Le chaos ou le bordel ?

Je dois m’y mettre, mais comme hier, il y a une telle effervescence politique que de bon matin, ça me passionne un peu trop. Ce qui ressort de ce tumulte analytique (chacun essaie de sonder les pythies ou tente d’analyser les ressorts psychologiques ou moraux du chef de l’Etat), c’est bien la sensation d’un chaos gĂ©nĂ©ral. Et le chaos est bien le mot qui revient le plus souvent (par exemple l’Ă©dito de Françoise Degois sur Sud Radio : « Il y a un chaos gĂ©nĂ©ral dans la vie politique […] », qu’il soit involontaire ou organisĂ©, c’est la dĂ©finition du paysage politique qui depuis l’annonce de la dissolution s’impose Ă  tous les analystes.

Personnellement, vivotant entre tous les flux de gauche comme de droite, je trouve toujours aussi pertinente l’analyse de Pierre-Yves Rougeyron disponible sur le site du Front Populaire qui rappelle une de ses thĂ©matiques prĂ©gnantes, l’influence et la puissance de la xĂ©nocratie sur le destin de notre nation Ă  la dĂ©rive. PYR Ă©voque avec une luciditĂ© qui est sa marque de fabrique la victoire d’un bloc europĂ©iste et surtout ultra-libĂ©ral dans ses Ă©lections europĂ©ennes, faisant de Macron un Ă©missaire du chaos, mais d’un chaos programmĂ©, stratĂ©giquement, pour destabiliser encore davantage le pays Ă  l’intĂ©rieur et par l’intĂ©rieur. Il Ă©voque aussi la stratĂ©gie du champ de ruines, la terre brĂ»lĂ©e laissĂ©e Ă  son futur successeur, ce qui pourrait assez bien dĂ©crire la politique menĂ©e depuis 7 ans qui en plus d’ĂȘtre un jeu de massacre social, pour notre bien (notez), et une dĂ©vastation Ă©conomique encore inĂ©dite (avec une dette abyssale). Aimant la simplicitĂ©, contrairement Ă  ce que ma prose alambiquĂ©e pourrait faire croire, il y a un filtre efficace que j’aime toujours appliquer Ă  toutes choses, soit celui du « Cui bono » (pour une fois que je rends aux latins ce qui appartient aux latins »). Dans notre mythologie sociĂ©tale, le peuple dans son ensemble croit donc toujours que le sommet social est incarnĂ© par les chefs d’Ă©tat, bien que de plus en plus s’immisce l’idĂ©e que la richesse dans un monde ploutocrate dĂ©signe vraiment les titans qui dirigent. Et notre prĂ©sident, Ă  l’Ă©vidence, est un Ă©missaire comme un autre. AprĂšs, je ne rentrerai jamais dans les questions psychologiques, un travers bien français, qui consiste Ă  « profiler » les intentions de quelqu’un en dĂ©voilant voire en devinant le paysage de sa psychĂ© cachĂ©e de tous. Je reste encore en cela trĂšs chrĂ©tien, je reste encore en cela trĂšs pragmatique et simple, en appliquant cette fois le filtre « On reconnaĂźt un arbre Ă  ses fruits », rendant hommage Ă  celui que les mĂȘmes latins auront crucifiĂ© (sans vouloir choquer la masse des sceptiques qui de plus en plus suspecte la crĂ©ation d’une fiction voire d’une mythologie Ă  des fins de manipulations religieuses – oui, je passe beaucoup de temps Ă  brasser de la donnĂ©e, c’est un mal personnel). Macron aura donc vendu une quantitĂ© non nĂ©gligeable de joyaux français, pour reprendre une image trĂšs parlante souvent usitĂ©e pour dĂ©crire le scandale Alsthom, aura ouvert la voie Ă  un ultra-libĂ©ralisme dĂ©complexĂ© (Uber), et surtout aura surendettĂ© la France d’une maniĂšre trĂšs surprenante pour quelqu’un disposant d’une culture financiĂšre voire purement bancaire ne lui dissimulant pas les consĂ©quences dramatiques d’un surendettement (j’ai eu un petit moment la petite sĂ©rĂ©nade d’une mention lĂ©gale venue d’un lointain passĂ© de publiciste dans le registre du rachat de crĂ©dits).

Donc, la France est en train de devenir un vaste bordel politique, ou alors effectivement un véritable chaos, mais alors dans sa pure définition étymologique. Comme il est bien expliqué sur Wikipédia :

Le nom Chaos (en grec ancien Î§ÎŹÎżÏ‚ / KhĂĄos, littĂ©ralement « Faille, BĂ©ance », du verbe Ï‡Î±ÎŻÎœÏ‰ / khaĂ­nĂŽ, « bĂ©er, ĂȘtre grand ouvert ».

Source

Le chaos c’est donc la bĂ©ance, et la bĂ©ance ça ouvre sur le vide. Alors oui, je sais, y a la gauche et la droite, ça brasse des discours trĂšs sĂ©rieux sur le marxisme, sur le capitalisme, sur la libertĂ© d’entreprendre comme de faire des profits. Nous vivons encore une fois la nĂ©vrose des grandes menaces, alors que sont ressuscitĂ©s les grandes peurs de la cohorte brune et autres prĂ©dateurs fascistes aux exactions horribles. L’ancien monde et le nouveau se font encore leur petite guerre dans le dĂ©bat Ă©ternel entre la rĂ©forme et le conservatisme, tandis que le petit peuple s’interroge sur les vertus ou les dĂ©sagrĂ©ments du changement. En bref, et en cela je trouve l’analyse de PYR trĂšs pertinente, nous sommes aveuglĂ©s par des questions presque secondaires qui dissimulent le centre du cyclone.

