Quo vadis ?

Allez, petite madeleine rapido : quand j’Ă©tais petit garçon, en vacances chez mes grands-parents maternels chĂ©ris, je vois un jour annoncĂ© un film au titre Ă©trange, « Quo vadis ? », avec de mĂ©moire Robert Taylor et Elisabeth Taylor (aucun lien de famille entre les deux). N’ayant du latin que la conscience d’un idiome inusitĂ© Ă  notre Ă©poque moderne, j’ai trouvĂ©, je ne sais comment (peut-ĂȘtre en demandant Ă  mon grand-pĂšre qui Ă©tait un homme surprenant) que cela signifiait « oĂč vas-tu ? ». Sans aucune allusion Ă  la rĂ©fĂ©rence religieuse, c’est devenu pour moi une question existentielle permanente. Une question stratĂ©gique en soi car Ă  vrai dire j’aurais du coup pas mal modifiĂ© ma voilure pour changer d’alizĂ©, la destination finale ne me contentant jamais vraiment, conscient qu’entre le dĂ©terminisme social et la charge des attentes d’autrui, plus bourricot qu’alezan, l’existence tenait davantage de la spirale du cyclone que de la route au cheminement tranquille. AprĂšs, m’extirpant pĂ©niblement du refuge paisible et rĂ©confortant de mon petit ego (j’ai fait des progrĂšs en latin, par la suite), cette question me vient toujours quand je prends le temps d’analyser la sociĂ©tĂ© qui nous abrite et que nous composons en bonne masse humaine confraternelle. Et ce matin, le bilan rapide ne m’apporte pas une rĂ©ponse vraiment rĂ©confortante, Ă  vrai dire.

Pourtant, pourtant… je reste optimiste. Le pire est Ă  venir, et comme l’hiver dont vous saisirez la rĂ©fĂ©rence pop dans un moment d’exultation bien mĂ©ritĂ©, ça ne sera pas un moment de bonheur intense. Souvent, avec mes enfants qui supportent mes divagations permanentes, j’abuse de l’image de l’incendie nĂ©cessaire pour que l’homme agisse enfin. Ce matin, chronique de Revel sur Sudradio, cri d’alarme par rapport Ă  la chute de la conso, moins 2,8% quand mĂȘme, dans un pays qui s’est voulu de services et donc hyper consommateur. Jamais je ne rĂ©pĂ©terai assez combien c’est dĂ©jĂ  mortifĂšre et stupide de poursuivre une telle ambition (une Ă©conomie essentiellement basĂ©e sur les services), surtout avec un pays comme la France qui contrairement Ă  ce qui est ressassĂ© par des zĂ©lotes zĂ©lĂ©s, est riche de son peuple et de son territoire. PassionnĂ© par la gĂ©opolitique, je suis toujours Ă  la fois navrĂ© et subjuguĂ© par la puissance du narratif europĂ©ĂŻste. Notez que je n’ai pas Ă©crit « europĂ©en » car comme toute chose, sa rĂ©alitĂ© n’est gĂ©nĂ©ralement que le rĂ©sultat de notre volontĂ©. Il faut cesser d’accuser une Europe fictionnelle d’ĂȘtre coupable de quoi que ce soit, elle n’est que la consĂ©quence d’une ambition dĂ©voyĂ©e pour satisfaire les intĂ©rĂȘts privĂ©s aux dĂ©pens des peuples. AprĂšs 40 ans de pillage et de saccages, la France a subi son lot de revirements et, de plus en plus abusivement, brutalement, la machine Ă  broyer continue son sinistre boulot. Quand le peuple français comprendra que son destin est de ne devenir qu’une masse corvĂ©able Ă  merci, en Ă©change d’un peu de plaisir dĂ»ment rĂ©tribuĂ©, il y aura peut-ĂȘtre un dĂ©but de changement… mais Ă  l’instar de la religion vu comme un opium, le consumĂ©risme est une drogue dure qui fait croire, durablement (dur dur, donc), que la jouissance est un but en soi. La fin de l’abondance sera-t-elle l’avĂšnement d’un dĂ©but de clairvoyance ? Mon chez compatriote, quand on t’explique que tu travailles moins longtemps ou moins bien qu’ailleurs, c’est juste parce qu’on veut te faire bosser au mĂȘme tarif et que ton droit au bonheur compte moins que la richesse de certains. Point barre comme disait l’autre.

L’inflation galope, cheval fou symbolique d’un discours Ă©conomique dont l’inanitĂ© fait les beaux jours d’une technocratie soit corrompue soit consumĂ©e par un dĂ©tachement du rĂ©el si stupĂ©fiant qu’il tient effectivement de la toxicitĂ© idĂ©ologique. La spĂ©culation continue d’amasser des fortunes virtuelles que les commentateurs ne cessent d’annoncer avec une admiration contemplative pour que le petit peuple comprenne sa misĂšre tout en acceptant d’adhĂ©rer Ă  la grande croyance de l’argent immatĂ©riel et dĂ©connectĂ© du rĂ©el. Comme le rĂ©pĂšte dans des sĂ©quences hilarantes l’excellent Alexis Poulin, « ça marche ! ». Ce qu’on nomme pratiquement le climat et qui en fait n’est rien de moins que notre Ă©cosystĂšme, continue de subir l’influence destructrice d’une idĂ©ologie dominante qui impose la surconsommation et ce que je nommerai crĂ©ativement (enfin, autant un autre m’aura dĂ©jĂ  prĂ©cĂ©dĂ© dans l’idĂ©e) l’hyper logistique. Pourquoi « hyper » ? Car je n’ai rien contre le transport de marchandises, mais quand on la fait venir du bout du monde pour jouir des bienfaits d’une logique financiĂšre totalement inepte et contraire aux intĂ©rĂȘts communs, cet « hyper » symbolise Ă  la fois le problĂšme et la cause.

Je n’ai pas envie de dĂ©velopper davantage, j’ai des choses Ă  faire ce matin, des beaux projets Ă  accomplir, mais je vais avoir l’extrĂȘme plaisir de vous renvoyez Ă  l’excellente vidĂ©o du grenier de l’Ă©co Ă  laquelle j’adhĂšre totalement. Elle reprĂ©sente mon point de vue sur la situation globale, avec en filigrane les bons choix Ă  faire pour notre pays. Une chose : je crois en la possibilitĂ© d’une Ă©nergie alternative marĂ©motrice, en rĂ©sumĂ© non par l’action d’Ă©oliennes visant Ă  capter un vent toujours fluctuant, mais bien des systĂšmes sous-marins animĂ©s par le mouvement, lui permanent, des marĂ©es. Notre pays est bordĂ© par pas moins de 3 grands espaces marins, la Manche, l’OcĂ©an Atlantique, et la Mer MĂ©diterrannĂ©e ; traversĂ© par 4 fleuves, la Seine, la Loire, le RhĂŽne et la Garonne. Quand demain, les Ă©nergies carbonifĂšres cesseront d’obsĂ©der les bĂ©nĂ©ficiaires de l’or noir et polluant, notre pays dispose d’un patrimoine naturel qui se rĂ©vĂ©lera alors comme une sublime opportunitĂ©. Enfin, si d’ici lĂ  personne ne nous explique que comme tout le reste ça n’appartient finalement pas Ă  tous et que comme tout le reste, le droit Ă  l’accaparement peut encore s’exercer.

Et pitiĂ©, arrĂȘtez de croire un instant les fadaises de la voiture Ă©lectrique, ça ne pourra, au mieux, qu’ĂȘtre un moyen de transport rĂ©servĂ© Ă  une petite Ă©lite suffisamment riche pour d’une par s’en payer une et d’autre part l’alimenter en « carburant ». Alors qu’on annonce des ruptures d’alimentation cet hiver, la simple idĂ©e de proposer un parc automobile s’appuyant sur la fourniture d’Ă©lectricitĂ© est simplement la dĂ©monstration d’un narratif qui fantasme en permanence le rĂ©el sans tirer les leçons de son hubris.

La vidĂ©o du grenier de l’Ă©co, une chaine Youtube Ă  dĂ©couvrir pour ceux qui aiment l’Ă©conomie :

Khimairacratie

Ce matin, au rĂ©veil, petit vidĂ©o de Marianne trĂšs intĂ©ressante et stimulante avec une discussion entre Natacha Polony et Antoine BuĂ©no sur la potentialitĂ© d’un effondrement (https://youtu.be/XX0GC6_vxGc – je mettrais la vidĂ©o sous ce post au cas oĂč une Ăąme errante viendrait se perdre en ces terres arctiques). J’Ă©coutais tout ça en faisant une petite partie de Loop Hero (hyperactivitĂ©, je t’aime), et il y avait Ă©normĂ©ment de concepts et de notions qui Ă©taient Ă©voquĂ©es pour argumenter le raisonnement trĂšs intĂ©ressant de Monsieur BuĂ©no pour lequel je pencherai aussi, non par aveugle et systĂ©matique optimisme, mais par ma foi en la nature humaine et Ă  la capacitĂ© de l’homme Ă  affronter et relever les dĂ©fis. Personnellement, je pense que l’homme pourra toujours fonciĂšrement s’adapter, le souci concernant actuellement l’impact terrifiant sur l’environnement de nos actions et choix Ă©conomiques, qui vont provoquer l’avĂšnement d’un monde dans lequel bien et bon vivre deviendront certainement des concepts trĂšs relatifs. Bref (idĂ©ologie de l’Ă©criture web Ă  laquelle je ne peux me rĂ©soudre Ă  adhĂ©rer ici), dans ce tumulte d’idĂ©es la relativitĂ© des idĂ©ologies politiques est venue rapidement s’imposer en terme d’obstacle majeur aux solutions ou stratĂ©gies envisagĂ©es pour Ă©viter justement ce fameux effondrement. Et l’impact majeur des politiques Ă©tatiques a Ă©tĂ© naturellement citĂ© comme une des problĂ©matiques essentielles. ParticuliĂšrement, la question de la dĂ©mocratie aura Ă©tĂ© pertinemment prĂ©sentĂ©e avec le constat actuel d’une totale absence de sa substance dans le fonctionnement et la vie mĂȘme des pays qui s’en prĂ©tendent. J’aurais passĂ© beaucoup de temps, ces derniĂšres annĂ©es, Ă  tenter pĂ©dagogiquement d’instruire mes semblables sur la notion de ploutocratie qui est pour moi la rĂ©alitĂ© de nos systĂšmes prĂ©sentĂ©s comme dĂ©mocratiques. En rĂ©sumĂ©, encore, sous couvert d’une dĂ©mocratie claironnĂ©e, la vĂ©ritĂ© systĂ©mique repose sur la prĂ©sence d’acteurs, de forces, d’entitĂ©s, d’individus ou d’organisations, dont les ressources financiĂšres leur confĂšrent une totale domination dans les dĂ©cisions prises au niveau Ă©tatique. La dĂ©mocratie ne sert plus que de joli vernis pour camoufler les boursouflures d’un systĂšme vĂ©rolĂ© de l’intĂ©rieur pour travestir voire couvrir les faits. C’est ainsi, qu’Ă  mon sens et Ă  mon grand dam, nous sommes perdus dans une pĂ©riode de sophisme perpĂ©tuel et volontaire, oĂč rĂ©side la cause rĂ©elle du naufrage systĂ©mique que nous endurons depuis presque, maintenant, un demi siĂšcle. La financiarisation intensive aura bien entendu Ă©tĂ© la clĂ© de voĂ»te de ce mĂ©canisme de pourrissement, avec une intention initiale dont il reste Ă  dĂ©terminer la motivation (plan machiavĂ©lique ou juste rapacitĂ© nĂ©vrotique ? FiĂšvre idĂ©ologique ou pure faillite morale ?). Ce qui est certain, et tragique, c’est que l’argent Ă©tant devenu davantage un but qu’un moyen, et comme l’avait fiĂšrement Ă©noncĂ© un certain monarque français qui avait bien signifiĂ© que l’Ă©cologie devait ĂȘtre dĂ©classĂ©e pour l’Ă©conomie (ce qui en soit est juste une abomination – en espĂ©rant que l’Histoire n’effacera pas ce genre de scorie politique pour au moins servir d’avertissement pĂ©dagogique), tout se rĂ©sume actuellement Ă  la masse d’argent produite, les populations Ă©tant maintenant habituĂ©es Ă  Ă©couter paisiblement le montant hallucinant des sommes mises en oeuvre par les Ă©tats sans que ceux-ci ne veillent Ă  dĂ©tailler, un peu, la rĂ©alitĂ© de leur rĂ©partition.

