Ma fille chérie, est venue me voir ce soir, bouleversée, pour me dire que l’héroïne de la trilogie Hunger Games avait changé de couleur d’yeux entre le premier et le second acte, dont la première bande-annonce a été mise en ligne il y a 24 heures. Vous pourrez d’ailleurs voir ce trailer sur la page officiel du film Hunger Games 2 – L’Embrasement, sans avoir à supporter le détournement opportuniste d’un webnaute (ou subir les fanmade qui commencent à pulluler). Personnellement, après vérification, je pense que ma fille souffre d’un souvenir traumatisé par l’inévitable projection qu’elle a réalisé étant jeune, en pleine période « girl powa » suite à une utilisation trop intensive de ses dvd Winks. Je ne rate pas une occasion, dans un acte de revanche désespéré envers la jeunesse impudente de ma progéniture, de me moquer du premier opus que j’ai trouvé particulièrement nul… Jugement très dur, et inhabituel de ma part, demeurant un spectateur très facile à contenter (j’ai adoré Solomone Kane de Michael J. Bassett (avec un excellent James Purefoy, qu’on voit trop peu), tandis que l’essentiel des critiques s’accordent à dire que le film n’est pas très bon… j’assume !). Mais bon, connaissant et adorant de longue date le film Battle Royal de Kinji Fukasaku, qui est toujours le mètre étalon sur le sujet, que de déception en voyant cette pâle copie, formatée pour un public adolescent dont il ne faut surtout pas critiquer les élans consuméristes (sait-on jamais s’ils refusent d’acheter des goodies après la projection).
Plus qu’un formatage, plus que du recyclage à l’américaine de denrées culturelles exotiques (le Roi Lion restant le plus gros holdup up en la matière) c’est carrément du détournement et de la contre-façon symbolique dans tous les sens… Qu’une fois encore, une auteure nous sorte sa version fantasmée de l’élue qui doit se débattre entre deux soupirants qui ne vivent que pour l’adorer (Twilight,sors de ce corps), qu’elle manie l’arc comme Rambo sans avoir fait le vietnam (mais la chasse aux lapins dans la forêt ténébreuse, ça elle connaît… et rigolez pas, c’est rapide un lapin), qu’elle soit vendue comme le nouveau messie d’un peuple en mal d’icône (et souffrant du syndrôme de Jeanne d’Arc, soit une inclination à vouloir une pucelle comme libératrice), je passe avec indulgence ; il est bien normal de constater ce genre d’exaction après les délires machistes d’un cinéma par trop masculin, victime des mêmes errances depuis les débuts du cinéma.
Là où je dis stop, c’est quand l’héroïne, une rebelle vendue et vantée comme telle, s’arrête au stand dès le premier virage de la course pour se coller sur le corps tous les autocollants des sponsors pouvant lui permettre de gagner la compétition. La moralité de Hunger Games, c’est carrément une leçon de soumission sous couvert du fameux bon sens bourgeois dont Roland Barthes contait antan les méfaits. Ok, t’es une rebelle, mais quand il y a une bande d’ados surhormonés qui te galopent sur la ganache pour te scalper, faut vite arrêter les conneries et demander aux sponsors et aux spécialistes de la communication de te poudrer le nez pour que tout le monde t’aime… et t’aide. Être raisonnable, c’est écouter ton conseiller en communication qui va te dire comment te faire aimer du peuple, cette bande de gueux qu’on peut gruger avec une musique d’ambiance et une voix off inspirée.
Ce qui m’avait le plus frappé dans le premier opus, c’est d’ailleurs la construction scénaristique, qui polarisait toute l’attention sur notre héroïne messianique au détriment des potentiels second couteaux : ainsi, dans la forêt de tous les dangers, tous les adversaires se liguent contre elle, ce qui réduit la grosse mêlée annoncée à une partie de chasse carrément basique, illogique, avec un point de vue essentiellement centré sur notre star en chef. La grande réussite de Battle Royal était tout au contraire de positionner tous les enfants à égalité face à leur possible élimination, la mise en scène alternant les séquences en mettant en lumière les caractères et enjeux de chacun. Il y avait certes quelques figures qui surnageaient dans l’ensemble, mais il y avait la terrible volonté de démontrer la violence du spectacle, la cruauté du système, et surtout, de ne pas sombrer dans les délires d’un deus ex machina qui verrait l’avènement d’un surhomme, d’un élu, révélé par le contexte. Le couple qui survit à la fin du film, réussit cet exploit grâce à d’autres (les véritables héros ?), et le message est effectivement celui de la rébellion face à un système aliénant, injuste (mais paradoxalement pas inégalitaire).
Si Hunger Games ose la même ligne scénaristique et thématique, c’est pour en prendre le contre-pied total : l’héroïne se laisse affubler pour convenir aux goûts outranciers d’une élite corrompue et superficielle ; elle feint des sentiments amoureux pour attirer la sympathie des sponsors ; et surtout, elle parvient à gagner ce foutu jeu sans jamais perdre son innocence, état carrément injustifiable face aux atrocités dont elle est le témoin. En fait, quand on regarde bien le film, c’est bien par le fait d’un immense concours de circonstance qu’elle le remporte son prix (ils s’entretuent tous, tandis qu’elle prend la pose). La morale de l’histoire est particulièrement pénible à endurer : se plier au système, assurer sa survie sans tenir compte de quelconques principes moraux ou déontologiques, et surtout se contenter d’être un spectateur voire un héros de circonstance, sans que ces propres actes en produisent le mérite. Le pire étant, histoire d’être le plus inoffensif possible, qu’il n’y a pas qu’un seul vainqueur, qui supposerait donc un sacrifice, mais deux. Et comme par hasard, les deux font partie du trio amoureux de l’intrigue. Tant d’opportunisme créatif confine à l’escroquerie, mais chut, ça parle de rébellion, donc c’est pas de la daube (jamais lu une critique réellement sanglante ou indignée)… En cette époque de désenchantement et de cynisme, le marketing a emballé soigneusement la chose et personne ne s’est vraiment ému dans les médias de cette bonne blague. Moi, ça m’a quand même pas mal écœuré, d’où cet article un ans après.
Alors que nous réserve la suite ? Après vision du trailer, doublé et en vo, le propos semble s’enfoncer dans la lutte sociale caricaturale opposant les très riches aux très pauvres. Conception putassière de notre propre actualité-société, flirtant avec des concepts malheureusement galvaudés, marketisés comme ceux de révolution, révolte, changement, etc. Qui ne s’appuieront pas, au vu des extraits, sur une progression de la raison comme au temps des lumières, mais sera la conséquence d’une tension. Qu’une jeune fille au regard de biche soit présentée comme l’étincelle à « l’embrasement » promis, suppose une volonté farouche et la conscience pleine des enjeux… Mais comme c’est parti, le spectacle semble plutôt annoncer un effet domino cherchant un héros ou une icône à accoler au phénomène. Que la foule désespérée en viennent à idôlatrer une héroïne à la Secret Story démontre la vacuité du concept.
Mais bon, elle hésitait entre deux bonhommes dans le premier, elle va sûrement en embrasser un dans le second. C’est bien ce que j’avais cru comprendre en matant le trailer en vf, il y a une grosse faute d’orthographe dans le titre… C’est pas « embrasement », mais « embrassement » ! D’ici que tout le monde s’embrasse à la fin, il n’y a qu’une révolution qu’ils ne sauront, peut-être pas, franchir.
Heureusement que Kickass 2 se profile à l’horizon, Hitgirl c’est quand même autre chose comme guerrière que l’autre rambette avec son arc…