux seules choses qui peuvent sauver ce monde sont le pardon et la misĂ©ricorde. Ce n’est pas une conviction d’ordre religieux, ce n’est pas le reliquat d’un enseignement quelconque, c’est juste le rĂ©sultat de ma propre rĂ©flexion, de ma propre expĂ©rience, de mon observation. Comme M. Lenoir, je trouve le monde toujours aussi beau, il faut dissocier le monde que nous construisons et celui sur lequel nous opĂ©rons cette construction. Je disais il y a peu Ă  ma compagne qu’il y a deux conceptions de la civilisation, celle qui considĂšre la nature comme une harmonie Ă  prĂ©server, et celle qui la considĂšre comme une source inĂ©puisable de richesses Ă  piller sans scrupule. Croire qu’il n’y a qu’une seule voie, comme c’est un peu la nĂ©vrose actuellement, est une pure folie dont la durĂ©e de vie est Ă  la mesure de notre capacitĂ© de dĂ©ni.

Bertrand Tavernier, la vie et rien d’autre.

Mort de ce cinĂ©aste aujourd’hui, et moi qui Ă©coute l’Ă©numĂ©ration de tous ses grands films, car il y en a eu.. et qui revient toujours Ă  celui lĂ , La vie et rien d’autre qui par le hasard des choses est disponible depuis peu sur Netflix. Un film que j’adore, qui est un de mes prĂ©fĂ©rĂ©s, et que pourtant j’ai du mal Ă  revoir. Pourquoi ? Car Ă©trangement, quand c’est trop fort, j’ai un recul maintenant, Ă  revivre certaines Ă©motions trop puissantes. Quand j’ai vu le film, j’avais 20 ans (hier donc), et j’ai immĂ©diatement Ă©tĂ© bouleversĂ© par l’histoire, magnifiquement contĂ©e car Tavernier Ă©tait un vrai cinĂ©aste avec un sens aigu de l’image et de la mise en scĂšne… mais encore par le personnage de Philippe Noiret qui, je m’en rends compte en Ă©crivant ces lignes, n’est pas si Ă©loignĂ© de celui de StĂ©phane dans Un coeur en hiver, citĂ© rĂ©cemment sur ce mĂȘme blog. Dans les deux films, on voit deux hommes cyniques, se rĂ©fugiant dans l’absurditĂ© de la vie professionnelle, rassurante car mĂ©canique, leur permettant d’Ă©chapper aux relations humaines, incertaines et donc dangereuses. Dans les deux films, des femmes pĂštent un plomb pour dire Ă  un homme de vivre et d’ĂȘtre enfin vrai, d’arrĂȘter de jouer Ă  ĂȘtre plutĂŽt qu’ĂȘtre vraiment. Cette scĂšne, dans la vie et rien d’autre, dans laquelle AzĂ©ma donne Ă  Noiret toutes les cartes pour que commence une magnifique et belle histoire d’amour, qu’il gĂąche affreusement, presque comiquement… et le rattrapage, le sauvetage, la rĂ©demption, comme dans le film de Sautet, Ă  la toute fin, cette fois via une lettre, moyen tellement plus facile pour une parole captive… VoilĂ , Tavernier est mort, Sautet est mort, tout s’achĂšve ici, enfin matĂ©riellement car personnellement ça n’a jamais Ă©tĂ© ma conviction. Pourtant, ce film, dĂ©jĂ  dans son titre, nous dit une grande vĂ©ritĂ©, Ă  laquelle nous pouvons croire dans ce monde de chimĂšres et de faux semblants. Oui, la vie et rien d’autre, et aussi beaucoup d’amour et de paix, message final de ce film gĂ©nial qui me fait penser Ă  mon pĂšre, un homme de chiffre, lui aussi captif de cette numĂ©ration infernale. La mĂ©duse mathĂ©matique qui peut faire croire que le vertige de la raison permet d’oublier le bonheur de la sensation rĂ©elle. Mais non Papa, la vie et rien d’autre, comme le filmait si bien Bertrand Tavernier.

