Tom Cruise est de retour dans un blockbuster au concept intrigant et original ; pour commencer, la guerre est terminée, et son personnage évolue dans les décombres d’un conflit simplement et rapidement évoqué en début de métrage. Ce principe un poil pessimiste, voire fataliste, est étrangement en corrélation avec l’analyse désenchantée d’une société occidentale dont certaines pythies annoncent sans cesse le lent mais inéluctable déclin.
La guerre est ici assez métaphorique, le premier acte de ce conflit étant marqué par la destruction de la lune, astre symbolisant l’acte de rêver, d’espérer. Donc plus de lune, plus d’espoir, et un homme (Jack Harper aka Tom Cruise) chargé de la maintenance de drones faisant la chasse aux méchants aliens survivants qui veulent continuer leur basses œuvres. Intrigue à trous, un poil bancale (avec le bon vieux fantasme de l’arme nucléaire comme réponse ultime), car comme toujours pas très logique ; en imaginant qu’un camp possède la puissance de feu et la technologie pour exploser un satellite de la taille de la lune, il est difficile de croire que l’arme nucléaire, assez brouillonne et peu précise, puisse se révéler efficace. Mais bon, un peu comme pour les âmes vagabondes, on cède au postulat initial en concédant un crédit généreux à tous les principes annoncés.
Et à l’instar du film d’Andrew Niccol, force est de constater que l’image est belle, et la narration filmique efficace. La caméra est contemplative, se pose sur ses décors immenses et ravagés dans lesquels s’affaire un Cruise, ouvrier stylé et positif, qui met sa bonne humeur et son énergie à la restauration des drones endommagés. Il y a un petit parfum des vieux westerns de John Ford, avec ces grands paysages, désolés et pourtant majestueux, qui dévorent l’homme en le dévoilant dans toute son insignifiance. Contrastant avec l’ambiance apocalyptique régnante, la technologie utilisée par le mécanicien installe le récit dans une logique d’anticipation. Hélicoptère design, domicile en position géo-stationnaire, moto pliable, armement hi-tech, on se rend compte qu’en 2017, les humains n’ont pas chômé depuis leur départ sur Titan, satellite de Jupiter… mais attendez, en 2017, après une guerre nucléaire, on aurait eu le temps de mettre les crédits et les moyens techniques nécessaire à l’envoi de l’humanité en orbite, tout en créant le gros tétraèdre qui flotte dans le ciel ? Bon, le film ne s’appuie pas sur une logique indémontable (et depuis les arches cyclopéennes de 2012 (le film), on est plus à quelques détails près), et il ne faut surtout pas le visionner en adoptant un esprit réellement critique quant à la crédibilité des arguments avancés… à moins qu’il ne s’agisse de gros mensonges, auquel cas le narrateur nous mentirait. Théorie qui frappe immédiatement l’esprit au vu du titre du film qui promet moult révélations et bouleversements.
