Hier, les médias ont commencé à faire leurs choux gras des paroles d’une chanson de l’épouse du Président, sortant, de la République, Carla Bruni Sarkozy. En ce moment, au vu d’une conjoncture quelque peu difficile, c’est l’épreuve du feu pour François Hollande qui se retrouve confronté à l’ire grandissante de l’opinion tant publique que médiatique. De nombreux commentateurs et autres observateurs ne se privent donc pas d’une petite critique agacée, maintenant que l’euphorie du début de mandat a transité vers la zone « gueule de bois », avec un constat de la situation, désastreuse, dévoilant l’ivresse démagogique de son discours électoral.
La chanson-métaphore de Madame Bruni trouve ainsi une oreille attentive et cliente, tandis que constatant que le bateau continue bel et bien de couler, l’attention est de plus en plus rivée vers un Nicolas Sarlozy, stratégiquement silencieux depuis sa très relative défaite. Car il ne faut pas oublier, qu’une partie des critiques du flamboyant politicien de l’UMP, a tenu en partie à la négation de ses pratiques communicationnelles, un tantinet polarisées sur sa personne comme incarnation de son modèle politique ; comme si l’homme et les idées avaient fusionné dans une nouvelle entité dont la marque patronymique rivalisait en notoriété avec celles des plus grandes corporations, pratiquant un Brand Marketing savamment orchestré. L’adjectif « normal » renvoyait d’ailleurs à un refus de cette surmédiatisation, du show permanent que l’homme semblait induire à chaque apparition publique, à un dénigrement d’une énergie interprétée comme de l’hyperactivité et non plus comme de l’implication et de la volonté. Omniprésent, la marque Sarkozy était partout, incarnée par l’homme ou ses représentants soigneusement choisis. En conséquence des élections perdues, la star politique a d’un seul coup disparu, après une passation démontrant un sens réelle des conventions et une certaine élégance (après de nombreux échanges en dessous de la ceinture durant la campagne). La crise au sein de l’UMP et notamment la querelle pathétique entre Fillon et Copé ont démontré le rôle de leader indéniable que Nicolas Sarkozy imposait à un parterre politique sans véritable figure de proue. Mais depuis mai 2012, plus d’apparitions, plus de commentaires directs. Un retrait spectaculaire et inattendu, avec un petit parfum de revanche, comme s’il démontrait qu’il pouvait, à son tour, adopter une parfaite « normalité » en disparaissant des premières de couverture où son règne présidentiel lui avait durant longtemps assuré une place prééminente.
Revenons à la chanson de Madame Sarkozy ; personnellement, je trouve l’attaque, si c’en est une, car je n’ai pas encore écouté ni lu l’intégralité de la chanson, un poil inélégante. Maintenant, je me demande si quelque part, les médias, dans une scène politique actuelle en manque de personnalités charismatiques, de véritables événements médiatiques, et surtout de débats, n’entretiennent pas cette dualité, cette rivalité presque biblique, entre les frères ennemis que sont devenus Sarkozy et Hollande, Abel et Caïn au destin fratricide. Récemment, lors d’une sortie publique de François Hollande, on l’entendait ironiser »gentiment » avec une petite fille sur l’avenir de son rival, quelques mots interprétés immédiatement par les médias comme la révélation d’une obsession. Quinze jours après, c’est au détour d’une chanson que le conflit éclate en filigrane, renvoyant l’obsession chez le concurrent de droite. Ce qui dérange notamment, c’est la propension à attaquer sur le physique, la bonhomie étant devenue comme au temps des physionomistes, l’augure de la valeur réelle d’une personne. Sarkozy, au temps de sa splendeur, était petit, éminemment Napoléonien, ce qui a servi à bon nombre de caricaturistes en manque d’inspiration. Considérer le général en corse comme une source sérieuse de moqueries serait oublié, outre ses victoires retentissantes face à une Europe liguée contre le nouveau modèle démocratique émergent, que c’est Napoléon qui a créé le modèle administratif que le monde a finalement emprunté dans sa majorité. A chaque fois, dans le symbolisme utilisé, on ne prend que le grotesque pour oublier les valeurs les plus positives. L’irrévérence en France a toujours été un sport national, aux dépens de nos symboles culturels les plus puissants. Mais la pratique commence un peu à tourner à vide ; on tape bas.