AprĂšs, la voix magique de Philippe Noiret, acteur juste gĂ©nial, au timbre unique, lisant cette lettre finale, ça reste un trĂ©sor qui m’Ă©meut bien plus que toutes les versions de RomĂ©o et Juliette rĂ©unies. Et je vous l’ai trouvĂ© en plus, donc si vous ne voulez pas vous faire spoiler/spolier, n’hĂ©sitez pas Ă  plutĂŽt aller voir le film. Sinon faites comme moi, et rĂ©galez vous de ces formules surannĂ©es, soutenues, maniĂ©rĂ©es, affectĂ©es, qui me restent dans ma mĂ©moire atavique comme l’Ă©cho d’un monde perdu.

Superman & the Autority

Il y a peu, j’ai rĂ©agi Ă  une vidĂ©o sur Youtube concernant un petit dĂ©bat sur le Batman versus Superman de Snyder. Simplement car les deux tribuns partageaient pour le coup une franche admiration sur le plan du collier de perles de la mĂšre de Bruce Wayne, qui se brise tandis que le coup de feu fatal met fin Ă  sa vie. Je m’Ă©tais donc permis de rappeler que cette image, ce moment, cette mĂ©taphore, cette idĂ©e, Ă©tait celle de Frank Miller dans son mythique Dark Knight, paru Ă  la fin des annĂ©es 80 et que j’ai dans ma bibliothĂšque, Ă©dition Zenda (j’ai dĂ» corriger j’avais Ă©crit « Zelda » mdr), juste Ă  cotĂ© des Watchmen de Moore. RĂ©action assez Ă©trange de la rĂ©daction (car les deux youtubers font partie d’une Ă©quipe Ă©ditoriale qui Ă  l’Ă©vidence possĂšde un pragmatique mais maladroit community manager) qui m’a rĂ©pondu qu’ils le savaient… mais qu’ils n’avaient pas voulu surcharger la vidĂ©o d’infos « inutiles » vu la richesse intrinsĂšque de l’Ă©change. Oui, mais non. Personnellement, je n’ai pas insistĂ©, car je sais aussi que Miller passe souvent pour un extrĂ©miste aux idĂ©es rĂ©actionnaires (en gros, il a tendance Ă  un peu trop cĂ©lĂ©brer le patriotisme en stigmatisant « l’Ă©tranger », cet envahisseur perfide,… ce qui est toujours dĂ©licat en ces temps d’universalitĂ© bienveillante). Je peux le comprendre, donc je n’insiste jamais, mĂȘme si je suis conscient de l’apport de Miller dans le paysage du comics (avec Daredevil et Batman en tĂȘte). Mais en gros, je disais dans mon intervention que ce film est un hommage Ă©vident au comics de Frank Miller…. et ces derniers jours, la news est sortie :https://www.eklecty-city.fr/cinema/justice-league-zack-snyder-dark-knight-returns/me donnant dĂ©finitivement raison. Simon, cette phrase est pour toi mdr.

J’ai commencĂ© Ă  lire des comics Ă  l’Ăąge de 5 ans. Mes parents m’achetaient Pif Gadget, mais moi je voulais lire les aventures d’Iron man, de Spiderman, des X-men, etc. Je suis donc de ceux qui ont une grosse culture « classique » des comics, et j’ai dĂ©crochĂ© vers 2010, un peu irritĂ© de voir que la philosophie amĂ©ricaine du refus de la vieillesse et de la mort provoquait des constants reboots de ces histoires et des hĂ©ros concernĂ©s. Le dĂ©clenchement fut le sort de Peter Parker aka Spiderman, qui dans une histoire se voit projetĂ© dans le passĂ©, avant l’arrivĂ©e de Mary Jane dans sa vie. Vendu comme un retour de l’Ăąge d’or, moi je l’ai vĂ©cu comme un effacement de mes souvenirs. Puis le choix implacable des producteurs des films, consistant Ă  tout rĂ©inventer ou changer, a brisĂ© toute ambition de rester Ă  jour dans cet univers sans cesse changeant. Et pour finir… et Henry Pym alors ?!!!!

