La négation de la valeur ou la valeur de la négation

Je suis en train de benchmarker des solutions de paiements en ligne, mais d’un coup j’ai envie de revenir sur une vidéo que j’ai vue sur Youtube ce We, sur la chaîne Elucid (que je vous conseille chaudement), avec comme invité Yohann Chapoutot. Un échange passionnant que j’ai fortement apprécié pour la qualité des concepts et des idées déployés par YC. Souvent, quand j’essaie d’aborder la question de l’argent avec certains interlocuteurs, je tente toujours de rappeler que ce n’est qu’un moyen, un outil, dont la valeur ne se fonde que sur la croyance (ou l’adhésion) qu’il inspire. Et il y a eu ce moment, cette citation qui sert de titre à ce billet, « la négation de la valeur est aussi une valeur de la négation ». Bon, je ne pense pas que c’était la formulation exacte, mais l’idée c’est que l’argent est effectivement un système de désignation de la valeur… qui devient absurde quand cette valeur n’est plus déterminée dans un processus naturel de circulation des biens mais l’objet même, le but, du processus économique. Comment expliquer la folie actuelle sans admettre le caractère proprement névrotique de cette obsession, de ce fétichisme, autour de l’argent ?

Yohann Chapoutot fait ainsi le lien entre l’argent et le nihilisme, le premier servant de locomotive au second. Oui, c’est vrai, du moment que l’argent devient un phénomène qui s’affranchit des besoins pour devenir le symptôme d’une folie systémique, il n’est pas faux de penser que l’argent devient le symbole même d’un nihilisme qui ne poursuit aucun autre but qu’une perdition enfiévrée. Mais attention, l’idée n’est pas de nier l’intérêt et l’importance de l’argent ; il reste un outil, un moyen, à la fois utile et peut-être irremplaçable dans une logique de fluidification et de facilitation des échanges inter-humains. C’est juste qu’en amasser des montagnes, magiques ou spéculatives, ne crée que des richesses artificielles qui à la fois polluent et compliquent le réel.

Il y a actuellement un frémissement intellectuel, un désir profond de changement, et je sens qu’une réflexion s’est ouverte sur la question de ce que doit être nos sociétés humaines et surtout comment elles doivent, et comment elles ne doivent pas, fonctionner. C’est encourageant, même si je sais que j’ai toujours l’enthousiasme facile. Il faudra encore du temps et beaucoup de souffrances et de drames avant qu’une volonté de changement l’emporte sur l’apathie actuelle. Cette vidéo de la chaîne Elucid et les propos très éclairants de Yohann Chapoutot sont une base vivifiante qu’il faudrait donner à étudier (à digérer ?) à tous ceux qui essaient de comprendre le monde réel, qui ne souhaitent plus se contenter du narratif qu’on leur a infligé depuis leur enfance, les emprisonnant dans un monde de chimères qui les contient plus fortement que des barreaux bien réels d’une prison.

Si tu dis à un homme qu’il est libre, c’est la meilleure manière de l’aliéner, le temps qu’il comprenne la supercherie derrière une affirmation qui demande à être interrogée avant d’être consciemment acceptée.

L’émission sur Youtube, les derniers des hommes, le temps qu’elle restera sur ce réseau social, je sais qu’au fil du temps, les liens des billets passés disparaissent au rythme lent mais inéluctable de leur effacement, pour cause d’abandon des sites ou des chaînes. De la réalité d’un internet qui semble éternel mais qui ne peut exister que dans un intense et perpétuel recommencement… balayant le passé obsolète au rythme frénétiques des avancées de la technologie digitale.

Le chaos avant quoi ?

Terrible époque que nous vivons, un monde en changement, un monde en ébullition avec la sensation d’un écroulement que déguise de plus en plus difficilement un monde médiatique semblant déconnecté de la réalité. J’ai énormément de boulot donc je passe mon temps à gérer des micro problématiques mais hier ma fille me demandait pourquoi je n’écrirais pas un bouquin sur un des nombreux sujets qui me passionnent. Soit, je pourrais, je peux, mais c’est paradoxalement sur le sujet du langage que je souhaiterais m’appesantir. Nous sommes dans un processus manipulatoire tellement généralisé que ça ne cesse de me fasciner, tout en me révulsant, évidemment. Il faut dire que nous subissons des abus déclamatoires, incantatoires, qui à la fois dénoncent l’imposture et révèlent l’impunité. Tout a été organisé pour maximiser notre impuissance, grâce au moteur de notre adhésion tacite ou involontaire. Par exemple, l’invitation au dialogue qui n’est plus, depuis des décennies, qu’une méthode pratique pour désamorcer les potentielles crises. Nous sommes devenus, je parle de la France, un peuple bien éduqué, bien élevé, qui ne conçoit plus qu’agir en suivant des règles, fussent-elles ineptes et injustes. Cette propension à la soumission volontaire est pourtant un gage d’infamie pour ceux qui ont été élevés dans la gloire du passif révolutionnaire. Que restent-ils des gaulois réfractaires ? Ont-ils seulement exister ou ne sont-ils qu’une autre marotte symbolique qu’on nous récite pour nous faire rêver d’un passé magnifique au lieu de nous laisser grandir en nous faisant affronter la dure réalité du présent ?

J’ai toujours eu la mélancolie d’être un homme sans racines, pas que j’ignore les origines de mes parents et le parcours de mes ancêtres, mais je suis le fils d’un homme parfaitement adapté à cette société « liquide » que nous vend en permanence le monde libéral. Mon père était un homme brillant, capable et compétent, et il a bénéficié des avantages d’une ébauche de méritocratie qui a, un peu, existé durant les trente glorieuses, avant que nous vivions la phase actuelle qui consiste à reprendre ce qui avait été durement concédé. J’ai donc beaucoup bougé dans mon enfance, j’ai tenté de suivre un peu les traces du papa à l’âge adulte, mimétisme oblige et illusions inflige, avec toujours la sensation de n’avoir que la construction personnelle comme élaboration de mon identité. Il me revient une anecdote cocasse et cruelle qui démontre en la matière l’absence d’instinct paternel de mon auguste patriarche. J’avais, à la fin de l’adolescence, le réflexe d’indiquer que j’étais bourguignon quand on me demandait mes origines, d’où je venais… simplement parce que j’avais vécu quelques années à Mâcon, et que j’y avais été très heureux. J’avais aimé les paysages magnifiques du Macônnais, j’avais aimé les gens, notamment dans les villages, accueillants et généreux, j’avais envie de m’attacher, de me rattacher à cette partie du peuple que je sentais bienveillante et courageuse. Un jour, alors que mes parents reçoivent ceux de ma compagne d’alors, le père dit au mien que je suis donc bourguignon, ce qui est balayé par mon géniteur dans un rire à la fois plein de cynisme et de sarcasme. Cette dénégation m’aura beaucoup marqué, comme une sorte d’anathème qui m’envoyait la réalité en lieu et place du petit arrangement que je voulais faire avec les faits. J’étais définitivement condamné à n’être qu’un homme sans racines ni attaches, j’étais condamné à être ce nomade moderne qui fait du monde entier son refuge et son foyer. En bref, j’étais destiné à n’être qu’un individu de plus et à m’en faire à la fois la raison mais aussi la conviction.