Bon, je n’ai pas envie de me perdre dans mes circonvolutions habituelles, il me venait Ă  l’esprit l’intervention d’un Ă©conomiste sur la chaĂźne du MĂ©dia qui expliquait qu’un Ă©tat comme la France, vassalisĂ©e par l’Europe et sa gĂ©niale monnaie unique n’avait plus comme levier, en l’absence de l’outil essentiel de la production de sa monnaie), que l’organe social pour un peu camoufler son absence totale de contrĂŽle. En bref, encore, des rĂ©formes actuelles, du chĂŽmage comme des retraites, les peuples ne sont devenus que des variables d’ajustement des politiques monĂ©taires menĂ©es Ă  un niveau mondiale pour entretenir un systĂšme et une idĂ©ologie libĂ©rale dont la rĂ©alitĂ© destructrice est si sensible Ă  l’heure actuelle qu’elle provoque ce sentiment gĂ©nĂ©ral d’une apocalypse imminente. Le drame qui fait la substance de mon titre, est que tout ça est permis par les illusions qui nous nourrissent et qui nous font adhĂ©rer, qu’on le veuille ou non, Ă  cette absurditĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e. En permanence, hier encore, j’Ă©coute des gens gloser sur la dĂ©mocratie, sur la RĂ©publique, cette bonne vieille thĂ©matique qui permet Ă  n’importe quel imbĂ©cile de bomber le torse pour feindre une noble et si creuse indignation (de l’imposture de la posture), sur la nĂ©cessitĂ© de « mettez ce que vous voulez entre les guillemets » dont l’argumentation se cantonne Ă  gĂ©nĂ©ralement Ă  un thĂ©Ăątrale « il faut le faire » (coucou la retraite). J’Ă©coutais un VRP des sondages encore prĂ©tendre, fiĂšrement et sans une once de recul Ă©thique, savoir ce que veulent et pensent les « français », faisant d’Ă©chantillons aux opinions recueillies avec des protocoles maintes fois dĂ©noncĂ©s, la substance d’un peuple entier rĂ©duit Ă  quelques chiffres si pratiquement vendus Ă  des intĂ©rĂȘts façonnant littĂ©ralement les opinions d’une masse de moins en moins bien informĂ©e. Alors, pensant Ă  tout ça, Ă  cette confusion gĂ©nĂ©rale et entretenue, Ă  la difficultĂ© pour chacun d’entre nous de se faire une opinion Ă  la fois de qualitĂ© et achevĂ©e, il m’est venu ce nouveau nĂ©ologisme, la khimairacratie, pour illustrer la chose. Encore davantage de la ploutocratie, elle se situe un petit niveau au-dessus, elle conditionne sa pĂ©rennitĂ© et sa continuitĂ©. Pour que toute cette manipulation, cette tragicomĂ©die pseudo dĂ©mocratique puisse continuer, il faut un systĂšme qui pervertisse en permanence les faits pour crĂ©er des vĂ©ritĂ©s contextuelles, Ă  la substance souvent proche de l’Ă©vanescence la plus totale, pour que le massacre continue. Ah oui, en me relisant je vois que je n’ai pas Ă©tymologiquement explicitĂ© le terme… de Khimaira, la chimĂšre en grec, cet animal qui symbolise les illusions mais aussi la capacitĂ© de l’homme de croire en des choses trompeuses et monstrueuses. La chimĂšre, c’est celle qu’on poursuit, jusqu’Ă  notre perte, parce qu’on ne voit pas la rĂ©alitĂ© de ce qu’elle est.

Dans la vidĂ©o de Marianne, il est question de la « dĂ©testation de la dĂ©mocratie », mais c’est parce que la confusion fait qu’on se trompe d’ennemi, que le brouillard qui est savamment Ă©rigĂ© pour cacher la rĂ©alitĂ© des coupables empĂȘche de voir ce qu’il en est vraiment, mais il faut rappeler que majoritairement, toute chose en ce bas monde est ambivalente. Il ne sert Ă  rien de diaboliser abusivement comme si l’arbitrage, purement humain, n’Ă©tait pas la consĂ©quence essentielle. Rien n’est fonciĂšrement mauvais, du capital Ă  la ploutocratie par exemple, car il suffirait que la motivation soit placĂ©e dans l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et non plus les intĂ©rĂȘts particuliers (mĂȘme si je reste trĂšs circonspect sur la possibilitĂ© d’une tyrannie Ă©clairĂ©e). Mais force est de constater que la philosophie, l’intention profonde, des plus puissants ne rĂ©sident que dans l’exploitation de la faiblesse humaine, comme un destin ou par le fait d’une nature qui se voudrait aristocratique. Tout ça, Ă  l’arrivĂ©e, se rĂ©vĂšle assez misĂ©rable et mĂ©prisable. Dans un monde de marchands oĂč le lustre l’emporte sur la dignitĂ©, il faut savoir se positionner clairement sur la question morale, liminaire, sur ce qui est bien et ce qui est mal. Pour le coup, certains prennent comme une dĂ©monstration d’intelligence de sans cesse rappeler que les choses ne sont jamais aussi claires et simples. Pourtant si. Deux bombes atomiques envoyĂ©es sur des objectifs civils, c’est mal. ƒuvrer pour le bien de son peuple et non se servir de ce dernier pour augmenter la caisse Ă  billets des plus nantis, c’est bien.

La vidĂ©o de Marianne Ă  voir (j’en suis Ă  deux visions personnellement, en Ă©crivant cet article) :

L’hubrisphĂšre

Un petit coup de mou, alangui sur mon canapĂ© comme un Sardanapale proprement rasĂ©, je mate une vidĂ©o Youtube concernant un fait divers qui excite les foules au sens trĂšs (trop) littĂ©rale du terme. Ce matin, tandis que j’oeuvrais mĂ©thodiquement, j’ai lancĂ© une vidĂ©o sur un chercheur en archĂ©ologie qui a Ă©voquĂ© la rĂ©alitĂ© des moeurs anthropophages dans les vieilles sociĂ©tĂ©s humaines qui ont prĂ©cĂ©dĂ© (ou servi de dĂ©part, au choix), Ă  la nĂŽtre. De ça plus tout ce que je mange dans les actualitĂ©s notamment françaises, j’en ai dĂ©duis, solennellement et intimement, que plus que jamais, ou bien plus que toujours (au choix encore), nous sommes en pleine hubrisphĂšre. Alors je viens chouiner ici avec une certaine forme de pudeur, car je sais justement que dans l’immense place publique (agora) qu’est le net, mon petit blog perso n’est qu’une sorte d’ülot abandonnĂ©, perdu dans un immense ocĂ©an, ne suscitant aucun intĂ©rĂȘt ni aucun Ă©lan d’enthousiasme. Je viens juste Ă©crire que ma mĂ©taphore avec Sardanapale en dĂ©but d’exercice n’est pas si mal trouvĂ© que cela. Comme ce sultan nihiliste je dois bien constater que tout fout le camp, comme on l’argotait si bien dans mon enfance. Comment conserver cette illusion d’un monde abouti, construction glorieuse nĂ©e de tous les ratages systĂ©miques et idĂ©ologiques du passĂ© ? Comment croire que nous sommes une apogĂ©e, alors que de toute part l’Ă©chec de la grande aventure humaine semble encore devoir ĂȘtre le triste constat ?

J’adore la mythologie grecque, et en cherchant un mot pour titrer ce billet, inĂ©vitablement j’ai songĂ© Ă  l’hubris, ce concept que les mythographes ont aimĂ© rappeler tout au long de mes lectures profanes. Le crime suprĂȘme, celui de la dĂ©mesure. Au vu du dĂ©sastre Ă©conomique, Ă©cologique, humain, sociĂ©tal, que nous vivons actuellement, et eu Ă©gard Ă  l’impasse d’une mondialisation qui n’est dĂ©finitivement pensĂ©e que comme une stratĂ©gie d’exploitation, le nĂ©ologisme « hubrisphĂšre » me semble pour le coup trĂšs appropriĂ©. Alors, une rapide recherche google m’a naturellement fait comprendre que cet Ă©clat de gĂ©nie avait dĂ©jĂ  ionisĂ© le cortex d’autres individus plus ou moins bien intentionnĂ©s. Soit, je ne viserai pas ici Ă  la prĂ©tention d’une pensĂ©e originale et marginale. Je commenterai juste l’instant prĂ©sent en constatant la cavale de ces quatre cavaliers de l’apocalypse que sont la dĂ©liquescence, la dĂ©cadence, la dĂ©gĂ©nĂ©rescence et l’indĂ©cence.

TrĂšs naĂŻvement, je continue de rĂȘver d’une sociĂ©tĂ© humaine qui recherche avant le bonheur de chacun comme suprĂȘme intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, et qui ne pourrait s’imaginer, pour cela, que comme l’Ă©tablissement d’une parfaite Ă©galitĂ© entre les ĂȘtres. Je rĂȘve d’une sociĂ©tĂ© oĂč l’intĂ©rĂȘt particulier ne serait pas Ă©rigĂ© comme une fatalitĂ© pour justifier tout ce qui fait et provoque la malfaisance dans nos sociĂ©tĂ©s prĂ©tendument modernes. Je rĂ©pĂšte souvent que la source de tous les problĂšmes rĂ©side dans la corruption intrinsĂšque voire inĂ©vitable des systĂšmes qui sont engendrĂ©s par les sociĂ©tĂ©s humaines. Je constate Ă  quel point les hommes deviennent les esclaves de ces labyrinthes qu’ils ont eux-mĂȘmes crĂ©Ă©s et dans lesquels ils se perdent et s’oublient.

Comment parvenir Ă  faire comprendre Ă  mes congĂ©nĂšres que la solution n’est pas forcĂ©ment de trouver la sortie, si elle existe, mais bien de dĂ©truire ces murs qui dissimulent l’espoir ? Nous sommes tous des minotaures oubliĂ©s dans ce dĂ©dale terrible qu’est devenu ce monde, vĂ©ritable hubrisphĂšre, pleine de bruits et de fureur, pleine d’illusions et de fausses idoles. La confusion, la division, la frustration, nous fragmentent et nous isolent, entre complaisance et apathie.

Plus que jamais, il faut vivifier tous les liens qui nous unissent les uns et les autres. Il est si facile de haĂŻr, si simple de dĂ©tester et d’exprimer la souffrance intĂ©rieure que toutes les incertitudes de nos sociĂ©tĂ©s cruelles font peser sur chacun d’entre nous en trouvant un coupable et un responsable dans une vision toujours trop binaire, trop manichĂ©enne, des choses. Alors qu’en rĂ©alitĂ©, il n’y a jamais d’autre responsable que nous-mĂȘmes ; car mĂȘme si nous en sommes toujours rĂ©duit Ă  supporter l’individualitĂ©, nous n’existons vraiment qu’en tant que tout.

C’est pour ça que ces derniers temps je ne m’exprime plus beaucoup sur les questions politiques et sociĂ©tales, car j’ai simplement l’impression d’en rajouter, de ne plus vraiment expliciter ou Ă©clairer. Je crois que nous constatons tous, actuellement, la rĂ©alitĂ© du monde, de sa dĂ©vastation. Maintenant, ce qui apparaĂźt, c’est le niveau de conscience de la gravitĂ© de la situation. Bien au delĂ  des notions Ă©conomiques, des questions prĂ©tentieusement nommĂ©es comme « civilisationnelles », ces visions restent toujours pauvrement prosaĂŻques par rapport Ă  la simple question du rapport de l’humanitĂ© par rapport Ă  elle-mĂȘme. De ce fiasco total (sans allusion polĂ©miste, mdr), le pire demeure dans cette idĂ©e insidieuse et permanente d’une sociĂ©tĂ© humaine qui ne peut exister que dans l’exploitation et l’accaparement. L’Histoire a beau nous rappeler constamment que la verticalitĂ© finit toujours par s’aplanir dans la douleur, nous y revenons toujours. La seule diffĂ©rence, notable, c’est qu’Ă  prĂ©sent nous veillons aussi Ă  dĂ©truire consciencieusement l’Ă©quilibre naturel qui est la condition de notre survivance.

