L’ensemencement des nuages

J’ai eu l’insigne dĂ©shonneur de travailler dans le sinistre domaine de la chimie, et l’anecdote Ă  ce sujet fut ma propension Ă  ne dĂ©tenir aucun produit de cette entreprise Ă  mon domicile. Quand j’essaie de comprendre les choix de ma vie professionnelle, je dois concĂ©der que souvent je fus, comme la majoritĂ© d’entre nous, entraĂźnĂ© dans une logique absconse qui nous fait croire que l’important c’est l’acquisition d’un moyen de survivance aux dĂ©pens de nos valeurs et inspirations profondes. Je ressens un peu de honte Ă  prĂ©sent, une honte diffuse, que je me pardonne en me disant qu’il faut du temps pour y voir clair dans ce monde complĂštement vĂ©rolĂ© par ce que j’appellerai la vieille mentalitĂ© europĂ©enne, pour ne pas dire, au vu du contexte actuel, europĂ©iste.

[/le HS habituel ou digression intempestive ]

Il y aurait beaucoup Ă  dire Ă  ce sujet, fascinant, sociologique et historique, presque vertigineux, qui explique et clarifie la psychologie profonde de nos sociĂ©tĂ©s se dĂ©crivant, s’annonçant, se dĂ©finissant, comme « occidentales ». Pour ĂȘtre bref, car en ce samedi matin pour le moins jaune (je m’expliquerai aprĂšs), personnellement je comprends le monde moderne comme la poussĂ©e d’une mentalitĂ© europĂ©enne, c’est-Ă -dire issue des principaux pays de la vieille Europe… une mentalitĂ© qui va engendrer les Etats-Unis d’AmĂ©rique (une fĂ©dĂ©ration et pas une nation), engendrer un colonialisme purement cupide et nĂ©vrotique, deux putains de guerres dites mondiales (en cette idĂ©e trĂšs ethnocentriste que l’Europe est le monde), le nazisme, l’ultra-libĂ©ralisme et en accomplissement merveilleux un marchĂ© europĂ©en dont nous apprĂ©cions Ă  prĂ©sent tous les miracles qu’il nous procure. Non, je ne suis pas « woke », je ne serai jamais de gauche (et encore moins du centre ou de droite, mĂȘme pas en marche arriĂšre), je ne milite pour aucune cause (je serai davantage dans une vision holistique ; sinon que pour moi tout ne tient qu’Ă  une logique du sparadrap), et je n’ai aucune envie de me battre contre ce que je reprĂ©sente symboliquement comme le mur de la connerie. J’estime encore, j’estime toujours, que le salut ne peut ĂȘtre que collectif… personnellement, comme je le rĂ©pĂšte Ă  mes enfants, j’ai l’impression d’avoir Ă©tĂ© aliĂ©nĂ©s parmi des fous, sans espoir de sortir de l’asile qui est notre monde. Et il n’y a qu’Ă  regarder la fin de Vol au dessus d’un nid de coucous pour comprendre comment ça va se finir.

[/fin du HS habituel ou digression intempestive ]

Ce matin, je me lĂšve tranquillou, et comme souvent je vais sur la terrasse pour savourer mon petit cafĂ© tout chaud, et lĂ , je constate que le ciel, que tout, est recouvert d’un voile jaune. Encore Ă  prĂ©sent, alors qu’une heure s’est Ă©coulĂ©e, tout ressemble Ă  une mauvaise production filmique qui abuserait d’un filtre jaune pour donner un peu de cachet Ă  une photogĂ©nie sans inspiration. J’ai une sainte horreur de ça au cinĂ©, mais dans la vie c’est encore plus terrible. Hier soir, alors que j’allais chercher mon fils, j’avais dĂ©jĂ  constatĂ© que le soleil, Ă©trangement, Ă©tait moins brillant qu’Ă  l’accoutumĂ©e, phĂ©nomĂšne Ă©trange qui a mĂȘme poussĂ© mon fils, un instant, Ă  se demander s’il ne s’agissait pas de la lune. Ce matin, donc, continuitĂ© du phĂ©nomĂšne, me poussant (Ă  mon tour) Ă  m’interroger sur les raisons potentielles, bien entendu rationnelles, physiques ou techniques qui pourraient provoquer un tel spectacle. J’ai bien cru voir, rapidement, l’impact d’une tempĂȘte quelque part dans le monde provoquant le we compliquĂ©, mĂ©tĂ©orologiquement parlant, que nous entamons, mais il y aussi l’Ă©vocation en mon for intĂ©rieur de ce qui est gracieusement baptisĂ© sous l’expression « d’ensemencement du ciel » chez (ou dans le) wikipĂ©dia.