Etre un simple individu vous oblige à deux choses principales, contraires et violentes. Vous ne pouvez être que celui que vous devenez et pas celui qui vient de quelque part. Il n’y a pas de passé, pas de mélancolie, il n’y a que la route qui se présente devant vous, à parcourir, jusqu’au bout. Enfin, vous obtenez la force morale de celui qui n’a rien à perdre que ce qu’il est vraiment. Ce qui entraîne la création d’un surmoi monstrueux qui vous dicte, jour après jour, sa longue liste d’obligations morales et intellectuelles qui vous imposent une manière d’être camouflant la réalité d’une survie. Je suis devenu l’homme que je voulais être, mais je constate que le monde qu’on me propose n’est qu’un vaste enfer à ciel ouvert. Je n’ai pas à m’en plaindre par rapport à mes congénères, liquide par décision parentale, je suis donc habitué à m’adapter et à survivre quelles que soient les épreuves, la fameuse résilience qu’on nous rabâche pour nous faire toujours plier davantage. Surtout, je me suis armé intellectuellement et culturellement pour affronter ce monde… j’y traîne souvent comme un carnassier dissimulant ses dents, car je sais que nous ne sommes plus en terrain neutre. La brutalité est partout, la violence légale comme sociale une triste réalité, il faut donc en permanence être prêt à rendre ce qu’on vous donne sans hésitation ni faiblesse.

Il y a deux jours, mes enfants m’ont fait une magnifique déclaration d’amour, qui m’a touché car je ne voulais pas, je n’escomptais pas, d’être père. Ils me témoignent la reconnaissance de leur avoir donné certaines armes pour s’adapter à la vie à venir, surtout ils peuvent juger à présent de la valeur des avertissements et des éclairages que j’ai tenté constamment de leur donner, au gré du temps et de leur croissance. J’ai appris il y a longtemps que l’art de la paternité consiste surtout à ne pas déformer un enfant avec son petit ego mais bien veiller à ce qu’il puisse grandir et évoluer en suivant sa propre route. Ce n’était pas évident de les encourager à devenir des citoyens tout en leur apprenant la défiance envers tout système qui vous contraint et vous oblige. Je sais combien il est difficile de vivre sans illusion, pourtant c’est la condition pour ne pas s’y perdre. Le monde d’aujourd’hui est un monde dont les chimères ne deviennent plus que de pâles silhouettes qui ne convainquent plus personne. C’est à la fois abominable et nécessaire. Nous arrivons dans une période de chaos qui débouchera sur un nouveau paradigme, qui ne sera d’ailleurs qu’un système aussi temporaire que terrible. Comme si l’humanité ne pouvait que toujours subir et endurer ce cycle entre désir de justice et écrasement par l’injustice. Douze mille ans que l’homme se rêve et s’invente pour toujours en arriver à ces déséquilibres flagrants, il y a tout de même la sensation, personnelle, d’une absurdité propre à la nature humaine, inéluctablement contaminée par sa tendance à la névrose décomplexée.

Même si je ne suis pas aussi vieux que ça, je sais que je suis davantage vers la fin qu’au début, et je sais qu’il y aura de nombreux combats à mener à l’avenir. Je me pose la question de les mener ou pas, en compagnie des générations futures qui vont payer durement tous ces mauvais choix, cet égotisme dégénéré qui détruit la nature et nous empoisonne tant le corps que l’esprit. Si je dois écrire, ce sera pour tenter d’éclairer ceux qui veulent être libres, car je crois toujours que tout est affaire de choix. Et à présent, tout est à faire ou à refaire, aussi. Etre sans racine m’a aussi inculqué ça : quand rien n’a de sens, à toi d’en créer, à toi d’en donner. Libéré des carcans des obligations de ceux qui ne songent qu’à accaparer à ton détriment, garde en tête que ce monde n’appartient à personne : nul n’a le droit de créer son bonheur en privant un autre du sien.

La règle morale simple que j’ai inculqué à mes enfants alors qu’ils étaient tout petits : tenter d’agir toujours avec bienveillance, en étant capable d’estimer la polarité de ses actions. Simplement, quand tu agis, si cela provoque de la souffrance chez autrui, c’est mal, quoi que tu te dises ou quoi que tu essaies de justifier. Il est plus que compliqué, naturellement, de toujours agir sans provoquer du tort… mais il convient d’en avoir la conscience et de ne pas en rejeter la responsabilité. Le chaos que nous vivons actuellement est la simple conséquence de la perdition morale qui caractérise un monde ultra-libérale qui déguise constamment les faits aux détriments des êtres. Il est important, plus que jamais, de revenir à une véritable justice sociale qui ne peut, par ailleurs, plus être imaginée ou voulue à la dimension d’une nation, mais bien à celle d’une planète. Plus que jamais, la France non en tant que petit pays cocardier mais bien en tant qu’idée d’un humanisme puissant a un rôle à jouer.

Non, pas cette France d’aujourd’hui, l’autre. Celle qu’il convient de ressusciter avant qu’elle ne soit plus qu’un rêve, une triste et décédée chimère.

De retour

Le souci quand on a plusieurs sites avec WordPress c’est qu’une mise à jour Php pour l’un d’entre eux peut engendrer maints déboires pour les autres. Ce fut le cas pour Arcticdreamer.fr qui a souffert de mon agenda très chargé. Ce matin, j’ai pris le temps de faire les choses, en attendant de les faire bien, c’est pour cela qu’il n’y a pas vraiment de mise en page, j’ai installé un thème rapido et hop, tournez manège !

Après, ce n’est pas comme si j’en avais à faire de ce site, c’est davantage une expérience personnelle que je poursuis car je suis un peu comme ça, j’ai du mal à détruire ce qui a pris du temps et de l’attention. Mais bon, quand je relis ce que j’écrivais il y a 11 ans et l’écart plus que gigantesque avec l’homme que je suis à présent, j’ai comme toujours l’impression qu’il n’y a aucun mal à effacer ce qui a été pour aller de l’avant, et au moins ne pas faire peser sur le présent les chimères/croyances/illusions d’hier. Au niveau sociologique c’est tout de même intéressant de me pencher sur le fantôme de ma personne passée, en cela les billets de ce site sont intéressants car le cliché d’une époque dont je serais le petit négatif. Qui sait, peut-être qu’arcticdreamer.fr évoluera vers autre chose à terme, j’ai toujours eu envie d’écrire une suite au roman de Shelley avec sa créature fascinante ?

De là me frappe une mise en abyme, avec l’idée de n’être que la créature d’un moi intérieur qui me manipulerait telle une marionnette ! Allez, j’arrête la déconnade, bonne journée 🙂 !

Le chat

Clin d’œil avec un beau poème de Baudelaire qui me fait sourire en ce début d’année 2024 !

A ma petite Gaïa, mon petit rayon de soleil tout noir !

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal

La première des révolutions à faire

Etant donné que je suis malade depuis une semaine à cause de ma chère fille qui fut un patient zéro consciencieux, je vais écrire un peu en réaction à tout ce que je lis et regarde depuis quelques jours. Rien ne va plus, ça craque de partout, et quand je dis de partout, je parle du monde dans son ensemble. En précisant un peu cette généralité fallacieuse (comme toutes les généralités le seront toujours), je parle du monde démocratique. Actuellement, il y a un profond et puissant désir de changement par rapport aux enjeux climatiques, aux enjeux économiques, et surtout aux enjeux humains. C’est amusant comme constamment le vocabulaire politique se borne à répéter comme un mantra les mêmes idées en oubliant qu’il n’y en a que deux qui comptent pour qu’une société puisse espérer vivre en paix et en prospérité : la justice et le bonheur.