Alors, voilĂ , c’Ă©tait mon petit billet dĂ©ceptif et nĂ©gatif, mais il fallait que ça sorte. Je crois pourtant en l’humanitĂ© et je rĂȘve d’une rĂ©volution qui serait avant toute chose morale et intellectuelle. Tant que l’obsession restera dans des concepts aussi abscons (pour ĂȘtre poli) que le PIB ou l’incidence des taux d’intĂ©rĂȘt, il n’y aura pas d’autres conclusions possibles qu’un chaos savamment entretenu, pour le bĂ©nĂ©fice que de quelques uns, et une sociĂ©tĂ© inĂ©galitaire sans cesse menacĂ©e d’implosion.

L’hiver vient, il n’y a plus qu’Ă  souhaiter qu’un beau printemps lui succĂšde, comme il devrait l’ĂȘtre dans l’ordre des choses.

Un moment de pause

Bon, Ă©tant malade, je suis dans l’obligation de freiner l’activitĂ© que j’avais prĂ©vue de continuer cet Ă©tĂ©, mĂȘme si le besoin ou mĂȘme la nĂ©cessitĂ© de vacances commençaient Ă  pĂ©niblement peser sur mon enthousiasme naturel. 4Ăšme ou 5Ăšme jour avec le (ou la, comme ça vous va !) Covid, suite Ă  la lĂ©gĂšretĂ© coupable de ma chĂšre fille qui l’ayant attrapĂ© depuis plus d’une semaine, est encore en train de dormir au moment oĂč j’Ă©cris ces lignes, le soleil Ă©tant Ă  son zĂ©nith. Personnellement, j’ai accusĂ© conscience de la maladie, je suis allĂ© me faire tester, je me suis mis en quarantaine et je me suis reposĂ© sur ma lĂ©gendaire rĂ©sistance pour encaisser le bestiau. PremiĂšre dĂ©ception pour moi, c’est qu’au bout d’au moins 4 jours, il n’y a pas vraiment de signes d’amĂ©lioration au niveau du mal de gorge. Passe pour la fiĂšvre permanente, passe pour la gĂȘne au niveau des poumons, passe pour la fatigue (qui ne me touche pas plus que ça, Ă  vrai dire), passe pour les douleurs corporelles qui me rappellent constamment que le corps est trop sollicitĂ©… mais que ce mal Ă  la gorge est Ă  la fois douloureux et insupportable ! Ce matin, au rĂ©veil, aprĂšs une nuit fiĂ©vreuse Ă  me rĂ©veiller trempĂ© et un peu hĂ©bĂ©tĂ©, la dĂ©ception aura Ă©tĂ© de constater que le mal de gorge est encore lĂ , et bien pire que la veille. AprĂšs m’ĂȘtre renseignĂ© un peu (je suis du genre Ă  ĂȘtre extrĂȘmement mĂ©fiant par rapport Ă  tout ce qui touche au mĂ©dical et Ă  la santĂ© sur le web, c’est un parfait condensĂ© de nĂ©vroses et de rĂ©cits terrifiants) j’ai donc appris que cette souche durait plus longtemps que les autres, soit 7 jours versus les 4 ou 5 sur lesquels je pariais un peu facilement. De toute maniĂšre, entre la maladie, la canicule, et mon patriarche qui semble vouloir tirer sa rĂ©vĂ©rence assez rapidement, cet Ă©tĂ© ne s’annonçait pas sous les meilleures auspices. Tant pis, il me reste malgrĂ© tout l’Ă©criture et l’occasion ludique, morale et vivifiante, d’exprimer une fois encore mon ressenti dans cette pĂ©riode Ă  la fois incroyable, Ă©trange et imprĂ©visible.

Quand j’essaie de modĂ©liser, personnellement, les oppositions idĂ©ologiques qui Ă  la fois forgent et dĂ©forment notre sociĂ©tĂ©, je ne me laisse plus abuser avec les vieux schĂ©mas comme la polarisation, manichĂ©enne et trop rĂ©ductrice, de la droite et la gauche. Simplement, si simplement, la seule opposition qui existe Ă  l’heure actuelle est un conflit, insoluble, entre une vision verticale et horizontale de la sociĂ©tĂ©. En rĂ©alitĂ©, et l’histoire de l’humanitĂ© regorge d’exemples, la tentation de cette verticalitĂ© aura toujours Ă©tĂ© la stratĂ©gie finale avant la chute, inĂ©luctable. ContrĂŽler, opprimer, oppresser, obliger, avant de rĂ©primer ou de forcer, pour contenir le libre arbitre et la prĂ©tention au bonheur de la majoritĂ© du peuple. Il n’est pas possible de construire une sociĂ©tĂ© pĂ©renne, solide et forte, juste en l’Ă©crasant de devoirs et en la saoulant, littĂ©ralement, de grands discours idĂ©ologiques qui camouflent de plus en plus difficilement, la rĂ©alitĂ© de l’escroquerie. Il reste la possibilitĂ© de diviser, d’ostraciser, d’encourager les bas instincts, mais lĂ  encore il semble que la pilule a de plus en plus de mal Ă  passer.

Je l’ai Ă©crit sur ce blog, il y a quelques mois, nous assistons Ă  un changement de paradigme. Un changement qui Ă©tait lui aussi inĂ©luctable, dĂ©jĂ  car comme les bouddhistes le rĂ©pĂštent Ă  l’envi avec l’impermanence, comme les physiciens le ressassent avec l’entropie, rien en ce bas monde ne peut perdurer sans Ă©voluer. Et encore, dans cette idĂ©e trĂšs philosophique du changement obligatoire, j’omets la rĂ©alitĂ© des violents dysfonctionnements Ă©cologiques, Ă©conomiques, Ă©thiques que nous subissons de plein fouet en cet Ă©tĂ© 2022. Tous les jours, quand j’entends des commentateurs gloser sur la question de l’inflation en citant certaines explications complĂštements dĂ©lirantes, je me demande jusqu’Ă  quand la bulle va grossir avant d’exploser. Est-il possible de dĂ©corrĂ©ler un pur moyen, comme l’argent, avec la rĂ©alitĂ© de ce qu’il est censĂ© s’adjoindre, soit l’Ă©conomie rĂ©elle ? La crise de 2008 fut une sorte de boĂźte de Pandore Ă  retardement, et nous sommes en train de vivre, aussi, l’impossibilitĂ© de vivre dans une sociĂ©tĂ© humaine harmonieuse qui pour le bĂ©nĂ©fice d’une minoritĂ© remplace le rĂ©el par une pure fiction. Le gros souci de cette fiction, c’est qu’Ă  prĂ©sent, plus elle dure plus elle dĂ©truit, et nous commençons Ă  peine Ă  en recevoir les traites. Qui seront bien plus dures et insupportables, que les taux d’intĂ©rĂȘts et le montant de la « dette ».

Alors, faut-il perdre tout espoir et crier au feu en s’agitant de partout, comme je semble le faire en Ă©crivant ces lignes ? A vrai dire, il n’y a pas grand chose Ă  faire quand on assiste Ă  une sorte de nĂ©vrose gĂ©nĂ©ralisĂ©e, notre sociĂ©tĂ© ne tient encore, par ailleurs, que par la croyance qu’elle promeut… mais qui s’effrite de jour en jour, de mois en mois. Il faut attendre la fin des grandes vĂ©ritĂ©s, la fin des ayatollahs du bon sens, la chute des dogmatiques et des pragmatiques. Nous vivons une pĂ©riode d’intense clarification, oĂč pointe, de maniĂšre trĂšs grandiloquente, la fin d’une civilisation. Comme si le bilan actuel, Ă  tous les niveaux, pouvaient nous permettre de nous prĂ©tendre « civilisĂ©s », soit dotĂ©s d’une rationalitĂ© telle qu’elle impose l’idĂ©e irrĂ©futable et intrinsĂšque d’un accomplissement. Non, s’il y a civilisation, il n’y a pas eu accomplissement, mais dĂ©cadence. Je ne crois pourtant pas qu’il faille tout rejeter et dĂ©truire. Au contraire, nous avons encore le temps de prendre conscience de tout ce qui est juste et bon, de partir sur les bases saines de l’humanisme qui a notamment fait le bonheur de la France aprĂšs la seconde guerre mondiale. Et faire en sorte, Ă  l’avenir, de ne plus permettre que les mĂȘmes errances reviennent encore polluer et corrompre la belle dynamique de la bienveillance et de la sagesse. Notre civilisation n’est pas en danger Ă  cause de menaces plus ou moins exotiques, nĂ©vrotiques et fictionnelles, mais bien de l’idĂ©e d’une bienveillance accessoire. Notre sociĂ©tĂ© ne s’Ă©croulent pas parce qu’elle est attaquĂ©e de toute part, mais bien parce que nous la sabordons, fonciĂšrement encouragĂ©s par des maĂźtres d’oeuvre dont les motivations ne sont clairement pas humanistes.

Il n’est pas possible de faire du malheur des autres la miraculeuse variable d’ajustement. Le bonheur sociĂ©tale ne peut ĂȘtre qu’un accomplissement collectif. Maintenant, le combat est simple, verticalitĂ© contre horizontalitĂ©. Si je ne peux, philosophiquement, omettre la possibilitĂ© d’une tyrannie Ă©clairĂ©e, j’y postule bien moins qu’Ă  celle d’une gestion dĂ©mocratique et participative du peuple.

La partie d’Ă©chec

Je fais une pause dans mes prenantes activitĂ©s pour faire un petit point sur le changement de paradigme que nous ressentons tous Ă  l’heure actuelle. Il est toujours difficile de considĂ©rer les choses avec abstraction, pourtant, il faut essayer d’y parvenir, sans se laisser embarquer par une sorte d’inertie irrĂ©pressible provoquĂ©e par l’adhĂ©sion, par la croyance, par l’acceptation, par la rĂ©signation parfois. Le monde change, et derriĂšre ces termes, il y a tout une logique qui se met en place et qui redistribue les cartes. Notre pays, la France, n’est qu’une variable dans ce schĂšme qui s’Ă©labore peu Ă  peu, jour aprĂšs jour, et qui annonce de grands et terribles bouleversements.

Ce matin j’Ă©coutais RĂ©gis Le Sommier s’exprimer sur l’Ă©chec de Poutine avec l’Ukraine. Je trouve cette vision des faits un peu simpliste, caricaturale, facile, et surtout trĂšs imparfaite. Comment dĂ©finir, de nos jours, ce qu’est d’un point de vue gĂ©opolitique une victoire ou une dĂ©faite ? Limiter la rĂ©flexion sur ces deux possibilitĂ©s c’est vraiment envisager le monde d’un point de vue naĂŻf, car faussement dĂ©finitif, faussement normaliste. Poutine et la Russie ont-ils vraiment perdu, ou sont-ils en train de perdre la guerre ? Est-ce, en soi, une guerre ? Oui, dans l’idĂ©e d’une agression d’une nation par une autre. Mais au-delĂ  de ça, en filigrane, il y a toute une suite d’Ă©claircissements qui sont en train de se faire, notamment par rapport aux dĂ©pendances, par rapport Ă  la rĂ©alitĂ© d’un pouvoir, par rapport Ă  l’Ă©quilibre des nations les unes par rapport aux autres.

Si aujourd’hui certains voient dans l’attitude de Poutine un signe de faiblesse, un dĂ©but de dĂ©clin, la rĂ©alitĂ© nous dĂ©crit surtout le rapprochement d’un bloc dont la configuration et la complĂ©mentaritĂ© dĂ©voile dĂ©jĂ  une supĂ©rioritĂ© Ă©conomique indĂ©niable. La Russie, la Chine, l’Inde, sont ainsi le nouveau GĂ©ryon qui fait de l’Europe la survivance d’un ordre ancien. GĂ©ryon dans la mythologie grecque est dĂ©crit comme « un gĂ©ant triple », notamment vaincu par l’invincible HeraclĂšs. Ce combat dĂ©crit une victoire par la force contre la force. Mais HeraclĂšs restera dans le panthĂ©on grec le seul hĂ©mithĂ©os Ă  avoir foulĂ© le sol mythologique… en rĂ©sumĂ©, il est une exception, une anomalie presque, en tout Ă©tat de cause une force inarrĂȘtable, soumettant la nature et mĂȘme les dieux (cf le dernier travaux et son affrontement avec HadĂšs) Ă  sa volontĂ©.

