J’achève ma soirée sur Arte avec Claude Sautet, mon cinéaste favori, une petite tête devant Sergio Leone, mais comme toujours avec moi, l’éclectisme est de mise. BIen qu’en y réfléchissant un peu, les deux cinéastes ne sont pas si éloignés que ça avec une inclination à saisir la vérité des sentiments et des émotions dans les regards et les non-dits. Ma fille était venue une fois encore me briefer sur son workshop (un anglicisme que je trouve assez loufoque vu le contexte : un cours) quand je l’invitais à savourer, en ma compagnie, les derniers plans d’Un coeur en Hiver, mon film favori de Sautet (avec Max et les ferrailleurs, ex-aequo). Ah… cette scène magnifique, de deux personnes qui s’aiment, qui n’ont pas su se trouver au bon moment, et qui par un dernier échange de regards se donnent une seconde chance qu’on se plaira d’imaginer, ou non, avec cette fin délicieusement ambiguë (avec les deux points sur le « e », au bout de 20 de correction auto ça y est, c’est rentré).
A un moment donné, Patrick Dewaere expliquait sa vision du ciné de Sautet que je partage complètement. Sautet était le cinéaste, par excellence, des non-dits. Et surtout, il illustrait cette passion froide mais puissante qui peut saisir un être mu par sa passion sincère, par des sentiments qui dépassent la raison pour bousculer le raisonnable et le quotidien. Ce soir, j’étais ému par le personnage de Camille, interprétée par cette actrice hors norme qu’est toujours restée Emmanuelle Béart, en dérive totale car tourmentée par un amour qui la dépasse et la submerge. J’aime voir Max péter un plomb à la fin des ferrailleurs pour sauver la pute dont il s’est servi, et dont il s’est, bien malgré lui, amouraché. Et le pétage de plomb d’Auteuil dans Quelques jours avec moi, et la volte face de Piccoli dans les choses de la vie. Ce cinéma me manque, cette finesse me manque, cette lenteur dans la description des émotions me manque, dans les productions actuelles où tout est, comme trop de choses, normé, rapide, marketé.
Ma fille n’a pas pris le temps de savourer le dernier regard de Camille à Stéphane, me sommant de lui donner mon avis sur une question tierce, génération sous pression, génération dans l’angoisse bien réelle d’un avenir flou. Plus de temps pour les regards, plus de temps pour ces questions et ces affaires secondaires, à l’heure où les passions se rédigent à distance et en public sur des réseaux qui deviennent, trop souvent, des vitrines pas moins transparentes que celles d’Amsterdam. Pourtant, ce soir, dans le dernier regard de Stéphane à Camille, dans son petit sourire, il y avait un espoir si grand qu’il pourrait servir d’inspiration. Tout n’est perdu que lorsqu’on abandonne, tout reste possible tant qu’on veut y croire. C’est naïf, peut-être, mais ça reste beau.