De la justice, il y a tant à dire… j’en ai fait l’expérience, j’ai mesuré le cynisme du système, encore un, j’ai compris quand même que ce n’était qu’un miroir aux alouettes de plus. Après, oui, comme dans d’autres corps, il ne faut pas non plus céder à la misanthropie primaire, il y a encore et heureusement des gens de bien, honnêtes et respectables… mais également tant de compromission, tant d’impunité organisée. Il y a de cela quelques années, j’avais été choqué, sans trop comprendre pourquoi, par un simple mot dans un jugement qui m’avait fait l’effet d’une gifle et d’une sensible humiliation. Ce mot c’était « turpitude », qui contenait ce que je peux identifier maintenant comme un vulgaire mépris de classe. A l’époque je croyais encore en la méritocratie, car je suis un homme qui ne peut abandonner ses chimères sans se battre un peu, nature oblige. Maintenant je sais à qui j’ai affaire, à l’instinct sont venus s’adosser la sagesse et l’expérience. Les griffes et les crocs sont toujours affûtés, sans non plus imaginer la victoire mais au moins de ne pas la laisser sans faire le plus de dommages possibles. Ma fille récemment me disait que je n’étais plus le gentil papa de son enfance, ce qui me désole mais en l’état il n’est pas possible de constater comment tout a si mal tourné sans nourrir une saine et inspirante colère. Car la Justice a perdu sa majuscule, elle a été vulgarisée comme le reste, elle a été rendue utilitaire dans un engrenage productiviste qui a perverti la notion du bien. En bref, elle n’est souvent que la chose d’une ploutocratie qui abuse et abusera toujours du sophisme pour se jouer de tous ceux qui ne comprennent pas l’escroquerie du langage, dont la polysémie demeure une constante opportunité. L’exemple accablant de cette monstruosité morale que ponctue la sentence « Responsable mais pas coupable » ne semble plus un scandale mais bien l’introduction sobre d’une décadence dont personnellement je ne vois ni les limites ni les obstacles.

Du bonheur… il n’y a plus rien à dire, ça ne sort jamais dans les débats publiques ou médiatiques. Peut-être parce que pour la majorité, le plaisir en est devenu le synonyme, la valeur d’échange, la concrétisation. Du pouvoir de l’argent, ce dieu invisible et puissant dont les apôtres sont à la fois zélés et inspirés. Parfois, quand je m’interroge sur la manière de créer une société parfaite, en imaginant repartir de zéro, je me dis que la première des lois serait de ne jamais permettre que ce moyen soit autre chose qu’une valeur d’échange ancrée et limitée au réel. En ces temps où l’inflation est un terme qui revient en permanence pour devenir une sorte de bouc-émissaire invisible, à la fois complexe et insaisissable, il y a pourtant de quoi comprendre ma réflexion. J’ai tenté d’expliquer à mes enfants, à l’époque du « quoi qu’il en coûte », le prix justement à payer pour ce type de politique. Régulièrement j’entends des économistes de tout bord expliquer que la dette c’est à la fois pas si grave et de toute manière obligatoire dans un monde qui ne fonctionne qu’avec cette logique capitaliste qui veut que comme un saumon, il faut toujours que ça revienne à la source. Parce que d’abord, si les gens riches le deviennent moins, alors ça ne peut que provoquer la fin du monde. Que les états soient devenus complices de cette logique qui veut que les peuples soient utilisés comme de grosse masse laborieuse pour que quelques uns vivent dans une opulence qui est peut-être la forme la plus extrême, subtile et véritable d’une totale médiocrité à la fois morale et intellectuelle est une sinistre vérité.

Ce matin j’écoutais à la radio qu’après la chasse aux pauvres et aux fainéants, il est maintenant question de s’attaquer à tous ces travailleurs qui ne font rien pour réussir alors que TOUT est fait pour ce but ultime. Comment construire une société où le bonheur serait générale, serait une réalité collective, quand, de toute manière, le principe est de construire sa richesse sur l’exploitation d’autrui ? Il y a de cela plus de trente ans, j’avais tenté d’aborder la chose avec mes parents quand j’avais constaté l’écroulement du prix d’une télévision. Quand j’étais gosse, la télévision c’était pour moi la divinité suprême au quotidien. J’allais m’agenouiller devant autant que je pouvais et tous les récepteurs cognitifs en action, j’absorbais ce que sa douce lumière me révélait. La télévision pour moi c’était le substitut à tous les manques que peuvent provoquer le délaissement… Je faisais souvent l’objet d’inquiétude ou de critique quand, au lieu d’aller jouer « dehors » avec d’autres enfants, je préférais mater la suite des programmes des quelques chaînes d’un service public qui tentait d’en offrir, d’en saupoudrer, un peu pour tout le monde, effort très louable en soi. Donc la première chose que j’ai perçu dans la valeur des choses, c’était le prix d’un poste de télévision. C’est simple, j’avais 6 ans, et une télé couleur c’était pour moi autour de 10 000 francs, soit une fois et demi le salaire de base. En résumé, pour ma famille qui est partie vraiment de rien, c’était énorme, c’était un privilège qu’il fallait chèrement acquitter pour en obtenir l’accès. A peine 10 ans plus tard, les prix ont commencé à baisser pour n’être plus qu’un détail dans le budget. Alors, de nos jours, il est possible d’acheter une télé avec le même ratio mais si le but n’est que d’avoir une télé ça se règle pour moins cher qu’une semaine de courses pour une famille de quatre personnes. Pourquoi ? La technologie est-t-elle si avancée qu’elle permette à des choses si peu naturelles que des composants informatiques, que des matériaux transformés, de coûter finalement moins que des aliments cultivés et bêtement mis en boite ? Le coût de la main d’oeuvre, pardi, LE critère qui obsède à juste raison le capitaliste névrosé. Et pour cause, le bonheur consumériste ne se base que là dessus : l’exploitation d’un autre, de sa force de travail rémunérée à bas bruit, pour nous permettre le luxe et l’opulence. A présent nul n’ignore que la promesse a été depuis clairement dénoncée. Certains ont cru que ça n’était encore que des histoires d’import/export, de pénurie, de surpopulation et de consommation dont les valeurs s’accroissent et se déplacent tandis que l’occidentalisation du monde progresse. Mais plus concrètement, c’est juste que nous n’avons plus les moyens, comme avant, d’exploiter autrui, car les esclaves ont fini par comprendre que leurs maîtres étaient tout de même de sacrés branquignolles. Des lièvres atteints de turpitude pour rendre hommage, un peu, à mes propres bourreaux.

Alors en ce moment, il y a une désespérance tranquille, le désespoir lascif du quotidien difficile. Il faut que ça change, car ça ne marche pas, mais comme dans un couple où l’émancipation de l’autre évoque toujours l’amertume ou le risque d’une solitude à venir, rien ne se passe sinon la constatation d’un temps qui passe et d’une routine qui sans cesse recommence. De la démocratie, toujours ce mot, qui revient, comme si c’était là que tout se jouait. Ce qui n’est pas faux, à vrai dire (j’adore toujours jouxter les deux valeurs, c’est mon puéril moment de manichéisme primaire), c’est qu’effectivement tout est affaire de pouvoir. « Pouvoir ». « Kratos ». C’est amusant comme les mots nous enferment dans des manière de penser le monde. Il est impensable, par exemple, d’imaginer un système politique sans utiliser ce radical. Car dans les sociétés humaines tout n’est finalement que le phénomène qui se réalise en permanence : l’expression d’un pouvoir sur un autre, sur des autres, afin qu’une société puisse se faire.

Je regrette qu’il ne soit pas possible que se fasse une révolution des idées qui passerait par une révolution du langage. Tous les débats se perdent dans des logiques idéologiques et sémantiques là où plus que jamais nous avons besoin de philosophie. D’introspection, d’abstraction, de modélisation, d’analyses. La réalité que j’observe par les lucarnes modernes que sont les nouveaux médias ne sont que tempêtes d’émotions et impasses sophistes. Une rage dans la prise de position, une constante intimation à choisir un camps, à condamner l’autre, avec une violence sous-jacente ou exacerbée qui m’écœure de plus en plus.