Face Ă  ce GĂ©ryon qu’est le bloc prĂ©citĂ©, y a-t-il vraiment un HeraclĂšs qui peut reproduire l’exploit ? Les Etats-Unis reviennent souvent comme attiseurs du conflit, selon l’idĂ©e acceptĂ©e et digĂ©rĂ©e que les guerres en Europe auront bĂ©nĂ©ficiĂ© Ă  l’Ă©conomie amĂ©ricaine, ce qui et indĂ©niable. Mais la stagnation du conflit en Ukraine, voire le recul de la Russie, ne peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© sĂ©rieusement comme une victoire. Ou alors Ă  la Pyrrhus. Quoi qu’il advienne, l’artificialitĂ© de la construction europĂ©enne a surtout Ă©clatĂ© au grand jour, avec l’idĂ©e, pour encore utiliser la mĂ©taphore de la mythologie grecque, d’un tonnerre et d’un Ă©clair sans la puissance de la foudre. Nous vivons, Ă  l’heure actuelle, la confrontation de narrations qui veulent chacune redĂ©finir le monde pour le traduire selon sa vision. Jamais la question de la propagande n’avait autant pesĂ© dans les dĂ©bats avec la reconnaissance plus ou moins tacite de sa valeur stratĂ©gique dans la crĂ©ation et l’alimentation de croyances nĂ©cessaires Ă  la bonne marche des systĂšmes. Ces croyances sont vulgairement qu’il n’y a pas de puissance sans fĂ©dĂ©ralisme, que les nations en tant que telles sont devenues soit obsolĂštes soit antinomiques Ă  la compĂ©titivitĂ©, que l’Europe peut peser dans le changement de paradigme mondial, que l’atlantisme est le seul rempart Ă  ce changement de la balance des pouvoirs qui fait Ă©cho Ă  un changement de statut des nations.

Le souci avec les croyances, c’est que leur existence, leur pĂ©rennitĂ©, ne rĂ©sident que dans la rĂ©alisation plus ou moins permanente de ses effets. Et quand tout un fonctionnement systĂ©mique ne s’appuie que sur la circulation financiĂšre, elle-mĂȘme le rĂ©sultat d’une croyance qui a de plus en plus de mal Ă  se corrĂ©ler avec la rĂ©alitĂ©, le rĂ©el vient peu Ă  peu parasiter les vĂ©ritĂ©s provisoires pour dessiner un nouveau paysage, un nouveau monde, qui s’annonce Ă  la fois effrayant et inquiĂ©tant… car virevolte finale Ă  cette illusion d’un monde figĂ© dans une sorte d’accomplissement idĂ©ologique et Ă©conomique.

Nous sommes les pions dans une grande partie d’Ă©chec oĂč les figures maĂźtresses bougent d’elles-mĂȘmes, et ce serait encore bien naĂŻf qu’il y ait simplement deux joueurs, face Ă  face. Nous vivons la mondialisation dans sa concrĂ©tisation la plus redoutable, soit une entropie permanente et plus que compliquĂ©e Ă  anticiper. Dans un monde oĂč l’Ă©thique est devenue une valeur secondaire ou pire, une faiblesse, il n’y a pas Ă  compter sur la magnanimitĂ© ou la philanthropie. L’ambition des acteurs de cette partie, c’est bien la domination, la suprĂ©matie, purement et simplement. Et la base solide sur laquelle elles se rĂ©aliseront est simplement la rĂ©alitĂ© des ressources Ă©nergĂ©tiques et d’un potentiel marchĂ© plus ou moins autonomisĂ©. En rĂ©sumĂ©, ce sont les dĂ©pendances qui vont dĂ©finir les futures vassalitĂ©s.

En France, nous assistons Ă  une rĂ©elle et totale fracture sociale et il ne faut pas s’y tromper, sociĂ©tale. La croyance, une fois encore, est Ă  la fois l’enjeu et le moteur des dĂ©bats. Il y a une Ă©nergie de maintien qui tente de plus en plus dĂ©sespĂ©ramment de contenir l’entropie inĂ©vitable d’un systĂšme de plus en plus dysfonctionnel. C’est une erreur, c’est une folie, de croire qu’il sera possible de contenir la violence et la colĂšre populaire en lui opposant une sorte d’aveuglement illuminĂ©. De cet autoritarisme un brin grotesque Ă©merge un instant de survie qui se traduit par une politisation de plus en plus Ă©vidente des plus jeunes qui par la synergie des rĂ©seaux communicationnels s’amplifie de jour en jour. C’est amusant par ailleurs de constater la discrĂ©ditation systĂ©matique des rĂ©seaux sociaux dans les mĂ©dias, comme s’ils n’Ă©taient que des places publiques nausĂ©abondes et bassement populaires. S’il faut reconnaĂźtre la constante difficultĂ© de la discussion dĂ©mocratique, il faut aussi avoir l’honnĂȘtetĂ© de constater l’Ă©veil des consciences et l’acquisition de connaissances. L’accusation permanente de complotisme pour cataloguer perpĂ©tuellement toute opposition ou contestation ne suffit plus.

La partie d’Ă©chec est intense, Ă  tous les niveaux. Le monde change. Nous en sommes Ă  la fois acteurs et spectateurs, mais la multiplicitĂ© des sources d’information, l’accĂšs jusque lĂ  inĂ©dit Ă  des donnĂ©es de tout horizon, nous permettent aussi de ne pas subir une narration particuliĂšre. Au contraire, il faut les confronter pour en discerner les limites et les invraisemblances. Ou rester sur cette vision manichĂ©enne du bien et du mal, des gentils et des mĂ©chants. Cette candeur, quoi qu’il en soit, ne peut perdurer que si les croyances subsistent, ce qui semble facĂ©tieux en cette pĂ©riode pour le moins apocalyptique*. Toutes ces crises sont autant de clarifications qui s’effectuent, qui se succĂšdent, nous demandant soit de nous maintenir dans l’illusion d’un statu quo ou l’acceptation d’une rĂ©volution.

*pas dans le sens de la fin du monde, mais du latin ecclésiastique apocalypsis, issu du grec apokalupsis : révélation divine.

La question du jour

J’ai plusieurs sites actifs, dont deux blogs. Celui-ci me sert essentiellement de dĂ©fouloir et d’atelier d’Ă©criture. L’autre est associĂ© Ă  un projet crĂ©atif qui me tient Ă  coeur et que je prĂ©pare Ă  des desseins que je qualifierais pragmatiquement de « marketing ». Quelle ne fut pas ma surprise ce matin quand je dĂ©couvris dans mes emails une demande de modĂ©ration pour un commentaire Ă©crit en alphabet cyrillique et donc incomprĂ©hensible sans l’aide prĂ©cieuse du traducteur Google (utilisez Deepl pour vos efforts extralinguistiques, c’est quand mĂȘme moins propice au gag involontaire). Le message, le commentaire initial, le voici :

Đ—ĐœĐ°ĐŒĐ”ĐœĐžŃ‚Ń‹Đč ĐżĐžŃĐ°Ń‚Đ”Đ»ŃŒ ЛДĐČ ĐąĐŸĐ»ŃŃ‚ĐŸĐč Đ·Đ°ŃĐČĐ»ŃĐ»:  » ЛюЮо, ĐșĐŸŃ‚ĐŸŃ€Ń‹Đ” ĐżŃ€ĐžĐ·ĐœĐ°ŃŽŃ‚ ĐČĐŸĐčĐœŃƒ ĐœĐ” Ń‚ĐŸĐ»ŃŒĐșĐŸ ĐœĐ”ĐžĐ·Đ±Đ”Đ¶ĐœĐŸĐč, ĐœĐŸ Đž ĐżĐŸĐ»Đ”Đ·ĐœĐŸĐč Đž ĐżĐŸŃ‚ĐŸĐŒŃƒ Đ¶Đ”Đ»Đ°Ń‚Đ”Đ»ŃŒĐœĐŸĐč, — это люЎО ŃŃ‚Ń€Đ°ŃˆĐœŃ‹, ŃƒĐ¶Đ°ŃĐœŃ‹ сĐČĐŸĐ”Đč ĐœŃ€Đ°ĐČстĐČĐ”ĐœĐœĐŸĐč ОзĐČŃ€Đ°Ń‰Đ”ĐœĐœĐŸŃŃ‚ŃŒŃŽ. » А Вы Đ»ĐžŃ‡ĐœĐŸ ŃĐŸĐłĐ»Đ°ŃĐœŃ‹ с таĐșĐžĐŒ ĐČŃĐ”ĐŒĐžŃ€ĐœĐŸ ОзĐČĐ”ŃŃ‚ĐœŃ‹ĐŒ ĐżĐžŃĐ°Ń‚Đ”Đ»Đ”ĐŒ ?

Sa traduction :

Le cĂ©lĂšbre Ă©crivain LĂ©on TolstoĂŻ a dĂ©clarĂ© : « Les gens qui reconnaissent la guerre non seulement comme inĂ©vitable, mais aussi utile et donc souhaitable, ces gens sont terribles, terribles dans leur perversitĂ© morale. » Êtes-vous personnellement d’accord avec un Ă©crivain aussi mondialement connu ? »

Je me suis donc longuement (2 minutes 30) interrogĂ© sur la suite Ă  donner Ă  ce type d’injonction philosophico-morale au petit matin, sur un projet que je tiens Ă  conserver dans une certaine forme d’apolitisme, parce que j’essaie de crĂ©er une oeuvre Ă  destination du plus grand nombre (donc en Ă©vitant d’y mĂȘler des problĂ©matiques qui teindraient l’oeuvre de thĂšmes Ă  mon sens trop sĂ©rieux pour ĂȘtre traitĂ©s finement dans ma vision fantaisiste, volontairement dĂ©complexĂ©e). En mĂȘme temps, hier mĂȘme, je m’interrogeais Ă  Ă©crire un petit billet sur la dimension justement politique de mon rĂ©cit. Elle existe, je l’Ă©voque dĂšs le premier volume, car de toute maniĂšre, du moment que vous mettez en scĂšne une sociĂ©tĂ©, imaginaire ou non, vous ne pouvez Ă©viter d’Ă©voquer la dimension politique inhĂ©rente Ă  toute notion de civilisation ou de culture. Il convient de se poser, de s’interroger deux secondes sur le sens du mot « politique ». Dans notre cher pays, qui aiment les mots sans chercher Ă  les comprendre et Ă  vraiment les connaĂźtre, qui adopte un logiciel en limitant la richesse sĂ©mantique au bĂ©nĂ©fice d’une utilisation pragmatique, la signification des mots, leur signifiance profonde, est pour le moins minimale. Parmi les nombreux brouillons qui trainent dans l’arriĂšre cour de ce blog, qui ne seront jamais publiĂ©s pour cause de nihilisme maladif ou simplement parce que je tiens Ă  conserver une certaine neutralitĂ© sur certains sujets, il y en avait un sur l’importance des mots, de la langue française, dans ma vie. Je les aime, ces mots, je les adore. Je leur voue une adoration profonde, ils sont pour moi essentiels Ă  mon bonheur, car ils sont l’Ăąme mouvante de ma pensĂ©e. En apprendre, en connaĂźtre, les articuler, les associer, les interroger, font mon bonheur permanent. Donc, l’Ă©tymologie est une discipline qui est devenue pour moi une clĂ© stratĂ©gique, une lumiĂšre rĂ©vĂ©latrice, qui procure une signifiance profonde. La signifiance est pour moi, par ailleurs, depuis tout jeune, la seule solution que j’ai pu trouver pour lutter efficacement contre un nihilisme envahissant et donc nĂ©gatif. Quand rien n’a de sens, il ne vous reste plus qu’Ă  en donner. Avec le temps, vous comprenez que tout est croyance, que ce monde pourtant bien rĂ©el, bien matĂ©riel, n’existe que par l’interprĂ©tation que vous en faites. Plus votre vocabulaire est dense, plus la signifiance est claire, plus le monde le devient. Il en devient parfois plus horrible, il en devient souvent insoutenable d’absurditĂ©. Et par cette ambivalence qui est peut-ĂȘtre la caractĂ©ristique la plus ontologique des choses, il en devient aussi plus beau, car accessible, descriptible. Les mots dĂ©signent donc ce qui existent dans le dur, mais aussi ce qui est dans l’intangible. Du bonheur puissant de jouer avec idĂ©es.

