J’ai plusieurs sites actifs, dont deux blogs. Celui-ci me sert essentiellement de dĂ©fouloir et d’atelier d’Ă©criture. L’autre est associĂ© Ă un projet crĂ©atif qui me tient Ă coeur et que je prĂ©pare Ă des desseins que je qualifierais pragmatiquement de « marketing ». Quelle ne fut pas ma surprise ce matin quand je dĂ©couvris dans mes emails une demande de modĂ©ration pour un commentaire Ă©crit en alphabet cyrillique et donc incomprĂ©hensible sans l’aide prĂ©cieuse du traducteur Google (utilisez Deepl pour vos efforts extralinguistiques, c’est quand mĂȘme moins propice au gag involontaire). Le message, le commentaire initial, le voici :
ĐĐœĐ°ĐŒĐ”ĐœĐžŃŃĐč пОŃĐ°ŃĐ”Đ»Ń ĐĐ”ĐČ ĐąĐŸĐ»ŃŃĐŸĐč Đ·Đ°ŃĐČĐ»ŃĐ»:  » ĐŃĐŽĐž, ĐșĐŸŃĐŸŃŃĐ” ĐżŃĐžĐ·ĐœĐ°ŃŃ ĐČĐŸĐčĐœŃ ĐœĐ” ŃĐŸĐ»ŃĐșĐŸ ĐœĐ”ĐžĐ·Đ±Đ”Đ¶ĐœĐŸĐč, ĐœĐŸ Đž ĐżĐŸĐ»Đ”Đ·ĐœĐŸĐč Đž ĐżĐŸŃĐŸĐŒŃ Đ¶Đ”Đ»Đ°ŃДлŃĐœĐŸĐč, â ŃŃĐž Đ»ŃĐŽĐž ŃŃŃĐ°ŃĐœŃ, ŃжаŃĐœŃ ŃĐČĐŸĐ”Đč ĐœŃĐ°ĐČŃŃĐČĐ”ĐœĐœĐŸĐč ОзĐČŃĐ°ŃĐ”ĐœĐœĐŸŃŃŃŃ. » Đ ĐŃ Đ»ĐžŃĐœĐŸ ŃĐŸĐłĐ»Đ°ŃĐœŃ Ń ŃĐ°ĐșĐžĐŒ ĐČŃĐ”ĐŒĐžŃĐœĐŸ ОзĐČĐ”ŃŃĐœŃĐŒ пОŃĐ°ŃĐ”Đ»Đ”ĐŒ ?
Sa traduction :
Le cĂ©lĂšbre Ă©crivain LĂ©on TolstoĂŻ a dĂ©clarĂ© : « Les gens qui reconnaissent la guerre non seulement comme inĂ©vitable, mais aussi utile et donc souhaitable, ces gens sont terribles, terribles dans leur perversitĂ© morale. » Ătes-vous personnellement d’accord avec un Ă©crivain aussi mondialement connu ? »
Je me suis donc longuement (2 minutes 30) interrogĂ© sur la suite Ă donner Ă ce type d’injonction philosophico-morale au petit matin, sur un projet que je tiens Ă conserver dans une certaine forme d’apolitisme, parce que j’essaie de crĂ©er une oeuvre Ă destination du plus grand nombre (donc en Ă©vitant d’y mĂȘler des problĂ©matiques qui teindraient l’oeuvre de thĂšmes Ă mon sens trop sĂ©rieux pour ĂȘtre traitĂ©s finement dans ma vision fantaisiste, volontairement dĂ©complexĂ©e). En mĂȘme temps, hier mĂȘme, je m’interrogeais Ă Ă©crire un petit billet sur la dimension justement politique de mon rĂ©cit. Elle existe, je l’Ă©voque dĂšs le premier volume, car de toute maniĂšre, du moment que vous mettez en scĂšne une sociĂ©tĂ©, imaginaire ou non, vous ne pouvez Ă©viter d’Ă©voquer la dimension politique inhĂ©rente Ă toute notion de civilisation ou de culture. Il convient de se poser, de s’interroger deux secondes sur le sens du mot « politique ». Dans notre cher pays, qui aiment les mots sans chercher Ă les comprendre et Ă vraiment les connaĂźtre, qui adopte un logiciel en limitant la richesse sĂ©mantique au bĂ©nĂ©fice d’une utilisation pragmatique, la signification des mots, leur signifiance profonde, est pour le moins minimale. Parmi les nombreux brouillons qui trainent dans l’arriĂšre cour de ce blog, qui ne seront jamais publiĂ©s pour cause de nihilisme maladif ou simplement parce que je tiens Ă conserver une certaine neutralitĂ© sur certains sujets, il y en avait un sur l’importance des mots, de la langue française, dans ma vie. Je les aime, ces mots, je les adore. Je leur voue une adoration profonde, ils sont pour moi essentiels Ă mon bonheur, car ils sont l’Ăąme mouvante de ma pensĂ©e. En apprendre, en connaĂźtre, les articuler, les associer, les interroger, font mon bonheur permanent. Donc, l’Ă©tymologie est une discipline qui est devenue pour moi une clĂ© stratĂ©gique, une lumiĂšre rĂ©vĂ©latrice, qui procure une signifiance profonde. La signifiance est pour moi, par ailleurs, depuis