Donc ce matin, je suis allĂ© faire un tour sur wikipĂ©dia, pour consulter un peu ce qui y Ă©tait dit. Et lĂ , l’Ă©merveillement de constater les vieux ressorts de cet esprit europĂ©en qui se caractĂ©rise par l’abus de sophismes et autres syllogismes pour vendre l’invendable. Je me rappelle une discussion animĂ©e avec ma fille qui comme argument suprĂȘme m’avait sorti celui des fameuses Ă©tudes, nĂ©es d’esprits supĂ©rieurs, qui concĂšdent de vulgariser un peu de leur intelligence elle-aussi supĂ©rieure, pour expliquer aux singes pourquoi leurs bananes sont Ă  la fois jaunes et bonnes. J’adore quand l’Ă©tude, gĂ©nĂ©ralement dans ses conclusions, utilise la formulation que « rien n’indique que » pour induire une vĂ©ritĂ© qui n’en est donc pas une (l’absence de preuves ne faisant pas preuve). AprĂšs cette courte introduction sur la manipulation par la savante formulation, je vous laisse apprĂ©cier ce court passage concernant la toxicologie (potentielle, hein ? Je ne voudrais pas sombrer dans l’orniĂšre sordide du complotisme pour complaire Ă  l’abruti zĂ©tĂ©ticien) par l’iodure d’argent (utilisĂ© comme levier chimique) – donc source copyright wikipĂ©dia :

En France, en 2013, l’ANELFA (association nationale d’études et de lutte contre les flĂ©aux atmosphĂ©riques) indique (concernant les diffuseurs d’iodure d’argent dans les vignobles) « l’iodure d’argent ainsi dissĂ©minĂ© ne reprĂ©sente aucun risque Ă  ce niveau de concentration (1 000 fois infĂ©rieur au seuil critique de toxicitĂ©). En 2005, le gouvernement français a indiquĂ© « aucune Ă©tude n’a Ă©tĂ© en mesure de dĂ©montrer un quelconque effet nocif. 

Source

Ce matin, en regardant le ciel, tout ça a composĂ© un gros cumulonimbus mental qui m’a poussĂ© Ă  Ă©crire ce petit article. Car en me demandant pourquoi tout Ă©tait jaune, j’ai inclus normalement des causes physiques purement naturelles (du sable en altitude ? un dieu quelconque qui aurait utilisĂ© un filtre de couleur sous son photoshop divin ?), puis m’est venu subrepticement la potentialitĂ© d’une nouvelle interaction humaine dans notre sociĂ©tĂ© qui joue avec la chimie en constatant trĂšs, trop souvent, Ă  posteriori les consĂ©quences de certaines utilisations. Sujet sensible, car le hasard (ou presque) a voulu que j’ai toujours eu les dents lĂ©gĂšrement jaunes, ce qui n’a pas provoquĂ© un complexe mais a quand mĂȘme crĂ©Ă© un lĂ©ger sentiment d’injustice vu que je n’ai jamais fumĂ© (ce dont me soupçonnais les autres quand j’Ă©tais jeune adulte) et bu du cafĂ© sur le tard (dans la trentaine). La raison (qui finalement n’a rien Ă  voir avec le hasard) ? L’utilisation d’antibiotiques Ă  base de tetracycline qui ont ainsi colorĂ© mes dents avant mĂȘme que les dĂ©finitives Ă©mergent. La vie m’a donc enseignĂ© dans le dur, Ă  chaque fois qu’un miroir me renvoie mon sourire, la connerie inhĂ©rente Ă  cet abandon total aux vertus de la chimie. Cette mĂȘme chimie qui guĂ©rit miraculeusement au fur et Ă  mesure que des nouveaux cancers plus ou moins foudroyants Ă©mergent. Cette mĂȘme chimie qui assassine des agriculteurs pour l’Ă©ternelle bonne cause de la productivitĂ© triomphante (et nĂ©cessaire Ă  l’accumulation de brouzoufs, but suprĂȘme de notre humanitĂ© actuelle). Cette chimie qui est dans chaque chose ou presque qui est vendue dans les grandes surfaces, que ce soit au niveau des emballages ou du contenu. Cette chimie qui fait que nos meubles nous polluent la gueule chaque jour, demandant Ă  mes petites plantes vertes dĂ©polluantes des efforts dont je les remercie encore (hommages Ă  mes pothos, ficus, et autres spathiphyllums).