Mais dans ma fameuse bibliothĂšque, j’ai conservĂ© prĂ©cieusement des comics qui sont pour moi des chefs-d’oeuvre. Et en bonne place, je possĂšde les premiers volumes de The Autority, qui fut pour moi Ă  l’Ă©poque une initiation aux nouveaux scĂ©naristes des comics, iconoclastes et gĂ©niaux, que furent et sont encore Grant Morrison, Mark Millar, et Warren Ellis. D’ailleurs, bien plus que The Autority, Planetary reste l’oeuvre que j’affectionne le plus. Mais comment dĂ©crire une histoire qui recycle le vieux signal des 4 Fantastiques en svastika ? Il y a du gĂ©nie dans ces scĂ©narios, et il me vient cette vĂ©ritĂ© que l’apport de Mark Millar dans le succĂšs des Vengeurs au cinĂ©ma me semble un peu minimisĂ©. Avec Brian Hitch, c’est ce duo qui a fait le choix d’utiliser Samuel Jackson comme modĂšle pour la nouvelle version de Nick Fury par exemple. Enfin, et en bref, j’ai dĂ©crochĂ©, en arrĂȘtant d’Ă©taler (comme ici) ma petite culture de vieux fan des comics, un peu déçu de ne plus pouvoir prophĂ©tiser le dĂ©roulement des intrigues… mais comprenant parfaitement le choix des producteurs dans un monde qui pour vibrer doit ĂȘtre nĂ©cessairement surpris et Ă©tonnĂ©. Mais de lĂ  Ă  crĂ©er une love story entre Hulk et la Veuve noire, j’ai jamais pu adhĂ©rer.

Cependant, il y a deux jours, les rumeurs d’un futur comics m’a fait vibrer et m’a fait retrouvĂ© l’excitation que je ressentais, antan, quand on annonçait des cross overs mythiques…. Superman & The Autority c’est juste l’archĂ©type associĂ© Ă  l’iconoclastie. AprĂšs, il y a eu un dessin animĂ© Superman contre l’Elite, qui l’air de rien est une rĂ©ponse (et une caricature) Ă  l’irrĂ©vĂ©rence de The Autority, et donc un dĂ©tournement des hĂ©ros de ce comics qui finissent d’ailleurs par se noyer dans leur cynisme face Ă  l’inamovible puissance morale de Superman.

Dans l’attente donc, car pour le coup, le dĂ©tournement sus nommĂ© ne rendait pas justice Ă  l’Ă©mouvante Jenny Sparks, l’esprit du vingtiĂšme siĂšcle, avec son insolent Union Jack sur le tee-shirt, qui meurt au dĂ©but du nouveau siĂšcle… The Autority ce n’Ă©tait pas un groupe de punks souhaitant dĂ©truire le monde en n’agissant qu’Ă  leur tĂȘte… c’Ă©tait surtout des libertaires qui conscients de leurs pouvoirs, voulaient s’affranchir d’une certaine autoritĂ© pour favoriser la justice. La vraie, celle qui rĂ©pare les prĂ©judices des faibles, des dĂ©munis et des opprimĂ©s. Dans cette idĂ©e de l’autoritĂ©, le comics rĂ©volutionnait le discours tout en invitant Ă  la rĂ©flexion. Les voir revenir, au dĂ©tour d’un comics inattendu, ne pouvait que m’inspirer cet article enthousiaste d’un vieux fan endormi.

Une soirée avec Claude Sautet

J’achĂšve ma soirĂ©e sur Arte avec Claude Sautet, mon cinĂ©aste favori, une petite tĂȘte devant Sergio Leone, mais comme toujours avec moi, l’Ă©clectisme est de mise. BIen qu’en y rĂ©flĂ©chissant un peu, les deux cinĂ©astes ne sont pas si Ă©loignĂ©s que ça avec une inclination Ă  saisir la vĂ©ritĂ© des sentiments et des Ă©motions dans les regards et les non-dits. Ma fille Ă©tait venue une fois encore me briefer sur son workshop (un anglicisme que je trouve assez loufoque vu le contexte : un cours) quand je l’invitais Ă  savourer, en ma compagnie, les derniers plans d’Un coeur en Hiver, mon film favori de Sautet (avec Max et les ferrailleurs, ex-aequo). Ah… cette scĂšne magnifique, de deux personnes qui s’aiment, qui n’ont pas su se trouver au bon moment, et qui par un dernier Ă©change de regards se donnent une seconde chance qu’on se plaira d’imaginer, ou non, avec cette fin dĂ©licieusement ambiguĂ« (avec les deux points sur le « e », au bout de 20 de correction auto ça y est, c’est rentrĂ©).