Le mot « politique » a longtemps Ă©tĂ© pour moi ce qu’il est pour beaucoup de mes contemporains français. Une sorte d’adjectif abscons, dĂ©signant une chose informe faisant rĂ©fĂ©rence Ă  des Ă©vĂ©nements, Ă  des personnes, Ă  des actes, se situant dans une arĂšne fantomatique appelĂ©e au choix dĂ©mocratie, Ă©tat, gouvernement, etc. Puis l’Ă©tymologie est venue Ă  mon secours, comme souvent. Quand vous ĂȘtes autodidacte, quand on ne vous a pas fait profiter d’un hĂ©ritage culturel prĂ©digĂ©rĂ©, prĂ©parĂ© et structurĂ©, vous choisissez des stratĂ©gies d’assimilation un peu barbares mais aussi trĂšs heuristiques. Politique, vient du mot « polis », en grec ancien « la cité ». Simplement, si simplement, la politique traite des choses de la citĂ©. Donc, du moment que vous Ă©voluez dans la dite citĂ©, devenue conceptuellement sociĂ©tĂ© avec le temps, vous faites de la politique. Ce n’est pas une action aristocratique comme on s’ingĂ©nie Ă  nous le faire croire. C’est simplement Ă©voluer dans une sociĂ©tĂ© qui transforme chacune de nos pensĂ©es, chacun de nos actes, en choses politiques. Transgresser ou respecter des lois est fonciĂšrement politique. Exprimer une opinion, un avis, discuter et Ă©changer sur quelque sujet que ce soit, est un acte politique. Dans les faits, rien de plus vulgaire et de plus usuel que la politique : elle est inhĂ©rente Ă  la vie en sociĂ©tĂ©, Ă  la compagnie des individus qui forment un groupe.

Mon projet artistique, est donc en soi une oeuvre politique ; mais que je maintiens, volontairement, dans une intention inoffensive. Je ne crĂ©e par une mĂ©taphore d’une situation existante, mĂȘme si je dĂ©peins ce qui caractĂ©rise les relations humaines, soit la difficultĂ© Ă  Ă©tablir un vĂ©ritable rapport d’Ă©galitĂ© dans des structurations sociales oĂč inĂ©vitablement l’Ă©gocentrisme et l’individualitĂ© viennent perturber l’harmonie de la vie en commun. Donc ce commentaire m’a demandĂ© un temps de rĂ©flexion pour savoir que faire, pour choisir la mĂ©thode d’y rĂ©pondre. Mon caractĂšre entier et bien malgrĂ© moi courageux, ne m’enjoint pas Ă  choisir le silence facile, le silence lĂąche, le silence pratique, quand on m’interpelle. Mon intelligence me rappelle que cĂ©der Ă  la provocation ou agir comme on l’attend de moi serait lui manquer de respect. Donc j’ai dĂ©cidĂ© de rĂ©pondre ainsi, de rĂ©pondre ici, mĂȘme si je doute que mon interlocuteur, Ă  moins qu’il soit sagace et qu’il se passionne assez pour moi pour s’intĂ©resser Ă  ma double vie (comme ce blog, au grand jour) prenne connaissance de mes propos.

Oui. Je suis totalement d’accord avec TolstoĂŻ. Mais j’y mettrais un petit bĂ©mol, malgrĂ© tout. La guerre est une chose horrible, abominable, c’est la faillite totale de l’humanitĂ© rĂ©duite Ă  la simple expression d’une violence intolĂ©rable. Ce n’est pas l’adjectif « inĂ©vitable » qui me fait admettre les propos de TolstoĂŻ, c’est qu’il y adjoint les adjectifs « utile » et « souhaitable ». Oui, une personne qui donc estime que la guerre est Ă  la fois inĂ©vitable, utile et souhaitable est plus que mon ennemie, elle est la nĂ©gation de l’humanitĂ© la plus Ă©lĂ©mentaire. Un individu qui justifie la guerre par une dimension utilitaire, qui y trouve un intĂ©rĂȘt (« souhaitable »), est Ă  mon sens une abomination tant morale qu’intellectuelle.

AprĂšs, il y a malheureusement des guerres « inĂ©vitables ». Ce sont les plus tragiques, les plus dĂ©plorables, les plus dĂ©courageantes. Car elles supposent, en amont, que tout a Ă©tĂ© fait pour ne plus donner le choix Ă  des ĂȘtres de justice et de paix que de prendre les armes pour dĂ©fendre ce en quoi ils placent ce qu’il y a de plus sacrĂ©. Je hais la guerre, mais je la ferai pour dĂ©fendre les idĂ©es qui m’animent et les idĂ©aux auxquels je crois. L’histoire et ceux qui en obtiendront le bĂ©nĂ©fice, aprĂšs, la trouveront peut-ĂȘtre, Ă  fortiori, utile et souhaitable. La rĂ©volution française aura Ă©tĂ© un bain de sang, un chaos terrible, un charnier et une folie sur lesquels Ă©cloront les plus belles fleurs idĂ©ologiques qui sont la fiertĂ© de notre pays. Le drame, c’est devoir Ă  semer autant de haine et de souffrance pour en arriver lĂ . Ne pas le dĂ©plorer, ne pas le regretter, ne pas nourrir un cynisme amer en constatant que de l’horreur naĂźt la conscience de la beautĂ©, de la bontĂ©, de la rĂ©elle importance des choses, dĂ©note une certaine bĂȘtise existentielle. A moins qu’on ait pour nature de faire le mal, comment aspirer Ă  la mort et la souffrance, comment les justifier comme destin commun ?

Je n’Ă©luderai pas l’aspect fallacieux de la question par rapport au conflit ukrainien. Comme toujours, dans ce monde tristement binaire et manichĂ©en, il faut choisir son camp. Qu’importe si tout est toujours plus complexe, si tout se nourrit d’une suite d’Ă©vĂ©nements qui tracent la route oĂč finissent ceux qui dĂ©battent pour s’arroger la couronne du bien et de la justice. Pour ou contre. Alors je le dis clairement, ami russe ou du moins slave, je suis contre cette guerre. Mais je ne suis pas contre toi. Je ne suis pas contre mon frĂšre, qu’il soit russe, ukrainien, du Yemen ou de la Palestine, qu’il soit arabe, juif, asiatique, noir, bleu ou vert. Je rappelais hier Ă  mon propre fils que je considĂšre le concept de race pour l’espĂšce humaine comme une stupiditĂ©, comme un concept purement dĂ©bile, pour signifier un ostracisme vulgaire et minable que jamais, jamais, je n’Ă©prouverai ni ne partagerai.

Je pense que certaine guerre sont inĂ©vitables. Je pense que la rĂ©sistance, mot que j’adore car il signifie le courage et la dĂ©termination de s’opposer, est un devoir. Je suis contre la violence, je suis contre l’injustice, je suis contre tout ce qui est mauvais et nĂ©gatif. Mais il faut parfois se battre, il faut parfois faire face, faire front. Le conflit en Ukraine est dĂ©guisĂ©, comme toujours, derriĂšre des discours, des narrations, qui camouflent les enjeux gĂ©ostratĂ©giques, Ă©conomiques et politiques. Nous sommes renvoyĂ©s, petites fourmis que nous sommes, Ă  nous dĂ©chirer entre nous, Ă  nous pĂąmer de grandeur et de lyrisme, ou Ă  vocifĂ©rer d’ironie en Ă©coutant le chant hystĂ©rique des propagandes.

J’espĂšre que le conflit en Ukraine se terminera trĂšs rapidement. Que les peuples ne seront pas instrumentalisĂ©s pour servir les intĂ©rĂȘts politiques et Ă©conomiques qui ne visent pas leur bonheur mais leur exploitation. TolstoĂŻ dĂ©nonçait l’hypocrisie, le pragmatisme cynique de ceux qui dĂ©jĂ  dans les tranchĂ©es de la premiĂšre guerre mondiale ont trouvĂ© un intĂ©rĂȘt dans le commerce de l’armement. Le drame, c’est la rapacitĂ© humaine, c’est l’envie de domination qui caractĂ©rise notre espĂšce et qui nous entraĂźne rĂ©guliĂšrement dans des moments de folie. Ce n’est mĂȘme de la perversitĂ© morale, c’est de l’amoralitĂ©. On ne peut pas ĂȘtre pervers moralement, Ă  moins de situer la moralitĂ© comme une chose protĂ©iforme, convenant aux moeurs et aux intĂ©rĂȘts d’un contexte prĂ©cis. Pour moi, le bien est le Bien, le mal est le Mal, et la VĂ©ritĂ© n’a qu’une majuscule ou n’existe pas. La moralitĂ©, c’est arbitrer constamment pour la rĂ©alitĂ© du bien, qui lui mĂȘme s’appuie sur la notion de justice. Comme je l’expliquais Ă  mes enfants, quand ils Ă©taient petits, il est facile de rĂ©pondre Ă  la question du bien et du mal ; du moment que votre acte entraĂźne, d’une maniĂšre ou d’une autre, de la souffrance et de l’injustice, alors c’est mal. Vous pouvez vivre avec, vous pouvez vous mentir Ă  vous mĂȘme, vous pouvez dĂ©guiser la chose ou trouver toutes les justifications possibles, faire le mal c’est nuire Ă  autrui, tout simplement. La vie n’est pas simple, et parfois il faut consciemment agir mal… c’est regrettable, c’est un Ă©chec moral. L’important Ă©tant de ne pas trouver ça normal ni, pour reprendre le terme de TolstoĂŻ, « souhaitable ». AprĂšs, peut-ĂȘtre que l’Ă©crivain russe croyait en une forme de croyance chez ceux qu’ils dĂ©nonçaient, leur prĂȘtant une intĂ©gritĂ©, une conscience (et donc une inconscience), les poussant et les motivant Ă  perpĂ©trer l’horreur d’une guerre… je ne crois pas en cette forme de candeur, je n’excuserai jamais ceux qui appuient sur le bouton en disant que c’est bien. Je suis de ceux qui sont rĂ©voltĂ©s, qui le seront toujours, en me rappelant les morts Ă  Hiroshima et Nagasaki. Encore de nos jours, dans les livres d’histoires, dans l’esprit des gens, cet odieux crime contre l’humanitĂ© n’est pas dĂ©noncĂ©, n’est pas stigmatisĂ© pour ce qu’il est. Pour le coup, c’Ă©tait pourtant Ă©vitable, souhaitable et parfaitement utile de ne pas tuer de la maniĂšre la plus horrible, la plus cruelle, la plus terrifiante, de pauvres civils innocents. Et il m’est impossible de considĂ©rer que cette funeste dĂ©cision ait pu donner lieu Ă  la moindre interrogation morale car en vĂ©ritĂ©, si cela avait Ă©tĂ© le cas, elle n’aurait pas Ă©tĂ© prise.

VoilĂ , mon frĂšre russe ce que je pense. Je pense aussi Ă  mon frĂšre ukrainien contre lequel tu vas peut-ĂȘtre devoir t’opposer. Je ne vous souhaite que la paix et la concorde. J’espĂšre que vous retrouverez la voie de la fraternitĂ©, au-delĂ  des questions de races, des questions de nation, des questions de religions, de toutes ces croyances qui nous divisent et nous font gaspiller nos vies prĂ©cieuses dans des conflits vides de sens. J’espĂšre que l’humanitĂ© ira Ă  terme vers une voie de justice et de sagesse, je le souhaite et l’ai toujours souhaitĂ© ardemment. De ma vie entiĂšre, malgrĂ© la colĂšre qui souvent m’a animĂ©, je n’ai jamais haĂŻ personne, c’est une Ă©motion que je ne comprends pas car elle m’imposerait quelque chose dont je n’ai jamais voulu, mĂȘme dans les pires moments de ma vie. Je ressens de la misĂ©ricorde et de la peine pour tous ceux qui seront victimes de ces conflits, pas seulement en Ukraine, mais dans tous les territoires du monde.