AprĂšs, j’adore le jaune, j’Ă©cris tout ça sous ma reproduction du baiser de Klimt (sur lequel je pourrais gloser longuement) et en regardant par la fenĂȘtre le joli parterre de pissenlits qui a survĂ©cu au passage rĂ©cent du zĂ©lĂ© jardinier qui a tout ratiboisĂ©, mu par cette obsession Ă©trange que rien ne dĂ©passe. Simplement je l’apprĂ©cie Ă  petite dose, de maniĂšre naturelle et parcimonieuse, comme la nature sait si bien le faire. Je suis trop vieux pour m’inquiĂ©ter de l’impact de cette entropie chimique, je suis mĂ»r pour avoir Ă  mon tour mon cancer et j’entre dans la fenĂȘtre du tirage de rĂ©vĂ©rence plus ou moins dans l’ordre des choses… mais j’ai peur des impacts de cette folie nĂ©vrotique qui pousse, toujours pour des affaires de cupiditĂ©, pardon, financiĂšres, Ă  griller les Ă©tapes. J’ai peur que des gĂ©nĂ©rations futures ne voient plus le jour se lever, clair et limpide, avec un vilain filtre jaune recouvrant tout, toujours, tout le temps. Je suis peut-ĂȘtre parano ce matin, peut-ĂȘtre dĂ©faitiste, peut-ĂȘtre pessimiste, mais l’hubris permanent qui rĂšgne sur nos sociĂ©tĂ©s dĂ©cadentes ne me motive pas Ă  changer d’Ă©tat d’esprit. Il a fallu que des dents deviennent jaunes pour qu’on retire certains mĂ©dicaments du marchĂ©… j’espĂšre qu’il ne faudra pas constater que le ciel est vert pour que cesse la volontĂ© mĂ©galomane de dominer les nuages et la mĂ©tĂ©o.

Il y a une vĂ©ritĂ© que je sais et qui pour moi n’est pas contestable : tout est systĂšme, tout fait systĂšme. Chaque modification, mĂȘme infime, peut avoir des consĂ©quences globales. Le nier, ne pas le comprendre, considĂ©rer ça avec lĂ©gĂšretĂ©, est une forme de stupiditĂ© consĂ©quemment crasse. Pourtant, c’est ce que je constate chaque jour en Ă©coutant les actualitĂ©s, en entendant les dĂ©clarations d’idĂ©ologues illuminĂ©s (ou corrompus, au choix), sombres pyromanes t’expliquant avec la conviction profonde qu’un peu plus de napalm devrait finir par forclore l’incendie.

Bon WE de PĂąques quand mĂȘme, ne marchez pas trop sur des Ɠufs ;-].

La répartition des prestations sociales en France

Bon, je dois bosser sur mon storyboard et les dialogues, mais j’ai commis l’erreur de mettre une radio en fond pour entendre une fois de plus que la responsabilitĂ© (un peu partagĂ©e quand mĂȘme) du dĂ©sastre Ă©conomique actuel en France est (en rĂ©sumĂ©) en grande partie celle du peuple qui est un peu trop assistĂ© (ça se voit un peu avec tous ces SUV qui circulent de partout, chanceux vainqueurs du miracle de la mondialisation).