Pour revenir au pingouin, ce matin, j’ai lu un paquet de petits papiers sur le sujet, un des meilleurs étant à mon goût celui trouvé sur le site du Nouvel Observateur, d’Olivier Cimelière, qui détaille agréablement la thématique de ce micro-événement médiatique. Cependant, le hasard a voulu qu’en matière de bêtes polaires, je possède à mon corps défendant une sacré culture et expérience sur le sujet : l’arctique en pullule, et c’est d’ailleurs avec joie que j’en ai accueilli quelques uns sur mon fond de page, ou au détour d’une petite vignette dessinée. Et si effectivement, les pingouins occupent bien l’hémisphère nord du globe, ils ne ressemblent en rien au portrait que nous nous en faisons. A la vérité, c’est du manchot dont Madame Bruni parle, le lourdaud aux ailes inutiles, qui déambule en se dandinant avec ostentation. Les « papas pingouins », et le cannibalisme populaire ont longtemps fusionné les deux volatiles, mais le pingouin, n’en déplaise à certains, vole, et il vole même très bien et très haut. Il se trouve au nord, tandis que l’oiseau pataud qui lui emprunte son nom, dandine au sud – en l’état, ils ne se croisent jamais n’évoluant pas dans le même monde. Comme nos deux politiciens d’oiseaux.
Alors, il serait possible de se gausser, de se plier en deux d’effarement devant cet amalgame zoologique qui démontre le peu de sérieux devant le manque de documentation sur la question. Mais à la vérité, tout le monde s’en fout, car cette petite nuance n’est connue que de quelques personnes, des querelleurs pour qui les chats ne sont pas des chiens, ou qui sont spécialisées, inutilement, en choses arctiques. Cependant, il serait intéressant que ce défaut d’identification se révèle prophétique : à trop vouloir le maintenir au sol, à le mettre à bas, il serait possible que l’oiseau de la chanson oublie qu’il est capable de voler. Dans un pays qui exige du changement mais qui ne veut rien céder à ses petits privilèges, pas évident de manier le volant autrement qu’en suivant le gps populaire, qui a la fâcheuse manie de ne pas tenir compte de la réelle topographie pour fixer un itinéraire respectant les petites préférences de chacun. Quitte à finir dans le décor et plus trop savoir où se trouve la route.
Et oui, les pingouins ça vole ! Très beau cliché d’Hélène Granier trouvé sur Wikimédia commons (tous droits relatifs contenus sur cette page).
Décidément, la dernière élection témoigne d’une crise profonde dans notre paysage politique et plus profondément, dans notre rapport avec la présidence et la démocratie. Élu avec une majorité très relative, Hollande est rattrapé maintenant par le désir atavique du français à vouloir un roi plutôt qu’un président. Il deviendrait coupable d’imposture, de ne pas être l’homme providentiel qui devait tout solutionner. Mais les critiques actuelles oublient souvent qu’il est impossible de corriger en si peu de temps une situation dont les racines dates de près d’une trentaine d’année, et encore, en ne considérant que la gestion de la dette publique. Les mesures les plus récentes qui impactent une grande part de son électorat révèle la gravité du contexte, qui ne permet pas de répondre aux attentes de ses électeurs, tant l’hémorragie se révèle importante.
Actuellement, il y a une certaine forme d’infantilisme dans la manière dont les médias traitent de la chose politique. Peu d’analyses, beaucoup d’alertes, énormément de cancans. Et si le président est représenté par un pingouin (donc, un manchot), peut-être est-ce, quelque part, parce qu’il symbolise tous les citoyens français, qui sont incapables de s’élever par leurs propres moyens. En faisant reposer tous nos espoirs et nos attentes sur un seul homme, qui a certes eu le gros défaut de s’annoncer comme un messie, les poches pleines de promesses. Mais la balance de l’idéal démocratique aurait été de se rendre compte que la première erreur a ne pas faire était de le croire. A la vérité, gagner les dernières élections était un véritable cadeau empoisonné. Les perdre, une opportunité sous certaines conditions, que l’ancien président à réuni : faible majorité et des mesures récupérées et déguisées par l’opposition (augmentation de la TVA et des impôts en général, entre autres). Si sa politique était plus que contestée en fin de mandat, les miracles qui n’auront pas lieu de son successeur valorisent paradoxalement l’âpreté d’un discours qui évoquait les sacrifices à présent demandés et à peine déguisés.
En conclusion, je saluerai bien bas la stratégie de communication du couple Sarkozy, qui se révèle incroyablement efficace et maîtrisée. Pour Madame, elle démontre qu’elle est restée une artiste, condamnée malgré elle à garder un pied (de poésie) dans l’arène politique. Mais malgré son mariage, personne ne songe à contester son statut d’artiste, et elle virevolte avec une grâce évidente et indéniable dans l’espace culturel français qui lui conserve sa place, malgré une absence de quelques années. De là à ce que le phénomène se reproduise pour Monsieur… Rendez-vous dans quatre ans ?