ImmĂ©diatement, les vertueux les plus admirables, les champions du camp du bien me rĂ©pondront (avant de me punir) que non, le fascisme n’a rien de secondaire. Peut-ĂȘtre qu’il faudrait ouvrir tes yeux nimbĂ©s d’Ă©toiles mon ami(e), nous y sommes depuis longtemps, vu que la mamelle essentielle du fascisme est le totalitarisme. Le dĂ©roulement des derniĂšres Ă©lections europĂ©ennes nous l’a encore dĂ©montrĂ© : une pensĂ©e unique servant une volontĂ© notoire est bien effective. Finalement, ces lĂ©gislatives comme ces derniĂšres Ă©lections ne sont qu’une mascarade Ă  laquelle nous participons.

Peut-ĂȘtre faudrait-il moins considĂ©rer les raisons de la manƓuvre et la personne prĂ©sidentielle que ce qu’il y a derriĂšre cette bĂ©ance. La France est en train de devenir une pure fiction, une sĂ©rie Netflix, certes distrayante mais dans laquelle finalement rien ne se passe de plus qu’une suite de pĂ©ripĂ©ties. Des annĂ©es maintenant que les dysfonctionnements dĂ©mocratiques ont dĂ©montrĂ© la superficialitĂ© du Parlement faisant de notre RĂ©publique le terrain de jeu d’une ploutocratie souvent doublĂ©e d’une cleptocratie. Pourtant, tous les observateurs redoublent de gravitĂ© concernant l’enjeu de ces Ă©lections. En prenant un peu de recul, et simplement en prenant comme exemple le triste destin des agriculteurs qui ont Ă©tĂ© trĂšs rĂ©cemment bien escroquĂ©s, rien ne peut changer tant que nous restons sous la fĂ©rule europĂ©enne. Et comme l’a notoirement et toujours sagacement rappelĂ© PYR, le bloc europĂ©iste et ses maĂźtres ultra-libĂ©raux l’ont magistralement emportĂ©.

Que faire quand un homme libre accepte de porter les fers de l’esclavage ? L’exhorter Ă  un peu d’honnĂȘtetĂ© et de luciditĂ©. Nous en sommes lĂ , c’est le pas Ă  faire avant toute rĂ©volution. Le bruit et la fureur c’est gĂ©nial, ça fait des grands films de cinĂ©ma et bouillir notre sang souvent ralenti par le rythme tranquille des belles et longues nuits d’Ă©tĂ©. Mais cette Ă©motivitĂ© entretenue, cette exaltation encouragĂ©e, nous masquent les enjeux vĂ©ritables. Oui, il y a une tempĂȘte. Et alors ? Nous ne sommes toujours pas Ă  ce chaos qui prĂ©cĂšde la rĂ©volution. Ce n’est juste qu’un chaos bruyant, un bordel, qui la retardera d’autant plus que nous continuerons collectivement Ă  croire en des illusions trĂšs savamment entretenues, dont notre cher leader demeure l’un des plus brillants prestidigitateurs. Un bon bordel a son lot d’entremetteuses et de pĂ©ripatĂ©ticiennes. Il n’est pas non plus recommandĂ© d’en faire consommation, les plaisirs bestiaux et les bas instincts ne visant que l’Ă©phĂ©mĂšre et favorisant le sordide, alors qu’il est possible d’envisager l’humanitĂ© avec une idĂ©e Ă  la fois plus ambitieuse, simplement plus glorieuse, de ce que nous voulons ĂȘtre.

Je regarde autour de moi. Peut-ĂȘtre ne sommes-nous devenus que des individus, des consommateurs, des ĂȘtres dĂ©tachĂ©s des intĂ©rĂȘts tant gĂ©nĂ©raux que supĂ©rieurs. Plus de citoyens, plus de dĂ©mocrates, juste des rĂȘveurs perdus dans un solipsisme aussi dĂ©bile que coupable. Des jouisseurs, des exhibitionnistes dĂ©complexĂ©s de nos petites turpitudes, de nos bas desseins matĂ©rialistes et Ă©goĂŻstes. Peut-ĂȘtre que le destin de nos sociĂ©tĂ©s modernes Ă  l’hĂ©donisme vain n’est que dans une ultime dissolution, et que de ce grand bain primordial naĂźtra alors une nouvelle rĂ©action chimico-sociale qui apportera alors le changement tant souhaitĂ©. Ce qu’on appelle « dĂ©cadence » n’est peut-ĂȘtre que le substrat de cette terre trop exploitĂ©e, trop usĂ©e, pour ne donner rien d’autre que des fleurs fanĂ©es.

Toujours, la mort de Sardanapale.

Sur ces dĂ©sillusions cruelles, je retourne travailler sur mes petites oeuvres, qui du point de vue de mon solipsisme Ă  moi m’apportent bien plus de satisfaction que le charivari des sirĂšnes (auquel, malgrĂ© ma dĂ©fense, je succombe trop souvent – pour preuve ce billet matinal).

Bonne journée !