Et si au lieu d’Ă©couter les commĂšres (qui nous ressassent que ce sont nous les grands responsables du dĂ©sastre en louchant sur les pauvres, les dĂ©munis, les chĂŽmeurs pour expliquer Ă  peu de frais les victimes expiatoires, on allait voir des statistiques sur la question ? Cet Ă©dito rĂ©pĂ©tant encore la rengaine habituelle disant c’est encore le peuple et pas ses dirigeants qui sont fautifs, je me suis motivĂ© Ă  aller faire un tour sur Google avec les mots clĂ©s « statitiques rĂ©partition prestation sociales France » . J’ai dĂ©bouchĂ© sur le site statitica.com, un site produit par des allemands ce qui ravira les europophiles germanomaniaques. Et donc, je suis tombĂ© sur une page sur laquelle un petit diagramme circulaire nous apprend que les cibles habituelles citĂ©es plus haut reprĂ©sentent pour 2022 moins de 10% des prestations, sachant que dans ce segment le chĂŽmage est en fil de tĂȘte avec 4,8% (rappelons que l’assurance chĂŽmage se finance essentiellement par les cotisations des travailleurs – logiquement, Ă  moins qu’il y ait une information que j’ignore, ça ne doit pas peser sur le budget de l’Etat, mais je peux pĂȘcher avec ignorance. La CSG reprĂ©sentant la part de l’imposition assumĂ©e par l’Etat, elle est rĂ©alisĂ©e essentiellement sur les revenus d’activitĂ© et de remplacement…. donc les allocations chĂŽmage. Oui, Madame, c’est ça la France).

Le gros poste demeure la catĂ©gorie (je cite) « Vieillesse-Survie » avec 54,2% et « Santé » avec 37,5%. En rĂ©sumĂ©, et pour faire dans la mĂȘme caricature que ces Ă©ditos en forme de discussions de comptoir (exemptant l’excellent Alexis Poulin qui fait un admirable travail de lutte contre ce type de doxa – dĂ©couvrez d’urgence le Monde moderne), ce sont les vieux et les malades qui nous coĂ»tent ; vu que nous n’allons plus soigner les derniers et qu’il y aura de moins en moins des seconds (faute de soin et grĂące au recul de la retraite qui va nous en dĂ©caniller un ou deux avant le salutaire passage), pas d’inquiĂ©tude car tout devrait s’arranger assez rapidement.

C’est peut-ĂȘtre ça la logique perverse de ce gouvernement aprĂšs tout. Enfin, quand un pays n’a presque plus aucune ressource industrielle avec une tiersarisation Ă  l’extrĂȘme d’une Ă©conomie sous dĂ©pendance extrĂȘme de son importation, il ne peut pas y avoir de miracles. Ah, on me souffle dans l’oreillette qu’il y a encore votre Ă©pargne Ă  choper. Le meilleur reste donc Ă  venir.

Allez, je m’y mets.

DĂ©sinvolte

En ces temps de révolutions tranquilles
Tellement de cris et de bruits qui cognent
Tous ceux qui vous le donnent en mille
Tout en s’en mettant plein les pognes

Y a jamais eu autant de belles paroles
Et de grosses vessies faisant lanternes
En trÚs grandes pompes ça caracole
Dans un paysage de plus en plus terne

Restons désinvoltes
Pas la peine d’aborder
Ces histoires de révoltes
Y a plus qu’Ă  accorder
Le doux son de nos colts

En ces temps d’apocalypses lents
A l’horizon y a rien qui dĂ©boule
Tu peux continuer Ă  fermer l’rang
Sans redouter le petit coup’d’boule

Y en a tellement qui y croit dur
Comme fer que tout peut revenir
Alors que l’odeur sous la dorure
C’est ce qui reste de leur avenir

Restons désinvoltes
Pas la peine d’Ă©voquer
Ces besoins de récoltes
Y a qu’Ă  rĂ©voquer
Le commerce des biscottes

Y a que la Terre qui fait révolution
Petit slow au milieu des astres
Sans qu’aucune considĂ©ration
Mesure l’Ă©tendue du dĂ©sastre

Les gens sont comme des météores
Perdus dans des courses folles
Agitant leur capes de matadors
Car dans le vent tout s’envole

Restons désinvoltes
Plus la peine d’imaginer
Ces fleurs qui virevoltent
Y a plus qu’Ă  accepter
La décharge à 100 00O volts.