Il n’y a pas si longtemps, j’allais écrire un commentaire sous une vidéo qui parlait, justement, de révolution, avant finalement de l’effacer. Ecrire ici est un acte neutre, un acte égotiste qui n’est qu’un cri inaudible et accessoire. Ecrire ailleurs me donne à présent la sensation d’être le fou qui invite à regarder le ciel au lieu de l’écran lumineux qui vous bousille lentement mais sûrement vos jolis yeux avec sa lumière bleue. Pourtant, je reçois en retour des remerciements pour mes contributions, mais ce n’est pas le but. Le but serait de constater un désir de liberté chez mes contemporains qui déjà serait un immense signe d’espérance. Je ne le vois plus, je ne vois que résignation et entêtement.

Je livrais à ma fille, hier, le fruit de mes états d’âme. Je pense que nous ne pouvons qu’aller au bout de cette folie. Alors que les passions se déchaînent sur la question des IA, jamais je n’aurais constaté à quel point l’esprit humain cède à une forme de robotisation qui l’oblige, qui le condamne, à un total déterminisme social. Chacun accepte son rôle et les règles du jeu, même si ces dernières sont foutrement injustes.

La seule révolution qui compte c’est l’émancipation de cette manière de voir la vie et d’imaginer le monde. Il faudrait abandonner le « Kratos » pour passer à « l’Ethos ». Ne plus devoir obliger pour obtenir, mais ambitionner pour réaliser. La société des devoirs remplacée par celle d’une volonté collective qui n’aurait pour but que vivre dans la paix et l’harmonie. Troquer l’idéal vicié de l’Europe par une belle Euthymie*, ça serait bien.

*Euthymie (source wikipédia) : L’euthymie (du grec eu, bien, heureux et thymia, l’âme, le cœur) constitue le concept central des pensées morales de Démocrite qui la présente comme une disposition idéale de l’humeur correspondant à une forme d’équanimité, d’affectivité calme et de constance relative des états d’âme.

Et le paradis blanc ?

Lorsque j’ai créé ce blog il y a maintenant plus de 10 ans (et oui), j’avais un tout autre état d’esprit que celui qui m’anime à l’heure d’aujourd’hui. Mais, mais, déjà, il répondait à un instinct très ancré en moi, la conscience d’un absurde que Camus a si parfaitement décrit, et dont j’ai trouvé l’écho romantique dans la très belle chanson de Michel Berger, « Paradis blanc ». Le nom même de ce blog faisait référence, sans se cacher, à cette thématique de cet ailleurs loin de tout, loin des hommes surtout, où le silence et la solitude deviennent un oasis salutaire pour se ressourcer, pour réfléchir, pour se poser un peu comme j’aime à le dire très souvent.

La chanson de Berger débute ainsi :

Y’a tant de vagues et de fumée
Qu’on n’arrive plus à distinguer
Le blanc du noir
Et l’énergie du désespoir

Il n’y a pas si longtemps que ça j’ai traîné en ligne pour voir s’il y avait des interprétations inspirées de ce texte qui dès son commencement, affiche sa réelle thématique. Les divers commentateurs demeurent souvent dans un littéralisme très simpliste qui me consterne toujours, car mécanique et scolaire comme le ferait le robotique élève dans un processus analythique qui préfère la technique à l’art… Aucun de mémoire ne perçoit le désespoir tranquille, ou la désespérance mélancolique, au choix, de Berger. Personne ne prend le temps de remonter le temps, de replacer l’artiste dans son parcours, dans l’histoire de sa propre vie… « Paradis blanc » sort sur les ondes en 1990, deux avant la mort de l’artiste à l’âge de 45 ans. Prémonitoire, comme la chanson sublime et oubliée de Balavoine, « Partir avant les miens » ? Ou, comme je le pense sans pouvoir l’étayer davantage, la trace d’une usure sensible sur une belle âme, sur un noble esprit, qui aura cru aux grandes luttes, à la Justice, à ce bien qui naît dans la société humaine pour s’établir comme un but inéluctable, comme une destinée à accomplir ?

Le monde d’aujourd’hui est malheureusement la dénonciation de cette naïveté qu’il n’est plus possible de manifester, en partageant cette fausse croyance qu’est cet humanisme benêt, incapable de voir la réalité des horreurs qui déjà, bien avant l’an 2000 et la course folle de l’ultra-libéralisme, était pourtant un fait incontestable difficile à ignorer sans faire preuve d’une complaisance coupable. Je ne prétendrais pas, à mon âge moyennement avancé, d’une conscience précoce, d’un génie moral qui m’aurait éclairé toute mon existence. J’avais la gêne, ces moments de clairvoyance, qui me faisaient voir les toiles d’araignées dans les soubassements de ma perception, de ma réification du monde. Cette ironie qu’est la réalité, soit notre conception, notre confection personnelle, ce point de vue condamné à rester celui, tel le gardien de prison de Michel Foucault, confortablement installé dans sa tour panoptique, se retrouve embourbé dans son spectacle direct, se limitant alors à cette subdivision illusoire des rôles, cet arrangement très factice que devient l’univers limité à un périmètre cognitif particulièrement restreint. J’avais des alarmes puissantes qui souvent m’empêchaient de sombrer dans la léthargie morale, les plus puissantes étant les horreurs de la seconde guerre mondiale, mais surtout les deux bombes atomiques américaines larguées sur des « objectifs » civils. La différence notable entre les deux étant la différence de traitement : car la frappe nucléaire américaine est validée par les livres d’Histoire, elle est citée, acceptée, peu discutée, adoptée comme une solution viable et justifiée, ce qui rajoute à l’abomination un dégoût et une indignation qui encore aujourd’hui me hantent chaque jour qui passe. Après, peut-être que les livres d’Histoire d’aujourd’hui font le taf, je ne me réfère qu’à mon expérience d’écolier… mais dans ce narratif qui chaque jour se veut très, trop, complaisant avec l’allié américain, je n’ai guère d’espoir.

Des millions de juifs exterminés dans des conditions qui toujours me feront venir les larmes aux yeux est un crime contre l’humanité, sa déplorable, sa détestable, son horrible, quintessence. Mais 200 000 japonais atomisés ou rongés par les radiations c’est une performance dans l’abomination, dans l’efficacité mise en oeuvre dans l’horreur qui à la fois me révolte et me sidère. Dans les livres d’Histoire, à défaut de justice, impossible à obtenir, il est traité avec sérieux et justesse du cas du peuple juif, une balafre sur le visage de moins en moins souriant de notre société « européenne ». Par contre jamais les actes de l’Oncle Sam ne sont considérés comme des crimes contre l’humanité, même ceux plus récents qui ont eu lieu en Irak. Et pourtant, pour revenir à Nagasaki et HIroshima, à l’instar du conflit qui a lieu actuellement au proche Orient, il y a les mêmes paramètres : objectifs civils, violence barbare, dévastation, cruauté… gratuité même quand on considère, un instant, la situation du Japon quand les deux bombes font leur triste office. Nous avons donc, avec la Shoah un crime contre l’humanité, avéré, reconnu, identifié, déploré, expliqué, clarifié… et pour les deux villes japonaises un acte de guerre qui en soi (car « de guerre ») justifierait son horreur intrinsèque.