tout jeune, la seule solution que j’ai pu trouver pour lutter efficacement contre un nihilisme envahissant et donc nĂ©gatif. Quand rien n’a de sens, il ne vous reste plus qu’Ă en donner. Avec le temps, vous comprenez que tout est croyance, que ce monde pourtant bien rĂ©el, bien matĂ©riel, n’existe que par l’interprĂ©tation que vous en faites. Plus votre vocabulaire est dense, plus la signifiance est claire, plus le monde le devient. Il en devient parfois plus horrible, il en devient souvent insoutenable d’absurditĂ©. Et par cette ambivalence qui est peut-ĂȘtre la caractĂ©ristique la plus ontologique des choses, il en devient aussi plus beau, car accessible, descriptible. Les mots dĂ©signent donc ce qui existent dans le dur, mais aussi ce qui est dans l’intangible. Du bonheur puissant de jouer avec idĂ©es.
Le mot « politique » a longtemps Ă©tĂ© pour moi ce qu’il est pour beaucoup de mes contemporains français. Une sorte d’adjectif abscons, dĂ©signant une chose informe faisant rĂ©fĂ©rence Ă des Ă©vĂ©nements, Ă des personnes, Ă des actes, se situant dans une arĂšne fantomatique appelĂ©e au choix dĂ©mocratie, Ă©tat, gouvernement, etc. Puis l’Ă©tymologie est venue Ă mon secours, comme souvent. Quand vous ĂȘtes autodidacte, quand on ne vous a pas fait profiter d’un hĂ©ritage culturel prĂ©digĂ©rĂ©, prĂ©parĂ© et structurĂ©, vous choisissez des stratĂ©gies d’assimilation un peu barbares mais aussi trĂšs heuristiques. Politique, vient du mot « polis », en grec ancien « la cité ». Simplement, si simplement, la politique traite des choses de la citĂ©. Donc, du moment que vous Ă©voluez dans la dite citĂ©, devenue conceptuellement sociĂ©tĂ© avec le temps, vous faites de la politique. Ce n’est pas une action aristocratique comme on s’ingĂ©nie Ă nous le faire croire. C’est simplement Ă©voluer dans une sociĂ©tĂ© qui transforme chacune de nos pensĂ©es, chacun de nos actes, en choses politiques. Transgresser ou respecter des lois est fonciĂšrement politique. Exprimer une opinion, un avis, discuter et Ă©changer sur quelque sujet que ce soit, est un acte politique. Dans les faits, rien de plus vulgaire et de plus usuel que la politique : elle est inhĂ©rente Ă la vie en sociĂ©tĂ©, Ă la compagnie des individus qui forment un groupe.
Mon projet artistique, est donc en soi une oeuvre politique ; mais que je maintiens, volontairement, dans une intention inoffensive. Je ne crĂ©e par une mĂ©taphore d’une situation existante, mĂȘme si je dĂ©peins ce qui caractĂ©rise les relations humaines, soit la difficultĂ© Ă Ă©tablir un vĂ©ritable rapport d’Ă©galitĂ© dans des structurations sociales oĂč inĂ©vitablement l’Ă©gocentrisme et l’individualitĂ© viennent perturber l’harmonie de la vie en commun. Donc ce commentaire m’a demandĂ© un temps de rĂ©flexion pour savoir que faire, pour choisir la mĂ©thode d’y rĂ©pondre. Mon caractĂšre entier et bien malgrĂ© moi courageux, ne m’enjoint pas Ă choisir le silence facile, le silence lĂąche, le silence pratique, quand on m’interpelle. Mon intelligence me rappelle que cĂ©der Ă la provocation ou agir comme on l’attend de moi serait lui manquer de respect. Donc j’ai dĂ©cidĂ© de rĂ©pondre ainsi, de rĂ©pondre ici, mĂȘme si je doute que mon interlocuteur, Ă moins qu’il soit sagace et qu’il se passionne assez pour moi pour s’intĂ©resser Ă ma double vie (comme ce blog, au grand jour) prenne connaissance de mes propos.
