Les sermons de minuit sur Netflix

Quand je suis sur une plateforme de SVOD je suis tour Ă  tour perplexe, confus, puis dĂ©couragĂ©. Pourquoi ? Car la visualisation, par vignettes, des « produits » culturels, ne me procure que de l’image lĂ  oĂč j’attends du sens, du conseil, du rĂ©sumĂ©, en bref, de quoi savoir ce dans quoi je m’apprĂȘte Ă  me lancer. Je surfais donc nonchalamment ces jours derniers, quand je vis ce titre Ă  la vignette peu inspirante. En cliquant un instant je vis quelques noms magiques ; d’abord celui de Mike Flanagan, puis celui de Stephen King. J’ai un grand regret en ce dĂ©but d’annĂ©e, de ne pas avoir vu Doctor Sleep que beaucoup de critiques ont fini par consensus Ă  saluer, juste parce que j’ai encore commis l’erreur de me faire attiĂ©dir par une impression partisane avant la sortie du film (du genre « aprĂšs Kubrick, c’est mort ») et parce que j’ai le rĂ©flexe, depuis l’adolescence, de me dĂ©fier de tout ce qui est trop populaire/populiste… deux attitudes qui ont retardĂ© souvent ma dĂ©couverte de purs chef-d’oeuvres, bien que durant trĂšs longtemps, les prĂ©conisations de la revue Madmovies furent une boussole solide. Je trouve Ă  prĂ©sent, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, dans la presse mais aussi sur le web, que la subjectivitĂ© prend trop de place – mĂȘme si le fait d’apprĂ©cier une oeuvre doit compter, la reconnaissance de ses valeurs intrinsĂšques comptent Ă©galement ; un bon critique ne doit pas dire s’il a aimĂ© un film, mais s’il est possible que le rĂ©cepteur de son avis puisse l’aimer, en Ă©numĂ©rant les qualitĂ©s visibles, les thĂ©matiques, les originalitĂ©s, etc. Me vient l’exemple de la critique rĂ©cente d’un film qui ne l’est pas, par ce cher Simon, Jupiter ascending, sur Youtube. J’ai commencĂ© Ă  Ă©crire un commentaire argumentant mon propre point de vue, et finalement je ne l’ai pas publiĂ© (pourtant il faisait trois pages, comme tous mes commentaires par ailleurs – que voulez-vous, j’aime Ă©crire, j’aurais beau le rĂ©pĂ©ter il y en aura toujours qui ignoreront cette logorrhĂ©e fulgurante qui me caractĂ©rise Ă  la vie comme Ă  la scĂšne). La raison Ă©tant qu’au moment de valider l’envoi de mon opinion (toujours) Ă©clairĂ©e (par une supernova, au moins), je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idĂ©e, finalement, d’intervenir dans une exercice de cĂ©lĂ©bration que je trouve un peu pervers (que je qualifierai avec un brin de facĂ©tie de rĂ©habilitation par excĂšs de ferveur personnelle). J’ai une philosophie (parmi une plĂ©thore), qui est de ne jamais gĂącher le plaisir d’autrui ; si je n’aime pas quelque chose, si je suis d’avis contraire, tant qu’il n’y a pas un discours politique ou idĂ©ologique, mon rĂ©flexe est de fermer ma grande gueule et ne pas parasiter le bonheur des autres. Ce n’est mĂȘme pas de la tolĂ©rance, quel vilain mot, c’est juste qu’un tout petit pas vers la sagesse Ă©lĂ©mentaire que d’avoir conscience que notre individualitĂ© n’est pas une rĂ©fĂ©rence… enfin, je ne me perdrais pas encore dans les ramifications de mes digressions, il suffit de voir un chef d’oeuvre comme le GoĂ»t des autres de Jaoui/Bacri pour s’Ă©duquer un peu sur la question.