« écrit en attendant qu’arrive le bus de mon fils, traduisant mon Ă©tat d’esprit car je dĂ©teste attendre ;-} »

DĂ©saturation

Je suis allĂ© voir le second volet de Dune de Denis Villeneuve, ne partageant pas l’enthousiasme aveugle de ma fille en trouvant le film trĂšs monochrome, d’une fadeur chromatique qui m’a poussĂ© Ă  m’interroger sur la potentielle dĂ©liquescence des bĂątonnets de mes yeux fatiguĂ©s. Une petite pensĂ©e pour une stagiaire que j’avais embauchĂ©, ClĂ©mentine, qui m’avait interpellĂ© par rapport Ă  la psychologie appliquĂ©e Ă  la communication. Nous avions convenu de rĂ©aliser certaines expĂ©riences, et j’avais eu plaisir Ă  constater, Ă  mon grand dam, que certaines de ses assertions s’Ă©taient rĂ©vĂ©lĂ©es justes, comme cette fois quand, entre deux pubs, un simple changement de saturation sur un fond vert avait amĂ©liorĂ© le score d’une publicitĂ© en print. Elle avait pris le temps de m’expliquer, alors, que les gens entre 40 et 55 ans Ă©taient davantage sĂ©duits par des couleurs dĂ©saturĂ©es et autres tons pastels, ce qui s’Ă©tait rĂ©alisĂ© assez nettement. Oui, je sais, il n’est pas possible non plus de parler de rĂ©elle expĂ©rience Ă©tablie dans des conditions pouvant rĂ©ifier une potentielle vĂ©ritĂ©, mais je pensais vraiment que la pub ferait un bide – au contraire, elle a mĂȘme un peu mieux marchĂ© qu’Ă  l’ordinaire. AprĂšs, peut-ĂȘtre que je voulais que ClĂ©mentine ait raison, toujours dans une soif Ă©perdue de sens, j’avais peut-ĂȘtre besoin alors d’en trouver dans des Ă©tudes et l’intĂ©rĂȘt d’une personne Ă  l’intellect aiguisĂ© qui ne se suffisait pas de son trĂšs personnel sens du beau et de ses petites convictions esthĂ©tiques. Les mĂ©tiers de l’image et de la communication demeurent une expĂ©rience intime et puissante sur les affres de la mesquinerie bourgeoise que tout professionnel endure Ă  plus ou moins forte intensitĂ©.. Enfin, j’avais Ă©tĂ© Ă©duquĂ© sur l’existence des bĂątonnets et leur rĂŽle stratĂ©gique dans notre perception du monde.

Depuis Dune 2 (titre en soi assez comique), je teste ma vision en essayant de jauger si je souffre d’une inĂ©luctable dĂ©saturation. Mon salon Ă©tant une jungle de plantes vertes, mes petites chĂ©ries, j’essaie de voir si les couleurs de leurs feuilles sont moins flamboyantes qu’Ă  l’ordinaire. Et c’est pour le coup trĂšs difficile d’avoir un avis tranchĂ© sur la question. Comme toujours, condamnĂ© Ă  l’enclos de la perception sans pouvoir changer vraiment de point de vue (au premier degrĂ©), je suis perplexe. Ce qui m’a poussĂ© Ă  Ă©crire ce matin ce billet avec ce titre, car dans les faits je me demande si je ne vois pas le monde de plus en plus gris. La dĂ©saturation, chez moi, naĂźt peut-ĂȘtre davantage d’une saturation. Le pire c’est que j’ai adoptĂ© un chat noir – heureusement que la nature a eu l’heureuse inspiration de le doter d’une paire de yeux Ă©meraudes qui ne cessent de m’Ă©merveiller Ă  chaque instant que je les croise !

