Donc hier soir, résultat de l’élection à bulletin secret et à fumée variable, le nouveau pape 2013 est là, et il s’appelle Jorge Bergoglio. Malgré des consonances stratégiquement latines, ce n’est pas de ce coté de l’hémisphère que nous vient ce nouveau représentant divin, mais d’Argentine, la lointaine sud-amérique.
C’est amusant comme certains artistes réalisent des oeuvres souvent prophétiques. Pas forcément que les auteurs soient soudainement dotés de capacités divinatoires, mais simplement ils parviennent dans certains cas à dépasser le voile des choses, que contribuent à renforcer les valeurs trompeuses de l’instant présent. Je pense notamment à Dan Simmons, et son périple d’Endymion, qui contait il y a déjà quelques années les calculs d’une Eglise moribonde, cherchant à survivre dans un univers de plus en plus étendu et confronté à une science dogmatique et démystifiante. Et à Nanni Moretti qui, il y a deux ans, avec son film « Habemus Papam », montrait un autre pape (formidable Michel Piccoli) s’interroger sur son nouveau rôle et surtout sa volonté de l’accepter.
Les médias, très contents de voir que la sainte Eglise veuille (enfin) accorder ses instruments communicationnels sur le vibrato de la culture du buzz permanent, ont depuis près d’un mois, commenté et relayé abondamment les rebondissements du feuilleton épiscopal. Symphoniques et presque haletants (ou vendus comme tels), les épisodes ont été marqués par des longueurs savamment calculées, des transitions habiles et bien structurées, pour parvenir à une conclusion un poil surprenante, installant un léger sentiment de nouveauté et de révolution que l’Eglise s’ingénie depuis quelques temps à mettre en œuvre. Car il ne faut pas s’y tromper, l’air de ne pas y toucher, c’est bien de la communication, humaine, poursuivant des desseins presque marketing, dont on peut percevoir les habituels rouages, et non quelques révélations divines, qui régénère une institution (religieuse) à l’image vieillissante, menacée de plus en plus fortement d’une désuétude complète.
C’est amusant de lire les actualités ce matin sur le sujet. Amusant de voir certains commentateurs de l’événement, tels des journalistes sportifs, parler de la déception d’une certaine partie des croyants italiens de constater l’élection d’un pape ne venant pas, d’une part, de leur pays, mais d’autre part, en découvrant que le recrutement s’est effectué en Amérique du sud, un autre continent, et accessoirement ancienne terre coloniale. Intéressant comme tous les observateurs s’accordent à reconnaître dans le choix des prélats de l’officine religieuse, un geste symbolique et stratégique visant à récompenser et à répondre à la fois, à une logique d’audimat et à un potentiel de marché. La plume de Pierre Gasquet sur le site des échos.fr, analyse ainsi et à raison que le nouveau pape [« reflète aussi la montée des pays émergents et l’importance croissante de l’ église d’Amérique latine qui compte déjà les deux premières communautés catholiques en termes numériques avec le Brésil et le Mexique. »]
La modernisation se poursuit d’ailleurs à petites touches, avec l’abandon de la formule préparée en latin (sauf sur Tweeter – mais bon, faut faire « cur »), la langue morte restant durablement l’ostentation d’un certain élitisme, le geste de se rattacher à un capital historique et culturel qui auparavant assurait d’une certaine légitimité. Le nouveau monde multimédiatique, avec une géographie économique et politique complètement chaotique, est en train de balayer tous ces repères sur lesquels notre perception de la réalité s’était construite. L’Eglise prépare lentement mais sûrement sa transition, et ses petites concessions à la modernité, aux dépens d’une tradition qui n’est plus assez rentable, font pour l’instant une petite pantomime dont on ne sait pas encore si elle augure d’autres choses que de simples effets d’annonce (à l’intention très phatique). Le fait que le nouveau pape choisisse un nom cassant la lignée de ces prédécesseurs, est également une décision intéressante, mais ma culture en la matière ne me permet pas d’en discerner toutes les nuances (apparemment les jésuites ont eu raison d’évangéliser les sud-américains, si je fais dans l’analyse laconique). L’Eglise a toujours été une structure éminemment politique et politisée, et les manœuvres stratégiques se dessinent sur des décennies – cette gestion du temps est d’ailleurs la marque de fabrique d’une institution faisant l’ironique promotion de l’éternité.
On dit que Malraux disait que le XXIème siècle serait spirituel/mystique/religieux ou ne serait pas. Je vous invite d’ailleurs à vous rendre sur le site du guichetdusavoir.org qui nous éclaire sur la question. Ce qui est certain, c’est que dans un monde en perte de repères et de certitudes, avec en permanence le sentiment d’une apocalypse ravivé par les alertes médiatiques permanentes, sans qu’aucune réelle solution ne soit concrètement présentée, les horizons métaphysiques sont amenés à retrouver un peu de leur fraicheur. L’Eglise, qui l’a bien compris, a décidé à l’évidence de se préparer à ce grand marché mystique qu’un futur pour l’instant bien sombre, annonce en le provoquant. Soyez donc prêt à être tweeté pour votre prochaine révélation divine (@pontifex pour suivre le hub papal, je vous le rappelle).