Mais, et c’est le lien avec ma digression, je n’ai rien vu passer sur les Sermonts de minuit. Rien dans le Mad Movies du mois dernier, rien sur Youtube, alors que pour les deux sĂ©ries Haunting y avait quand mĂȘme pas mal de monde pour commenter, encourager, plĂ©bisciter ou contester. Mais lĂ , rien, plein feux sur Matrix 4, plein feux sur Spiderman, mais que dalle sur la nouvelle production/rĂ©alisation de Mike Flanagan. Un peu surpris, beaucoup curieux, j’ai lancĂ© la mini-sĂ©rie, et lĂ  un petit bijou, encore (j’ai adorĂ© les deux saisons de the Haunting), avec une intrigue trĂšs « kingienne » (petite bourgade ricaine, suite de petits portraits typiques, plein d’anti-hĂ©ros masculins, des femmes fortes (oui, King n’a pas attendu le nĂ©o fĂ©minisme pour faire de magnifiques hĂ©roĂŻnes), des figures religieuses), en bref, c’est plein d’humanitĂ©, d’Ă©motions, magnifiquement mises en images par Flanagan, bien jouĂ© par des acteurs parfaits (syndrĂŽme American Horror Story, avec le retour de certains acteurs de the Haunting (1 & 2)… en bref je me rĂ©gale et je me bingwatch le tout (en trichant pour fĂȘter le 31 et dormir un peu mais j’ai fini ce matin au rĂ©veil) et lĂ  ce qui me frappe, c’est la raison pour laquelle il y a cet Ă©trange silence autour de la sĂ©rie. L’analogie avec ce qui passe avec le/la covid, le vaccin, le passe sanitaire… quand on voit que l’intrigue, finalement, nous parle d’une croyance dĂ©tournĂ©e pour imposer Ă  une communautĂ© des certitudes qui finissent par la dĂ©truire… je me doute que ça devient politique sans le vouloir !

Pourtant, il faut regarder la sĂ©rie en se libĂ©rant de tout ce climat anxiogĂšne. Il est question de foi, il y a une trĂšs intelligente rĂ©flexion sur les religions et notamment un passage oĂč le shĂ©rif de confession islamiste, fait la promotion de sa foi sans nier celle des autres ! Ce qui me rappelle mes Ă©changes avec des amis musulmans, il y a quelques annĂ©es, quand je leur avais demandĂ© pourquoi ils Ă©taient devenus musulmans (l’un Ă©tait arabe, ingĂ©nieur, l’autre d’origine française, converti) ; le premier m’avait rĂ©pondu que comme pour un programme (il Ă©tait ingĂ©nieur en informatique) il avait choisi la version la plus rĂ©cente (!) et l’autre m’avait confiĂ©, de maniĂšre Ă©nigmatique et stimulante qu’il y avait des vĂ©ritĂ©s cachĂ©es (codĂ©es) dans le Coran. Etant profondĂ©ment laĂŻc, je suis paradoxalement pour la totale libertĂ© religieuse. Il faut crĂ©er au sein de nos espaces publics ces dialogues autour des croyances, sans les imposer, sans en faire la promotion. MĂȘme quelqu’un de profondĂ©ment athĂ©e ne doit pas imposer sa certitude et finalement un certain fanatisme (comme si ne croire en rien Ă©tait une preuve d’intelligence). La sĂ©rie prĂ©sente ces thĂ©matiques de maniĂšre humaniste et brillante, car si au prime abord on pourrait interprĂ©ter le rĂ©cit et sa rĂ©solution comme une charge contre la foi, elle est surtout la dĂ©nonciation des certitudes par la religion.

J’ai Ă©tĂ© personnellement trĂšs touchĂ© par la conclusion de la mini sĂ©rie en sept Ă©pisodes, que j’ai trouvĂ© belle, trĂšs rĂ©ussie, poĂ©tique, symbolique, puissante. Ma rĂ©flexion, profĂ©rĂ©e Ă  voix haute (oui, je suis fou comme disait ma dĂ©funte maman, je parle souvent tout seul) c’est que j’adore les tĂ©nĂšbres mais jamais je ne pourrais me passer de la lumiĂšre du jour. Tous ces personnages, Ă  la fin, qui se tournent vers le soleil, comme prĂ©sence divine symbolique, procurent Ă  l’histoire une dimension mythologique. La thĂ©matique de la lumiĂšre, sa perception, est par ailleurs poĂ©tiquement illustrĂ©e et finement traitĂ©e.

Bon, bonne annĂ©e 2022 (j’ai failli oubliĂ©, mais parler de soleil vient de me rappeler que tout ça clĂŽt une pleine rĂ©volution autour de son auguste personne) et n’hĂ©sitez pas Ă  voir cette sĂ©rie, elle est juste stimulante, un nouveau coup de maĂźtre de la part de Mike Flanagan qui rĂ©ussit vraiment Ă  saisir l’essence des oeuvres du grand King.