Le refuge de la culture

Ce matin, rĂ©veil confus et grand vent. Pour ma nature un brin hyperactive, c’est Ă©tonnant l’hĂ©bĂ©tement, ça me plonge toujours dans une longue introspection afin de comprendre les raisons de la torpeur. J’allume la tĂ©lĂ©, rĂ©flexe d’habitus se rappelant d’un temps oĂč ma mĂšre allumait dĂšs le rĂ©veil la radio. Je n’ai jamais vĂ©cu dans le silence en Ă©tat de veille, il y a toujours eu du bruit, en fond, pour chasser du vide par la prĂ©sence du son. Je tombe sur les recommandations de vidĂ©o de Youtube, qui a beaucoup de mal Ă  me profiler quelque chose de viable car Ă  vrai dire je regarde beaucoup de chaĂźnes sans vraiment adhĂ©rer Ă  quoi que ce soit. Dans le tas, je dĂ©couvre la derniĂšre crĂ©ation de PlanĂšte Raw, qui Ă©voque la dĂ©couverte d’une ville disparue aux alentours de JĂ©rusalem remontant Ă  – 10 000 ans avant JC. J’aime bien l’auteur de cette chaĂźne, car je me sens trĂšs proche de lui par rapport Ă  la doxa sur l’archĂ©ologie. Si je reconnais humblement l’autoritĂ© des chercheurs de la discipline, je connais assez bien la nature humaine et la tentation du dogmatisme pour me mĂ©fier, un peu, des certitudes. Une attitude exigeante pour soi-mĂȘme, car rĂ©cuser les certitudes des experts c’est aussi admettre sa propre disqualification en tant qu’amateur. Un avis ou une opinion sont choses personnelles, mais c’est aussi la clĂŽture du royaume de l’individualitĂ©. En ces temps oĂč s’imposent constamment des vĂ©ritĂ©s temporaires mais indiscutables avec la menace du couperet ignominieux de la dissidence (j’aime faire des phrases pompeuses et « soutenues » comme le disent mes enfants le dimanche matin au rĂ©veil), cette rĂ©flexion me frappe. Mais je me rassure aussitĂŽt, me rappelant la fonction purement et illogiquement personnelle de ce blog qui reste et demeure un journal intime Ă  ciel ouvert. Des fois je me dis que certains peuvent tomber dessus et lire mes divagations. Il apparaĂźt sur mon CV, cet Ă©tat civil officiel qui rappelle le parcours glorieux du travailleur combattant dans la grande scĂšne du libĂ©ralisme triomphant. C’est amusant comme mĂȘme la valeur d’autrui peut se limiter Ă  une Ă©nonciation de faits, comme s’il Ă©tait possible de discerner le caractĂšre et les compĂ©tences d’une personne (mot toujours aussi ironique en soi) sur un inventaire chronologique. Je me rappelle, il y a quelques annĂ©es, cet Ă©change improbable avec un recruteur qui s’amusait de voir que dans mes loisirs j’avais osĂ© mettre « littĂ©rature et cinĂ©ma ». Il se gausse, ricane, et me dĂ©clare que tout le monde met ça, induisant au passage que c’est du bluff (et que ça dĂ©note de ma part une sorte de vide, car pour n’avoir pas spĂ©cifiĂ© le bondage ou la collection de petites voitures, je dois ĂȘtre bien fade au quotidien). Je l’assure de ma prĂ©tention et lui permet de tester ma (petite) culture dans les deux domaines, gentil dĂ©fi qu’il n’acceptera pas. Peut-ĂȘtre, me dis-je, avec ce blog au style si peu « web » et Ă  la volontĂ© si peu « commerciale », trouverais-je en un juge sagace la preuve qui me libĂ©rera de la sempiternelle justification, passage obligĂ© de cette sociĂ©tĂ© oĂč le mensonge est devenu une norme, le pouvoir en Ă©tant la relative force de persuasion et d’acceptation. On ne dispute pas les mensonges des Ă©lites, on se dit qu’ils ont leurs raisons et qu’aprĂšs tout, c’est pour notre bien. Oui, du dĂ©ni et de l’obĂ©issance comme nouvelle philosophie c’est pas mal aussi.

Retombant sur mes pattes comme le chat de ma fille squattant mon canapĂ© comme chaque matin, je reviens donc au sujet de ce billet, la culture comme refuge. AprĂšs PlanĂšte Raw, je zappe rapidement entre rĂ©volte ou soumission au Passe Vaccinale, les petites Ă©volutions de la campagne prĂ©sidentielle, une petite vidĂ©o qui m’explique comment me face lifter avec du maquillage (Google, tu es sĂ»r que tu as vu ça dans mes recherches ? OĂč alors dans ton algo tu as mis mon Ăąge avec dans l’Ă©quation l’angoisse du passage du temps et les lents ravages de la gravitĂ© ?), du cinĂ©ma, de la musique, du jeu vidĂ©o, et un truc qui m’Ă©tonne un peu (parfois on se demande si Google n’espionne pas un peu avec le micro mdr), les « petits secrets du miel industriel ». Puis je me rappelle qu’il y a quelques jours j’ai fait une recherche pour comprendre pourquoi mon miel avait commencĂ© Ă  se durcir, phĂ©nomĂšne attestant, apparemment, de sa qualitĂ© d’Ă©lĂ©ment « vivant ». Bon, c’est de bonne guerre Google, je ne t’en veux pas de regarder un peu au-dessus de mon Ă©paule, n’oublions pas la « gratuité » de tes services si prĂ©cieux. En bref, je m’use Ă  muser sans m’amuser, et je me retrouve, pantelant, encore hagard (aprĂšs l’hĂ©bĂ©tude la confusion), Ă  me demander en quoi me plonger en ce dimanche matin de perdition morale et intellectuelle (il faut toujours mettre un peu de lyrisme dans sa vie). Je vois mon providentiel Chromebook (tu vois Google que je t’aime) et je le dĂ©ploie comme les ailes d’un ange gardien Ă©lectronique (adjectif qui se kitschise Ă  grande vitesse donc je l’aime bien du coup) pour me sauver (un peu). Et je tombe sur une recherche faite il y a quelques jours, pour mon travail de crĂ©atif/artiste que je n’aborderai jamais ici (la schizophrĂ©nie professionnelle obĂ©it Ă  quelques rĂšgles bien strictes), concernant un poĂšte que mon grand-pĂšre maternel citait souvent avec l’emphase Ă©lĂ©gante et savoureuse qu’il aimait adopter quand il citait des vers ou une citation bien amenĂ©e. josĂ©-Maria de HEREDIA. Il y a presque 30 ans (mon Ăąge ou presque, Ă  quelques mois prĂšs), je me suis donnĂ© un petit but, une petite routine, que j’ai respectĂ© peu ou prou : chaque jour, assimiler une nouvelle information. N’y voyez pas une pulsion Ă  l’ambition dĂ©mesurĂ©e, pour moi ça pouvait se limiter Ă  un simple mot jusqu’Ă  l’apprentissage complexe d’une alchimie culinaire (ou recette de cuisine pour faire, un tantinet, dans la simplicitĂ©). Avec le temps, l’air de rien, cette petite dĂ©cision a quand mĂȘme eu des consĂ©quences surprenantes. Par exemple, celle de dĂ©couvrir ce poĂšte d’origine cubaine, que par manque de curiositĂ©, j’avais classĂ© dans un obscur placard de rĂ©fĂ©rences biaisĂ©es. Pour moi, c’Ă©tait un poĂšte espagnol, du 16Ăšme siĂšcle (mon grand-pĂšre citait toujours des vers des « Conquistadors », ce qui automatiquement, par dĂ©duction gĂ©niale, me l’avait rendu contemporain de Christophe Colomb et la dĂ©couverte des AmĂ©riques – tiens, je vais m’Ă©couter rapido Joe Dassin aprĂšs ce billet, ça me fera une madeleine de quelques minutes), et vu que j’aime Victor Hugo qui sera dĂ©finitivement le poĂšte classique dont l’adoration dĂ©classe immĂ©diatement tous les autres dans la colonne des amateurs, je n’avais jamais pris le temps de me pencher davantage sur la question. Mais pour le boulot, donc, j’ai fait une recherche, et j’ai eu la terrible surprise de tomber sur un autre poĂšme dont la beautĂ© m’a quelque peu interrogĂ©. Ce ne fut pas une interrogation violente et si brutale qu’elle vous entraĂźne dans une exaltation subite. Comme souvent chez moi, ce fut une lente sĂ©dimentation, un peu comme une graine plantĂ©e qui pousse dans un coin obscure de la psychĂ©, se transformant en tronc d’arbre que vous prenez en pleine poire un dimanche matin en vous demandant comment ce truc a pu pousser si vite. Je me rends donc sur WikipĂ©dia qui, quoi qu’en disent les contempteurs faciles, reste une source d’informations vitale et prĂ©cieuse dans cette vaste toile de copypaste fallacieux (je crains plus les copypasta que les creepypasta… ok, j’arrĂȘte l’humour ce matin, promis !), et je dĂ©couvre un homme au parcours Ă©trange et bien loin du portrait que j’avais hardiment crĂ©Ă©. J’ai ouvert la porte de la culture, pas celle qui fait raidir le petit doigt en prenant le thĂ©, celle qui vous dĂ©montre toute la richesse d’un monde qui vibre d’individus, d’anonymes, source de joie et de beautĂ©. En ces temps tristes et moroses aux constants refrains d’idĂ©ologie libĂ©rale sur le dĂ©clin, la culture demeure l’oasis Ă©ternel oĂč retrouver un peu de foi, d’inspiration, de joie et de plaisir. Etant passionnĂ© par l’information, plus par nature que par choix, je sais la diffĂ©rence entre une donnĂ©e et une pensĂ©e. Il n’est rien de plus agrĂ©able que de lire un poĂšme, un dimanche matin, de se laisser emporter quelques secondes dorĂ©es dans le verbe d’un homme qui a vĂ©cu et laissĂ© ces quelques mots comme autant de pĂ©pites Ă©ternelles, dans la vaste Ă©tendue du dĂ©vorant et toujours grandissant oubli.

Du refuge de la culture. Et de l’Ă©criture, ça fait du bien.

Les sermons de minuit sur Netflix

Quand je suis sur une plateforme de SVOD je suis tour Ă  tour perplexe, confus, puis dĂ©couragĂ©. Pourquoi ? Car la visualisation, par vignettes, des « produits » culturels, ne me procure que de l’image lĂ  oĂč j’attends du sens, du conseil, du rĂ©sumĂ©, en bref, de quoi savoir ce dans quoi je m’apprĂȘte Ă  me lancer. Je surfais donc nonchalamment ces jours derniers, quand je vis ce titre Ă  la vignette peu inspirante. En cliquant un instant je vis quelques noms magiques ; d’abord celui de Mike Flanagan, puis celui de Stephen King. J’ai un grand regret en ce dĂ©but d’annĂ©e, de ne pas avoir vu Doctor Sleep que beaucoup de critiques ont fini par consensus Ă  saluer, juste parce que j’ai encore commis l’erreur de me faire attiĂ©dir par une impression partisane avant la sortie du film (du genre « aprĂšs Kubrick, c’est mort ») et parce que j’ai le rĂ©flexe, depuis l’adolescence, de me dĂ©fier de tout ce qui est trop populaire/populiste… deux attitudes qui ont retardĂ© souvent ma dĂ©couverte de purs chef-d’oeuvres, bien que durant trĂšs longtemps, les prĂ©conisations de la revue Madmovies furent une boussole solide. Je trouve Ă  prĂ©sent, et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, dans la presse mais aussi sur le web, que la subjectivitĂ© prend trop de place – mĂȘme si le fait d’apprĂ©cier une oeuvre doit compter, la reconnaissance de ses valeurs intrinsĂšques comptent Ă©galement ; un bon critique ne doit pas dire s’il a aimĂ© un film, mais s’il est possible que le rĂ©cepteur de son avis puisse l’aimer, en Ă©numĂ©rant les qualitĂ©s visibles, les thĂ©matiques, les originalitĂ©s, etc. Me vient l’exemple de la critique rĂ©cente d’un film qui ne l’est pas, par ce cher Simon, Jupiter ascending, sur Youtube. J’ai commencĂ© Ă  Ă©crire un commentaire argumentant mon propre point de vue, et finalement je ne l’ai pas publiĂ© (pourtant il faisait trois pages, comme tous mes commentaires par ailleurs – que voulez-vous, j’aime Ă©crire, j’aurais beau le rĂ©pĂ©ter il y en aura toujours qui ignoreront cette logorrhĂ©e fulgurante qui me caractĂ©rise Ă  la vie comme Ă  la scĂšne). La raison Ă©tant qu’au moment de valider l’envoi de mon opinion (toujours) Ă©clairĂ©e (par une supernova, au moins), je me suis dit que ce ne serait pas une bonne idĂ©e, finalement, d’intervenir dans une exercice de cĂ©lĂ©bration que je trouve un peu pervers (que je qualifierai avec un brin de facĂ©tie de rĂ©habilitation par excĂšs de ferveur personnelle). J’ai une philosophie (parmi une plĂ©thore), qui est de ne jamais gĂącher le plaisir d’autrui ; si je n’aime pas quelque chose, si je suis d’avis contraire, tant qu’il n’y a pas un discours politique ou idĂ©ologique, mon rĂ©flexe est de fermer ma grande gueule et ne pas parasiter le bonheur des autres. Ce n’est mĂȘme pas de la tolĂ©rance, quel vilain mot, c’est juste qu’un tout petit pas vers la sagesse Ă©lĂ©mentaire que d’avoir conscience que notre individualitĂ© n’est pas une rĂ©fĂ©rence… enfin, je ne me perdrais pas encore dans les ramifications de mes digressions, il suffit de voir un chef d’oeuvre comme le GoĂ»t des autres de Jaoui/Bacri pour s’Ă©duquer un peu sur la question.