Souvent, quand j’essaie d’expliquer mon point de vue à mes contemporains, si loin de mes vaines considérations existentielles, je dis sommairement que le monde dans lequel je vis depuis mon enfance est celui où on a balancé deux bombes atomiques sur des innocents de manière totalement gratuite et cruelle. Généralement, ça ne suscite qu’un intérêt poli ou mieux, une indifférence immédiate, un peu comme si quelqu’un déclare ne pas supporter les mouches, ce qui s’entend mais ni ne se discute ni ne mérite un semblant d’intérêt. Et pourtant, et pourtant… de la discussion sur nos sociétés démocratiques qui se veulent l’apex d’une évolution systémique progressant constamment dans la recherche du bonheur général, ce point est essentiel. Ignorer l’horreur de Nagasaki et d’Hiroshima c’est construire sur un bourbier moral qui ne peut que ruiner la construction finale. C’est ignorer qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.

Je suis la discussion médiatique sur le conflit israélo-palestinien avec une sidération qui ne cesse de s’alimenter au fil des échanges, au fil des questions, au fil des constats comme des indignations. Une sidération qui tient davantage du dépit que de la stupeur… Un bel exemple, la lutte sémantico-morale sur la graduation, sur la hiérarchie entre le crime de guerre et l’acte terroriste. Oui, je sais, derrière ce fin distingo, l’enjeu est comme toujours la désignation d’un autre à haïr, d’un camp à choisir, d’un ennemi à combattre et d’un allié à soutenir. Hier, j’entendais le score du match perpétuel de ce sport intensivement pratiqué qu’est la guerre, la violence brutale, armé, léthale, appliquée comme seule ressource dans la gestion des conflits interhumains : 100/3000. Je sais, c’est brutal également de ma part de parler ainsi, de réduire les êtres à des nombres, et j’abuse un peu pour provoquer la consternation de l’être éveillé qui me lira. Pourtant comme le répètent souvent les intégristes du libéralisme décomplexé, « les chiffres ne mentent pas » et si, personnellement, il m’est impossible de choisir un camp sans condamner l’autre, je n’ai plus que cet indice pour mesurer l’horreur des choses, la violence des actes.

Je vis depuis ma naissance dans un monde où « Y’a tant de vagues et de fumée / Qu’on n’arrive plus à distinguer / Le blanc du noir / Et l’énergie du désespoir ». Depuis ma naissance, je subis les ricaneurs et les réducteurs de point de vue, ceux qui ont tout compris en deux trois formules souvent aussi cruelles que désinvoltes, aussi connes que moralement détestables. Il faut discuter des choses pour en saisir les contours sans se laisser abuser par une silhouette conditionnée par la pauvreté d’un point de vue qui n’est souvent qu’un instant T, aussi fugace que fragile. Prendre le temps de réfléchir, de considérer les choses, pas aussi longtemps que ça par ailleurs, mais ne pas sombrer dans la facilité des émotions instrumentalisées, commanditées presque, par ceux qui toujours n’ont que cette stratégie bête et effrayante de diviser pour régner, en agitant les bas-instincts, en intimant de choisir un camp avec un surplomb moral sans aucune légitimité à le faire, par ailleurs.

Une chanson en répondant à une autre, j’ai envie de citer « Liebe » de Laurent Voulzy qui définit mon humeur ce matin…. « Quelle idée pomme / Chanter l’amour des hommes / Paix sur la Terre / C’est râpé / C’est du gruyère »… Mais comme souvent avec Voulzy, c’est tendre et c’est doucement romantique et léger, au milieu des vagues et de la fumée, ça fait comme un oasis, comme une zone arctique dont j’ai résolument besoin pour ne pas désespérer à mon tour.

Coeur de verre
On peut tout me voir à travers
Que je suis naïf et que j’espère
Des baisers bleus pour l’Univers

Ris, rieur
C’est ma chanson mon lieder
C’est ma Blédine d’enfant de chœur
Paix sur la guerre, paix dans les cœurs
Lieber Mann
Liebe Frau

Comme rien faire,
Comme dans l’eau tu jettes une pierre,
Comme y a une reine d’Angleterre,
Rien ne sert à rien dans l’Univers

Pourtant, elle, d’Allemagne,
Elle m’écrit, elle me réclame
Une chanson douce comme une palme
Paix sur la guerre, paix dans les âmes

Comme elle est conne cette prière chewing-gum
(Liebe nur um zu lieben)
Quelle idée pomme
Chanter l’amour des hommes
Paix sur la Terre
C’est râpé
C’est du gruyère
Du gruyère

De la religiosité

Je n’écris pas assez souvent sur ce blog mais il est de moins en moins évident, maintenant que j’ai cédé à mes ambitions créatives, de trouver du temps pour m’adonner aux douces joies de l’écriture récréative. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, encore moins l’inspiration, simplement le processus d’écriture est devenu pour moi plus facile, plus fluide, ne nécessitant pas une discipline particulière… Je me faisais la réflexion, il y a quelques jours, que l’écriture ne se nourrit finalement pas des lectures, mais bien d’une certaine structuration de la pensée. Pensée qui ne s’épanouit que par le ferment des mots dans un grand jardin mental, psychologique, qui lentement prend forme puis s’agrandit au fil du temps. J’en suis à muser souvent dans ce labyrinthe végétale, neuronale, où de manière chtonienne, à comprendre dans un sens hiérarchique et non dans une connotation un brin religieuse (sujet du billet – oui, j’ai de la suite dans les idées), les racines s’entremêlent et se mélangent, composant son propre réseau, un véritable système que je suis incapable d’analyser ou comprendre, mais dont je reçois à présent les fruits généreux. J’avoue que je suis parti de très loin, de cette ambition il y a longtemps de m’éduquer, toujours tout seul, toujours par moi-même, et j’en savoure à présent les bénéfices. Ecrire n’est ni compliqué, ni difficile, ni complexe… c’est juste du temps, encore du temps, toujours du temps, à consacrer à un exercice nécessaire pour vivre vraiment, et ne pas se contenter d’être une machine cognitive toujours en boulimie d’informations, de sensations, de plaisirs. Je sais que le piège est de sombrer dans la mondanité, le cabotinage, la pédanterie, les affres faciles d’une intellectualité qui jouit d’elle-même. Il est important de signifier, dans ce monde de légèreté, dans ce monde où la superficialité se veut le paravent d’une candeur louable là où souvent il n’y a que vides abyssaux, le bonheur de la pensée, du recueillement, de la réflexion, de l’abstraction. C’est le rôle de ce blog, toujours et encore un journal intime à ciel ouvert, propos d’une hypocrisie revendiquée car jamais je n’aborderai ici la vérité de ma vie personnelle. Je m’amuse simplement de n’intéresser personne et de m’en sentir toujours un peu plus libre. Parfois, je me demande si quelqu’un pourrait trouver quelque intérêt à parcourir mes longs billets verbeux, mais dans cette société de ricaneurs, cette société du commentaire et de la pensée liminale, je n’ai guère l’illusion d’une quelconque âme sœur. Depuis longtemps, depuis toujours ai-je envie d’écrire, je m’active pour l’écho qui comble le silence, pour ce sens qu’il faut quand même donner pour lui donner… sens.

Donc, la religiosité… quand je me demande ce que je pourrais écrire d’un peu intéressant, d’un peu profond, je ne trouve toujours que cette analyse des mécanismes que j’observe dans nos sociétés qui vivent, tranquillement mais sans rémission, leur décadence. Et en ce moment, s’associant à la verticalisation que j’ai évoqué dans un lointain et précédent billet, la religiosité revient en force dans la définition du monde. Il convient de préciser ce que je nomme religiosité… instinct, attitude, mouvement qui prêtent à conférer à quelque chose un aspect sacré le hiérarchisant au-delà de la possibilité de la moindre critique, de la moindre contestation. La religiosité, c’est bien d’affirmer qu’il y a quelque chose de divin, qu’il y a dans l’objet de la sacralisation quelque chose à adorer et à protéger de la corruption du commun. Le religiosité c’est bien l’établissement d’une caste de hiérophantes qui se font rempart entre les mortels de basse extraction, les barbares sans foi ni loi, et la chose à révérer. La religiosité de nos sociétés ultimes s’expriment dans la protection, la valorisation, l’ardente passion pour un panthéon d’institutions ou de concepts qui sont autant de nouvelles divinités qui ne peuvent subir la moindre contestation sans que la suspicion de l’hérésie ne pèse sur le contempteur. Ce panthéon se compose par exemple de la Science, la Démocratie, la République, la Constitution, le Droit, la Loi, la Liberté, la Vérité, et de manière connexe les corps institutionnels qui en assurent l’adoration soit la Justice, la Police, l’Etat, l’Education,etc. Nous sommes à ce point où une sorte de constat nous est imposé comme quoi nous serions à l’acmé des systèmes sociaux, avec une sorte d’architecture finale de nos modèles sociétaux.

