Je n’écris pas assez souvent sur ce blog mais il est de moins en moins évident, maintenant que j’ai cédé à mes ambitions créatives, de trouver du temps pour m’adonner aux douces joies de l’écriture récréative. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, encore moins l’inspiration, simplement le processus d’écriture est devenu pour moi plus facile, plus fluide, ne nécessitant pas une discipline particulière… Je me faisais la réflexion, il y a quelques jours, que l’écriture ne se nourrit finalement pas des lectures, mais bien d’une certaine structuration de la pensée. Pensée qui ne s’épanouit que par le ferment des mots dans un grand jardin mental, psychologique, qui lentement prend forme puis s’agrandit au fil du temps. J’en suis à muser souvent dans ce labyrinthe végétale, neuronale, où de manière chtonienne, à comprendre dans un sens hiérarchique et non dans une connotation un brin religieuse (sujet du billet – oui, j’ai de la suite dans les idées), les racines s’entremêlent et se mélangent, composant son propre réseau, un véritable système que je suis incapable d’analyser ou comprendre, mais dont je reçois à présent les fruits généreux. J’avoue que je suis parti de très loin, de cette ambition il y a longtemps de m’éduquer, toujours tout seul, toujours par moi-même, et j’en savoure à présent les bénéfices. Ecrire n’est ni compliqué, ni difficile, ni complexe… c’est juste du temps, encore du temps, toujours du temps, à consacrer à un exercice nécessaire pour vivre vraiment, et ne pas se contenter d’être une machine cognitive toujours en boulimie d’informations, de sensations, de plaisirs. Je sais que le piège est de sombrer dans la mondanité, le cabotinage, la pédanterie, les affres faciles d’une intellectualité qui jouit d’elle-même. Il est important de signifier, dans ce monde de légèreté, dans ce monde où la superficialité se veut le paravent d’une candeur louable là où souvent il n’y a que vides abyssaux, le bonheur de la pensée, du recueillement, de la réflexion, de l’abstraction. C’est le rôle de ce blog, toujours et encore un journal intime à ciel ouvert, propos d’une hypocrisie revendiquée car jamais je n’aborderai ici la vérité de ma vie personnelle. Je m’amuse simplement de n’intéresser personne et de m’en sentir toujours un peu plus libre. Parfois, je me demande si quelqu’un pourrait trouver quelque intérêt à parcourir mes longs billets verbeux, mais dans cette société de ricaneurs, cette société du commentaire et de la pensée liminale, je n’ai guère l’illusion d’une quelconque âme sœur. Depuis longtemps, depuis toujours ai-je envie d’écrire, je m’active pour l’écho qui comble le silence, pour ce sens qu’il faut quand même donner pour lui donner… sens.
Donc, la religiosité… quand je me demande ce que je pourrais écrire d’un peu intéressant, d’un peu profond, je ne trouve toujours que cette analyse des mécanismes que j’observe dans nos sociétés qui vivent, tranquillement mais sans rémission, leur décadence. Et en ce moment, s’associant à la verticalisation que j’ai évoqué dans un lointain et précédent billet, la religiosité revient en force dans la définition du monde. Il convient de préciser ce que je nomme religiosité… instinct, attitude, mouvement qui prêtent à conférer à quelque chose un aspect sacré le hiérarchisant au-delà de la possibilité de la moindre critique, de la moindre contestation. La religiosité, c’est bien d’affirmer qu’il y a quelque chose de divin, qu’il y a dans l’objet de la sacralisation quelque chose à adorer et à protéger de la corruption du commun. Le religiosité c’est bien l’établissement d’une caste de hiérophantes qui se font rempart entre les mortels de basse extraction, les barbares sans foi ni loi, et la chose à révérer. La religiosité de nos sociétés ultimes s’expriment dans la protection, la valorisation, l’ardente passion pour un panthéon d’institutions ou de concepts qui sont autant de nouvelles divinités qui ne peuvent subir la moindre contestation sans que la suspicion de l’hérésie ne pèse sur le contempteur. Ce panthéon se compose par exemple de la Science, la Démocratie, la République, la Constitution, le Droit, la Loi, la Liberté, la Vérité, et de manière connexe les corps institutionnels qui en assurent l’adoration soit la Justice, la Police, l’Etat, l’Education,etc. Nous sommes à ce point où une sorte de constat nous est imposé comme quoi nous serions à l’acmé des systèmes sociaux, avec une sorte d’architecture finale de nos modèles sociétaux.