Ce sont ces premières impressions qui m’ont envahi à la vision du film de Joseph Kosinski, et à l’arrivée, malgré les imperfections du métrage, j’ai pas mal pris mon pied. Alors oui, comme je l’ai lu un peu partout ailleurs, l’intrigue repose sur des twists vus et revus dans d’autres œuvres cinématographiques ou littéraires. Maintenant, il faut avouer que parvenir à surprendre le spectateur nourri, voire gavé, de récits d’anticipation, est une véritable gageure. Le principe, évident, est surtout de créer une connivence, en utilisant d’ailleurs un lexique référentiel qui emprunte à toutes les œuvres phares du genre : 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick, Terminator de James Cameron, Total Recall de Paul Verhoeven, Planète Hurlante de Christian Duguay (sisi), Minority Report de Spielberg, le Survivant de Boris Sagal, et même une petite touche de Matrix des Wachowski pour le cinéma, etc. ; l’axe narratif s’appuyant, à l’instar des films pré-cités, sur les œuvres (littéraires) de Philip K. Dick ou Richard Matheson. La liste n’est pas exhaustive, car le film est en soi une digestion de toute une pop culture s’égrainant sur plus d’un siècle traumatisé et névrosé par la menace atomique ; le look et le le nihilisme destructif des chacals, ainsi que l’ambiance post-apocalyptique (ou post-nuke – vous trouverez ici l’article wikipédia sur le sujet !), renvoient immanquablement à l’univers et aux barbares motorisés de Mad Max, mètre étalon qui a marqué et labellisé le genre. Mise en abyme intéressante avec ce film intitulé « Oblivion » (« oubli » en anglais) qui ne cesse de titiller notre mémoire à coups de clins d’œil plus ou moins appuyés, mais surtout bien ciblés. La première scène de la cabane est en cela très intéressante, avec un Cruise égrainant sa collection de disques… en vinyle ! Car le film s’inscrit et semble s’adresser prioritairement à un public nostalgique de la seconde moitié du XXème siècle, tant il dénote par sa paradoxale lenteur, et un certain classicisme (dans la réalisation comme dans les thématiques). Un public consommateur et parti prenante pour une nation et une culture se déclarant ouvertement à cette époque comme modèle de civilisation idéale. Et c’est sûrement là que le film révèle sa plus grande faiblesse, qui était la caractéristique essentielle du cinéma américain dans les années 80, par une forme de narcissisme culturel et auto-référentiel. Une position un brin dépassée et qui ne fait plus vraiment recettes, même au pays de l’Oncle Sam, les subprimes ayant pas mal amoché le discours idéaliste d’une certaine vision du capitalisme outre-atlantique. Kosinski, le réalisateur, a d’ailleurs réalisé la suite de Tron (Tron l’Héritage), qui était déjà un hommage vibrant à la culture vidéoludique des années 80. Oblivion > Obsession ?
Mais, en revenant à une interprétation plus symbolique de ces positions, et en situant le film dans son contexte sociétal actuel, il y a effectivement une véritable mise en garde nous montrant les conséquences du déclin des civilisations dites occidentales, dont l’Amérique incarne l’ultime parangon. Les chacals (terme assez étrange, cela dit, et pas très exotique pour des E.T.), les autres, ces fameux extraterrestres anarchistes, renvoient à « l’Envahisseur » : le bon vieux barbare de nos livres d’histoire (qui parle pas latin), celui qui vandalise la civilisation dont on voit, détruits ou défigurés, certains attributs de grandeur : la cage d’un stade de football américain, dont le match de 2017, le dernier, est décrit comme celui du siècle (plus de concurrence après, vu que la terre est détruite) ; l’Empire State Building, dont le titre de grandeur, « le sommet du monde », est rappelé à un moment donné du film (si je ne m’abuse) ; la balle de base-ball, symbole qui complète le binôme des sports américains les plus prisés… On nous parle donc de l’Amérique de l’âge d’or, qui considère sa culture comme le pinacle en la matière dans la course aux civilisations. Pour preuve de cette attitude égocentrique, la peinture récupérée dans ce qui est à l’évidence le musée d’art moderne de New York, est une œuvre de Andrew Wyeth, peintre d’origine américaine, décédé en 2009, qui est reconnu comme l’un des plus grands peintres contemporains ; une œuvre américaine et populaire exposant une scène ayant comme décor notre bonne vieille Amérique. La mise en abyme continue d’ailleurs avec cette femme qui semble ramper pour rejoindre les maisons au loin, et le message est claire : même à terre, le combat n’est pas terminé. Il manquait plus que Gloria Gaynor en bande sonore avec son tube « I will survive », et la boucle était bouclée. Outre la déclaration d’amour à la culture des États-Unis, il y a aussi les thématiques d’une nation qui a fait du libéralisme une vertu : primat de l’individualité, compétition pour la possession d’un environnement, efficacité et prégnance du talent (« ils ont pris le meilleur d’entre nous »), rejet des systèmes totalitaires et égalitaires (à ne pas confondre avec la démocratie).