A un moment donnĂ©, Patrick Dewaere expliquait sa vision du cinĂ© de Sautet que je partage complĂštement. Sautet Ă©tait le cinĂ©aste, par excellence, des non-dits. Et surtout, il illustrait cette passion froide mais puissante qui peut saisir un ĂȘtre mu par sa passion sincĂšre, par des sentiments qui dĂ©passent la raison pour bousculer le raisonnable et le quotidien. Ce soir, j’Ă©tais Ă©mu par le personnage de Camille, interprĂ©tĂ©e par cette actrice hors norme qu’est toujours restĂ©e Emmanuelle BĂ©art, en dĂ©rive totale car tourmentĂ©e par un amour qui la dĂ©passe et la submerge. J’aime voir Max pĂ©ter un plomb Ă  la fin des ferrailleurs pour sauver la pute dont il s’est servi, et dont il s’est, bien malgrĂ© lui, amourachĂ©. Et le pĂ©tage de plomb d’Auteuil dans Quelques jours avec moi, et la volte face de Piccoli dans les choses de la vie. Ce cinĂ©ma me manque, cette finesse me manque, cette lenteur dans la description des Ă©motions me manque, dans les productions actuelles oĂč tout est, comme trop de choses, normĂ©, rapide, marketĂ©.

Ma fille n’a pas pris le temps de savourer le dernier regard de Camille Ă  StĂ©phane, me sommant de lui donner mon avis sur une question tierce, gĂ©nĂ©ration sous pression, gĂ©nĂ©ration dans l’angoisse bien rĂ©elle d’un avenir flou. Plus de temps pour les regards, plus de temps pour ces questions et ces affaires secondaires, Ă  l’heure oĂč les passions se rĂ©digent Ă  distance et en public sur des rĂ©seaux qui deviennent, trop souvent, des vitrines pas moins transparentes que celles d’Amsterdam. Pourtant, ce soir, dans le dernier regard de StĂ©phane Ă  Camille, dans son petit sourire, il y avait un espoir si grand qu’il pourrait servir d’inspiration. Tout n’est perdu que lorsqu’on abandonne, tout reste possible tant qu’on veut y croire. C’est naĂŻf, peut-ĂȘtre, mais ça reste beau.

Et de deux, Dune

Le teaser de Dune est sorti, et aprĂšs avoir vu les rĂ©actions de certains Youtubeurs, j’ai eu l’envie de revenir sur ce blog abandonnĂ©, pour cause de projets crĂ©atifs un poil accaparants.

Pourquoi l’envie ? Car Dune, pour moi, aura Ă©tĂ©, en premier lieu, une histoire d’amour littĂ©raire, pas que ça parle d’amour, mais parce que j’ai aimĂ© ce putain de cycle en vivant tout ce qu’on peut connaĂźtre dans une grande histoire d’amour… la passion, l’enivrement des sens, l’intemporalitĂ© d’un attachement, une fidĂ©litĂ© entretenue par la richesse puissante d’une Ɠuvre sans pareille (pour moi et ma pauvre culture en la matiĂšre).

Dune, j’ai dĂ©vorĂ© les livres et bien entendu, ce qui a Ă©tĂ© le plus fort dans ce moment d’aventure culturelle, est mon admiration, encore intacte, pour un auteur, Frank Herbert, juste puissant, dans son intention comme dans la concrĂ©tisation de celle ci. Dune est avant tout un roman brillant, au pur sens du terme. D’une profondeur incroyable, abyssale, un sommet non de SF mais bien de littĂ©rature, dans son sens le plus noble et le plus beau.