Oui. Je suis totalement d’accord avec TolstoĂŻ. Mais j’y mettrais un petit bĂ©mol, malgrĂ© tout. La guerre est une chose horrible, abominable, c’est la faillite totale de l’humanitĂ© rĂ©duite Ă la simple expression d’une violence intolĂ©rable. Ce n’est pas l’adjectif « inĂ©vitable » qui me fait admettre les propos de TolstoĂŻ, c’est qu’il y adjoint les adjectifs « utile » et « souhaitable ». Oui, une personne qui donc estime que la guerre est Ă la fois inĂ©vitable, utile et souhaitable est plus que mon ennemie, elle est la nĂ©gation de l’humanitĂ© la plus Ă©lĂ©mentaire. Un individu qui justifie la guerre par une dimension utilitaire, qui y trouve un intĂ©rĂȘt (« souhaitable »), est Ă mon sens une abomination tant morale qu’intellectuelle.
AprĂšs, il y a malheureusement des guerres « inĂ©vitables ». Ce sont les plus tragiques, les plus dĂ©plorables, les plus dĂ©courageantes. Car elles supposent, en amont, que tout a Ă©tĂ© fait pour ne plus donner le choix Ă des ĂȘtres de justice et de paix que de prendre les armes pour dĂ©fendre ce en quoi ils placent ce qu’il y a de plus sacrĂ©. Je hais la guerre, mais je la ferai pour dĂ©fendre les idĂ©es qui m’animent et les idĂ©aux auxquels je crois. L’histoire et ceux qui en obtiendront le bĂ©nĂ©fice, aprĂšs, la trouveront peut-ĂȘtre, Ă fortiori, utile et souhaitable. La rĂ©volution française aura Ă©tĂ© un bain de sang, un chaos terrible, un charnier et une folie sur lesquels Ă©cloront les plus belles fleurs idĂ©ologiques qui sont la fiertĂ© de notre pays. Le drame, c’est devoir Ă semer autant de haine et de souffrance pour en arriver lĂ . Ne pas le dĂ©plorer, ne pas le regretter, ne pas nourrir un cynisme amer en constatant que de l’horreur naĂźt la conscience de la beautĂ©, de la bontĂ©, de la rĂ©elle importance des choses, dĂ©note une certaine bĂȘtise existentielle. A moins qu’on ait pour nature de faire le mal, comment aspirer Ă la mort et la souffrance, comment les justifier comme destin commun ?
Je n’Ă©luderai pas l’aspect fallacieux de la question par rapport au conflit ukrainien. Comme toujours, dans ce monde tristement binaire et manichĂ©en, il faut choisir son camp. Qu’importe si tout est toujours plus complexe, si tout se nourrit d’une suite d’Ă©vĂ©nements qui tracent la route oĂč finissent ceux qui dĂ©battent pour s’arroger la couronne du bien et de la justice. Pour ou contre. Alors je le dis clairement, ami russe ou du moins slave, je suis contre cette guerre. Mais je ne suis pas contre toi. Je ne suis pas contre mon frĂšre, qu’il soit russe, ukrainien, du Yemen ou de la Palestine, qu’il soit arabe, juif, asiatique, noir, bleu ou vert. Je rappelais hier Ă mon propre fils que je considĂšre le concept de race pour l’espĂšce humaine comme une stupiditĂ©, comme un concept purement dĂ©bile, pour signifier un ostracisme vulgaire et minable que jamais, jamais, je n’Ă©prouverai ni ne partagerai.
Je pense que certaine guerre sont inĂ©vitables. Je pense que la rĂ©sistance, mot que j’adore car il signifie le courage et la dĂ©termination de s’opposer, est un devoir. Je suis contre la violence, je suis contre l’injustice, je suis contre tout ce qui est mauvais et nĂ©gatif. Mais il faut parfois se battre, il faut parfois faire face, faire front. Le conflit en Ukraine est dĂ©guisĂ©, comme toujours, derriĂšre des discours, des narrations, qui camouflent les enjeux gĂ©ostratĂ©giques, Ă©conomiques et politiques. Nous sommes renvoyĂ©s, petites fourmis que nous sommes, Ă nous dĂ©chirer entre nous, Ă nous pĂąmer de grandeur et de lyrisme, ou Ă vocifĂ©rer d’ironie en Ă©coutant le chant hystĂ©rique des propagandes.