Je suis tombé par hasard sur un film de SF avec Adam Driver (mais que fait-il dans cette galère ?) qui se nomme en VF « 65 – la Terre d’avant ». Le pitch est en lui-même assez bluffant… en bref, un homme (comprendre : un bipède en tout point semblable à nous) échoue sur notre planète 65 millions avant JC (enfin j’ai la flemme d’aller vérifier l’exactitude de cette convention chronologique, c’est l’idée !). Donc le pauvre gars dès le début du récit échange avec sa compagne dans un trip « les méandres de la classe moyenne prise dans les tourments des contraintes sociales et économiques », abordant subrepticement mais clairement la question du salaire comme élément notable d’une prise de décision qui va quand même le faire partir à minima deux ans loin de sa sacro-sainte cellule familiale dont il est le cœur battant (il ramène le pèze – l’argent ou l’Argent au choix). En fait, on dirait que ça se passe en 2096 mais non, c’était il y a 65 millions d’années avant, comme quoi l’être humain, l’Homme (qui a perdu de sa religiosité en ces temps d’émancipation et d’égalitarisme), ne peut que sombrer dans une sorte de boucle sociétale le condamnant aux affres de la société inévitablement, fatalement (fatus), productiviste. Après, j’avoue que ça m’a gonflé, autant ça finit par une boucle à la manière de la planète des Singes, le gars est le chaînon manquant, et 65 millions plus tard c’est bien la même m… qu’il a initiée provoquant la prochaine mise en orbite d’un bipède du futur qui va aussi s’échouer sur une autre planète d’une autre galaxie pour initier la perpétuation systémique, panspermie doctrinale faisant de l’exploitation et des inégalités sociales le seul destin potentiel d’une espèce humaine condamnée à se subir.

En bref, car je ne vais pas passer mon dimanche matin à gloser sur le sujet, sur ce constat d’une régression généralisée, d’un retour à la féodalisation que j’ai déjà décrit il y a quelque temps, j’aimerais tout-de-même, timidement, avec un brin de provocation, que je suis à la fois déçu et un peu atterré du manque de créativité sur le sujet de la structuration de nos sociétés humaines. Est-il à ce point là inenvisageable de concevoir une humanité débarrassée des travers du matérialisme, de l’égocentrisme, de cet hubrys puéril qui nous pourrit la vie en légitimant toujours les bas-instincts, les inégalités et les injustices, dans un fatras de compromis et de compromissions ? Une société humaine, dont l’ambition principale serait de veiller au bonheur général, à l’intérêt général, qui travaillerait de concert à créer un monde de justice et de paix n’est-elle qu’une fiction impossible ?

La sacralisation tranquille qui clôt tous les débats médiatiques dans une vision figée et mortifère des systèmes sociaux est à l’évidence une autre tactique pour tenir encore un peu des systèmes qui, sous la pression des injustices, du malheur et de la souffrance, appréhendent l’inévitable explosion. Et toute la cohorte des hiérophantes qui constamment viennent avec de biens artificiels vérités clore les discussions en imposant la censure, le silence, la bienséance, le Bon Sens, la Raison, la Sagesse, en imaginant au bout du bout imposer un narratif de plus en plus déconnecté de la réalité (à opposer à la Réalité) ne pourra sauver la construction sociale dont la base est de plus en plus sabotée par la corruption malheureusement généralisée, installée comme une artère principale, nécessaire à la continuité. L’abus de la sacralisation, la ferveur religieuse qui essaient d’imposer des concepts comme autant de fausses idoles à révérer, défendant de les contester, de les interroger, de les voir pour ce qu’ils sont, soit des outils malléables à notre disposition pour les réduire au rôle de murailles à une vision passéiste de la société humaine, ne finira que par l’émancipation. Ce qui prendra du temps, car nous sommes dans une ère de chimères ; jamais le mot apocalypse n’aura révélé de nos jours son sens véritable, qui est celui d’une « révélation ». Souhaiter l’apocalypse devient paradoxalement attendre de meilleurs jours, ce qui en soi, n’est plus une provocation, malheureusement… Imaginer un monde sans religion et sans religiosité m’irait très bien, personnellement.

Bon dimanche, jour du seigneur, un mot qui me tente par un dernier jeu de mots que je n’oserai pas (ne nous faisons pas, inutilement, de mauvais sang).

Le légal, le moral, et les IA

HIer soir, ma fille m’a invité à une séance spéciale, car unique, d’un film adapté du manga Psycho-pass dont je ne connaissais que le premier épisode, découvert en sa compagnie il y a quelques années. Initialement, c’était un devoir de père de l’accompagner, mais à l’arrivée ce fut une excellente soirée à découvrir un très bon métrage. Je me moquais intérieurement de moi d’être resté sur mon Akira, meilleur métrage de l’animation japonaise, car à vrai dire si le chef d’oeuvre de Katsuhiro Otomo conserve sa superbe, il est à présent, malgré tout, marqué par certaines thématiques qui étaient alors en vogue… il y a peu, avec mon beau-frère, nous évoquions tous ces films des années 70-80 qui tournaient autour de la thématique des pouvoirs psychiques. Alors que je m’interrogeais sur la disparition de ce type d’intrigue, il m’a rétorqué très logiquement que les films de super-héros avaient complètement tué l’intérêt potentiel pour ce type de prouesse… et oui, l’emphase, l’hubrys, encore et toujours, qui tonnent et claironnent en commuant le son doux des choses délicates… J’aimais pourtant toutes ces intrigues faites d’individus particuliers suscitant la convoitise d’organisations plus ou moins obscures, toujours secrètes, et qui finissaient en bonne conclusion par faire la démonstration dantesque de leurs capacités. Furie de De Palma, Mai the Psychic Girl, l’échiquier du Mal de Dan Simmons, La grande Menace avec Richard Burton dont la VF me reste toujours comme une intense madeleine, Scanners, et donc Akira… Alors, la menace, la chose dont on attendait l’émergence comme sorte de grande (r)évolution à venir, c’était l’esprit humain, échappant au carcan du corps pour se sublimer, se transcender, dans une forme d’énergie cosmique, immanente, omnisciente.