Mais, et c’est le lien avec ma digression, je n’ai rien vu passer sur les Sermonts de minuit. Rien dans le Mad Movies du mois dernier, rien sur Youtube, alors que pour les deux sĂ©ries Haunting y avait quand mĂȘme pas mal de monde pour commenter, encourager, plĂ©bisciter ou contester. Mais lĂ , rien, plein feux sur Matrix 4, plein feux sur Spiderman, mais que dalle sur la nouvelle production/rĂ©alisation de Mike Flanagan. Un peu surpris, beaucoup curieux, j’ai lancĂ© la mini-sĂ©rie, et lĂ  un petit bijou, encore (j’ai adorĂ© les deux saisons de the Haunting), avec une intrigue trĂšs « kingienne » (petite bourgade ricaine, suite de petits portraits typiques, plein d’anti-hĂ©ros masculins, des femmes fortes (oui, King n’a pas attendu le nĂ©o fĂ©minisme pour faire de magnifiques hĂ©roĂŻnes), des figures religieuses), en bref, c’est plein d’humanitĂ©, d’Ă©motions, magnifiquement mises en images par Flanagan, bien jouĂ© par des acteurs parfaits (syndrĂŽme American Horror Story, avec le retour de certains acteurs de the Haunting (1 & 2)… en bref je me rĂ©gale et je me bingwatch le tout (en trichant pour fĂȘter le 31 et dormir un peu mais j’ai fini ce matin au rĂ©veil) et lĂ  ce qui me frappe, c’est la raison pour laquelle il y a cet Ă©trange silence autour de la sĂ©rie. L’analogie avec ce qui passe avec le/la covid, le vaccin, le passe sanitaire… quand on voit que l’intrigue, finalement, nous parle d’une croyance dĂ©tournĂ©e pour imposer Ă  une communautĂ© des certitudes qui finissent par la dĂ©truire… je me doute que ça devient politique sans le vouloir !

Pourtant, il faut regarder la sĂ©rie en se libĂ©rant de tout ce climat anxiogĂšne. Il est question de foi, il y a une trĂšs intelligente rĂ©flexion sur les religions et notamment un passage oĂč le shĂ©rif de confession islamiste, fait la promotion de sa foi sans nier celle des autres ! Ce qui me rappelle mes Ă©changes avec des amis musulmans, il y a quelques annĂ©es, quand je leur avais demandĂ© pourquoi ils Ă©taient devenus musulmans (l’un Ă©tait arabe, ingĂ©nieur, l’autre d’origine française, converti) ; le premier m’avait rĂ©pondu que comme pour un programme (il Ă©tait ingĂ©nieur en informatique) il avait choisi la version la plus rĂ©cente (!) et l’autre m’avait confiĂ©, de maniĂšre Ă©nigmatique et stimulante qu’il y avait des vĂ©ritĂ©s cachĂ©es (codĂ©es) dans le Coran. Etant profondĂ©ment laĂŻc, je suis paradoxalement pour la totale libertĂ© religieuse. Il faut crĂ©er au sein de nos espaces publics ces dialogues autour des croyances, sans les imposer, sans en faire la promotion. MĂȘme quelqu’un de profondĂ©ment athĂ©e ne doit pas imposer sa certitude et finalement un certain fanatisme (comme si ne croire en rien Ă©tait une preuve d’intelligence). La sĂ©rie prĂ©sente ces thĂ©matiques de maniĂšre humaniste et brillante, car si au prime abord on pourrait interprĂ©ter le rĂ©cit et sa rĂ©solution comme une charge contre la foi, elle est surtout la dĂ©nonciation des certitudes par la religion.

J’ai Ă©tĂ© personnellement trĂšs touchĂ© par la conclusion de la mini sĂ©rie en sept Ă©pisodes, que j’ai trouvĂ© belle, trĂšs rĂ©ussie, poĂ©tique, symbolique, puissante. Ma rĂ©flexion, profĂ©rĂ©e Ă  voix haute (oui, je suis fou comme disait ma dĂ©funte maman, je parle souvent tout seul) c’est que j’adore les tĂ©nĂšbres mais jamais je ne pourrais me passer de la lumiĂšre du jour. Tous ces personnages, Ă  la fin, qui se tournent vers le soleil, comme prĂ©sence divine symbolique, procurent Ă  l’histoire une dimension mythologique. La thĂ©matique de la lumiĂšre, sa perception, est par ailleurs poĂ©tiquement illustrĂ©e et finement traitĂ©e.

Bon, bonne annĂ©e 2022 (j’ai failli oubliĂ©, mais parler de soleil vient de me rappeler que tout ça clĂŽt une pleine rĂ©volution autour de son auguste personne) et n’hĂ©sitez pas Ă  voir cette sĂ©rie, elle est juste stimulante, un nouveau coup de maĂźtre de la part de Mike Flanagan qui rĂ©ussit vraiment Ă  saisir l’essence des oeuvres du grand King.

Le syndrome de la Tour de Babel

Je me suis rĂ©abonnĂ© Ă  Netflix. AprĂšs, j’ai Ă©tĂ© un des premiers abonnĂ©s. J’ai tout de mĂȘme 4 chromecast Ă  la maison, dont 3 maintenant qui sont stockĂ©s dans la rĂ©serve du matos informatique que je me suis constituĂ© depuis 20 ans. Mais je suis passĂ© il y a un peu plus de deux ans Ă  ce petit bijou de Nvidia Shield qui me sert de caster Ă  tout faire (Netflix, Prime, Youtube, Steam, etc.).
Bref, je me suis rĂ©abonnĂ© Ă  Netflix. J’ai des petits coups de nerf parfois, je suis de ceux qui prennent des mesures radicales et un peu brutales quand ça me gonfle. LĂ  c’Ă©tait un film inepte (mais alors Ă  un point), oĂč on voyait un jeune couple emmĂ©nager dans une maison pour rĂ©gler des petits problĂšmes d’adultĂšres (sic) provoquĂ©s par des petits comportements dysfontionnels (sic) eux-mĂȘmes causĂ©s par des petits comportements moralement odieux (sic) faisant l’Ă©cho Ă  tous les problĂšmes de l’humanitĂ© car dans la dite maison la mĂȘme histoire avait presque dĂ©jĂ  eu lieu (sic sic sic). Ecrit comme une suite de clichĂ©s et d’archĂ©types confinant presque Ă  la blague lourde (perso j’aurai appelĂ© le film « la valse des Ă©gocentriques »), le coup de grĂące d’Aftermath (c’est le titre du truc : « ConsĂ©quence » en français, donc… oui, il y a un peu de philosophie de comptoir lĂ , aprĂšs c’est juste du fait divers sensationnaliste, ne rĂȘvez pas) rĂ©sidait dans sa conclusion qui se permettait, l’air de rien, une petite dĂ©claration politique bien vacharde. Encore en bref, il y avait cette duretĂ© pragmatique qu’on bouffe actuellement de partout de la part de tous ces gens qui savent comment rĂ©gler les problĂšmes (notamment avec les « intrus » qui violent notre territoire). Qui savent comment traiter tous ceux qui nous empĂȘchent de vivre notre petit bonheur matĂ©rialiste avec leurs drames Ă  la con et leurs pathĂ©tiques destins d’inadaptĂ©s sociaux. LĂ , j’ai senti que les auteurs et Netflix me disaient sans prendre de gants que je n’Ă©tais plus la cible. Trop vieux, trop idĂ©aliste, trop humaniste peut-ĂȘtre… ou alors plus jeune, pas assez cynique, pas assez dur peut-ĂȘtre. J’ai trouvĂ© les « hĂ©ros » odieux (mais c’est quoi ces gens qui pensent rĂ©gler des histoires de trahisons en s’achetant une baraque ?!), invraisemblables (« l’hĂ©roĂŻne » immensĂ©ment talentueuse avec son atelier mode) et vertigineusement creux (Ă  la fin on vend la baraque, comme ça plus de nĂ©vroses et de soucis). Un film poubelle, un film miroir d’un certain Ă©tat d’esprit, avec un discours Ă  la fois antisociale et anxiogĂšne… qui m’a motivĂ© Ă  me dĂ©sabonner comme une grosse goutte d’eau splotchant dans un vase dĂ©jĂ  trop plein.

Puis, j’ai vu passer les critiques cinĂ© de « Don’t look up » un peu partout. Des bonnes, des qui te poussent Ă  remettre en question tes grands serments, qui te font philosopher sur l’extrĂ©misme du mot « jamais », qui te chuchotent Ă  l’oreille que y a que les cons qui changent pas d’avis… et mĂȘme si tu sais que es perdu pour la cause car tu n’as plus d’illusions sur toi-mĂȘme, petite chose humaine perdue parmi une plĂ©thore d’autres petites choses humaines, tu finis le dimanche soir Ă  repartir pour un tour, histoire de voir un film au prix d’une place de cinĂ© (puis ils m’ont tous saoulĂ© avec Squid Game, et aprĂšs deux ans d’attentes j’ai vu qu’il y avait de nouveaux Ă©pisodes de Jojo’s). Et j’ai vu le film. Et avant de me mettre au boulot (je piaffe d’impatience aprĂšs tous ces mois de labeur incessant), ce matin je me lĂšve et j’Ă©coute la critique sur la chaĂźne Youtube de France Culture. Et donc ça me motive Ă  balancer Ă  la volĂ©e ma propre impression.

J’ai un cerveau Ă©trange, une sorte d’organisme indĂ©pendant qui vit sa propre vie. Donc, je regardais la critique (avec le son, hein, ne commencez pas Ă  dire que je faisais preuve d’inattention), quand une petite musique a commencĂ© Ă  rĂ©sonner (j’adore toujours l’homonymie avec « raisonner ») dans mon crĂąne, devenant un petit peu entĂȘtante alors que j’entamais mon deuxiĂšme cafĂ©. M’attardant un instant Ă  identifier la mĂ©lodie trublionne, je me rendis compte, effarĂ© (j’ai envie de sortir plein de termes dĂ©calĂ©s ce matin, c’est mon cotĂ© facĂ©tieux qui se dĂ©chaĂźne), qu’il s’agissait de « Land of Confusion » de Genesis.

Petite madeleine de Proust surprise : on est en 1986, et je vais m’acheter le 33 tours du dernier album de Genesis, « Invisible Touch ». J’aime tellement cet album que je n’hĂ©siterai pas Ă  l’offrir, quelques mois plus tard, Ă  un copain pour son anniversaire. Un petit bijou, il m’arrive encore d’Ă©couter souvent le morceau « In too deep » que je viens par ailleurs de remettre en fond sonore avant d’achever cette phrase . Mais ce matin, c’Ă©tait le morceau prĂ©cĂ©demment citĂ© qui m’Ă©tait venu en « commentaire », « Land of confusion ».