Saturation Ă  cause de l’actualitĂ©. AprĂšs 50 ans de dĂ©sindustrialisation intensive pour cause de financiarisation abusive, notre pays connaĂźt le dĂ©clin inĂ©luctable d’une nation qui continue de vivre sa tranquille trahison politique. Saturation Ă  cause d’une l’idĂ©ologie nausĂ©abonde qui me fait subir chaque jour un sophisme triomphant. Saturation Ă  cause de tous les scandales qui Ă©maillent notre sociĂ©tĂ© dont la corruption est devenue une rĂ©alitĂ© systĂ©mique. Saturation Ă  cause du climat belliciste qui fait qu’hier j’entendais un professionnel de la mort de masse s’enthousiasmer sur la place de la France dans le commerce de l’armement. Petite pensĂ©e pour cette news dans laquelle des enfants maniaient des faux fusils dotĂ© de tĂ©lĂ©phone leur permettant de connaĂźtre les joies du shooting en milieu urbain grĂące Ă  la rĂ©alitĂ© augmentĂ©e, concept aussi abscons que l’intelligence artificielle. Saturation, aussi, de l’escroquerie d’une sĂ©mantique marketing qui s’insinue dans chaque pore d’un langage contaminĂ© par l’ultra-libĂ©ralisme triomphant.

Ma fille a adorĂ© Dune. En rentrant de la sĂ©ance, je n’ai pas pu m’empĂȘcher de tempĂ©rer son enthousiasme avec cette affaire de colorimĂ©trie. Personnellement, je continue de penser qu’avec un poil plus de saturation dans ce dĂ©sert gris, l’image aurait gagnĂ© en tĂ©lĂ©gĂ©nie. J’ai toujours considĂ©rĂ© cette inclination Ă  la dĂ©saturation et Ă  l’abus de pastellisation comme un travers d’un embourgeoisement que dĂ©voile l’aliĂ©nation de la convention. Ah ! Cette bonne vieille teinte taupe qui faisait les beaux jours des devantures de certains magasins Ă  la fin de la premiĂšre dĂ©cade de notre second millĂ©naire. Quelle horreur que ce bordeaux marronnasse qu’on m’aura imposĂ© tant de fois avec cet air faussement inspirĂ© qui dissimule gauchement un bĂȘte mimĂ©tisme social ! Oui, je sais, l’abus de couleurs psychĂ©dĂ©liques et survitaminĂ©es n’est pas non plus idoine. Soit. Mais entre les deux, n’y a-t-il pas un oasis dans lequel trouver une certaine et calme beautĂ© ? La Joconde avec un peu moins de peps et ça deviendrait une grosse sauce de marrons noisettes qui ne ferait mĂȘme pas un bon ersatz de Nutella. Je ne parle mĂȘme pas de mon Delacroix adorĂ©… que serait le Romantisme sans cet Ă©clat fier de couleurs jetĂ©es comme des moments de colĂšre ou d’humeurs prestement exaltĂ©s ?

Une fois encore, ce n’est que mon avis. Ma fille a adorĂ© Dune 2 et ses images ternes… ou alors elle a adorĂ© un film magnifique Ă  l’image subtilement sobre et Ă©lĂ©gante. Paradoxalement, je ne pouvais m’empĂȘcher de penser au Petit Prince et aux dunes colorĂ©es de Saint ExupĂ©ry. J’ai toujours considĂ©rĂ© ce beau livre comme l’illustration d’un homme qui dĂ©crit la mort inĂ©luctable de son enfant intĂ©rieur. Peut-ĂȘtre que j’essaie de protĂ©ger le mien en le laissant dans son dĂ©sert colorĂ©. Je deviens nostalgique des films de mon enfance, dans lesquels je revis une sociĂ©tĂ© toujours aussi bordĂ©lique mais qui transpire une envie, un dĂ©sir, que je ne retrouve pas dans la frĂ©nĂ©sie suspecte des images d’aujourd’hui. Les couleurs sont vives, l’image transpire un naturel que les filtres d’aujourd’hui polluent un peu trop. En matiĂšre artistique, l’artifice s’ensuit souvent de l’artificiel. L’abus de procĂ©dĂ©s dĂ©voile une tentation de camoufler le prosaĂŻque tant abhorrĂ©. La volontĂ© coupable de sublimer le banal en lui donnant la patine des clichĂ©s photographiques des magazines de mode.

Un truc qui me rassure quand mĂȘme… c’est que je les trouve bien vertes mes petites plantes. C’est peut-ĂȘtre Dune 2 qui Ă©tait par trop dĂ©saturĂ© ? C’est sur cette note d’espoir fĂ©brile que j’achĂšverai mon billet du jour avec un clin d’Ɠil sur-batĂŽnnemisĂ©.