Le film d’hier m’a plu mais il m’a aussi fait prendre conscience qu’à présent c’est bien à la machine qu’on voue cette sorte de culte étrange. Je constate, autour de moi, dans les médias, cette fascination pour ce qui désigné comme une « intelligence artificielle », nourrissant autant de craintes que de fantasmes. J’ai toujours été un homme profondément romantique, en cela que j’ai toujours été exalté et profondément rêveur. Le paradoxe c’est qu’on m’a souvent reproché ma froideur et ma distance, parfois même mon manque de cœur… J’ai juste le défaut de me méfier de mes émotions comme il est sage d’identifier avant toute chose sa propre nature. Qui fait l’ange fait la bête… De cette tension s’est nourri mon caractère qui fait que si j’adore, je n’idolâtre jamais… Si j’aime, je ne le fais jamais à moitié, je ne crois pas aux compromis, ces zones grisâtres qu’en ces temps ultra-libéraux certains veulent nous convaincre de l’utilité. Je ne transige pas avec la morale, je ne crois pas, à l’instar de la vérité ou de la justice, qu’on peut la transformer en un artefact narratif. Au petit matin, quand chacun de nous se réveille, c’est aussi le rappel de ces anges et ses démons qui composent la cour que nous formons au fil de nos vies. Les regrets, les remords, les actes manqués, les actes moches, nous font compagnie et nous escorte jusqu’au bout. Il est possible de trouver une manière de s’en accommoder, le déni et la corruption tacite sont des solutions très accessibles. Personnellement, j’essaie juste de consciencieusement éviter que le sérail s’agrandisse par trop. Et pour cela, la première règle c’est de ne pas se faire entraîner par autrui. Ne pas forcément « penser » comme ce que je désignerai les systèmes nous invitent à penser. Considérer les choses, c’est déjà les considérer en partant de soi. Le souci étant souvent que nous ne prenons pas le temps de réfléchir à la sémantique, à la signifiance de ce que nous regardons. Nous utilisons des expressions, des conventions, comme autant de « prêt-à-penser » qui dès leur acceptation, dès leur utilisation, nous entraînent dans des logiques perverses et transverses. C’est le cas, à mon sens pour les « IA », un acronyme qui dès le départ, à l’instar du mot « dieu », impose une identité et un ensemble de valeurs qui ne permettent pas de considérer le sujet dans la crudité de l’idée première. Car oui, le mot est une idée identifiée, habillée, vêtue et parée pour être manipulée à l’envi dans la maison de poupées qu’est le langage, qu’est la pensée.

HIer soir, donc, après le film, ma fille me demanda, curieuse, expectative, mes impressions… qui furent bien entendu positives et enthousiastes. Mais immédiatement, je lui confiais que je doutais que le public de ce genre de programme saisisse la portée philosophique du propos qui est, à mon sens, une réflexion au niveau systémique de l’ingérence de la technologie dans le fonctionnement des sociétés humaines. En bref, dans le film, des IA rendent plus ou moins obsolètes l’intervention humaine par une forme d’auto-gestion dont l’impartialité est à la mesure du caractère inhumain et mécaniques des mécanismes mis en oeuvre. Il y avait des propositions intéressantes sur l’idée des lois, sur la religiosité qui naît d’une adhésion au scientisme (à ne pas confondre avec la science tout court), sur la soumission à la technologie proportionnelle à notre démission à vouloir gérer nous-mêmes nos existences. Le paradoxe c’est que je compte très prochainement utiliser les IA actuels pour mon travail, ce que ma fille voit d’un très mauvais oeil. Elle a tenté alors de me clarifier son point de vue en m’expliquant que pour elle les IA menacent le statut de nombres de travailleurs, en premier lieu les artistes. J’ai tenté alors en retour de lui expliquer que le problème n’est pas l’outil, car les IA ne sont que ça, des outils, mais bien le fonctionnement et la philosophie des sociétés ultra-libérales qui deviennent la norme. Le souci n’est pas l’outil, ne sera jamais l’outil, mais bien la manière dont la richesse produite est redistribuée ou au contraire, accaparée.

A la fin du film, le personnage féminin principal commet un acte profondément christique, courageux, voire révolutionnaire. Je dois dire que ça m’a emballé comme m’avait emballé, il y a plus de 30 ans de cela, la fin de Max et les Ferrailleurs de Claude Sautet. Ce moment charnière où un individu préfère son humanité, sa dignité, son intégrité, à la compromission qu’on lui propose. Je ne pense pas que ma fille ait mesuré l’invitation silencieuse à la révolte, je ne pense pas qu’elle ait discerné l’intelligence du propos… pas qu’elle en manque, au contraire, d’intelligence, à l’instar de ceux de sa génération… mais parce qu’elle est prise comme nous tous dans les rouages d’un systèmes qui ne nous donne pas le luxe de réfléchir vraiment, de considérer les choses dans leur ensemble. Le progrès dans le domaine des IA vient pourtant de nous forcer à faire ce boulot, au risque sinon de finir comme dans le métrage dans une société où mécaniquement tout est géré, et donc fourvoyé, perverti, par les maîtres mécaniciens. Étrange constat que nos sociétés, dénonçant constamment le manque grandissant d’humanité et de compassion dans les rapports humains comme sociaux, ne peuvent que se perdre dans ses promesses technologiques qui peu à peu, très insidieusement, échange la liberté contre le confort.

Comme un pacte avec le diable, c’est pourtant ce que nous sommes qui est en jeu. Il faut s’interroger sur le prix à payer, il faut considérer la duperie dans l’échange. Les IA ne seront que des outils si nous ne nous perdons pas dans une sacralisation excessive qui sert ceux qui veulent conserver le fonctionnement des systèmes à leurs bénéfices. Les IA seront nos maîtres si nous en faisons de nouveaux dieux, installant une théocratique technologique qui n’a besoin que de notre apathie et notre soumission tacite pour prospérer… dans tous les sens du terme.

La bande-annonce de l’excellent film vu hier, que je vous invite à découvrir :

Amour des Feintes

Triste nouvelle ce WE avec la disparition de Jane Birkin. Une occasion pour moi de lui rendre hommage en évoquant « ma » chanson française préférée, soit Amour des Feintes, chef-d’oeuvre du regretté Serge Gainsbourg. J’écoutais ce morceau la semaine dernière, version symphonique… en me disant que si c’est Jane Birkin qui chante c’est bien lui qui s’exprime, révélant beaucoup de l’homme qu’il était vraiment, derrière l’image chaotique qu’il affichait en permanence dans les médias. Un couple incroyable, des chansons sublimes, une personnalité foncièrement humaine et émouvante… Bye bye Jane B., tu resteras toujours une des plus chouettes icônes d’un passé chaque jour de plus en plus révolu…

Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Cartes en quinte
S’édifiant
Le palais d’un prince
Catalan
Amours des feintes
Seul un can-
Délabre scint-
Ille au vent
Où l’on emprunte
Des sentiments
Le labyrinthe
Obsédant
Et comme si de rien n’était
On joue à l’émotion
Entre un automne et un été
Mensonge par omission
Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Etrange crainte
En écoutant
Les douces plaintes
Du vent
Amours des feintes
Au présent
Et l’on s’éreinte
Hors du temps
Et pourtant maintes
Fois l’on tend
A se mainte-
Nir longtemps
Le temps ne peut-il s’arrêter
Au feu de nos passions
Il les consume sans pitié
Et c’est sans rémission
Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Couleur absinthe
Odeur du temps
Jamais ne serai
Comme avant
Amours des feintes
Au loin j’entends
Là-bas qui tinte
Le temps
De ces empreintes
De nos vingt ans
Ne restent que les teintes
D’antan
Qui peut être et avoir été
Je pose la question
Peut-être étais-je destinée
A rêver d’évasion.

La brise timide d’un changement inévitable

Petit moment d’écriture, ce dimanche matin, car d’une part ça fait longtemps que je ne l’ai pas accompli, et d’autre part car nous vivons tout de même une période incroyable d’un point de vue sociétal et en conséquence sociologique. La sociologie, je l’ai découverte au moment de ma VAE (qui fut une expérience incroyablement enrichissante) et l’enthousiasme s’est lentement mais certainement mu comme un réflexe analytique. La logique marketing n’est pas compliquée à saisir, régulièrement une petite mode émerge, surfant généralement sur un outil technologique qui promet la sacro-sainte capacité à prédire et prévoir le comportement de l’acheteur potentiel, cette « cible » à la fois adorée et méprisée… mais la sociologie c’est abstraire, c’est s’abstraire, pour parvenir à une vision, à une conceptualisation, à une description plus fine et révélatrice des « choses ».