Je suis tombé par hasard sur un film de SF avec Adam Driver (mais que fait-il dans cette galère ?) qui se nomme en VF « 65 – la Terre d’avant ». Le pitch est en lui-même assez bluffant… en bref, un homme (comprendre : un bipède en tout point semblable à nous) échoue sur notre planète 65 millions avant JC (enfin j’ai la flemme d’aller vérifier l’exactitude de cette convention chronologique, c’est l’idée !). Donc le pauvre gars dès le début du récit échange avec sa compagne dans un trip « les méandres de la classe moyenne prise dans les tourments des contraintes sociales et économiques », abordant subrepticement mais clairement la question du salaire comme élément notable d’une prise de décision qui va quand même le faire partir à minima deux ans loin de sa sacro-sainte cellule familiale dont il est le cœur battant (il ramène le pèze – l’argent ou l’Argent au choix). En fait, on dirait que ça se passe en 2096 mais non, c’était il y a 65 millions d’années avant, comme quoi l’être humain, l’Homme (qui a perdu de sa religiosité en ces temps d’émancipation et d’égalitarisme), ne peut que sombrer dans une sorte de boucle sociétale le condamnant aux affres de la société inévitablement, fatalement (fatus), productiviste. Après, j’avoue que ça m’a gonflé, autant ça finit par une boucle à la manière de la planète des Singes, le gars est le chaînon manquant, et 65 millions plus tard c’est bien la même m… qu’il a initiée provoquant la prochaine mise en orbite d’un bipède du futur qui va aussi s’échouer sur une autre planète d’une autre galaxie pour initier la perpétuation systémique, panspermie doctrinale faisant de l’exploitation et des inégalités sociales le seul destin potentiel d’une espèce humaine condamnée à se subir.
En bref, car je ne vais pas passer mon dimanche matin à gloser sur le sujet, sur ce constat d’une régression généralisée, d’un retour à la féodalisation que j’ai déjà décrit il y a quelque temps, j’aimerais tout-de-même, timidement, avec un brin de provocation, que je suis à la fois déçu et un peu atterré du manque de créativité sur le sujet de la structuration de nos sociétés humaines. Est-il à ce point là inenvisageable de concevoir une humanité débarrassée des travers du matérialisme, de l’égocentrisme, de cet hubrys puéril qui nous pourrit la vie en légitimant toujours les bas-instincts, les inégalités et les injustices, dans un fatras de compromis et de compromissions ? Une société humaine, dont l’ambition principale serait de veiller au bonheur général, à l’intérêt général, qui travaillerait de concert à créer un monde de justice et de paix n’est-elle qu’une fiction impossible ?
La sacralisation tranquille qui clôt tous les débats médiatiques dans une vision figée et mortifère des systèmes sociaux est à l’évidence une autre tactique pour tenir encore un peu des systèmes qui, sous la pression des injustices, du malheur et de la souffrance, appréhendent l’inévitable explosion. Et toute la cohorte des hiérophantes qui constamment viennent avec de biens artificiels vérités clore les discussions en imposant la censure, le silence, la bienséance, le Bon Sens, la Raison, la Sagesse, en imaginant au bout du bout imposer un narratif de plus en plus déconnecté de la réalité (à opposer à la Réalité) ne pourra sauver la construction sociale dont la base est de plus en plus sabotée par la corruption malheureusement généralisée, installée comme une artère principale, nécessaire à la continuité. L’abus de la sacralisation, la ferveur religieuse qui essaient d’imposer des concepts comme autant de fausses idoles à révérer, défendant de les contester, de les interroger, de les voir pour ce qu’ils sont, soit des outils malléables à notre disposition pour les réduire au rôle de murailles à une vision passéiste de la société humaine, ne finira que par l’émancipation. Ce qui prendra du temps, car nous sommes dans une ère de chimères ; jamais le mot apocalypse n’aura révélé de nos jours son sens véritable, qui est celui d’une « révélation ». Souhaiter l’apocalypse devient paradoxalement attendre de meilleurs jours, ce qui en soi, n’est plus une provocation, malheureusement… Imaginer un monde sans religion et sans religiosité m’irait très bien, personnellement.
Bon dimanche, jour du seigneur, un mot qui me tente par un dernier jeu de mots que je n’oserai pas (ne nous faisons pas, inutilement, de mauvais sang).