J’espĂšre que le conflit en Ukraine se terminera trĂšs rapidement. Que les peuples ne seront pas instrumentalisĂ©s pour servir les intĂ©rĂȘts politiques et Ă©conomiques qui ne visent pas leur bonheur mais leur exploitation. TolstoĂŻ dĂ©nonçait l’hypocrisie, le pragmatisme cynique de ceux qui dĂ©jĂ dans les tranchĂ©es de la premiĂšre guerre mondiale ont trouvĂ© un intĂ©rĂȘt dans le commerce de l’armement. Le drame, c’est la rapacitĂ© humaine, c’est l’envie de domination qui caractĂ©rise notre espĂšce et qui nous entraĂźne rĂ©guliĂšrement dans des moments de folie. Ce n’est mĂȘme de la perversitĂ© morale, c’est de l’amoralitĂ©. On ne peut pas ĂȘtre pervers moralement, Ă moins de situer la moralitĂ© comme une chose protĂ©iforme, convenant aux moeurs et aux intĂ©rĂȘts d’un contexte prĂ©cis. Pour moi, le bien est le Bien, le mal est le Mal, et la VĂ©ritĂ© n’a qu’une majuscule ou n’existe pas. La moralitĂ©, c’est arbitrer constamment pour la rĂ©alitĂ© du bien, qui lui mĂȘme s’appuie sur la notion de justice. Comme je l’expliquais Ă mes enfants, quand ils Ă©taient petits, il est facile de rĂ©pondre Ă la question du bien et du mal ; du moment que votre acte entraĂźne, d’une maniĂšre ou d’une autre, de la souffrance et de l’injustice, alors c’est mal. Vous pouvez vivre avec, vous pouvez vous mentir Ă vous mĂȘme, vous pouvez dĂ©guiser la chose ou trouver toutes les justifications possibles, faire le mal c’est nuire Ă autrui, tout simplement. La vie n’est pas simple, et parfois il faut consciemment agir mal… c’est regrettable, c’est un Ă©chec moral. L’important Ă©tant de ne pas trouver ça normal ni, pour reprendre le terme de TolstoĂŻ, « souhaitable ». AprĂšs, peut-ĂȘtre que l’Ă©crivain russe croyait en une forme de croyance chez ceux qu’ils dĂ©nonçaient, leur prĂȘtant une intĂ©gritĂ©, une conscience (et donc une inconscience), les poussant et les motivant Ă perpĂ©trer l’horreur d’une guerre… je ne crois pas en cette forme de candeur, je n’excuserai jamais ceux qui appuient sur le bouton en disant que c’est bien. Je suis de ceux qui sont rĂ©voltĂ©s, qui le seront toujours, en me rappelant les morts Ă Hiroshima et Nagasaki. Encore de nos jours, dans les livres d’histoires, dans l’esprit des gens, cet odieux crime contre l’humanitĂ© n’est pas dĂ©noncĂ©, n’est pas stigmatisĂ© pour ce qu’il est. Pour le coup, c’Ă©tait pourtant Ă©vitable, souhaitable et parfaitement utile de ne pas tuer de la maniĂšre la plus horrible, la plus cruelle, la plus terrifiante, de pauvres civils innocents. Et il m’est impossible de considĂ©rer que cette funeste dĂ©cision ait pu donner lieu Ă la moindre interrogation morale car en vĂ©ritĂ©, si cela avait Ă©tĂ© le cas, elle n’aurait pas Ă©tĂ© prise.
VoilĂ , mon frĂšre russe ce que je pense. Je pense aussi Ă mon frĂšre ukrainien contre lequel tu vas peut-ĂȘtre devoir t’opposer. Je ne vous souhaite que la paix et la concorde. J’espĂšre que vous retrouverez la voie de la fraternitĂ©, au-delĂ des questions de races, des questions de nation, des questions de religions, de toutes ces croyances qui nous divisent et nous font gaspiller nos vies prĂ©cieuses dans des conflits vides de sens. J’espĂšre que l’humanitĂ© ira Ă terme vers une voie de justice et de sagesse, je le souhaite et l’ai toujours souhaitĂ© ardemment. De ma vie entiĂšre, malgrĂ© la colĂšre qui souvent m’a animĂ©, je n’ai jamais haĂŻ personne, c’est une Ă©motion que je ne comprends pas car elle m’imposerait quelque chose dont je n’ai jamais voulu, mĂȘme dans les pires moments de ma vie. Je ressens de la misĂ©ricorde et de la peine pour tous ceux qui seront victimes de ces conflits, pas seulement en Ukraine, mais dans tous les territoires du monde.