A ce moment prĂ©cis de ce billet intempestif, je suis Ă  la croisĂ©e des intentions et des sensations. Je regarde l’heure et je me dis qu’il serait peut-ĂȘtre temps de m’y mettre (au boulot), enfin si je veux accomplir la tĂąche de la journĂ©e (baptisĂ©e pragmatiquement « faire le fond des cases »). Je me dis que j’ai dĂ©jĂ  Ă©crit beaucoup, ce qui n’est pas un souci en soi, mais qui ne mĂšne Ă  rien dans cette idĂ©e d’un lectorat souffrant d’un dĂ©ficit permanent d’attention et donc d’intĂ©rĂȘt (φ(k) = At), et que finalement la pirouette stylistique et critique pourrait s’accomplir, non sans brio, en explicitant le titre de ce billet et en expliquant la rĂ©fĂ©rence musicale. Dont acte, je vous ai dĂ©jĂ  donnĂ© tous les gages de mon gĂ©nie et la profondeur de mes rĂ©fĂ©rences culturelles. Comme je l’explique rĂ©guliĂšrement Ă  ma fille, elle-mĂȘme dans la « com’ », « interroges-toi toujours sur l’intention ! » – et vous, esthĂšte de la forme, contemplez cette savante utilisation des guillemets français et anglais dans une mĂȘme phrase).

Dont acte : Don’t look up est dans la lignĂ©e du titre de Genesis (paroles + clip : souvenir de l’Ă©mission Spitting Images qui Ă©taient la version enragĂ©e des Guignols de l’info outre atlantique) la dĂ©monstration du syndrome de la Tour de Babel. OĂč quand une volontĂ© supĂ©rieure s’ingĂ©nie Ă  semer la division par l’entremise de la confusion et de la dissonance, qui s’incarnent dans le chaos politique et sociĂ©tale (que seule la parodie, la caricature, peut synthĂ©tiser dans une oeuvre de fiction). Ne plus parler la mĂȘme langue, c’est ne plus se comprendre, c’est aussi ne plus s’Ă©couter. C’est l’Ă©chec de la synergie sociale, sociĂ©tale, qui signe le dĂ©but de la fin. Sur France Culture ils ont bien tournĂ© dans le bocal mais il manquait, Ă  mon sens, cette petite prĂ©cision qui rĂ©sume tout. Le film ne parle pas tant de fin du monde, n’est pas tant la caricature ou la parodie de notre sociĂ©tĂ© ultra mĂ©diatique et corrompue (j’ai un article plus sĂ©rieux en brouillon que j’ai intitulĂ© « la guerre des alĂ©theia » qui sortira peut-ĂȘtre un jour – oui, je sais, vous avez hĂąte), que le constat dĂ©senchantĂ© de cette impossibilitĂ©, de plus en plus nette, d’une concorde. Dans le rĂ©cit biblique, la construction de la tour est interrompue, empĂȘchant l’homme d’Ă©galer Dieu. Et Dieu symbolisant l’Ă©ternitĂ©, il n’y a plus que la mort Ă  la fin du rĂ©cit, celle qui emporte tout.

Conclusion vertigineuse, dramatique et un poil Ă©mouvante qui va clore ce billet sur une note heureuse et optimiste.

Et Joyeux Noël (au sens païen ou non, restons insolemment laïc) au passage (mdr).

Note : la chronique de France Culture et le clip de Genesis – oui, citons les sources (et ça fait des illustration habillant de maniĂšre ludique et colorĂ©e ces grandes pages blanches remplis de verbiage).

Don’t look up – Teaser in french by Netflix
La chronique de France Culture
Land of confusion

En passant…

TrĂšs longtemps que je ne suis pas venu ici pour poster un article, mais le boulot m’accapare, mon grand projet qui prend forme petit Ă  petit en me demandant toute mon Ă©nergie et tous mes efforts. Mais au vu des Ă©vĂ©nements, il faut Ă©crire pour tĂ©moigner. MĂȘme si ce blog n’est que mon journal intime Ă  ciel ouvert, en rĂ©sumĂ© juste un espace personnel pour dĂ©fouler, un peu, ma passion pour l’Ă©criture, c’est important Ă  l’heure actuelle de signifier sa position par rapport Ă  l’orientation d’un monde qui part dans une trĂšs mauvaise direction.

J’adore les mots, j’adore le langage, je suis philologue au sens Ă©tymologique du terme. TrĂšs jeune, on a remarquĂ© cette facilitĂ© que certains qualifient de don et qui n’est Ă  mon sens qu’une expression d’une certaine sensibilitĂ©. Quand j’Ă©tais enfant, les mots sonnaient comme des notes de musique et longtemps, j’ai Ă©crit en composant plus qu’en rĂ©flĂ©chissant. Je suis trĂšs sensible Ă  la poĂ©sie et je peux ĂȘtre vĂ©ritablement Ă©mu Ă  la lecture ou Ă  l’Ă©coute d’un beau texte. Il y avait pour moi une forme d’harmonie dans l’Ă©criture qui longtemps, fut ma boussole. Puis avec le temps est venu la quĂȘte du sens. Soif de culture avant tout, car je venais d’un milieu humble malgrĂ© des parents d’une rare intelligence et d’une certaine finesse. Je ne suis pas l’expression de mon habitus, je suis pour le coup, et j’Ă©cris ça avec Ă©normĂ©ment d’humour et de dĂ©rision, le parfait français. Actuellement, c’est compliquĂ© d’Ă©crire ou de dire ça, car dans cette Ă©poque trouble de repli sur soi, de haine et de rancoeur pour cet autrui qui nous prend tout, dans cette hystĂ©rie qui raconte une rĂ©alitĂ© oĂč les espaces sont menacĂ©s en permanence d’une perfide invasion… ĂȘtre français sonne comme une dĂ©claration de guerre.

Paradoxe Ă©trange de ce pays tellement enivrĂ© de lui-mĂȘme, de l’image qu’il se fait de lui, de cette idĂ©e fixe qui compose l’essentiel du discours patriotique. Le pays des LumiĂšres, le pays des droits de l’homme, le pays de la LibertĂ©. Et aussi de tout son inverse, des pires exactions, des pires corruptions. J’ai eu l’immense chance d’avoir deux grand-pĂšres formidables, les deux militaires, qui ont Ă©tĂ© du bon cotĂ© en 39/45. Du cotĂ© maternelle, il crapahutait aux cotĂ©s du GĂ©nĂ©ral Leclerc, et il a dĂ©barquĂ© Ă  Paris Ă  l’issue de cette odyssĂ©e. L’autre a reçu, deux mois avant sa mort il y a 5 ans , son euthanasie pour ĂȘtre prĂ©cis, la lĂ©gion d’honneur pour acte de bravoure (dynamitage de voies ferrĂ©es dans la RĂ©sistance). Je me rappelle mon grand-pĂšre paternel avec qui j’avais un rapport particulier, un rapport fort, car nos caractĂšres avaient l’Ă©vidence la mĂȘme hardiesse… ce que je comprends, Ă  prĂ©sent, avec le temps. A peine avait-il reçu cette mĂ©daille, rentrĂ© chez lui, vautrĂ© dans son fauteuil, affaibli et parfois hagard, qu’il me regarde et me demande si « effectivement, c’Ă©tait important » ? Je l’ai regardĂ© et j’ai rĂ©pondu du fond de mon coeur, le plus sincĂšrement que ma propre pudeur le permettait : « bien sĂ»r que c’est important ».

Je ne parlais pas de la mĂ©daille ; je parlais de l’acte. Je parlais de ce qu’il avait fait pour la mĂ©riter, aprĂšs tant d’annĂ©es passĂ©es en n’ayant jamais mis Ă  profit cette hĂ©roĂŻsme vĂ©ritable, lĂ  oĂč d’autres avaient fait des carriĂšres opportunistes. Mes grand-pĂšres Ă©taient français, chacun Ă  leur maniĂšre. Français comme l’explique si bien Romain Gary dans les cerfs-volants, avec cet officier allemand qui trouve la mort aprĂšs l’attentat ratĂ© contre Hitler. Français comme l’ont rĂȘvĂ© nos plus grands Ă©crivains. Je ne suis pas fier des faits de guerre, je ne suis pas fier d’une histoire conçue comme un artefact Ă  destination d’un ego sans cesse boursouflĂ©. Si je ne peux pas croire les rĂ©cits d’un passĂ© sans cesse recomposĂ© et toujours davantage hĂ©roĂŻsĂ© (voire Ă©rotisĂ© vu les passions que certaines lĂ©gendes suscitent), jusqu’au dĂ©ni d’une rĂ©alitĂ© pourtant rĂ©cente (la collaboration), je peux me fier Ă  la plume de Victor Hugo, de ces fameuses LumiĂšres, de ceux qui au fil du temps ont tĂ©moignĂ© d’une sagesse et d’une grandeur, qui sont, elles, vĂ©ritables.

Je me sens français quand je lis l’Aigle du casque et sa justice immanente. Je me sens français quand je lis Camus… je me rappelle mon Ă©motion, Ă  18 ans, quand j’ai lu la Chute, rĂ©cit frĂ©nĂ©tique jusqu’Ă  la fin, jusqu’Ă  la chute, nous renvoyant tous Ă  l’hypocrisie de nos postures, Ă  la damnation de nos acquis. Je me sens français quand j’entends les citations de tant d’artistes qui font notre grandeur. Je me sens français quand je pense Ă  Saint Louis qui lui, en vrai monarque, allait en aide aux plus dĂ©favorisĂ©s. Je me sens français, quand j’entends la Marseillaise, car je vibre d’Ă©motion en imaginant ces gens rĂ©voltĂ©s. C’est ça mon ADN de français, ce n’est pas du chauvinisme aveugle mais bien la fiertĂ© d’un hĂ©ritage d’humanisme et de grandeur.

Je me sens français quand je me rappelle ce qu’il y a, dans ce mot, « France ». Je suis parfois tristement sidĂ©rĂ©, quand je pose la question Ă  mes compatriotes, qu’ils n’entendent plus le son qui pourtant, moi, me frappe. France comme free, France comme Franck… une racine commune qui infuse dans tous ces mots la notion de libertĂ©.

Etre français, pour moi, c’est refuser la tyrannie. C’est refuser d’oublier les idĂ©es et les idĂ©aux qui sont inscrits, beautĂ© sublime, dans notre constitution. C’est voir aussi le mal, sans louvoyer, comme l’aigle du casque qui Ă©cƓurĂ© par la mĂ©chancetĂ©, la vilainie de Tiphaine, prend soudainement vie. Etre français c’est trois mots qu’on oublie Ă  l’heure d’aujourd’hui. Trois mots qui ont la force et la puissance, qui sont la plus parfaite des trinitĂ©s : LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ©. Tout est lĂ , il n’y a rien Ă  gloser ou Ă  dire de plus. Juste Ă  s’interroger si cette simple loi, celle qui domine toutes les autres, est respectĂ©e. Etre français, ce n’est pas dresser une cocarde vidĂ©e de toute sa substance pour semer la haine, la discorde et l’injustice. Etre français ce n’est pas prĂ©tendre dĂ©fendre une rĂ©publique fantĂŽme, une rĂ©publique fantoche, qui oublie que sa seule raison d’ĂȘtre est de servir, et non asservir, son peuple.

Alors oui, je suis le parfait français, en cela que j’aurai toujours en horreur l’autoritarisme, le totalitarisme, et surtout, l’injustice. Je suis profondĂ©ment atterrĂ© par le niveau des dĂ©bats en politique, par la dĂ©cadence et l’impĂ©ritie de la scĂšne politique. Je constate la profonde division de notre peuple qui se dĂ©chire au grĂ© de toutes les manipulations, les provocations, les intimidations de ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir et entendent bien le garder. Je suis si profondĂ©ment déçu que le rĂ©flexe soit encore de s’en prendre, si lĂąchement, aux minoritĂ©s les plus silencieuses et les plus vulnĂ©rables. C’est si facile, c’est si minable, c’est tellement pratique, Ă©galement.

Je suis le parfait français et je suis donc profondĂ©ment imparfait car j’ai conscience de n’ĂȘtre rien, et j’en suis pour le coup trĂšs fier… car c’est une preuve d’intelligence. Mais Ă  notre Ă©poque cynique oĂč l’amoralitĂ© est un consensus, il vaut mieux lire Machiavel que Blaise Pascal. Pourtant, je vais citer ce grand français car c’est dans son humanisme que moi, personnellement, je me retrouve… et que je veux demeurer malgrĂ© le bruit des bottes et la menace de la trique :

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien.

Toute notre dignitĂ© consiste donc en la pensĂ©e. C’est de lĂ  qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durĂ©e, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc Ă  bien penser : voilĂ  le principe de la morale.

Blaise Pascal, Pensées, fragment 347