Donc aprĂšs ça, et depuis toujours, je fais partie de ceux qui pensent que Dune est inadaptable au cinĂ©ma, Ă  la TV, en jeu, en ce que vous voulez, car mĂȘme si un gĂ©nie de la peinture peut crĂ©er une toile magnifique figurant la beautĂ© d’une aurore, l’Ɠuvre ne vaudra jamais l’aurore elle-mĂȘme. Dune est une expĂ©rience dont la richesse, dont la substantifique moelle pour reprendre une expression dĂ©licieusement mĂ©taphorique un brin soutenu (oui chĂ©rie, je te dĂ©dicace ce passage), ne peuvent qu’ĂȘtre trahies ou simplement impossibles Ă  rendre sur un Ă©cran. Les images ne sont que des images, lĂ  oĂč les mots sont des allĂ©gories, des porteurs de symboles, des crĂ©ateurs de monde. Ceci dit et convenu, on peut quand mĂȘme concevoir qu’il y ait de bons films inspirĂ©s de Dune. J’ai aimĂ© le Dune de Lynch, qui apporte en soi, presque de maniĂšre dĂ©mentielle ou blasphĂ©matoire d’ailleurs, des concepts nouveaux (alors que la richesse du matĂ©riau originel n’est pas respectĂ©, dans l’idĂ©e de la mission impossible prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©e). ƒuvre bĂątarde, rĂ©sultat de ce qu’est la production d’un film oĂč chacun donne son avis lĂ  oĂč le sujet ne pouvait ĂȘtre qu’une vision, celle d’un artiste, celle d’un homme qui devient dieu de l’image pour crĂ©er un univers. Kubrick, Jodorowski Ă©taient de ceux lĂ , on a fait comprendre Ă  Lynch, Ă  l’Ă©vidence, que les thĂ©ocraties n’avaient plus le vent en poupe Ă  Hollywood. Mais j’aime l’esprit du film, cette cĂ©rĂ©bralitĂ© au cƓur du film, celle de ce messie qu’est Paul, cet homme qui devient dieu (autre roman de Herbert qu’il faudrait que je me dĂ©cide Ă  finir d’ailleurs), puis qui chute, dans un cycle dont tout ce que le grand public ne connaĂźt vraiment n’est qu’un tout petit prĂ©lude.

J’Ă©cris cet article car je suis tombĂ© sur une vidĂ©o putassiĂšre sur Youtube, dont l’idĂ©e est juste de profiter de la vague crĂ©Ă©e par l’annonce du teaser. Je dis vidĂ©o, mais non, c’est bien une putasserie, mot bien moche, mais qui pour le coup dĂ©crit bien le principe : un titre et hop, le travail de critique est fait. Enfin une variante du critique, le boucher critique, ou le critique Ă  la sauce 2.0 spĂ© 280 caractĂšres. Donc, je vois « Dune, Ă  la croisĂ©e de Starwars et de GOT ». Et sincĂšrement, j’en ai marre, mais marre, mais marre, qu’on dise que Starwars a tout inventĂ©, lĂ  oĂč si j’Ă©tais mĂ©chant (je ne le suis pas, sinon ce serait bien pire), je dirai que la saga avec les Jedi n’est rien d’autre que Starwars pour les nuls. Oui, je pourrais ĂȘtre mĂ©chant si j’Ă©tais un youtubeur enragĂ© souhaitant vĂ©hiculĂ©e sa sainte parole, rien qu’en mettant en exergue l’abomination d’une saga en 9 Ă©pisodes qui est la quintessence de l’incohĂ©rence scĂ©naristique… le premier SW donc le quatriĂšme (tiens, encore un argument dĂ©montrant que c’est construit n’importe comment), dĂ©jĂ , pille Dune. J’ai pas envie d’aller faire de l’archĂ©ologie culturelle pour voir les idĂ©es et les talents qui ont Ă©tĂ© dĂ©bauchĂ©s Ă  l’Ă©poque du projet de Jodorowski pour atterrir sur le SW de Lucas. Je vois juste que ça se passe sur une planĂšte dĂ©sertique, que le hĂ©ros a un Ă©norme potentiel cachĂ©, que son mentor utilise la voix, qu’il y a une princesse plus intelligente que la cruche attendant qu’on vienne la sauver, un empereur et un empire, et j’en passe… SW emprunte Ă  Dune, SW est le rĂ©cĂ©pissĂ© d’une influence, d’un phĂ©nomĂšne culturel d’une Ă©poque, celui que fut Dune, dĂ©jĂ . Alors, lire maintenant que c’est l’inverse, parce qu’Ă  la « croisĂ©e » d’une autre Ɠuvre, ça me fait mal.