La sociologie, c’est une forme de mouvement philosophique qui se pare de l’intention scientifique. Je suis en train de me dire que je m’exprime encore comme un arrogant néophyte, l’éternel autodidacte qui prétend que tout est facile car s’abstenant, car s’émancipant, de toutes les hiérarchies et de tous les consensus établis dans les domaines qu’il a l’audace de braconner. Soit. Si je crois en une chose, c’est bien l’interdisciplinarité, qui permet de croiser une notion avec une autre, pour ne pas devenir captif d’un abus de polarisation. Exemple, la frénésie de l’étiquetage qui réduit tous les débats à des petites vérités qui ont une prétention de révélation, notamment par rapport aux individus. Un mal bien français par ailleurs, qui révèle le réflexe d’un ostracisme bien fermement ancré dans notre mentalité. « Complotiste », « extrémiste », « fasciste », « macronniste », « gauchiste », au choix, font que dès l’introduction vous savez à qui vous avez affaire et quel filtre apposer au discours que vous allez entendre ou lire. Personnellement, j’ai mis en place une sorte de méthodologie (bon, pour le coup c’est quand même respecter l’esprit de la sociologie) qui consiste à écouter ou visionner tout un panel de médias de tous les bords et de toutes les intentions. Déformation professionnelle, je passe mon temps à « décrypter », à « discerner » les éléments de langage soit les petits artifices manipulatoires des interlocuteurs. Je m’en amuse aussi, souvent. Car il y a dans le fond de ces pratiques médiatiques une profonde médiocrité qui limite les récits à des rhétoriques interchangeables et d’une incommensurable vacuité. La structure du propos est par ailleurs toujours la même, soit le problème, puis sa cause, son origine, son carburant, pour finalement délivrer la stratégie d’opposition, de résolution, de sauvetage voire d’accomplissement. Je n’aime pas sombrer dans la psychologisation, autre mal bien français, cependant il faut constater une sorte d’obsession pour l’identification d’un « mal » à l’origine de toute souffrance.

Tiens, il me vient immédiatement le concept de « République », avec sa majuscule, qui est souvent nommée, qui est souvent citée, comme une sorte de déité floue mais essentielle qu’il convient de protéger, d’adorer, de révérer, en n’oubliant pas au passage de prêter les mêmes attitudes aux hiérophantes qui se prétendent gardiens du temple. Quel mot, quel concept fascinant que la République… la démonstration même du caractère polysémique que le moindre terme induit. Il y a « personne » aussi… Je suis toujours subjugué qu’avec ce mot il soit possible à la fois de désigner une individualité comme une absence. Avec une telle ambivalence au niveau de la signifiance, comment voulez-vous qu’émerge du sens surtout quand les orateurs s’amusent à truquer les raisonnements pour simplement, pour perfidement, vous amener là où ils le veulent ? Enfin, personnellement, ils m’y amènent, je regarde un peu la déco, puis je m’en retourne dans mes pénates. Mais c’est fascinant, souvent révoltant, et je passe trop de mon temps à me scandaliser de tous les sophismes, de tous les syllogismes qui sont la manifestation évidente de cette période chaotique que nous vivons tous. La conclusion, malgré tout, après la phase d’agacement est bien dans la constatation d’un léger mais réel changement, profond, au niveau du public, de l’audience visée. Davantage d’esprit critique, davantage la volonté de ne pas se contenter de l’apparence des choses, de ne pas se cantonner au brillant du vernis pour gratter et découvrir ce qu’il y a sous la surface.

Donc, ce matin, discipline toujours, celle qui me fait multiplier les activités créatives comme culturelles. Ce blog n’est qu’un journal à ciel ouvert, un espace d’expression que je veux public car malgré tout confidentiel (je ne promeut pas ce site et je n’ai pas l’illusion de susciter l’intérêt d’un potentiel lecteur) et qui m’oblige à m’abstraire pour rester dans l’enclos rassurant et éthique de la pudeur élémentaire (je ne parle pas de ma vie privée, je l’évoque accessoirement – mes états d’âme sont politiquement très corrects). En bref, l’exercice est bien dans l’articulation « littéraire » de ma pensée, afin d’en constater la qualité d’organisation mais aussi de traitement de l’information. Avec cette volonté, cette intention, je me suis demandé de quoi je pouvais bien parler ce matin… tout ce que je lis, tout ce que je regarde, tout ce que je joue, tout ce que je fais, tout ce que je crée… j’en aurais beaucoup à dire, mais véritablement, ce qui m’a frappé ce matin en me posant la question solennelle du « sujet », c’est bien ce subtil mais pourtant réel changement que je sens actuellement dans notre société en souffrance.

J’avais écrit, il y a peu, un commentaire d’une vidéo Youtube où son créateur se lamentait de l’apathie générale. J’avais tenté en quelques mots de le réconforter en émettant l’idée que le changement, la volonté de changement, proviendraient surtout de la nécessité qui se précède trop souvent de la souffrance. La volonté politique de nos sociétés néo-libérale est à l’évidence la préservation d’un statu quo, rudement mis à l’épreuve en ce moment. Je pourrais passer des heures à écrire ou réfléchir, à disserter ou à gloser, sur le sens de certains termes ou certaines expressions. Là, c’est le fameux « statu quo » qui me fait sourire. Je suis de plus en plus fasciné par la tyrannie douce du langage, ou comment les individus se laissent emprisonner dans des logiques avec une réelle difficulté à les remettre en question. « Démocratie » par exemple, encore. Il y a peu, je m’interrogeais sur la possibilité de moderniser la notion (soit la liberté donnée au peuple de se gouverner par lui-même) en modifiant, en inventant un nouveau terme, qui ne serait plus fallacieusement connoté par ses origines étymologiques comme historiques (la démocratie grecque c’est quand même réduire le peuple à une élite aux dépens d’une majorité asservie). Processus complexe, processus intéressant tout de même, car il consisterait à démantibuler le mot pour en comprendre l’anatomie. « Démos » et « Kratos », le peuple (encore un mot si passionnant à analyser) et le pouvoir (qui induit une idée de violence car toute expression de pouvoir est violence faite à un autre), avec l’héritage d’une pensée grecque qui elle-même n’est que le substrat de cultures oubliées et déformées. Je crois de plus en plus qu’une véritable révolution sociétale n’est réellement possible qu’en opérant un travail méticuleux et sans volonté idéologique (le but n’est pas de dénoncer, mais bien de comprendre pour neutraliser… ou assainir) de remise en cause du lexique qui est le nôtre. S’il est possible de comparer le langage à l’utilisation d’algorithmes verbaux, les mots étant autant d’opérations complexes, alors le résultat ne peut être que trompeur si nous n’en saisissons pas la valeur réelle.

La question que je me pose ce matin, c’est bien celle de la « vérité » comme notion éthique du langage. Est-il raisonnable que « personne » soit aussi ambivalent, que « démocratie » et « République » puissent devenir des expressions dissimulant la réalité d’une autocratie organisée ? Nos sociétés se veulent l’apothéose (acmé) d’une évolution sociétale, une sorte d’accomplissement, mais peut-on encore se contenter de l’apparence des choses sans jouir vraiment de ce que les mots promettent ? Sur ce petit vertige existentiel et pseudo philosophique (restons sérieux, rien ne l’est vraiment – surtout pas mon blog… ceux qui me connaissent vraiment le savent d’instinct), il est temps de prendre un petit café en profitant de ma journée dominicale.