Dans ce qui peut agacer, Cruise en rajoute également une couche dans son inclination à prendre la posture messianique, qui suscite la méfiance depuis le scandale de ses convictions religieuses (à la sortie du Dernier Samouraï), et d’une possible ambition prosélytique guidant le choix de ses rôles et de ses intrigues. Cette volonté évidente d’incarner l’homme providentiel peut également susciter un franc rejet… mais j’ai personnellement apprécié de voir un héros « classique », lutteur et obstiné dans cette période de défaitisme et d’abandon. A davantage y réfléchir, il y a peut-être aussi, par le choix de ce rôle par Tom Cruise, la volonté d’envoyer un message concernant les événements et assertions qui ont impacté gravement sa popularité. Sans spoiler l’intrigue du film, c’est un message qui pourrait tenir en une invitation à discerner (comme le fait Morgan Freeman à un moment donné) ce qu’il est vraiment, dans la multitude de portraits que les critiques ont fait de lui. Un héros, pour sûr 😉 ! Plus sérieusement, la scène avec Freeman (aka Malcolm Beech dans le film) que je viens d’évoquer, est un petit moment d’émotion en considérant la carrière de Tom Cruise, un poil vieillissant malgré une superbe indéniable, qui a subi un net déclin de sa côte professionnelle, suite à une cascade d’attaques et de critiques consécutives à la dénonciation de ses relations passionnées avec les scientologues… et le petit regard reconnaissant de la star, qui demeure un gigantesque acteur (il n’y a qu’à revoir sa prestation hallucinante dans Collateral de Michael Mann pour s’en convaincre, ou son blond Lestat, d’Entretien avec un vampire, que même Anne Rice, auteure du roman, finira par saluer après son scepticisme médiatisé sur la question), est un petit bijou de communication avec son public, comme s’il montrait fugacement la blessure laissée par ses épreuves. À l’arrivée, le personnage de Jack Harper est d’ailleurs éminemment sympathique, car il est à plusieurs égards un héros du peuple : simple technicien de maintenance, il devient malgré lui un héros libérateur. Et l’amour qui demeure en lui comme une empreinte indélébile est un bel exemple de romantisme… le twist principal du film (que je ne spoilerai pas) posant certaines questions philosophique sur l’identité et l’individualité.
Donc, pour conclure, j’ai aimé « Oblivion », car j’ai pris le parti d’être bon public, et de passer un moment sans prétention. Le film tient la plupart de ses promesses, et s’il se révèle imparfait dans sa construction et l’élaboration de son intrigue, il demeure un spectacle de haute-volée, pleins d’émotions à l’américaine (à savoir la trinité glorieuse : sacrifice, héroïsme, altruisme). Bien rythmé tout en prenant le temps de poser son décor et ses personnages, il est par certains cotés « old school », ce qui n’est pas pour me déplaire tant je suis devenu allergique à ces frénésies filmiques que nous livrent certains monteurs actuels, confondant dynamisme et confusion. Il y a des thématiques ambitieuses et des questions que le film permet d’aborder sans complexe (l’identité est-elle la caractéristique essentielle de l’âme ? – à quelle mesure peut-on estimer la différence entre deux individus en tout point semblable ?).
Du coté des actrices, si Olga Kurylenko peine parfois à convaincre (sa réaction après son réveil est purement illogique, et suppose un niveau de compréhension qu’elle ne peut posséder au vu de son état catatonique). Andrea Riseborough est, quant à elle, magistrale, dans un rôle tragique et pathétique (par contre, pourquoi l’avoir affublée de lentilles avec la pupille hypertrophiée ? Est-ce pour augmenter la tendresse de son regard… ou pour stigmatiser son abus de substance illicite ?). Enfin, si vous n’aimez pas la géométrie et que vous ressassez une sinistre vengeance à l’encontre du théorème de Thalès, la fin du film ne pourra que vous ravir : jamais un homme n’avait démontré de manière aussi explosive sa rébellion face à la tyrannie de la géométrie.
Le site officiel du film Oblivion (rien d’exceptionnel…)