Oui, je sais. On va me dire que c’est parce que le but, c’est chercher Ă  retrouver l’effet SW, maintenant que celui s’est Ă©tiolĂ© dans le dĂ©sastre narratif qu’il a connu au fur et Ă  mesure que les chercheurs d’or ont tentĂ© de prendre une part du butin en tamisant Ă  l’aveugle dans le gros filon devant eux. Oui, le studio veut certainement que le film devienne un objet de vĂ©nĂ©ration, d’adoration, donc source de profit, comme a pu l’ĂȘtre et l’est encore, SW. AprĂšs, et c’est juste Ă©lĂ©mentaire, l’oeuvre initiale n’est pas facilement accessible car sĂšche, froide, philosophique, panoramique, comme son hĂ©ros, trĂšs cĂ©rĂ©brale. Paul est un dieu en devenir, mais avant tout c’est un homme qui pense, qui crĂ©e de vertigineux raisonnements sur tout ce qui l’entoure. Pour devenir un Dieu crĂ©ateur, il se met en devoir, dĂ©jĂ , de comprendre le monde qui l’entoure, de rĂ©soudre les Ă©nigmes de cet univers fascinant qu’est Dune. Un univers qui ne tient qu’en quelques volumes, 7 je crois, que j’ai dĂ©vorĂ© jusqu’Ă  dĂ©couvrir avec horreur que l’auteur n’avait pas eu la dĂ©cence de rester en vie pour Ă©crire la suite. Frank Herbert, tu seras toujours pour moi la seule personne sur terre pour laquelle j’aurais tentĂ© de trouver un remĂšde Ă  la mortalitĂ©. Le champion du cliffhanger suprĂȘme. Et en si peu de volume, si on imaginait un truc Ă  la SW, on pourrait imaginer deux trois aventures du mĂȘme tonneau, rondement menĂ©es. Non, en si peu de volumes, le bonhomme dessine une histoire qui se dĂ©roule sur des millĂ©naires, en posant de grandes thĂ©matiques qui sont au delĂ  de l’Ă©rection d’un empire nazi voulant Ă©tendre son dĂ©sir colonialiste sur un univers qui l’air de rien, sera toujours si infini qu’il ne peut en avoir, dans le fond, que rien Ă  foutre.

Concernant GOT, c’est encore pire… S’il y avait l’espoir de voir de la fesse bien tendre et des choses coquines qui excite le bourgeois inhibĂ©, encore… mais non, le roman d’Herbert ne se perd jamais lĂ -dedans. Allez, en pensant Ă  mon favori, le fils et pas le pĂšre, LĂ©to, je pourrais imaginer un truc japonais avec un gros ver lubrique. Sauf que son vice Ă  celui lĂ  est juste de cloner, indĂ©finiment, celui qui va le tuer. Saisir l’essence de Dune, c’est Ă  la fin de l’empereur Dieu qu’il est possible d’en saisir un peu la vibration, dans le sacrifice/suicide, dans la dĂ©livrance expiatoire et sacrificielle du monstre qu’est devenu Leto, comme son pĂšre, Dieu vivant devant mourir pour que vive l’univers.

Bonne chance pour traduire ça en film. Mais j’ai hĂąte de voir le film de Villeneuve, sans le comparer Ă  rien, car oui, un cinĂ©aste plus que douĂ©, une histoire magnifique, des bons acteurs, des images qui promettent bien, ça me suffit Ă  me dire que je vais passer un moment de folie.

J’ai donc hĂąte, mais pitiĂ©, ne me parlez pas de SW ni de GOT.