Comme écrit sur ce blog en 2013, prophétie facile je vous l’accorde, la sécurisation, l’accès et la gestion des données personnelles vont devenir les sujets phares par rapport à Internet, cette année comme les prochaines à venir. Il faut dire qu’un énorme business s’est créé justement sur la méconnaissance du public des ressorts et moteurs du web.
Hier, un blogueur expert en la matière se faisait condamner pour avoir notamment utiliser un VPN pour naviguer… l’acte en lui-même est anodin, car en vérité, il apparaît comme le choix délibéré, conscient et argumenté d’un consommateur-citoyen ne souhaitant pas se faire pister lors de se déambulations sur le web. Et paf, vas-y que j’interprète ça comme une tentative de dissimulation mode e-ninja, dont le mobile explose lorsque ce dernier publie sur son blog le fruit de ses recherches (rappelons que son e-identité est ultra-publique… comprendre par ce néologisme sophistiqué que si procurer son identité est un acte public, faire connaître qui se cache sous le loup d’un pseudo la rend donc extra-publique. Convaincu ?).
Donc, la condamnation de Google, labellisée et stigmatisée aujourd’hui par une annonce sur la page d’accueil de leur .fr de leur moteur, sonne comme un contre-pied ironique à l’histoire d’hier. On condamne un quidam pour publication « anonyme » de données sensibles la veille, et le lendemain on condamne un acteur majeur de l’internet pour utilisation non correctement contractualisée de leur action. Il n’y a ni bons ni méchants dans cette affaire, juste le fait que tout un pan de notre culture et de notre civilisation numérique est en train, sous nos yeux, de se construire. Google en son temps, très récent (dix ans ?), a lancé un algorithme permettant d’indexer plus efficacement que les autres solutions mises en place (des annuaires principalement), les contenus disponibles sur le web. Son utilisation massive, qui définit la justesse de son principe et de sa méthode, a conduit à un tout nouveau modèle publicitaire. Le souci, c’est qu’il y a bien une fracture culturelle au sein du grand public, qui a conduit à l’exploitation de l’ignorance des utilisateurs.
Les actions de la CNIL sont en cela complètement compréhensibles et justes. Après, passé l’aspect symbolique de l’événement, rien ne changera vraiment. Que représente 150 000 € pour un acteur mondial de l’économie numérique qui gère des milliards d’euros comme d’autres font des piles de billets en rangeant leur boîte de monopoly ? Les acteurs du web qui profitent du système (retargeting powa en tête de liste) pour leur part vont continuer à échanger des données concernant les internautes sans s’inquiéter davantage. Et à vrai dire, les consommateurs sur internet sont-ils vraiment contrariés de se savoir pistés et profilés, ou préfèrent-ils disposer de publicités ciblées en lisant leur boite Gmail ?
Les romans d’anticipation du passé nous ont souvent livrés des visions d’un contrôle et d’une surveillance du public, du peuple, par des formes autocratiques et totalitaires, dont la nature antidémocratique était clairement définie. Actuellement, nous sommes tous une suite de 0 et de 1 dans différentes bases de données qui s’échangent, se vendent, et contribuent à rendre certains plus riches et plus puissants. Le principe est insidieux, mais il se fait quelque part avec notre assentiment, que ce soit de manière inconsciente, par notre inculture ou notre manque de connaissance…ou consciente, par l’adhésion à un système que nous pouvons parfois approuver (mais basé sur une forme d’attentisme). Si un acteur comme Google ne peut être taxé d’un volonté malfaisante ou totalitaire, il ne faut pas non plus être dupe quant à la légitimité des actions de la CNIL, qui œuvre depuis des années pour instruire et informer les gens sur l’importance de leurs données personnelles. Mais pour marquer durablement le coup, il faudrait arrêter de fixer des amendes sur un montant prédéfini, qui arrange les riches et opprime les pauvres. Un pourcentage sur le chiffre d’affaire aurait été bien plus réaliste et certainement, convaincant.
Car l’amende versus le chiffre d’affaire en France, fait sourire… Dans cet article du Figaro, on rappelle que pour 2012, Google France a déclaré 193 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 1,4 milliard d’euros de recettes publicitaires (l’optimisation fiscale a donc fait un sacré boulot – je vous rappelle que la France cherche de l’argent, hein ?). Cela donne, dans l’ordre décroissant 1,4 milliard, 193 millions, 150 000 €.
Sur ce bon WE, et naviguez protégé ! 🙂
MAJ du 10/02/14 : Ironie suprême, la pub apportée par la publication du jugement par Google sur la page d’accueil de son moteur a apparemment fait exploser les serveurs de la CNIL ce week-end. C’est un peu comme l’amende, on peut se demander si cet organisme a bien saisi la dimension du marché exploité par Google…